Une journée d’école en 2021.
Élève de CP, je revêts mon masque une dizaine de mètres avant la grille de l’école. Parents, instituteurs, directeurs le portent aussi. Plus tard, après l’avoir partiellement ôté plusieurs fois, penché sur ma feuille en classe, je devrai demeurer parqué dans ma zone dédiée dans la cour, avant de manger au garde-à-vous. Même pas l’occasion de respirer. Collégien, j’ai déjà préparé mon masque dans la rue. Me tenant à la barre du bus, je toucherai ensuite mon masque, l’ôterai à moitié, histoire de jouer aux grands, de faire la bise à mes camarades, ou autres découvertes de mon âge. A la fin de la journée, j’aurai sans doute mal à la tête et mon accessoire de survie sera en mauvais état, mais il paraît que c’est ce qu’il faut faire. Lycéen et interne, je suis tenu de porter le masque en continu. J’oublierai d’en changer toutes les quatre heures. Plusieurs fois, je serai près d’enlever ce bâillon, moi qui suis, comme le savent ceux qui s’intéressent aux apprentissages du corps, traversé par des émotions contradictoires qu’il me faut apprendre à maîtriser par ma respiration. Comme tous mes camarades, j’attendrai d’être agglutiné à la cantine pour respirer en ingérant. De retour dans ma chambre, ma tête sera lourde, mais au moins aurai-je respecté les protocoles. Sinon pour moi, du moins pour les autres.
Il paraît, on dit, que les enfants et les adolescents doivent faire tout cela. Sinon pour eux, du moins pour les adultes. C’est prescrit. Protocolaire, même. Mais, dans les trois cas présentés ci- dessus, échantillon infime de la diversité des situations vécues, l’écart entre la prescription et la réalité est tel que les ordres tombent à plat. Aucun élève en France, vraisemblablement, pas plus qu’un adulte, du reste, ne saurait passer une journée sans manipuler son masque, d’une façon ou d’une autre, et donc annuler son effet protecteur. Comment accorder crédit à des obligations dont le sens est démenti par le cours de la vie quotidienne?
Depuis l’automne 2020, quelques médecins, pédiatres et psychologues, des voix autorisées, ont souligné les conséquences probables d’un port du masque journalier chez les plus jeunes (voir par exemple la tribune «Port du masque à 6 ans: avons-nous perdu (l’âge de) raison?», Libération, 1er novembre 2020). Animaux mimétiques, nous apprenons par le corps, l’observation des attitudes, du faciès. Certains enfants raccordent les lettres au son en lisant sur les lèvres de leurs aînés. Tous ont besoin de chanter, rire aux éclats et courir. Le masque est une barrière aux apprentissages fondamentaux du petit d’homme.
Quant aux collégiens et lycéens, le masque accroît leur domestication: surcroît de docilité d’une part, encouragée, d’autre part, par la rigidité de caserne des plus zélés d’entre les enseignants, devenus garde-chiourmes. On s’est laissé dire que certains professeurs se pressaient aux portes de la cantine, désireux de découvrir enfin le visage de ceux avec qui ils partagent une bonne part de leur temps. Messer Castex, le plus réel du réel, échappe encore aux prescriptions. Pour manger en masse, on tombe le masque. Un ingénieux gratte-papier du ministère commandera sans doute sous peu des masques à orifice alimentaire, afin de remédier à cette faille dans le dispositif.
Les adultes qui font face aux élèves renâclent bien souvent. Ils s’habituent. Mais en geignant. Fatigue, maux de tête, voix assourdies, interventions des élèves inaudibles: ce sont des éléments matériels, clairs pour tous. Mais il y a plus: du symbolique. De même que l’adulte introduit l’enfant dans le langage par l’expression et les postures, le professeur noue une relation et retient ses élèves – au lieu de seulement les tenir par l’intimidation et la sanction – par son rire, son humeur, ses moues, ou bien son sérieux soudain traversé par un sourire de connivence. Le masque est une barrière aux apprentissages sociaux des jeunes gens.
On nous dira que nous exagérons. Pis, que nos propos sont inappropriés, irresponsables et dangereux. Et, pour les plus imaginatifs, complotistes et irrationnels. Entendons-nous bien: que l’on meure avec le Covid (mais pratiquement jamais du Covid, lorsque l’organisme ne présente aucune carence préalable qui permette au virus de l’affaiblir), c’est l’évidence; que cette affection réveille des pathologies en sommeil, ou se prolonge en complications qui amoindrissent considérablement les malades, c’est parfois vrai et il est compréhensible que, dans de tels cas, la peur gagne l’entourage. Néanmoins, ces cas sévères ne doivent pas occulter les maladies liées à la pollution industrielle et au développement technologique qui rendent la terre inhabitable. Maux déjà là depuis longtemps, qui rendent le virus létal: obésité, diabète, affections cardio-vasculaires, problèmes respiratoires. Du reste, les scénarios concurrents expliquant l’origine du virus ne laissent aucun doute là-dessus (cf. Le Monde du 22 décembre 2020): qu’il soit lié à l’empiétement du milieu technicien sur l’habitat animal ou bien à une expérimentation en laboratoire mal maîtrisée, dans les deux cas c’est l’expansion industrielle qui détruit l’équilibre humain.
Le virus et ses victimes les plus sérieuses font peur, mais sont les rejetons d’une civilisation dont on a fini par s’accommoder, en toute obscénité, des nuisances mortelles : accidents de la route, pollution atmosphérique, acidification des eaux, alimentation frelatée, etc. Si l’on excepte les circonstances spécifiques, comme dans les unités de soin et de réanimation, où le port d’un matériel adéquat est indispensable, tout ce que le port du masque «grand public» peut apporter, c’est un délitement social approfondi. Dès l’école, les jeunes humains apprendront à se défier de l’autre, comme on se protège des nuisibles. Autrui devenu un porteur de virus potentiel, qu’il faudrait neutraliser dans un monde de prescriptions sanitaires toujours plus folles. Voyez pour preuve ce lycée de la ville d’Annonay, en Ardèche, qui a fait le choix de dépenser le budget alloué aux activités culturelles dans l’acquisition de gel hydroalcoolique. Passer sa vie à se soigner revient à tarir la source de toute vie, et de toute santé. La pandémie qui guette est celle d’une humanité en dépression.
D’une part, nous nous refusons au chantage incitant à utiliser l’enseignement à distance, cette mascarade catastrophique, pour régler la question sanitaire. D’autre part nous sommes convaincus que la situation d’exception est destinée à durer, telle une crise sans fin. C’est pourquoi nous appelons les enseignants à nous contacter pour se fédérer avec les collectifs de parents qui, un peu partout sur le territoire, se sont élevés contre les mesures drastiques imposées aux enfants et aux adolescents. Par ailleurs, bien conscients des pressions de tout ordre qui pèsent sur les professeurs, nous incitons nos pairs à utiliser toutes les marges de manœuvre dont ils disposent pour alléger et réduire le port du masque à l’école. Il est grand temps de rompre la distance.
Collectif de l’Appel de Beauchastel contre l’école numérique
Contact: 27 ter rue des Terras, 07 800, Beauchastel.
Le collectif de l’Appel de Beauchastel a été créé en décembre 2015.
Il regroupe essentiellement des enseignants
et appelle à lutter contre l’invasion du numérique en milieu scolaire.