Flocco et Guyonvarch, À quoi rêve la biologie de synthèse ?, 2019

Légitimations et critiques de l’« amélioration du vivant »

Résumé

La biologie de synthèse est une ingénierie du vivant, qu’il ne s’agit plus seulement de comprendre, mais de concevoir en le « redesignant » grâce à l’association de la génétique et de l’informatique. D’innombrables vertus sont soulignées par ses promoteurs : médecine personnalisée, solutions à la crise écologique, amélioration des capacités des êtres vivants. Or, ces innovations technoscientifiques sont socialement controversées car elles comportent en même temps des risques et des dangers potentiels qui pèsent sur la société présente et future : diffusion d’organismes génétiquement modifiés ; questions éthiques ; brevetabilité et conception réductionniste du vivant ; « bioterrorisme ». Face à ces problèmes cruciaux, de quelles manières les acteurs impliqués dans ce domaine légitiment-ils ces avancées ? À travers une variété de positionnements, ils sont informés des critiques adressées à la biologie de synthèse. En même temps, ils sont convaincus que rien ne peut entraver la « marche du progrès » et, de ce fait, ces critiques sont désamorcées, atténuées ou intégrées, via de multiples registres de justification, procédés rhétoriques contribuant à alimenter l’idéologie techniciste de notre temps.Lire la suite »

Silvia Guerini, Un monde sans mères ?, 2022

Résumé

Dans cet article, les technologies de reproduction artificielle, de la procréation médicalement assistée à l’utérus artificiel (l’ectogenèse), en passant par les modifications génétiques, sont toutes considérées comme des aspects profondément interconnectés du même projet transhumaniste. Après avoir décrit ce projet, des origines aux derniers développements technologiques, l’article aborde les soutiens politiques à sa réalisation, ainsi que les stratégies de son acceptabilité sociale, et notamment l’influence des mouvements transféministes et LGBTQ. Dès lors que la bioéthique correspond à la ratification a posteriori des perfectionnements dans l’artificialisation de la reproduction, seule une opposition populaire permettra d’éviter l’instauration d’une société sans mères. Lire la suite »

Jean-Baptiste Fressoz, ¿Un mundo sin transición?, 2024

En su nuevo libro, Sin transición. Una nueva historia de la energía, el historiador Jean-Baptiste Fressoz examina los discursos contemporáneos sobre la « transición energética ». En su opinión, se alimentan de relatos históricos fraudulentos sobre supuestas transiciones pasadas. Al sacar a la luz la acumulación de fuentes de energía a lo largo de la historia, su interdependencia y simbiosis, y la fabricación de relatos sobre la transición, nos invita a deshacernos de un concepto que considera ineficaz. Nos entrevistamos con él.

Griffaton & Mandard: Una de las tesis centrales de tu libro es el desafío a una visión fasista de la historia de la energía y los materiales como una sucesión de épocas materiales distintas (una visión fasista cuya genealogía intelectual propones en el capítulo 2). Esta visión fasista no es simplemente de sentido común, sino que también puede encontrarse en las obras de los principales historiadores del medio ambiente. ¿Podría repasar el tipo de narrativa que proponen este tipo de obras, el uso del término « transición » al que recurren y los fenómenos que nos impiden ver? Lire la suite »

Jean-Baptiste Fressoz, Un monde sans transition ?, 2024

Dans son nouvel ouvrage, Sans transition. Une nouvelle histoire de l’énergie, l’historien Jean-Baptiste Fressoz revient sur les discours contemporains de la « transition énergétique ». Pour lui, ils sont nourris de récits historiques frauduleux sur de supposées transitions passées. En mettant au jour l’empilement des sources d’énergie dans l’histoire, leurs interdépendances ou leurs symbioses et la fabrique des récits de la transition, il nous invite à nous débarrasser d’un concept qu’il juge inopérant. Nous l’avons rencontré.

Griffaton & Mandard : L’une des thèses centrales de votre ouvrage est la mise en cause d’une vision phasiste de l’histoire de l’énergie et des matières en tant que succession d’époques matérielles distinctes (vision phasiste dont vous proposez une généalogie intellectuelle dans le chapitre 2). Or cette vision phasiste ne relève pas simplement du sens commun, mais se retrouve également dans des ouvrages d’auteurs majeurs de l’histoire environnementale. Pouvez-vous revenir sur le genre de récit que propose ce type d’ouvrage, l’usage du terme de transition qu’il mobilise, et sur les phénomènes qu’il empêche de voir ?
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Guy Lacroix, Cybernétique et société, 1993

Norbert Wiener ou les déboires d’une pensée [pseudo-]subversive

Dans son dernier ouvrage L’utopie de la communication [1], Philippe Breton affirme que nous sommes soumis aujourd’hui à une nouvelle utopie, celle de la communication, qui s’appuie sur la promotion d’un homme « sans intérieur », réduit à sa seule image, dans une société rendue elle même « transparente » par la grâce de la communication. Si la communication a pris autant de place dans nos sociétés, ce n’est pas seulement à cause de la prolifération des machines à communiquer, mais parce que, pour Breton, cette communication a été théorisée dès la fin de la Seconde guerre mondiale par le mathématicien Norbert Wiener (1894-1964).

Le père de la cybernétique serait le promoteur d’une utopie de la transparence qui inspirerait ce que notre société actuelle a de plus réducteur. Non pas qu’il ait été mal intentionné, il aurait au contraire conçu son utopie de la communication « comme une arme absolue contre le retour de la barbarie », estimant naïvement que « la communication effacerait le secret, qui seul rendit possible le génocide nazi, Hiroshima et le Goulag ». Ce rêve généreux aurait des effets pervers dont Breton énonce les principaux traits : apologie systématique du consensus, identification de l’information médiatique à la connaissance des faits et une vision du futur étroitement déterminée par les nouvelles technologies. Lire la suite »

Céline Lafontaine, La cybernétique, matrice du posthumanisme, 2000

« C’est un nouvel humanisme, beaucoup moins individualiste mais énormément plus rentable, qui peut naître de l’application consciente de la cybernétique. »

Giuseppe Foddis, IIe Congrès international de cybernétique.

« Le cybernanthrope déplore la faiblesse humaine et ses faiblesses. Il connaît ses imperfections. L’humain, la qualité humaine, il les désavoue. Il disqualifie l’humanisme, en pensée et en action. »

Henri Lefebvre.

Entre l’ubiquité que lui procurent les réseaux informatiques et l’éclatement de ses repères identitaires, l’individu contemporain semble muter vers une nouvelle forme de subjectivité. Il est vrai qu’à l’aube du IIIe millénaire les mutations technologiques en cours poussent à croire qu’on assistera d’ici peu à la naissance d’un Homme nouveau. Les penseurs et les idéologues de la société communicationnelle ne se privent d’ailleurs pas de spéculer sur cette éventuelle possibilité : Homme numérique, Homme symbiotique, cyborg, cyber-sujet, etc., les épithètes abondent pour qualifier ce nouvel humain dont on guette l’avènement. Lire la suite »

Pierre Thuillier, La fonction théorique de la science et le péril technocratique, 1983

Georges Thill : La montée des savants et des experts mus par un discours de rationalité et d’objectivité constitue incontestablement un des phénomènes majeurs de notre temps. Comme vous l’avez dénoncé avec vigueur dans votre célèbre postface « contre le scientisme » [1], nous voilà progressivement en présence de nouveaux détenteurs du pouvoir moral et social. On ne peut donc, me semble-t-il, mettre profondément en question la science comme « police socioculturelle », pour reprendre votre expression, que si l’on examine de près les mécanismes et les enjeux de la science comme fonction de connaissance, c’est-à-dire comme fonction théorique. La tentation d’une analyse de la science comme production sociale est peut-être de ne pas prendre concrètement en compte les savoirs en tant que tels, le projet cognitif, et de renvoyer un peu vite la science à un rôle instrumental ou à des visées pratico-sociales, vu son étroite connexion, aujourd’hui, avec la technologie.

Pierre Thuillier : Il faut effectivement se méfier d’une « réduction » parfois un peu hâtive de la théorie. A force de dire que la théorie a des visées pratiques, on finit par tomber dans une sorte d’utilitarisme un peu simpliste. Du point de vue historique, on peut évoquer rapidement ce qui s’est passé en 1931, lors d’un congrès d’histoire des sciences et des techniques qui se tenait à Londres [2] ; Boris Hessen et Vavilov, venus d’URSS, avaient fait un petit scandale par leurs interventions : le but essentiel des Principes mathématiques de la philosophie naturelle, c’est-à-dire de la grande œuvre théorique de Newton, avançaient-ils, c’était finalement d’apporter une aide à la bourgeoisie montante en vue de rendre la technique et l’industrie plus efficaces. Évidemment, cela avait suscité beaucoup de réactions et de critiques. Les gens voyaient là une sorte de marxisme vulgaire, abusivement réducteur : il n’est pas possible d’expliquer tout Newton directement par la pratique. Depuis lors, dans les analyses du phénomène scientifique, on voit resurgir des malentendus sur les rapports de la théorie et de la pratique. Lire la suite »

Pierre Thuillier, La vocation manipulatoire de la science, 1984

Nous avions hésité au départ quant au choix du thème de cette conférence entre « la vocation manipulatoire de la science » – titre finalement retenu – et un autre, plus historique, sur la naissance de la science. Je vais, de fait, conjuguer ces deux approches.

La question principale à mes yeux est celle de la dualité bonne science/ mauvaises applications. Il est de notoriété publique que la science a rendu et rend encore des services. N’insistons pas. Mais on sait aussi qu’elle conduit à des réalisations plus ou moins redoutables telles que la bombe atomique, les armes bactériologiques, les manipulations génétiques… Le problème, c’est de savoir si c’est, par hasard, par accident que la science conduit à ce genre d’applications ; ou si, au contraire, il n’y a pas dans l’entreprise scientifique elle-même, considérée non seulement comme recherche de savoir mais comme entreprise sociale, quelque chose qui d’emblée fait que la science conduise à ces mauvaises applications. Lire la suite »

Groupe Grothendieck, Bio-objets, les nouvelles frontières du vivant, 2022

Après l’Empire cybernétique (2004), la Société postmortelle (2008) et le Corps-marché (2014), la sociologue des technologies, Céline Lafontaine continue sur la même lancée avec un livre de sociologie critique sur les dernières avancées des biotechnologies humaines.

Dans un essai mêlant philosophie des sciences, sociologie, critique politique, analyse économique, enquête de terrain, la sociologue donne des outils de compréhension de la nouvelle modernité technologique liée aux transformations structurelles du vivant en ce qu’elle appelle des « bio-objets ». Une recension du groupe Grothendieck.
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Paul Kingsnorth, L’abolition de l’homme (et de la femme), 2022

Le genre, le sexe et la Machine

C’est lors d’un voyage aux États-Unis il y a cinq ans que j’ai perçu pour la première fois l’inversion fondamentale dans l’appréhension de la réalité qui allait se répandre dans l’ensemble du monde occidental.

J’avais entrepris une petite tournée promotionnelle et j’intervenais dans diverses manifestations, ce qui m’a permis de passer un moment avec un homme qui s’intéressait à mon travail. Nous parlions de choses et d’autres, et au cours de cette conversation à bâtons rompus, il m’a demandé si j’avais des enfants. Oui, ai-je répondu, un garçon et une fille. Puis, comme il est de règle dans ce genre de conversation, je lui ai posé la même question.

Je n’oublierai jamais l’expression de son visage. Une épouvantable tristesse semblait l’écraser lorsqu’il me répondit. Oui, dit-il, il avait un fils adolescent, ou il en avait eu un autrefois. Mais tout avait changé. Un jour, en rentrant de l’école, son fils lui avait annoncé qu’il était désormais sa fille. « Imaginez cela », me dit cet homme, « que faut-il faire ? Qu’étais-je censé faire ? » Lire la suite »