Radio: François Jarrige, Regard critique sur la Smart City, 2020

François Jarrige, maître de conférences en histoire contemporaine à l’Université de Bourgogne, revient sur les Smart Cities : leur histoire, leur Big Data et leur évolution vers Big Brother. Tout cela au regard du projet local On Dijon !

Alors que la croissance urbaine s’accélère, les smart cities ne cessent d’être présentées comme l’outil majeur de la transition énergétique et socio-écologique. Pour nombre d’industriels et de politiques en effet, la smart city est l’infrastructure indispensable de la politique de transition qui doit remodeler les manières de produire et de consommer l’énergie et d’organiser la ville par une gestion optimale des flux.

Téléchargez le livret de l’émission :
Regard critique sur la Smart City

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Racine de moins un
Une émission
de critique des sciences, des technologies
et de la société industrielle.

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Émission Racine de Moins Un n°92,
diffusée sur Radio Zinzine en avril 2024. Lire la suite »

Finrrage-Ubinig, La déclaration de Comilla, 1989

La déclaration de Comilla (1989) :
un manifeste féministe contre
la procréation médicalement assistée

 

Il y a quelque temps de cela, la lecture d’un vieux numéro des Cahiers du GRIF ayant pour titre De la parenté à l’eugénisme [1] a attiré notre attention sur l’existence d’un réseau féministe des années 1980, Finrrage. Un des articles les plus intéressants du numéro, “Le projet Manhattan de reproduction”, portait la signature d’une des membres actives du réseau, l’Américaine Gena Corea ; et, à la fin de la revue, on trouvait ces informations (accompagnées d’adresses postales et de numéros de téléphone fixe) :

« Le groupe le plus efficace sur le plan de l’action de résistance et de critique [contre les nouvelles technologies de reproduction] demeure cependant Finrrage – Feminist International Network of Resistance to Reproductive and Genetic Engineering. Fondé en 1984 par cinq [sic] militantes de choc (J. Hanmer et R. Duelli-Klein d’Angleterre, R. Rowland d’Australie, G. Corea, R. Arditti et J. Raymond des USA), Finrrage a depuis organisé une série de rencontres internationales et était présent à l’audition des femmes au Parlement européen en 1986. […] Le réseau vient aussi d’annoncer la création d’une revue consacrée aux nouvelles techniques de reproduction, dont le premier numéro est prévu en mars 1988. […] Le titre sera : Reproductive and Genetic Engineering ; elle reflétera les objectifs et les préoccupations de Finrrage, qui visent à rejeter l’application de ces techniques car elles impliquent une conception patriarcale aussi bien que des risques énormes pour les femmes. Il existe aussi un réseau français de Finrrage qui regroupe des femmes d’horizons divers et organise des réunions de travail et d’échange d’informations. » [p. 155]

Nous avons alors cherché à en savoir plus. Nous voulions connaître l’histoire de ce réseau, comment ces femmes formulaient leurs craintes et leur opposition, quelles actions elles avaient menées ; enfin, comment cette histoire s’était finie et pourquoi elle était restée sans suite, puisque avant 2016 nous n’en avions jamais entendu parler. Cette recherche s’est avérée laborieuse et nous n’avons pas trouvé toutes les réponses, loin de là. Mais nous avons pris connaissance du manifeste de ce réseau, sur Internet, et nous avons pensé qu’il était important de le traduire en français pour contribuer à un débat jusqu’ici verrouillé sur les (plus si) nouvelles technologies de reproduction. Il s’agit de la déclaration de Comilla, en trente-huit points, adoptée par cent quarante-cinq personnes réunies au Bangladesh en 1989, et qui constitue le point d’orgue de discussions menées dans les mouvements féministes de différents pays entre les années 1970 et cette date. Le deuxième texte, qui est accolé au premier sur Internet, nous a semblé également digne d’intérêt : il a été écrit par des universitaires américaines faisant partie de Finrrage et il développe un peu certains arguments du manifeste. Lire la suite »

Renaud Garcia, Techno-junkie, 2023

De la production à l’auto-injection d’œstrogènes

Récemment, une contradictrice doucereuse et « diplomate » vient me trouver à la fin d’une causerie, la mine grave. En vrac :

« Voilà, hum, comment dire : pour beaucoup d’entre nous, ce que vous dites dans votre texte “Les acceptologues” [1] est illégal, c’est de la transphobie » ; « Mais enfin ! Quand on songe aux rapports Nord-Sud, à l’extractivisme, avec ces enfants exploités dans les mines du Congo, pourquoi donc prioriser ce combat-là ? » ; « Rassurez-moi, vous n’avez rien contre les trans ? »

Certes, il s’est aussitôt avéré que mon inquisitrice n’avait pas lu grand-chose de cet article – non plus d’ailleurs que ses amies néo-féministes queer –, « intimidée par son vocabulaire philosophique ». Mais passons. Je lui dis que la vie des personnes « trans », leurs joies comme leurs peines sont leur affaire ; je les traite pour ma part avec la considération et la sympathie élémentaires dues à mon prochain. En revanche, dans la mesure où, avec quelques autres, je prétends œuvrer à une critique radicale de la société industrielle (pardon pour le « vocabulaire philosophique »), je refuse que l’on enfouisse le sens de la langue et le souci de la vérité sous des monceaux de falsifications ; et que l’on instrumentalise une souffrance souvent réelle – mais qui, par-delà les classes, les genres et les appartenances ethniques, est sans doute une des choses du monde la mieux partagée ; afin de contraindre chacun à penser, parler et agir « correctement ». C’est-à-dire suivant les désirs des activistes queer et trans. Lire la suite »

Écologie & Politique n°65, Les enfants de la Machine, 2022

Biotechnologies, reproduction et eugénisme

Dossier

Un jour, les femmes n’enfanteront plus. Leurs cellules et celles des hommes seront soigneusement produites, sélectionnées puis traitées en laboratoire en vue de la fabrication industrielle d’êtres humains. Améliorés, sur mesure, sans défauts génétiques. De la science-fiction ? En réalité, cet avenir d’où l’enfantement aurait disparu, ce futur où les enfants ne seraient plus le fruit du hasard biologique mais celui d’un système technologique finement paramétré, est déjà parmi nous, en puissance. Petit à petit, par ses avancées dans le domaine des technologies de la reproduction (de l’insémination artificielle à l’ectogenèse, en passant par la fécondation in vitro et la congélation d’ovaires) et au prétexte fallacieux de libérer les femmes, la technoscience nous y conduit. Après avoir pris le contrôle des sols et celui des corps travailleurs dans le but d’accroître toujours plus son emprise, l’industrialisme, dans la poursuite de son geste totalitaire, s’affaire depuis plusieurs décennies à prendre le contrôle du vivant.

Coordination : Jacques Luzi et Mathias Lefèvre.

 

Ce numéro étant épuisé, nous proposons d’en publier les articles afin que chacun puisse juger sur pièces des propos « réactionnaires » qu’ils contiennent (voir ci-dessous l’entretien avec Jacques Luzi)…

Les articles sont maintenant au complet, prochainement un document PDF sera disponible. Lire la suite »

Guy Lacroix, Cybernétique et société, 1993

Norbert Wiener ou les déboires d’une pensée [pseudo-]subversive

Dans son dernier ouvrage L’utopie de la communication [1], Philippe Breton affirme que nous sommes soumis aujourd’hui à une nouvelle utopie, celle de la communication, qui s’appuie sur la promotion d’un homme « sans intérieur », réduit à sa seule image, dans une société rendue elle même « transparente » par la grâce de la communication. Si la communication a pris autant de place dans nos sociétés, ce n’est pas seulement à cause de la prolifération des machines à communiquer, mais parce que, pour Breton, cette communication a été théorisée dès la fin de la Seconde guerre mondiale par le mathématicien Norbert Wiener (1894-1964).

Le père de la cybernétique serait le promoteur d’une utopie de la transparence qui inspirerait ce que notre société actuelle a de plus réducteur. Non pas qu’il ait été mal intentionné, il aurait au contraire conçu son utopie de la communication « comme une arme absolue contre le retour de la barbarie », estimant naïvement que « la communication effacerait le secret, qui seul rendit possible le génocide nazi, Hiroshima et le Goulag ». Ce rêve généreux aurait des effets pervers dont Breton énonce les principaux traits : apologie systématique du consensus, identification de l’information médiatique à la connaissance des faits et une vision du futur étroitement déterminée par les nouvelles technologies. Lire la suite »

Aurélien Berlan, Jacques Luzi, La technologie n’émancipe pas : elle délivre, 2020

Résumé

S’émanciper de la dynamique socialement et écologiquement destructrice du capitalisme industriel suppose, au minimum, de s’émanciper de sa représentation de la liberté, associée au mythe de la « technologie libératrice », auquel continue d’adhérer la « gauche » industrialiste. La liberté y est célébrée comme délivrance des maux de la condition humaine et, plus concrètement, des pesanteurs de la vie sociale et matérielle quotidienne. Contre cette conception de la liberté, qui ne conduit qu’à renforcer la dépendance au monde technologique créé par le capitalisme, il est urgent de revenir à celle de la liberté comme autonomie, sur les plans matériel, politique et culturel. Lire la suite »

Céline Lafontaine, La cybernétique, matrice du posthumanisme, 2000

« C’est un nouvel humanisme, beaucoup moins individualiste mais énormément plus rentable, qui peut naître de l’application consciente de la cybernétique. »

Giuseppe Foddis, IIe Congrès international de cybernétique.

« Le cybernanthrope déplore la faiblesse humaine et ses faiblesses. Il connaît ses imperfections. L’humain, la qualité humaine, il les désavoue. Il disqualifie l’humanisme, en pensée et en action. »

Henri Lefebvre.

Entre l’ubiquité que lui procurent les réseaux informatiques et l’éclatement de ses repères identitaires, l’individu contemporain semble muter vers une nouvelle forme de subjectivité. Il est vrai qu’à l’aube du IIIe millénaire les mutations technologiques en cours poussent à croire qu’on assistera d’ici peu à la naissance d’un Homme nouveau. Les penseurs et les idéologues de la société communicationnelle ne se privent d’ailleurs pas de spéculer sur cette éventuelle possibilité : Homme numérique, Homme symbiotique, cyborg, cyber-sujet, etc., les épithètes abondent pour qualifier ce nouvel humain dont on guette l’avènement. Lire la suite »

Gregory Chatonsky, Intelligence Artificielle et extinction, 2023

Contrairement à ce qu’affirment nombre de pétitions récentes signées par des chercheurs et des entrepreneurs, l’IA participe bien de l’extinction, mais pas du tout celle qui viendrait remplacer l’être humain par une technologie devenue, comme par miracle, autonome, et faisant précisément abstraction de ses dépendances logistiques, mais celle qui est en cours, qu’on la nomme anthropocène, capitalocène, ou autrement.
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Grain, L’élevage industriel sous l’emprise des pandémies en série, 2020

Les multinationales de la viande industrielle créent les conditions de pandémies, telle celle de la peste porcine qui a entraîné la mort de millions de porcs, et d’autres maladies qui peuvent se propager aux humains. Or, les solutions préconisées pour y faire face pénalisent les petites exploitations et permettent aux grandes entreprises de tirer profit de ces crises sanitaires et de renforcer leur contrôle sur l’approvisionnement mondial en viande.

Une vague de foyers de peste porcine africaine a infligé d’énormes ravages à la production mondiale de porc au cours de la dernière décennie, avec des répercussions dans l’ensemble de l’industrie de la viande. Heureusement, cette maladie animale ne présente pas une menace directe pour la santé humaine, mais un quart du cheptel porcin mondial a peut-être déjà été anéanti et les coûts économiques se chiffrent en centaines de milliards de dollars. Pourtant, si les petits élevages ont été décimés, les épidémies sont une aubaine pour les multinationales de la viande et les entreprises qui les fournissent. Lire la suite »

Miguel Amorós, Crise agricole et dilemme énergétique, 2023

La pénétration du capitalisme dans les campagnes a transformé la propriété foncière rurale en entreprise et la production de subsistance en production pour le marché. La croissance rapide de la population urbaine a parallèlement multiplié la demande alimentaire. La marchandisation a mis fin à la symbiose entre l’agriculture et l’élevage, amenant les deux à un destin séparé. De fait, elle a mis fin à la société paysanne traditionnelle. Tout a été réduit à sa valeur d’échange : toute forme de vie cohérente avec l’environnement a disparu, la sociabilité typique du monde rural a disparu et avec elle toute singularité ; la beauté des paysages a été dégradée et tout le patrimoine culturel a été ruiné ou muséifié. Lire la suite »