Kevin Bird, La Loterie génétique est un échec, 2021

Deux ouvrages majeurs de la génétique comportementale humaine viennent d’être traduits en français : Blueprint de Robert Plomin (L’Architecte invisible) et The Genetic Lottery de Kathryn Paige Harden (La Loterie génétique). Rendant compte de ces publications, des médias ont mis à l’agenda la question du rôle de la génétique dans les inégalités sociales, et en particulier scolaires. Le caractère controversé de ce champ y est largement éludé, alors qu’il fait l’objet de critiques importantes, tant du côté des sciences sociales que des sciences de la nature comme la biologie de l’évolution ou la génétique classique.
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Kevin Bird, The Genetic Lottery is a bust for both genetics and policy, 2021

Kathryn Paige Harden’s book tries to demonstrate how genetics can ameliorate societal ills. She falls well, well short

The last decade has seen genetics and evolution grapple with its history; one composed of figures who laid the foundations of their field while also promoting vile racist, sexist, and eugenicist beliefs.

In her new book, The Genetic Lottery, Kathryn Paige Harden, professor of psychology at University of Texas at Austin, attempts the seemingly impossible task of showing that, despite a history of abuse, behavioral genetics is not only scientifically valuable but is an asset to the social justice movement. Lire la suite »

Renaud Garcia, Le militantisme “woke” ne cherche pas à convaincre, 2021

mais à régenter la vie des autres

Spécialiste de Christopher Lasch, Piotr Kropotkine et Léon Tolstoï, auxquels il a consacré des ouvrages, Renaud Garcia enseigne la philosophie au lycée, à Marseille. Ses recherches portent sur l’anarchisme, la critique sociale et la décroissance. En 2015, il a publié Le désert de la critique. Déconstruction et politique (L’Échappée), ouvrage dans lequel il analyse les effets politiques à gauche et à l’extrême gauche de la pensée déconstructiviste (Jacques Derrida, Michel Foucault, Gilles Deleuze, Judith Butler, etc.) d’un point de vue socialiste et libertaire. Six ans plus tard, il réédite ce livre en édition poche, chez le même éditeur, agrémenté d’une préface inédite d’une soixantaine de pages. Dans celle-ci, il met à jour ses réflexions à l’aune de la montée du militantisme “woke”, en vogue depuis peu. Lire la suite »

Aurélien Berlan, La revalorisation écoféministe de la subsistance, 2021

Renouveler notre vision du monde

L’exploitation de la nature est liée à celle des femmes et des pays du Sud. La subsistance – ce que l’on fait pour entretenir la vie sans passer par l’industrie – doit être réhabilitée. Car s’il peut y avoir production de subsistance sans production marchande, l’inverse n’est pas vrai.

La Perspective de la subsistance est un manifeste écoféministe injustement méconnu, publié en 1997 par les Allemandes Veronika Bennholdt-Thomsen et Maria Mies [1]. Au terme d’une vingtaine d’années d’enquête, de réflexion et de discussion menées avec un large réseau de femmes du Nord et du Sud, elles proposent une autre manière de considérer l’économie, à rebours des libéraux et des marxistes prisonniers du dogme du développement et insensibles aux destructions qui l’accompagnent. Contre la vision qui disqualifie la production locale de subsistance (des biens destinés à satisfaire les besoins de ceux qui les produisent, afin d’assurer leur vie en toute autonomie) au profit de la production industrielle de marchandises (des biens standardisés destinés à alimenter un marché de masse), elles préconisent que la seconde soit subordonnée à la première, afin que la vie vaille plus que l’argent. Lire la suite »

Guillaume Carbou, L’écologie politique, repères pour une cartographie, 2021

Critique de la marchandisation du monde et du mode de pensée économiste, critique de la technique et critique sociale, l’écologie comme philosophie politique se distingue d’une simple préoccupation pour l’environnement.

 

Le terme écologie est aujourd’hui délicat à employer. Il suscite l’enthousiasme de certains, fait figure de repoussoir pour d’autres, et se retrouve souvent au cœur de virulentes controverses. Malgré son exposition, force est d’admettre qu’il est bien difficile de lui donner une définition claire. Brandie à tout bout de champ par la publicité, les déclarations politiques, les mouvements sociaux ou les médias, l’écologie finit par constituer un épais brouillard vert au sein duquel on a parfois du mal à se retrouver. Lire la suite »

Hupé, Lamy, Saint-Martin, Effondrement sociologique, 2021

ou la panique morale d’un sociologue

Résumé

Avec Apocalypse cognitive, le sociologue Gérald Bronner entend traiter un problème grave : notre attention serait vampirisée par les moyens modernes de communication et d’échanges. Internet et les réseaux sociaux numériques, en particulier, auraient pris d’assaut notre « cerveau ancestral ». Cet univers numérique, fonctionnant selon lui à la façon d’un « marché libre » et « dérégulé », accaparerait des esprits rendus faibles par des contenus de qualité douteuse. G. Bronner entend démontrer en quoi l’activité en ligne révèle (sens premier de l’apocalypse du titre) les limites et faiblesses de notre fonctionnement cérébral et menace la démocratie et la civilisation. L’auteur a recours au registre alarmiste de l’« apocalypse » et distille, au gré d’une démonstration qui se veut rigoureuse, des recommandations pour sortir de l’ornière. Apocalypse cognitive ne s’adresse pas spécialement à un lectorat académique. Cet essai relève plutôt de l’intervention et de l’alerte. Pourtant, il prétend s’appuyer sur des connaissances scientifiques et son auteur ne cesse de faire appel à l’autorité des neurosciences pour accréditer des vues souvent très personnelles. Et c’est en cela que le bât blesse. G. Bronner enchaîne les affirmations péremptoires sur la « nature humaine », fonde ses interprétations sur des données biaisées, et déforme les résultats des neurosciences pour les ajuster à des opinions très tranchées. Nous documentons dans cette lecture critique en quoi cet usage de l’autorité scientifique est questionnable, sans épuiser l’inventaire des mésinterprétations et erreurs contenues dans le livre (une annexe, déposée sur l’archive ouverte HAL, en liste l’essentiel). Fourre-tout qui ne résiste pas à l’épreuve de l’argumentation scientifique, Apocalypse cognitive offre donc non pas un diagnostic sérieux mais une incantation moraliste, mobilisable dans le champ politique.Lire la suite »

Xavier Noulhianne, Histoire d’une dépossession, 2021

Xavier Noulhianne est éleveur et a écrit Le Ménage des champs – Chroniques d’un éleveur du XXIe siècle, Éditions du bout de la ville, 2016. Nous avons souhaité l’interviewer car ce qu’il documente, depuis sa propre expérience, des conditions de la production alimentaire aujourd’hui, décrit un système à proprement parler totalitaire (dont la formule « il n’y a qu’un seul éleveur en France : l’État », rend spectaculairement compte). Ses propos ne peuvent que nous interroger sur le territoire perdu en matière de maîtrise et d’autonomie, et sur la tâche à mener désormais pour reprendre possession, politiquement et matériellement, de ce rapport à l’alimentation, des conditions de sa production et des modalités de sa consommation.Lire la suite »

Jérôme Baschet, L’inacceptable inacceptable, 2021

De(s)générations : Tu parles de la nécessité, entre autres dans Défaire la tyrannie du présent [1], de se « débarrasser » des mythologies progressistes. Tu mets en question un paradigme progressiste révolutionnaire qui serait celui du Grand Soir ou, comme le nomme Frédéric Lordon, le « point L » (comme Lénine). Pourtant, si je t’ai bien lu, il ne me semble pas que tu sois totalement opposé à l’événement révolutionnaire car tu apportes une nuance dans Basculements :

« Il faudrait plutôt concevoir un processus qui commence dès maintenant, sans pour autant exclure des épisodes d’intensification de l’affrontement avec le monde de l’économie. » [2]

Tu critiques la stratégie du Grand Soir tout en proposant d’autres notions qui n’excluent pas fondamentalement celle-ci. Pourrais-tu ici revenir sur la manière dont ces deux tendances pourraient s’articuler de manière fructueuse ? Y a-t-il réellement incompatibilité ? Ces deux stratégies ne peuvent-elles pas exister comme deux régimes de temporalité concomitants ?

Jérôme Baschet : J’aimerais tenter d’écarter un possible malentendu. Je fais en effet la critique de l’imaginaire du Grand Soir, tel que Frédéric Lordon l’a récemment revendiqué. Mais l’hypothèse stratégique proposée dans Basculements – et, précédemment, dans Une juste colère [3] – n’exclut pas du tout une dynamique de soulèvements et d’affrontements avec le monde de l’Économie et les forces qui le défendent. Plus précisément, et je vais y revenir, cette hypothèse stratégique repose sur la combinaison entre la multiplication de ce que j’appelle des espaces libérés et une intensification des dynamiques de blocage dans toutes les dimensions que ce terme peut recouvrir, jusqu’à la propagation de soulèvements populaires, ainsi qu’on l’a vu avec les Gilets jaunes et la séquence insurrectionnelle planétaire de l’année 2019. Lire la suite »

François Jarrige, Smart city, 2021

Les impasses d’un outil de transition

Alors que la croissance urbaine s’accélère en inaugurant des défis gigantesques, les smart cities ne cessent d’être présentées comme l’outil majeur de la transition énergétique et socio-écologique. Pour nombre d’industriels et de politiques en effet, la smart city est l’infrastructure indispensable de la politique de transition qui doit remodeler les manières de produire et de consommer l’énergie et d’organiser la ville. Elle doit permettre des gains d’efficacité énergétique, en assurant notamment une meilleure intégration des énergies renouvelables intermittentes, comme le solaire et l’éolien, ou en permettant d’ajuster la production énergétique en fonction des besoins. Le gestionnaire du réseau électrique Enedis a d’ailleurs lancé un programme de démonstrateurs « smart grids » dans plusieurs communes pour préparer leur phase d’industrialisation, alors que les inaugurations de smart cities se multiplient un peu partout dans le monde depuis 2010. Lire la suite »

François Jarrige, Pétrole, 2021

L’or noir entre nuisances, dégâts et transitions

Depuis que la « transition » s’est imposée au cœur des imaginaires contemporains, les grands groupes pétroliers sont de plus en plus présentés comme des acteurs majeurs du processus. Certains éditorialistes n’hésitent pas à proclamer que « La transition écologique passera en grande partie par les compagnies pétrolières » [1]. Celles-ci investissent en effet massivement dans les énergies dites « renouvelables » comme le solaire et l’éolien, et s’apprêtent à devenir des fournisseurs majeurs d’électricité prétendument décarbonée. La « transition » est même devenue un élément essentiel de leur communication auprès des autorités et du public. Ainsi, parmi de multiples annonces, le groupe Total a indiqué en septembre 2020 qu’il transformait sa raffinerie de Grandpuits en une « plateforme zéro pétrole de biocarburants et bioplastiques ». Alors que les compagnies pétrolières apparaissaient de plus en plus, au début du XXIe siècle, comme responsables des crises écologiques en poussant sans cesse à accroître les consommations, cette vaste opération de green washing vise à les propulser en acteurs décisifs et incontournables de la réorientation de nos systèmes énergétiques et de la transition à venir. Lire la suite »