Editions de la Roue, De la démocratie villageoise à la démocratie directe, 2014

« Nous les pouvons donc bien appeler barbares,
eu égard aux règles de la raison,
mais non pas eu égard à nous,
qui les surpassons en toute sorte de barbarie. »

Michel de Montaigne, Essais.

Nous n’avons pas la prétention d’établir une généalogie de la liberté, ni de faire de celle-ci un absolu, un invariant dans l’histoire : le combat pour la liberté est forcément modifié par les conditions matérielles comme par l’organisation politique de son développement, de sa captation ou de sa répression. Nous cherchons à ramener dans le présent les éléments universels constitutifs du fil jamais rompu de toutes les tentatives d’organisation directe de l’existence. Lire la suite »

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Jean-Marc Lévy-Leblond, La culture scientifique, pourquoi faire ?, 2014

Un communiqué du Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche du 30 janvier 2014 m’a incité à reprendre ici le texte d’une intervention faite en 2011 lors des Journées d’études organisées par l’Espace Culture de l’Université de Lille I, alors dirigé avec dynamisme par Nabil El Haggar, sur le thème « Peut-on parler de culture scientifique » ?

Peut-on vraiment parler de culture scientifique ?

Oserai-je avancer que le syntagme de « culture scientifique », cette juxtaposition de deux mots en un seul terme, me paraît doublement inadéquat ?

D’abord, le mot culture tolère mal quelque étiquette ou épithète que ce soit. Dès lors qu’on lui colle un adjectif et qu’on le spécifie, en parlant par exemple de culture littéraire ou de culture musicale, on perd ce qui fait l’essentiel de la notion de culture, c’est à dire la capacité à lier différentes formes de pratiques humaines. La culture est, comme ce que souhaite être la République française, une et indivisible. En la spécialisant, en la cantonnant, on la mutile. Lire la suite »

Mathieu Quet, L’investissement corporel dans l’économie des promesses, 2014

Les utopies de la transformation technologique de l’homme ont aujourd’hui le vent en poupe et semblent toujours plus près de se réaliser1. Quasiment aucun jour ne se passe sans l’annonce d’une innovation venant alimenter les fantasmes d’un corps machinisé et amélioré : vivre avec un cœur artificiel, voir avec sa langue, contrôler la motricité de ses prothèses grâce à une interface neurale, maîtriser chimiquement ses propres états mentaux… Les événements ne cessent de surgir dans l’actualité, qui nourrissent les rêves d’un grand soir technologique, où l’homme et la machine fusionneraient de façon définitive. Les progrès dans des domaines aussi variés que la thérapie génique, l’interface homme-machine, la procréation assistée, les neurosciences, les cellules souches, les nanotechnologies, contribuent sans cesse à accréditer l’idée d’une modification radicale de la nature humaine. Un certain nombre d’individus et de groupes n’ont pas manqué l’occasion de se saisir de ces événements pour pronostiquer la transformation radicale de l’humain. Ils font alors feu de tout bois pour alimenter une multitude de technoprophéties, des plus joyeuses aux plus sombres, des plus crédibles aux plus farfelues. Lire la suite »

Jean-Marc Mandosio, Heidegger ou comment ne pas penser la technique, 2014

Derrière le jargon heideggérien, ses questionnements parsemés de citations poétiques et ses étymologies fantaisistes, il n’y a pas grand-chose de sérieux ni de consistant.

 

On discute depuis des années du degré d’adhésion de Martin Heidegger au nazisme (fut-il un peu, beaucoup, passionnément nazi ?), comme si l’évaluation de sa pensée dépendait exclusivement de la réponse à cette question. Mais il y a bien d’autres aspects embarrassants dans son œuvre, qui suffiraient à justifier que l’inclusion de ce personnage dans le canon des grands penseurs soit reconsidérée. Le problème principal est évidemment que la philosophie d’Heidegger est faite en grande partie de jeux de langage et se révèle d’une extrême pauvreté : derrière le jargon heideggérien, ses questionnements parsemés de citations poétiques et ses étymologies fantaisistes faisant dériver l’allemand du grec, il n’y a pas grand-chose de sérieux ni de consistant. Lire la suite »

Guillaume Carnino, La science pure au service de l’industrie, 2014

Résumé

La carrière de Louis Pasteur est exemplaire en cela qu’elle montre le lien étroit, intrinsèque et essentiel, entre préoccupations scientifiques et industrielles. À partir de sa correspondance manuscrite (et non de l’édition qui fut tronquée à dessein par ses héritiers), l’article souligne combien les objets et procédés de la science recoupent les enjeux de l’univers manufacturier. Plus encore, la science, revendiquée comme pure, apparaît alors comme le moyen d’une transaction sociale, entre services économiques et politiques échangés contre légitimité, position de pouvoir et récompenses, le tout constituant les fondements d’une revendication d’autonomie de la part du savant. Le propos se termine par une analyse de la constitution du mythe pastorien.
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Sezin Topçu, Organiser l’irresponsabilité ?, 2014

La gestion (inter)nationale des dégâts d’un accident nucléaire comme régime discursif

 

Résumé

Cet article décortique le processus historique relatif à l’organisation internationale des responsabilités et à la gestion des dégâts en cas d’accident nucléaire. L’auteure montre que les dispositifs politico-juridiques sur lesquels se base le discours de « régime international de responsabilité civile », forgé depuis les années 1960, ont globalement visé, et visent encore, à maintenir un « fossé historique et spectaculaire » entre les dommages juridiquement pris en charge par les exploitants nucléaires et les dégâts réellement provoqués par l’accident nucléaire majeur. Elle argue qu’un tel « fossé » est constitutif même de l’industrie nucléaire, qu’il est une forme de gouvernement (des affaires économiques et de l’espace public) historiquement constituée, et que son maintien est une condition sine qua non de la survie même du secteur nucléaire. La notion de « responsabilité » dans le domaine nucléaire opère dans ce cadre avant tout en tant que régime discursif, en tant que moyen d’organiser autant de responsabilités que d’irresponsabilités, quelle que soit l’échelle géographique (nationale ou internationale) à laquelle elles se déploient. Lire la suite »

Aurélien Berlan, Rationalisation et réification chez Max Weber, 2014

La notion de réification (Versachlichung) se retrouve souvent sous la plume de Max Weber, plus encore que sous celle de Karl Marx [1]. Weber l’utilise notamment pour souligner un aspect particulier, et inquiétant, du processus de rationalisation lié au développement du capitalisme et de l’État modernes. A ses yeux, ces deux puissances poussent les individus à agir « sans considération de la personne » [ohne Ansehen der Person [2]], en suivant les règles régissant le champ d’activité dans lequel ils sont pris. Le bureaucrate applique le règlement sans considérer le sort des personnes à qui il a affaire, ou plutôt : en étant convaincu que son rôle est de ne pas en tenir compte – sinon, « c’est l’arbitraire ». Lire la suite »

Céline Pessis, Petit panorama de la critique des sciences des années 1970, 2014

Dans la foulée de Mai 68, de nombreuses grèves de technicien.ne.s, vacataires et contractuel.le.s, chercheur.se.s, documentalistes, secrétaires et dactylos, éclatent dans les laboratoires tandis que se multiplient les formes d’insubordination quant aux hiérarchies instituées et aux normes professionnelles (expériences de socialisation des salaires, critique de la taylorisation du travail et du paternalisme des « grands patrons », contestation des « hiérarchies de l’intelligence » ou de « l’idéologie du mérite », du « mythe de la thèse », etc.).

Le Cri des Labos (1969-1971), bulletin de lutte et de réflexion des travailleurs de la recherche, fondé par des technicien.ne.s de la faculté des Sciences de Paris, puis Labo-Contestation (1970-1973), fondé par des travailleur.se.s de la biologie à Lyon et ouvert à des laboratoires de toute la France, se font l’écho de ces luttes internes. Ouvrant grand ses colonnes aux subalternes, aux femmes et aux anonymes de la recherche, Labo-Contestation se revendique de la critique de la vie quotidienne :

« dès qu’il est décrit anonymement, le vécu quotidien se dépersonnalise et révèle l’existence de problèmes de structures, d’organisation et de division du travail. » [1]

En rupture avec la « bureaucratie syndicale » et sa représentation mythifiée de la recherche comme « communauté de pairs », ces contestations basistes entendent mettre à jour et approfondir la lutte des classes qui traverse le milieu scientifique. La psychanalyse s’affirme également comme nouvelle grammaire contestataire, particulièrement à Impascience (1975-1977), dernière venue des revues de critique de la science. Lire la suite »

Maria Mies, Pas de communs sans communauté, 2014

Maria Mies, 2011

Résumé

L’intérêt actuel pour les nouveaux communaux est bienvenue. Cela montre que de plus en plus de gens comprennent que notre système mondial capitaliste actuel ne peut résoudre aucun des problèmes qu’il a lui-même créés. La plupart des gens qui veulent créer de nouveaux communaux recherchent un nouveau paradigme économique et social. Pourtant, je pense qu’il est nécessaire de porter un regard plus critique sur les principaux concepts et arguments utilisés dans le discours contemporain sur « les biens communs ». Aujourd’hui, les « nouveaux biens communs » font l’objet d’un battage médiatique, notamment le mythe d’Internet comme bien commun et source de nouvelles communautés. Dans cet article, je pose plusieurs questions : Que voulons-nous dire lorsque nous parlons de « nouveaux biens communs » ? Que pouvons-nous apprendre des anciens communaux ? Qu’est-ce qui doit être changé aujourd’hui ? Y a-t-il une perspective réaliste pour les nouveaux biens communs ? Lire la suite »

Maria Mies, No commons without a community, 2014

Maria Mies, 2011

Abstract

The present interest in new commons is a very welcome development. It shows that more and more people understand that our present capitalist world system cannot solve any of the problems it itself has created. Most people who want to create new commons are looking for an altogether new paradigm of economy and society. Yet I think it is necessary to look more critically at the main concepts and arguments used in the contemporary discourse on “the commons”. Today there is a new hype about the “new commons”, including myths about the Internet as a commons and that it has created new communities. In this article I ask: what do we mean when we speak of “new commons”? What can we learn from the old commons? What has to be changed today? Is there a realistic perspective for new commons? Lire la suite »