Goulven Laurent, La Biologie de Lamarck, 1996

I. Invention du mot Biologie,
une nouvelle science

Il est significatif que ce soit dans les toutes premières années qui ont suivi son invention de la théorie Transformisme (ou de l’Évolution), que Lamarck ait éprouvé le besoin de créer un mot nouveau pour désigner l’étude de la vie. Le rapprochement des dates de ces deux événements dans l’œuvre de Lamarck est en effet assez suggestif : 1800, première proclamation et première formulation de la théorie de la transformation des espèces ; 1801, première proposition du mot Biologie.

Lamarck avait conscience de professer une nouvelle représentation du monde animé quand il défendait sa « conclusion particulière » [1], opposée à la « conclusion admise jusqu’à ce jour », sa vision transformiste opposée à la vision fixiste et créationniste de Cuvier.

Cette vision révolutionnaire de la transformation historique des êtres vivants allait entraîner immédiatement un autre élargissement de la pensée du naturaliste. II étend sa « physique terrestre » à l’origine des êtres vivants, et, par conséquence, à celui de l’apparition de la vie elle-même sur la terre. En raccordant les êtres entre eux dans une vision de passages graduels des uns aux autres, Lamarck entrevoit en effet la possibilité de les relier, à leur base, directement avec la matière elle-même. Lire la suite »

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André Pichot, La santé et la vie, 2008

Résumé : La santé et la vie. – Les mots « santé » et « maladie » ne s’emploient que par métaphore dans le cas des objets inanimés. Seuls les êtres vivants peuvent être en bonne santé, comme seuls ils peuvent être malades. En outre, la santé sous-entend la possibilité de la maladie, et l’inéluctabilité de la mort exclut même tout absolu de santé. Quelles sont, plus explicitement, les relations qu’entretiennent la santé et la vie ?

La santé a manifestement quelque rapport avec la vie. En effet, cette notion (comme celle de maladie) ne s’emploie guère que par métaphore dans le cas des objets inanimés. Seuls les êtres vivants peuvent être en bonne santé, comme seuls ils peuvent être malades.

Ainsi Bichat écrivait-il :

« Il y a deux choses dans les phénomènes de la vie, 1° l’état de santé, 2° celui de maladie : de là deux sciences distinctes ; la physiologie, qui s’occupe des phénomènes du premier état ; la pathologie, qui a pour objet ceux du second. […] La physiologie est aux mouvements des corps vivants, ce que l’astronomie, la dynamique, l’hydraulique, l’hydrostatique, etc., sont à ceux des corps inertes ; or, ces dernières n’ont point de sciences qui leur correspondent comme la pathologie correspond à la première. Par la même raison, toute idée de médicament répugne dans les sciences physiques. Un médicament a pour but de ramener les propriétés à leur type naturel ; or, les propriétés physiques, ne perdant jamais ce type, n’ont pas besoin d’y être ramenées. » [Bichat 1994, 232]

La santé ne se réduit pas à un état physico-chimique, et elle sous-entend la possibilité de la maladie ; n’est en santé que ce qui peut être malade (l’inéluctabilité de la mort excluant même tout absolu de santé). Particularité que n’ont pas les simples objets physiques. L’explication vitaliste qu’en donnait Bichat n’est plus acceptable aujourd’hui. Comment alors en rendre compte ? Lire la suite »

Edmond Perrier, Hommage à Jean de Lamarck, 1909

Ce discours a été prononcé, le 13 juin 1909, à la cérémonie d’inauguration du monument de Jean de Lamarck, en présence du Président de la République, de S. A. S. Albert Ier, prince de Monaco, et de nombreuses notabilités.

Pour avoir rendu vraisemblable, à force d’arguments patiemment et habilement rassemblés, l’idée que les ressources de forces et de substances de notre globe ont été suffisantes pour créer l’infinie variété des formes vivantes, et maintenir séparées leurs lignées durant de longues suites de générations, Charles Darwin eut, en Angleterre, des funérailles nationales et fut inhumé à Westminster ; dans quelques jours, l’Université de Cambridge fêtera en grande pompe le centième anniversaire de la naissance de son glorieux élève. Par une remarquable coïncidence, cette même année 1909 est aussi le centième anniversaire de la publication d’une œuvre capitale : la Philosophie zoologique, où Jean de Lamarck proclame que les êtres vivants sont l’œuvre graduelle de la Nature ; qu’après avoir formé les plus simples d’entre eux, elle a su les modifier, les compliquer, suivant les temps et les lieux, et que le corps humain lui-même, en tant que forme matérielle, a été soumis aux lois qui ont dominé cette grandiose évolution.Lire la suite »

André Pichot, La Philosophie zoologique de Lamarck, 1994

Portrait de LamarckLa Philosophie zoologique passe souvent pour un livre confus. Ce jugement est injuste. Il est vrai que le style de Lamarck est parfois assez relâché ; il est également vrai que l’ouvrage comprend quelques répétitions fastidieuses, et que son plan n’est pas parfait. Mais ces défauts cèdent assez facilement dès qu’on y met un peu de bonne volonté. Les principales difficultés tiennent surtout à ce que Lamarck se réfère à la biologie et à la chimie du XVIIIe siècle, et que celles-ci sont un peu oubliées de nos jours. En effet, bien que ses principaux ouvrages datent du début du XIXe, Lamarck est un homme du XVIIIe siècle (il a 65 ans quand paraît la Philosophie zoologique), et plus spécialement du XVIIIe siècle matérialiste et sensualiste (avec, en arrière-plan, un vague déisme). Pour bien saisir sa démarche et ne pas se méprendre sur ce qu’il écrit, il convient de le replacer dans ce cadre historique.

Un autre point important pour comprendre la Philosophie zoologique est de ne pas la limiter à un exposé du transformisme (Lamarck n’emploie ni le mot de transformisme, ni celui d’évolution qui n’avait pas à l’époque le sens que nous lui donnons aujourd’hui). Le transformisme n’occupe, avec la taxonomie, que la première des trois parties de l’ouvrage. Lamarck dit même s’être surtout intéressé aux deuxième et troisième parties, qui sont consacrées, respectivement, à une biologie générale, où sont établies les caractéristiques organisationnelles qui différencient les êtres vivants et les objets inanimés, et à une sorte de psychophysiologie, où la psychologie est présentée dans le prolongement de la biologie grâce aux présupposés évolutionnistes. Le projet de Lamarck était bien plus large que la seule transformation des espèces ; il entendait, par sa Philosophie zoologique, jeter les bases d’une biologie en tant que science autonome, et d’une psychologie continuant cette biologie ; l’invention du transformisme y est subordonnée.Lire la suite »

André Pichot, Le vitalisme de Xavier Bichat, 1994

Xavier Bichat (14 novembre 1771 – 22 juillet 1802) écrit de manière très claire, très simple et assez agréable. La seule difficulté que l’on puisse rencontrer dans la lecture de ses œuvres touche à la définition du vitalisme. Bichat est, de réputation, l’un des principaux représentants de cette doctrine ; mais, dans ses textes, hormis sa célèbre définition de la vie, on le remarque à peine (au point qu’on pourrait parfois douter de son vitalisme). Cela tient non pas à Bichat, mais à l’idée qu’on se fait aujourd’hui du vitalisme ; celle-ci est si erronée et caricaturale qu’on a du mal à le reconnaître dans les textes qui en traitent de manière raisonnable (et les œuvres de Bichat sont de ce type). Aussi, pour comprendre ce qu’était le projet de Bichat, convient-il tout d’abord de rectifier quelque peu cette image.Lire la suite »

Marc Levivier, Bref historique sur la fœtalisation et la néoténie, 2011

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Biographie de Louis Bolk

Lodewijk – plus couramment Louis – Bolk naît à Overschie, aux Pays-Bas, le 10 décembre 1866. Il se forme en droit puis en 1888, contre la volonté de ses parents qui le voulaient pasteur, s’inscrit à la faculté de médecine d’Amsterdam. Diplômé en octobre 1896, il commence à travailler comme assistant de G. Ruge qui y enseigne l’anatomie humaine, dont il prend la place seize mois plus tard. En 1900, il fonde avec Cornelius Winkler (1822-1897) la revue d’anatomie Petrus Camper 1 dans laquelle il publie une partie de ses études sur le cervelet et son innervation et qui lui valent en 1902 un doctorat honoraire de l’université de Leiden. En 1901, avec Winkler, il rédige le rapport qui permettra la création du International Academic Committee for Brain Research, organisme visant la structuration internationale des recherches sur le système nerveux. La première institution spécialement créée dans cet objectif va loger dans une aile du nouveau département d’anatomie et d’embryologie de l’université d’Amsterdam où travaille Bolk.

À la même époque, l’exhumation de cadavres d’un vieux cimetière à proximité de l’institut d’anatomie l’amène à étudier des crânes humains et aussi des dents. Il va alors travailler sur l’ontogenèse des dents, la latéralisation et les différences de morphologie humaine selon les « races ». En effet, Bolk est, et il l’affirme lourdement à plusieurs reprises, un partisan de la théorie de l’inégalité des races. Bolk est, à la lettre, raciste 2. Il ne s’agit en rien de minimiser ce point, mais il faut indiquer ici qu’il n’est pas un cas isolé et que la consultation des revues scientifiques de cette même période confronte à un niveau de racisme inimaginable aujourd’hui.

En 1918, l’université d’Amsterdam lui décerne le titre de rector magnificus, et c’est lors de la cérémonie qu’il aurait exposé pour la première fois en public sa théorie de la fœtalisation qui fera l’objet de plusieurs communications. Cette théorie est accessible en français dès 1926, année durant laquelle Louis Bolk la présente lors du congrès organisé par l’association des Anatomistes de langue française, dont il est membre à vie. Mais c’est une conférence prononcée la même année lors d’un congrès d’anatomistes à Freiburg et ensuite publiée dans son intégralité qui va devenir le texte de référence : Das Problem der Menschwerdung.Lire la suite »

André Pichot, Hérédité et évolution, 1996

Les polémiques sur l’inné et l’acquis font partie des traditions folkloriques les plus vivaces de la biologie. En général, on oppose les deux termes (l’hérédité des caractères acquis servant de repoussoir), mais c’est pour les réunir aussitôt en insistant sur leur égale nécessité et sur leur interpénétration qui rend impossible de les démêler dans l’être vivant. La récente remise en cause des dogmes de la génétique moléculaire semble avoir aiguisé le débat, et l’avoir déséquilibré en faveur de l’inné. Plus que jamais, l’hérédité est avancée comme explication. En revanche, on ne se donne jamais la peine de rechercher l’origine des notions d’héréditaire et d’acquis, ni de préciser leur rôle dans l’explication biologique. On fait comme s’il s’agissait de données naturelles évidentes, ayant toujours existé en biologie, et d’une utilité allant de soi. En réalité, sous leur apparente simplicité, ce sont des notions très ambiguës et même passablement biaisées.Lire la suite »

Pascal Charbonnat, Comment Newton a inspiré la biologie, 2012

Au XVIIIe siècle, nombre de naturalistes ont invoqué Dieu pour expliquer le vivant et son origine. Peu à peu, l’histoire naturelle s’est affranchie de ces idées grâce à des arguments inspirés de la physique newtonienne.

Lorsque l’on s’interroge sur les apports de Newton à la science, viennent immédiatement à l’esprit ses lois de la mécanique, sa théorie de la gravitation ou son calcul infinitésimal, et les révolutions que ces concepts ont entraînées dans l’étude des phénomènes physiques. Néanmoins, la physique et les mathématiques ne furent pas les seuls domaines influencés par l’œuvre de Newton. Comme tant d’autres savants et philosophes, nombre de naturalistes du XVIIIe siècle ont été marqués par ses idées.Lire la suite »

Jacques Roger, Transformisme, 1973

Le transformisme est une théorie selon laquelle les espèces végétales et animales, loin d’être fixes, se sont transformées graduellement au cours du temps et de leur dissémination à la surface du globe, et se sont engendrées les unes les autres. Le fait même de la transformation et de la filiation des espèces n’est plus discuté par personne : il n’y a plus de biologiste fixiste. En revanche, l’ampleur, les causes et les modalités des transformations font encore l’objet de discussions, malgré l’existence d’une théorie dominante, largement admise, surtout par les biologistes.Lire la suite »

Jacques Roger, L’histoire naturelle au XVIIIe siècle: de l’échelle des êtres à l’évolution, 1990

Darwin et les darwiniens d’aujourd’hui récusent la tendance à la complexification croissante des organismes au cours de l’évolution dont Lamarck a fait un des piliers de sa théorie de l’évolution du monde vivant. Dans un ouvrage récent (Jean-Jacques Kupiec (dir.), La vie, et alors ?, éd. Belin, 2013, pp. 327-328) cette tendance générale est même présentée comme « comparable à l’exécution d’un plan » qui créerait une « échelle des êtres ».

L’échelle des êtres est une conception religieuse de l’ordre de l’univers, très populaire durant la Renaissance, qui classe les éléments matériels, les êtres vivants et les entités spirituelles selon un ordre croissant, jusqu’à la plus haute perfection, Dieu. En somme, pour Jean-Jacques Kupiec, l’évolutionnisme lamarckien serait le précurseur de l’intelligent design !

Cette interprétation grossièrement erronée de la théorie de Lamarck ne peut être soutenue que par le mépris complet à l’égard des sources et des analyses historiques. En effet, Lamarck lui-même se défend de l’échelle des êtres dans la deuxième partie de l’introduction à L’histoire naturelle des animaux sans vertèbres, 1815. Mais il ne faut pas demander à un théoricien de savoir de quoi il parle, en réalité !

Et l’article de l’historien des sciences Jacques Roger qui suit rétablit les idées de Lamarck dans une plus juste perspective.

 

Il est parfois un peu difficile pour un historien des sciences de s’adresser à des scientifiques d’aujourd’hui. L’historien est un observateur extérieur, dont la présence n’est pas toujours bien tolérée, et surtout, lorsqu’il s’agit de science ancienne (et le XVIIIe siècle est déjà loin de nous) ; l’historien vit dans le monde de ses personnages, très différent du monde scientifique actuel. La difficulté est peut-être moins grande, il est vrai, avec des naturalistes, qui ont, plus que d’autres, gardé vivante la mémoire de leur discipline.Lire la suite »