Joël Cabalion, Maoïsme et lutte armée en Inde contemporaine, 2011

L’État indien lutte depuis plus de quarante ans contre la guérilla maoïste. Cette confrontation a aujourd’hui gagné en ampleur et le gouvernement de Manmohan Singh a fait de la lutte contre ces mouvements une de ses priorités. Cet article revient sur les sources et l’actualité du maoïsme indien.

 

Le 3 mars 1967 un groupe de militants issus du Parti Communiste Indien (CPI) et réunis autour de Charu Mazumdar, Kanu Sanyal et Jangal Santhal fomente une révolte violente contre des grands propriétaires terriens dans le village de Naxalbari au Bengale-Occidental. Le choix de se dissocier radicalement du CPI institutionnel, l’ambition de propager la révolution armée dans les campagnes indiennes et la référence au maoïsme donnent naissance au naxalisme, du nom du village où eut lieu ce premier soulèvement. Quarante-trois ans plus tard, après de nombreux déboires et d’incessantes recompositions, le mouvement naxalite en Inde est aujourd’hui unifié. Quelle est son histoire ? Qu’en est-il aujourd’hui de son impact et quelles sont les raisons qui expliquent l’attrait de ce mouvement dans les campagnes ? Lire la suite »

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Daniel Süri, Les Naxalites, 2012

la plus grande des guérillas dans la plus grande des démocraties

Une guérilla comptant des dizaines de milliers de membres dans « la plus grande démocratie du monde » ? Loin des représentations courantes du miracle du développement indien, la violence de la « modernisation », notamment dans les campagnes, et la brutalisation des rapports sociaux qu’elle a induite ont relancé de façon spectaculaire le mouvement maoïste des « naxalites », pourtant en déclin à la fin des années 1970.

 

En 2006, le premier ministre indien Manmohan Singh décrivait le naxalisme comme « la plus grave menace pesant sur la sécurité intérieure de l’Inde ». Mais en Europe, le mouvement est méconnu : il est pourtant présent, le plus souvent armé, des frontières himalayennes jusqu’au Karnataka. Ses activités touchent aussi bien le Bihar que le Bengale-Occidental, le Jharkhand, l’Orissa, le Chhattisgarh que le Maharashtra et l’Andhra Pradesh, voire le Tamil Nadu.

Désignant généralement le courant indien du maoïsme, le « naxalisme » doit son nom à une insurrection paysanne ayant eu lieu autour de la localité de Naxalbari (voir encadré). Les États les plus concernés par cette guérilla maoïste forment le « corridor rouge », comme l’appelle la presse. Selon les estimations, qu’il faut néanmoins prendre avec précaution, les naxalites compteraient 20 000 combattant-e-s et 40 000 « cadres » permanents [1]. En comparaison, on rappellera que les insurgés indépendantistes du Cachemire n’étaient que 3 000. Lire la suite »

Naïké Desquesnes, Nandini Sundar et les (nouveaux) rois de la jungle, 2012

Elle a parcouru les forêts du centre de l’Inde de long en large, d’abord pour travailler à son anthropologie historique et économique des révoltes tribales à l’époque coloniale, puis pour dénoncer les exactions d’une milice financée par le gouvernement sous prétexte de combat contre la guérilla maoïste. Nandini Sundar est l’une des rares intellectuelles à avoir une réelle compréhension de ce qui se joue sur un territoire meurtri où se cristallisent les grands enjeux à venir pour le pays. En procès contre l’État du Chhattisgarh depuis cinq ans, elle a choisi d’utiliser les armes du système pour lutter contre l’impunité du pouvoir.
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Collectif Ruptures, Réflexions sur l’autoritarisme et l’extrême droite, 2022

Notre participation au mouvement anti-passe nous a parfois amené à côtoyer des militants politiques avec lesquels nous n’avons guère en commun. Cela nous a amenés à quelques réflexions sur l’extrême droite et les conditions de son émergence, que nous vous livrons ici.

 

Nous participons régulièrement aux manifestations contre le passe sanitaire et nous constatons que ce mouvement est composite. On y trouve des personnes inquiètes du rétrécissement des libertés publiques, en questionnement sur les potentiels effets secondaires d’un vaccin d’un type nouveau sans retour d’expérience, d’autres qui prônent des médecines alternatives, des gens qui pensent que la situation actuelle a été sciemment créée et orchestrée par l’oligarchie, des gilets jaunes critiques des inégalités sociales, de la vie chère et du mépris de Macron envers les classes populaires, des soignants suspendus… et cette liste est loin d’être exhaustive. On trouve également des partis politiques d’extrême droite (notamment Civitas et les Patriotes à Grenoble), ainsi que leurs sympathisants.

Mais nous constatons surtout, avec une pointe d’amertume, une situation qu’on n’aurait pas imaginée dans nos pires cauchemars : des militants d’extrême droite, mouvance ouvertement autoritaire et inégalitaire, sont là pour scander le mot « liberté ». Alors que ceux qui, habituellement s’en revendiquent (notamment à gauche), leur laissent le terrain, et parfois même soutiennent les mesures du gouvernement. Lire la suite »

Nicolas Alep, Quelques pistes de réflexion pour une décroissance numérique, 2021

Dans notre petit essai corrosif Contre l’Alternumérisme [1], écrit avec Julia Laïnae, nous nous sommes employés à exposer les désaccords de fond qui nous séparent des courants prônant la maîtrise du numérique et à promouvoir l’idée d’une « désescalade technologique ». Le reproche principal qui nous a été adressé est que livre n’ouvre aucune perspective d’action, n’est pas un programme politique et encore moins un guide pour « mieux vivre avec le numérique ». Frustrant ? Pour nombre de lecteurs, visiblement oui. Mais en l’état, et pour de nombreuses raisons, il serait malhonnête de prétendre être en mesure de produire le mode d’emploi d’une sortie du numérique.

Tout d’abord, nous ne mesurons que trop bien l’aspect inoffensif de notre critique. Deux militants bricolant durant leur temps libre un texte politique, qui ne sera jamais lu que par les « gens qui lisent des livres », n’ont aucun pouvoir de changer quoi que ce soit par la force de leurs injonctions. Ce ne sera donc pas sous le commandement de Laïnae et Alep que sera menée la grande offensive néo-luddite qui abattra le « monde sans contact ». Et il y a aussi fort à parier que si Mark Zuckerberg savait lire, Contre l’Alternumérisme ne le convaincrait pas de fermer Facebook et d’entamer une reconversion vers un métier socialement utile. Dans tous les cas, tout comme personne ne demande notre bénédiction avant de brûler une antenne 5G, boycotter les cours en « distanciel » ou refuser la biométrie, nous espérons bien que ce débat pourra se poursuivre sans nous. Nous versons au pot commun des éléments de réflexion, mais une fois rentrés à la maison, chacun de nous doit aussi se débattre dans ses contradictions : être critique des technologies, mais vivre dans une société technologique. Lire la suite »

François Jarrige, De la sauvagerie à la violence créatrice, 2013

Regards sur les bris de machines dans la France du premier XIXe siècle

Depuis les années 1980, l’intérêt pour les mondes ouvriers du XIXe siècle et la violence des conflits sociaux tend à décliner en France. Les recherches se concentrent surtout sur l’histoire du crime, des violences de guerre, ou des violences quotidiennes du monde paysan, dans la foulée d’une réflexion sur les violences interpersonnelles et sur les logiques de politisation et de modernisation des campagnes [1]. Les troubles frumentaires, les luttes forestières ou les émeutes antifiscales – principales formes des violences collectives dans le monde rural du premier XIXe siècle – ont fait l’objet de nombreux travaux. Adoptant une approche compréhensive, les historiens sont partis en quête des comportements et des rationalités propres à la paysannerie [2]. Les débats se sont focalisés notamment sur les liens entre ces violences et le champ du politique, l’influence du regard anthropologique a poussé de plus en plus à examiner les structures familiales ou les réseaux de sociabilité. Lire la suite »

Bertrand Louart, La revanche de Macron, 2021

Le 12 juillet 2021, Macron déclare:

«En fonction de l’évolution de la situation, nous devrons nous poser la question de la vaccination obligatoire pour tous les Français. […] Mais je fais le choix de la confiance. J’appelle solennellement tous nos concitoyens non-vaccinés à aller se faire vacciner au plus vite

Traduction en bon français: il n’y a aucun choix. Soit vous vous faites tous vacciner volontairement, soit il finit par rendre la vaccination obligatoire. Mais la manière dont il formule cette pseudo-alternative rend cette obligation à venir bien plus sympathique. Elle dépend de nous! Il nous fait confiance! On peut éviter la vaccination obligatoire! Pour ça, il suffit qu’on aille tous se faire vacciner! Un peu comme s’il nous disait: «Comme je suis sympa, je vous propose de jouer avec moi à pile ou face: face, je gagne, pile, vous perdez.»

Aussi ajoute-il: «La vaccination n’est pas tout de suite obligatoire pour tout le monde. Nous allons étendre au maximum le pass sanitaire pour pousser le maximum d’entre vous à aller vous faire vacciner.» Macron atteint ici le sommet de l’hypocrisie: la vaccination n’est pas obligatoire, mais le gouvernement va rendre tellement difficile la vie des non-vaccinés qu’ils n’auront d’autre choix que de se faire vacciner. On ne vous oblige pas, mais vous êtes obligés. Lire la suite »

Radio: Jacques Chastaing, Le soulèvement paysan en Inde n°2, 2021

Ce qui se passe en Inde est déterminant pour le monde

L’Inde est certainement parmi les grands pays de la planète, celui qui concentre le pire du capitalisme et du féodalisme. C’est aussi en conséquence un pays en ébullition permanente et aux millions de révoltes.

De plus, avec 28 États et 8 territoires, près de 1 400 millions d’habitants (trois fois l’Union Européenne) et ses 27 États, autant que la Chine, mais avec une démographique galopante, l’Inde est le pays à la population la plus nombreuse de la planète. Presque un habitant du globe sur 6 habite en Inde. L’agglomération de Delhi a presque autant d’habitants que l’Espagne.

Le soulèvement paysan actuel qui dure depuis presque 3 mois dans le cadre d’un mouvement plus large de 15 mois est un laboratoire vivant du processus révolutionnaire en cours dans le monde.

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Rohit Kumar, Soulèvement des paysans indiens, 2021

Questions les plus fréquemment posées

Devinder Sharma, expert en politique alimentaire et commerciale, répond à des questions de fond sur les raisons pour lesquelles les paysans manifestent aux frontières de Delhi depuis 50 jours [plus de 100 jours, à l’heure où nous publions cette traduction].

 

Alors même que le gouvernement central et ses acolytes dans les médias font des heures supplémentaires pour vanter les avantages des trois nouvelles lois agricoles auprès du public indien, les paysans qui manifestent aux portes de Delhi ont clairement fait savoir qu’ils ne reculeront pas tant que ces lois ne seront pas abrogées. Pris entre le feu croisé de la désinformation et des faits, l’Indien urbain moyen est quelque peu désorienté quant aux mérites et démérites de la protestation des paysans – qui a maintenant franchi le cap des 50 jours [plus de 100 jours, à l’heure où nous publions cette traduction].

S’il y a une chose qui est devenue de plus en plus évidente au cours des sept dernières semaines, c’est que les habitants des grandes villes indiennes vivent dans un univers très différent de celui de leurs homologues ruraux, et qu’ils ont du mal à comprendre pourquoi les fermiers qui campent aux portes de Delhi sont aussi déterminés qu’eux à obtenir ce qu’ils veulent. L’une des principales raisons de cette situation est qu’ils ne connaissent pas les « dessous » des manifestations.

Afin de dissiper une partie de cette confusion et de faire la lumière sur le contexte plus large de ce mouvement, j’ai parlé au journaliste, auteur et expert en politique alimentaire et commerciale, Devinder Sharma, qui a passé les deux dernières décennies à faire campagne pour l’égalité des revenus des paysans indiens, et je lui ai posé les cinq questions qui reviennent invariablement le plus souvent lorsque le sujet des protestations des agriculteurs est abordé. Lire la suite »

Radio : Jacques Chastaing, Le soulèvement paysan en Inde n°1, 2021

Le premier ministre, Narendra Modi (et grand ami d’un certain Emmanuel Macron), péniblement élu à la tête d’une coalition conservatrice en 2014, cristallise toutes les colères. Depuis sa prise de fonctions, il a accentué la destruction de la protection étatique qui entourait les paysans, voie ouverte par la gauche dans les années 1990. Il a exacerbé les conflits entre les communautés religieuses. Sa politique réactionnaire contre la condition des femmes a également suscité des mouvements de contestation.

Tout s’arrête le 24 mars à cause du Covid. Modi, dans la sidération générale, décide de privatiser tout, de la défense aux écoles, en passant par la santé et les transports. Avec un temps de retard, les grèves s’étendent dans le pays, métier par métier, province par province, sans trouver de réponse. Les femmes et les paysans imposent aux directions syndicales un appel à la grève générale le 26 novembre 2020 qui mobilisera 250 millions d’Indiens. C’est la grève générale la plus massive de toute l’histoire ! Et c’est de là que tout est parti. Lire la suite »