Groupe Grothendieck, Bio-objets, les nouvelles frontières du vivant, 2022

Après l’Empire cybernétique (2004), la Société postmortelle (2008) et le Corps-marché (2014), la sociologue des technologies, Céline Lafontaine continue sur la même lancée avec un livre de sociologie critique sur les dernières avancées des biotechnologies humaines.

Dans un essai mêlant philosophie des sciences, sociologie, critique politique, analyse économique, enquête de terrain, la sociologue donne des outils de compréhension de la nouvelle modernité technologique liée aux transformations structurelles du vivant en ce qu’elle appelle des « bio-objets ». Une recension du groupe Grothendieck.
Lire la suite »

Publicité

Paul Kingsnorth, L’abolition de l’homme (et de la femme), 2022

Le genre, le sexe et la Machine

C’est lors d’un voyage aux États-Unis il y a cinq ans que j’ai perçu pour la première fois l’inversion fondamentale dans l’appréhension de la réalité qui allait se répandre dans l’ensemble du monde occidental.

J’avais entrepris une petite tournée promotionnelle et j’intervenais dans diverses manifestations, ce qui m’a permis de passer un moment avec un homme qui s’intéressait à mon travail. Nous parlions de choses et d’autres, et au cours de cette conversation à bâtons rompus, il m’a demandé si j’avais des enfants. Oui, ai-je répondu, un garçon et une fille. Puis, comme il est de règle dans ce genre de conversation, je lui ai posé la même question.

Je n’oublierai jamais l’expression de son visage. Une épouvantable tristesse semblait l’écraser lorsqu’il me répondit. Oui, dit-il, il avait un fils adolescent, ou il en avait eu un autrefois. Mais tout avait changé. Un jour, en rentrant de l’école, son fils lui avait annoncé qu’il était désormais sa fille. « Imaginez cela », me dit cet homme, « que faut-il faire ? Qu’étais-je censé faire ? » Lire la suite »

Camille Rullán, Se réapproprier la science, 2021

L’affirmation selon laquelle « la science est neutre » est en soi une déclaration politique, qui s’aligne sur les intérêts de la classe dominante. Ce qui est qualifié de politique est ce qui remet en question l’idéologie invisible et hégémonique. D’où la nécessité de comprendre les manières dont le capital et le pouvoir influencent la production, les usages, ainsi que la nature de la science et, de manière plus critique, de réinventer les manières dont nous pratiquons la science. Il n’y a pas de héros qui puisse nous donner cela. Le seul moyen d’avancer est l’action collective.

 

Toutes les cultures ont leurs mythes de la création : le livre de la Genèse, le Rig Veda, le Coatlicue ou même la Destinée Manifeste. Ces histoires expliquent qui nous sommes et comment nous sommes arrivé·es là, révèlent nos préférences et nos préjugés. La science occidentale est apparue en réponse aux mythes pour nous offrir une vision prétendument neutre et non falsifiée des mécanismes internes de la nature. Comme les mythes, la science a ses héros : des personnages (surtout des hommes) qui, souvent à eux seuls, ont découvert des vérités fondamentales sur l’univers. Galilée, Newton, Darwin, Einstein – nous les connaissons. Lire la suite »

Camille Rullán, Se réapproprier la science, 2021

All cultures have creation myths: the book of Genesis, the Rig Veda, Coatlicue or even Manifest Destiny. These stories explain who we are and how we got here, reveal our preferences and prejudices. Western science arose in response to myth to offer us a supposedly value-free, unadulterated view into nature’s inner workings. Like myths, science has its heroes: men (or, mostly men) who, often single-handedly, discover fundamental truths about the universe. Galileo, Newton, Darwin, Einstein—we know who they are. Lire la suite »

José Ardillo, Anarchisme et science, 2010

La philosophie anarchiste a dès l’origine littéralement vénéré la science – aucun doute n’est possible à cet égard. Et pourtant, il ne faut pas oublier que Bakounine lui-même fut un des premiers à attirer l’attention sur les dangers encourus à partir du moment où l’on place une confiance aveugle dans le pouvoir de la science et des scientifiques. Soulignant le risque d’attribuer un trop grand pouvoir à certains groupes d’experts au détriment des capacités de jugement de la majorité des gens, il entrevoyait déjà à son époque comment la science pouvait faire alliance avec les ennemis du peuple en vue de le soumettre toujours plus. Lire la suite »

José Ardillo, La respuesta del anarquismo a la ciencia, 2010

Resulta un lugar común señalar la veneración que desde sus inicios sintió la filosofía anarquista por la Ciencia. Sin embargo, conviene no olvidar que fue el mismo Bakunin uno de los primeros en alertarnos sobre los peligros que podríamos correr al abandonarnos confiadamente al poder de la ciencia y los científicos.
Supo vislumbrar Bakunin el peligro que había en conceder demasiado poder a unos determinados grupos de expertos en detrimento de la capacidad de juicio de las mayorías, anunciando, ya en sus inicios, como la ciencia podía aliarse con los enemigos del pueblo para someter a éste a un mandato más férreo. Pero además, para Bakunin la ciencia tiranizaba la misma realidad, con sus conceptos disecados, aplastando la vitalidad del espíritu humano y su espontaneidad creadora. Lire la suite »

Nicolas Bonanni, A propos du Manifeste conspirationniste, 2022

Note de lecture

Le Manifeste conspirationniste, publié anonymement (éditions du Seuil, janvier 2022), reprend certaines caractéristiques et thématiques des livres du Comité invisible (L’insurrection qui vient, A nos amis, Maintenant, et réputé proche de Tiqqun et l’Appel). Entres autres, même verve et même propension assumée à poser des propos clivants et péremptoires – un ton qu’on pourra à bon droit trouver pédant et surplombant, mais auquel il faut reconnaitre un certain style. Le jour de la publication du livre, le Comité invisible publie ce message sur Twitter : « Les livres du Comité invisible sont signés Comité invisible ». Dont acte. Reste que le Manifeste (peut-être écrit par d’anciens membres du Comité invisible) reprend une partie du raisonnement où l’avaient laissé les livres de ce dernier, c’est à dire une réflexion sur le Pouvoir et sur les forces qui s’opposent à lui.

Sur la question du Pouvoir, on sent une inflexion vers les thèmes techno-critiques, d’une façon intéressante qui prolonge certains passages d’A nos amis. Ce qui conditionnerait notre obéissance ce seraient les infrastructures logistiques, technologiques, dans lesquelles nous sommes pris, ainsi que des technologies d’ingénierie sociale (donc de manipulation). D’où le titre du livre : en effet ce livre prête des intentions au Pouvoir, cherche à qui profite le crime, parfois de manière outrancière (on y reviendra). Prolongement aussi sur la réflexion sur la cybernétique, sur le « libéralisme existentiel », sur la mentalité « démocratique »… Lire la suite »

Jean-Marc Lévy-Leblond, La culture scientifique, pourquoi faire ?, 2014

Un communiqué du Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche du 30 janvier 2014 m’a incité à reprendre ici le texte d’une intervention faite en 2011 lors des Journées d’études organisées par l’Espace Culture de l’Université de Lille I, alors dirigé avec dynamisme par Nabil El Haggar, sur le thème « Peut-on parler de culture scientifique » ?

Peut-on vraiment parler de culture scientifique ?

Oserai-je avancer que le syntagme de « culture scientifique », cette juxtaposition de deux mots en un seul terme, me paraît doublement inadéquat ?

D’abord, le mot culture tolère mal quelque étiquette ou épithète que ce soit. Dès lors qu’on lui colle un adjectif et qu’on le spécifie, en parlant par exemple de culture littéraire ou de culture musicale, on perd ce qui fait l’essentiel de la notion de culture, c’est à dire la capacité à lier différentes formes de pratiques humaines. La culture est, comme ce que souhaite être la République française, une et indivisible. En la spécialisant, en la cantonnant, on la mutile. Lire la suite »

Dominique Pestre, Dix thèses sur les sciences, la recherche scientifique et le monde social, 2010

Ce texte, qui porte sur les sciences, la recherche et l’univers social, économique et politique de l’après-guerre à nos jours est, par définition, assez ambitieux. Il est aussi composite. La raison en est que les dix thèses qu’il propose oscillent entre des considérations générales sur ce qui définit les sciences et leur place dans l’ordre social de la modernité (une série de préalables qui font le cœur des trois premières thèses) et des thèses qui considèrent les régimes de sciences en société qui sont ou ont été les nôtres depuis la Seconde Guerre mondiale. Il est aussi composite en ceci que le texte considère les transformations de ces régimes à l’échelle globale, mais qu’il insiste sur l’exemple français dans les thèses quatre et cinq – ce qui se justifie par le contexte qui est le leur, les années 1945-1975.

Ces dix thèses sont regroupées en quatre thématiques. Les trois premières sont propédeutiques et portent sur « la science moderne » dans son rapport nouveau aux techniques, à l’économique et au politique. Suivent deux thèses qui portent sur les trente années d’après-guerre, puis trois qui regardent les changements qui se sont fait jour depuis. Les deux dernières thèses sont centrées sur les nouvelles définitions de l’université d’une part, du « bon savoir » de l’autre, modes et normes que nos gouvernants cherchent à faire prévaloir aujourd’hui [1]. Lire la suite »

C. Pessis & S. Angeli Aguiton, Les petites morts de la critique radicale des sciences, 2015

Entre occultation volontaire
et régulation publique

Résumé

Si la critique (et l’autocritique) des sciences a une histoire articulée à celle de l’écologie politique, son héritage est aujourd’hui invisible. Comment expliquer l’absence de transmission, entre générations de chercheurs comme au sein de la mouvance écologiste, de la mémoire de ce mouvement de critique radicale des sciences des années 1970 ? Après avoir éclairé les formes de l’engagement critique des scientifiques durant l’entre-deux-mai (1968-1981), cet article propose quelques pistes afin de rendre compte des reconfigurations sociales, politiques et institutionnelles qui ont produit une telle occultation. L’étude de deux moments est privilégiée : la reprise en main politico-industrielle de la recherche au tournant des années 1980, qui vient offrir aux chercheurs un nouvel ethos scientifique mêlant vulgarisation et innovation ; et le tournant réformiste « sciences-société » des années 2000, qui, tout en poursuivant une régulation libérale des innovations technocapitalistes, entend gérer le renouveau contestataire par l’inclusion de la société civile. Lire la suite »