Xavier Noulhianne est éleveur et a écrit Le Ménage des champs – Chroniques d’un éleveur du XXIe siècle, Éditions du bout de la ville, 2016. Nous avons souhaité l’interviewer car ce qu’il documente, depuis sa propre expérience, des conditions de la production alimentaire aujourd’hui, décrit un système à proprement parler totalitaire (dont la formule « il n’y a qu’un seul éleveur en France : l’État », rend spectaculairement compte). Ses propos ne peuvent que nous interroger sur le territoire perdu en matière de maîtrise et d’autonomie, et sur la tâche à mener désormais pour reprendre possession, politiquement et matériellement, de ce rapport à l’alimentation, des conditions de sa production et des modalités de sa consommation.Lire la suite »
Catégorie : Critique des nuisances
José Ardillo, Pour une écologie libertaire sans compte à rebours, 2020
Aventures et mésaventures de l’effondrement
Commençons par un petit exercice de spéculation historique. Projetons-nous au siècle passé, au début des années 1970. À cette époque la population mondiale avoisinait les quatre milliards, l’urgence écologique était devenue un fait officiel dans tout le monde civilisé, notamment à la suite du célèbre Jour de la Terre [1] et des premiers rapports écologiques concernant la soutenabilité, avec également les livres de Barry Commoner ou de Paul Erlich, entre autres. Il relevait alors du lieu commun d’affirmer que l’humanité entrerait en crise aux alentours de l’an 2000, une date qui à seulement trente ans d’écart apparaissait comme une limite à la fois mythique et infranchissable. La science-fiction, au moyen du cinéma, des bandes dessinées et de la littérature, alimentait cette inquiétude au sujet d’un désastre qui semblait imminent. Souvenons-nous que l’opinion publique occidentale était agitée par la guerre du Vietnam, les conflits sanglants sur le territoire dudit « Tiers Monde », les tensions avec les pays arabes, etc. Au sein d’un tel panorama, la menace environnementale et son cortège funeste de pollutions venaient compléter un tableau apocalyptique qui, aux yeux de beaucoup de gens, était amené à constituer le futur de la société industrielle. Lire la suite »
Radio: Mathieu Amiech, La gestion sanitaire de la covid-19, 2023
Mathieu Amiech, membre des éditions La Lenteur et du collectif Écran total (résister à la gestion et l’informatisation de nos vies), revient sur la gestion de l’épidémie de Covid-19 due a la diffusion du virus SARS-Cov-2 durant les années 2020-2022.
Émission issue de « L’actualité des luttes » diffusée sur Radio Fréquence Paris Plurielle le 2 janvier 2023.
Afin de resituer le contexte dans lequel Matthieu Amiech fait cette émission, il faut préciser qu’elle est en quelque sorte une mise au point par rapport à une autre émission qui a été diffusée également sur les ondes de Radio FPP. Il s’agit de « Zoom Ecologie » intitulée « Bilan critique du courant anti-industriel » du 18 octobre 2022, où Matthieu Amiech était accusé de « covido-négationniste », en même temps qu’étaient mise en cause les positions du collectif Écran total (résister à la gestion et l’informatisation de nos vies) sur la crise sanitaire et l’obligation vaccinale.
« Le point essentiel que je voudrais souligner, c’est que considérer le Covid-19 comme un danger absolu, radicalement nouveau, qui change totalement notre situation personnelle et collective, cela n’est possible que si l’on refoule profondément le caractère pathogène de notre société capitaliste et industrielle. C’est-à-dire que l’on occulte le fait que l’on est déjà, en temps ordinaire, dans une situation où l’on est environné de dangers, de nuisances, qui viennent de beaucoup de nos habitudes de consommation quotidiennes déjà très ancrées. »
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Racine de moins un
Une émission
de critique des sciences, des technologies
et de la société industrielle.
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Émission Racine de Moins Un n°84,
diffusée sur Radio Zinzine en mars 2023. Lire la suite »
David Watson, Bientôt tout cela ne sera plus que ruines pittoresques, 2020
Lettre à des amis français sur le passage d’un très grand nombre de personnes à travers une assez courte unité de temps
« Pouvons-nous compter sur le fait qu’un “revirement” soit accompli par suffisamment de monde en un temps suffisamment bref pour sauver le monde moderne ? On pose souvent cette question, mais peu importe la réponse, elle sera trompeuse. Répondre “oui” pourrait conduire à la complaisance, répondre “non”, au désespoir. Ce qui est désirable, c’est laisser ces perplexités de côté et se mettre au travail. »
— Ernst Friedrich Schumacher, A Guide for the Perplexed (1977)
À la veille de la destruction
Lorsque j’ai été invité à commenter la « collapsologie », c’était la première fois que j’entendais ce terme. À l’évidence, je n’aurais pas dû être surpris que la société de masse, dans sa tendance à une prolifération baroque, et le capitalisme, dans sa tendance à faire commerce de tout, aient exploité les angoisses diffuses face à l’effondrement social et l’éventualité de l’extinction de l’humanité pour donner de la matière à une discipline académique, une mode éditoriale, des jérémiades sur Youtube, des formes expérimentales de retraite et des activités de consulting. Comme le chantait jadis Bob Dylan, « il semble que chacun a ces rêves-là » (Talkin’World War III Blues). Et puisque toute personne qui prend en charge le sujet des périls actuels pourrait être appelée un collapsologue, je dois en être un aussi. Lire la suite »
David Watson, “Soon To Be Picturesque Ruins!”, 2020
On the passage of a very large number of people through a brief bottleneck in time
Recently I was invited to comment on “collapsology.” It was the first I had heard the term. I guess I shouldn’t have been surprised that mass society’s tendency to baroque proliferation, and capitalism’s tendency to turn everything into commerce, would leverage widespread anxieties about social collapse and even potential human extinction into fodder for an academic discipline, literary fashion, YouTube jeremiads, experiential retreats, and consulting businesses. “Seems / everybody’s having them dreams,” Dylan once put it. And since anyone who takes up the subject of the current peril could be called a collapsologue, I must be one, too. Lire la suite »
Dominique Pinsolle, Du ralentissement au déraillement, 2015
le développement du sabotage en France (1897-1914)
Résumé

Adopté par la CGT en 1897, le sabotage est au départ conçu comme une dégradation volontaire et clandestine de la qualité du travail, du matériel ou de la production elle-même, afin de nuire uniquement aux intérêts de l’employeur. Aux yeux de certains militants, il devient à partir de la grève des Postes de 1909, et plus encore après celle des cheminots de 1910, un mode d’action susceptible de paralyser le pays tout entier, avant d’occuper une place centrale dans les plans de « sabotage de la mobilisation » élaborés au sein des milieux anarchistes. Cet article vise à comprendre comment une pratique au départ marginale et cantonnée au lieu de production a pu constituer une menace d’ampleur nationale dans les années précédant le premier conflit mondial. Lire la suite »
Paul Kingsnorth, L’abolition de l’homme (et de la femme), 2022
Le genre, le sexe et la Machine
C’est lors d’un voyage aux États-Unis il y a cinq ans que j’ai perçu pour la première fois l’inversion fondamentale dans l’appréhension de la réalité qui allait se répandre dans l’ensemble du monde occidental.
J’avais entrepris une petite tournée promotionnelle et j’intervenais dans diverses manifestations, ce qui m’a permis de passer un moment avec un homme qui s’intéressait à mon travail. Nous parlions de choses et d’autres, et au cours de cette conversation à bâtons rompus, il m’a demandé si j’avais des enfants. Oui, ai-je répondu, un garçon et une fille. Puis, comme il est de règle dans ce genre de conversation, je lui ai posé la même question.
Je n’oublierai jamais l’expression de son visage. Une épouvantable tristesse semblait l’écraser lorsqu’il me répondit. Oui, dit-il, il avait un fils adolescent, ou il en avait eu un autrefois. Mais tout avait changé. Un jour, en rentrant de l’école, son fils lui avait annoncé qu’il était désormais sa fille. « Imaginez cela », me dit cet homme, « que faut-il faire ? Qu’étais-je censé faire ? » Lire la suite »
Renaud Garcia, Le vrai problème posé par les « déconstructionnistes » est leur attaque de l’idée de nature, 2022
Dans Le Désert de la critique, qui vient de reparaître aux éditions de L’Échappée en format poche avec une nouvelle préface de l’auteur, le philosophe anarchiste Renaud Garcia s’attaque au courant de la déconstruction – par la gauche. Nous l’avons rencontré.
En 2015, vous avez sorti Le Désert de la critique. Déconstruction et politique, qui a connu un certain retentissement et auquel vous venez d’adjoindre une préface conséquente. De quoi parle ce livre ?
Renaud Garcia : J’ai commencé par constater qu’un nouveau vocabulaire imprégnait les milieux de critique sociale et culturelle, que la notion de déconstruction, à l’origine seulement liée à une technique originale de lecture des textes, devenait une forme d’impératif militant : il fallait déconstruire les choses, se déconstruire aussi, et les militants se déchiraient à ce propos. L’objectif du livre était de remonter du symptôme jusqu’à la maladie. Je suis donc allé relire les philosophes de la déconstruction (Derrida d’abord, puis Foucault et Deleuze), car, s’ils n’étaient pas nommément cités (ce qui arrivait souvent), leur pensée critique se trouvait décantée et réduite à des « trucs », des procédés permettant de pointer certaines zones d’ombre de la critique sociale. Lire la suite »
Renaud Garcia, Soutenir l’esprit de non-puissance, 2021
À l’occasion de la parution en espagnol – aux éditions La Cebra, maison argentine [1] –, de La Collapsologie ou l’écologie mutilée [2], Renaud Garcia nous a transmis, en amitié, le texte de l’entretien qu’il a accordé au quotidien Clarín, institution buenos-airienne s’il en est. Il fut publié en tout début d’année, en pages « Idées », après avoir été ramené au format journalistique admis, c’est-à-dire raccourci. Le texte que nous donnons ici, en français, est la version complète et inédite de l’entretien. Comme c’est rarement le cas en matière journalistique, ici les questions sont plutôt bonnes.
La revue A contretemps
Clarín : Vous placez la collapsologie dans la catégorie du spectaculaire. Est-ce à dire qu’il s’agit d’un discours purement pragmatique ?
Renaud Garcia : Assurément, le discours des collapsologues (c’est-à-dire cet ensemble de constatations scientifiques à propos d’un effondrement plus ou moins proche de notre civilisation industrielle, auxquelles s’ajoutent des considérations sur les recours émotionnels et sociaux dont nous disposons face à cet effondrement) produit des effets réels dans le public. En effet, il fait changer certaines personnes, habitant souvent les métropoles. Elles comprennent subitement qu’elles ne pourront continuer de vivre innocemment comme avant. Je ne mets pas cela en doute.
Il y a pourtant un autre aspect qui m’intéresse davantage : la fonction de ce discours dans un cadre médiatique et éditorial. Dès le début – c’est tout à fait clair, en France, si on lit les ouvrages de Chapelle, Stevens et Servigne –, la collapsologie a recherché l’approbation des masses. Afin d’y parvenir, elle a dû délivrer un discours sans contours saillants ; un discours fondé sur un appel à l’entraide, à la bienveillance et au soin apporté à tout ce qui vit. Il fallait mobiliser, il fallait jouer sur les émotions, de sorte que les gens se réveillent. En laissant ainsi de côté une critique plus fine et structurée de la logique de destruction propre au capitalisme technologique. Lire la suite »
Renaud Garcia, Sostener el espíritu de no poder, 2021
Entrevista
Clarín : Quería empezar por una descripción que ubica la colapsología en la categoría de lo espectacular ¿Podríamos decir que la colapsología está centrada en producir efectos, impactos a nivel comunicativo y que desde ese lugar mide su efectividad? Es decir ¿se trata de un discurso puramente pragmático?
Renaud Garcia : Es cierto que el discurso colapsólogo (es decir, este conjunto de constataciones científicas sobre un derrumbe más o menos próximo de nuestra civilización industrial, y de consideraciones sobre los recursos emocionales y sociales a nuestro alcance frente a tal colapso) produce efectos reales sobre el público. De verdad, hace cambiar ciertas personas, a menudo metropolitanas, que entienden, de repente, que no podrán seguir viviendo de la misma manera, inocentemente. No pongo eso en duda.
Pero hay otro lado que me interesa más: es la función de este discurso dentro de un marco mediático y editorial. Desde el principio – es claro en Francia si uno lee a Servigne, Stevens y Chapelle – la colapsología ha buscado la aceptación de las masas. A fin de que lograra en esta empresa, tuvo que servir un discurso sin ángulos sobresalientes; un discurso fundado en una llamada al apoyo mutuo, la benevolencia y el cariño para todos los seres vivos. Había que movilizar y conmover, de manera que la gente se despertara, dejando entre paréntesis una crítica más fina y estructurada del capitalismo tecnológico, y de su lógica de destrucción. Lire la suite »