Albert Einstein, Pourquoi le socialisme ?, 1949

Est-il convenable qu’un homme qui n’est pas versé dans les questions économiques et sociales exprime des opinions au sujet du socialisme ? Pour de multiples raisons je crois que oui.

Considérons d’abord la question au point de vue de la connaissance scientifique. Il pourrait paraître qu’il n’y ait pas de différences méthodologiques essentielles entre l’astronomie, par exemple, et l’économie : les savants dans les deux domaines essaient de découvrir les lois généralement acceptables d’un groupe déterminé de phénomènes, afin de rendre intelligibles, d’une manière aussi claire que possible, les relations réciproques existant entre eux. Mais en réalité de telles différences existent. Lire la suite »

Albert Einstein, Why Socialism?, 1949

Is it advisable for one who is not an expert on economic and social issues to express views on the subject of socialism? I believe for a number of reasons that it is.

Let us first consider the question from the point of view of scientific knowledge. It might appear that there are no essential methodological differences between astronomy and economics: scientists in both fields attempt to discover laws of general acceptability for a circumscribed group of phenomena in order to make the interconnection of these phenomena as clearly understandable as possible. But in reality such methodological differences do exist. Lire la suite »

Pierre Thuillier, La vocation manipulatoire de la science, 1984

Nous avions hésité au départ quant au choix du thème de cette conférence entre « la vocation manipulatoire de la science » – titre finalement retenu – et un autre, plus historique, sur la naissance de la science. Je vais, de fait, conjuguer ces deux approches.

La question principale à mes yeux est celle de la dualité bonne science/ mauvaises applications. Il est de notoriété publique que la science a rendu et rend encore des services. N’insistons pas. Mais on sait aussi qu’elle conduit à des réalisations plus ou moins redoutables telles que la bombe atomique, les armes bactériologiques, les manipulations génétiques… Le problème, c’est de savoir si c’est, par hasard, par accident que la science conduit à ce genre d’applications ; ou si, au contraire, il n’y a pas dans l’entreprise scientifique elle-même, considérée non seulement comme recherche de savoir mais comme entreprise sociale, quelque chose qui d’emblée fait que la science conduise à ces mauvaises applications. Lire la suite »

Michel Barrillon, Procès en réhabilitation de l’idée de nature 2, 2019

Ébauche, 2nd et dernière partie

II. Les deux natures

« Nature n’est qu’une poésie énigmatique, une peinture voilée et ténébreuse, entreluisant d’une infinité variété de faux jours à exercer nos conjectures. »
Montaigne [1]

« Nous n’avons aucune communication à l’être » (Montaigne)

Pour les gens ordinaires qui jugent de la réalité du monde selon le sens commun, « the proof of the pudding is in the eating». Pour les philosophes qui sont de purs esprits, cet argument de bon sens n’est pas recevable. Dans la parabole du rêve du papillon, Tchouang Tseu pose avec humour le problème de l’identité. En revanche, c’est avec le plus grand sérieux que Descartes déclare à ceux qu’il n’aurait pas convaincus de l’existence de Dieu et de leur âme :

« Je veux qu’ils sachent que toutes les autres choses, dont ils se pensent peut-être assurés, comme d’avoir un corps et qu’il y a des astres et une Terre, et choses semblables, sont moins certaines. » [2]

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Anne Rasmussen, Critique du progrès, « crise de la science », 1996

débats et représentations du tournant du siècle

Tout au long du XIXe siècle, science, modernité et progrès avaient suscité des représentations à peu près substituables. La science, qui ouvrait l’horizon sans limite d’une accumulation continue des savoirs, devait être, dans cette mesure même, garante du perfectionnement moral de l’homme et, partant, du progrès de la civilisation. L’archétypique Esquisse d’un tableau historique des progrès de l’esprit humain s’était employé à établir cette équivalence entre le domaine du savoir et les catégories éthiques et politiques. Les figures du discours circulaient aisément des sciences à la démocratie, des connaissances expérimentales à la morale ou à la société.

Au tournant du siècle cependant, les deux grandes sources du discours progressiste produit depuis les Lumières étaient en voie de tarissement. D’une part, l’inspiration historienne était proche de l’épuisement. Il n’était pas de vraie postérité à ceux que Renouvier dénommait les « penseurs appliqués à l’histoire universelle » dans la lignée des Condorcet, Saint-Simon, Hegel, Comte ou Spencer dont « la maxime que tout est bien, ou que tout va au bien, est le postulat secret, quand ce n’est pas la thèse à démontrer » [1]. D’autre part, la source scientifique, qui prétendait associer progrès social, moral et cognitif, si elle continuait d’avoir des adeptes, subissait une profonde remise en question. Lire la suite »

Thomas S. Kuhn, La vérité scientifique n’a pas besoin d’être unique, 1995

Thomas S. Kuhn (1922-1996) a enseigné successivement aux universités Harvard, Berkeley et Princeton, avant de terminer sa carrière au Massachusetts Institute of Technology de Cambridge (Massachusetts). Après avoir consacré en 1957 un travail à La Révolution copernicienne (le Livre de poche, Biblio Essais, 1992), il a publié en 1962 un livre, La Structure des révolutions scientifiques (Flammarion, 1983), qui a durablement marqué l’histoire et la philosophie des sciences. Lire la suite »

Mikhail Bakounine, La Science et l’Anarchie, 1871

extraits de Dieu et l’État

La science comme abstraction

L’idée générale est toujours une abstraction, et, par cela même, en quelque sorte, une négation de la vie réelle. J’ai constaté cette propriété de la pensée humaine, et par conséquent aussi de la science, de ne pouvoir saisir et nommer dans les faits réels que leur sens général, leurs rapports généraux, leurs lois générales; en un mot, ce qui est permanent, dans leurs transformations continues, mais jamais leur côté matériel, individuel, et pour ainsi dire palpitant de réalité et de vie, mais par là même fugitif et insaisissable. La science comprend la pensée de la réalité, non la réalité elle-même, la pensée de la vie, non la vie. Voilà sa limite, la seule limite vraiment infranchissable pour elle, parce qu’elle est fondée sur la nature même de la pensée humaine, qui est l’unique organe de la science. Lire la suite »

Camille Rullán, Se réapproprier la science, 2021

L’affirmation selon laquelle « la science est neutre » est en soi une déclaration politique, qui s’aligne sur les intérêts de la classe dominante. Ce qui est qualifié de politique est ce qui remet en question l’idéologie invisible et hégémonique. D’où la nécessité de comprendre les manières dont le capital et le pouvoir influencent la production, les usages, ainsi que la nature de la science et, de manière plus critique, de réinventer les manières dont nous pratiquons la science. Il n’y a pas de héros qui puisse nous donner cela. Le seul moyen d’avancer est l’action collective.

 

Toutes les cultures ont leurs mythes de la création : le livre de la Genèse, le Rig Veda, le Coatlicue ou même la Destinée Manifeste. Ces histoires expliquent qui nous sommes et comment nous sommes arrivé·es là, révèlent nos préférences et nos préjugés. La science occidentale est apparue en réponse aux mythes pour nous offrir une vision prétendument neutre et non falsifiée des mécanismes internes de la nature. Comme les mythes, la science a ses héros : des personnages (surtout des hommes) qui, souvent à eux seuls, ont découvert des vérités fondamentales sur l’univers. Galilée, Newton, Darwin, Einstein – nous les connaissons. Lire la suite »

Camille Rullán, Se réapproprier la science, 2021

All cultures have creation myths: the book of Genesis, the Rig Veda, Coatlicue or even Manifest Destiny. These stories explain who we are and how we got here, reveal our preferences and prejudices. Western science arose in response to myth to offer us a supposedly value-free, unadulterated view into nature’s inner workings. Like myths, science has its heroes: men (or, mostly men) who, often single-handedly, discover fundamental truths about the universe. Galileo, Newton, Darwin, Einstein—we know who they are. Lire la suite »

José Ardillo, Anarchisme et science, 2010

La philosophie anarchiste a dès l’origine littéralement vénéré la science – aucun doute n’est possible à cet égard. Et pourtant, il ne faut pas oublier que Bakounine lui-même fut un des premiers à attirer l’attention sur les dangers encourus à partir du moment où l’on place une confiance aveugle dans le pouvoir de la science et des scientifiques. Soulignant le risque d’attribuer un trop grand pouvoir à certains groupes d’experts au détriment des capacités de jugement de la majorité des gens, il entrevoyait déjà à son époque comment la science pouvait faire alliance avec les ennemis du peuple en vue de le soumettre toujours plus. Lire la suite »