L’originalité de l’esprit animal :
entre le réflexe et la réflexion, la conscience
La définition du terme « animalité » apparaît d’emblée comme très problématique si l’on entend par là, non simplement une sorte de qualification morale servant à établir un repoussoir par rapport à l’« humanité », mais plutôt une caractérisation positive de ce qui constitue l’originalité et la spécificité de l’essence de la vie animale, à la fois par rapport à l’essence de la vie végétale et celle de la vie humaine.
Il est intéressant de revenir aux implications de l’étymologie même des mots « animal » et « animalité ». L’animal c’est d’abord, dans une approche intuitive ancienne, l’animé, l’être doté d’une anima, c’est-à-dire d’un souffle de vie, d’une respiration gonflant ses tissus ou d’un tressaillement agitant ses membres, et, par extensions et abstractions successives, d’une force subtile communiquant un mouvement autonome à son corps.
Mais cette approche « pneumatologique » primitive et naïve ne permet pas, en soi, de distinguer ce qui, dans la communauté des êtres dits « animés », sépare la croissance d’une plante des mouvements coordonnés et parfois imprévisibles d’un animal. Ne faudrait-il pas, à l’intérieur même du domaine du vivant, établir une distinction entre différents types d’« âmes » spécialisées assurant différentes fonctions, un peu à la manière d’Aristote qui distinguait l’âme végétative ou nutritive, l’âme sensitive ou désirante et l’âme intellective ou réflexive ? L’on retrouve une idée semblable dans certaines conceptions orthogénétiques de l’évolution du vivant ou dans certaines interprétations récapitulationnistes de la psychologie du développement : cette hiérarchie et cette imbrication des fonctions seraient ainsi réinterprétées non plus dans un sens fixiste mais dans un sens évolutionniste, en faisant de chaque être vivant une sommation ou une récapitulation de certaines fonctions qu’il partage avec ses précurseurs et de certaines autres fonctions qui lui sont propres et préfigurent elles-mêmes l’avènement d’êtres ultérieurs. Le problème qu’il y a à surmonter dans l’optique d’une définition unitaire de ce qui fonde l’originalité de la vie animale provient surtout de la multiplicité des créatures vivantes plus ou moins exotiques et complexes que l’on entend regrouper et englober sous une même définition. Il y a donc un effort à faire si l’on tient à discerner et distinguer rigoureusement ce qui doit l’être. Il sera donc question ici de l’« animalité » de l’animal dans une perspective existentielle et surtout psychologique, cherchant à naviguer entre les écueils respectifs du « chauvinisme » anthropocentriste et du « libéralisme » panpsychiste. Ces deux types d’annexion de la vie animale oublient que l’un des véritables tournants de l’évolution du vivant s’est joué dans l’apparition des animaux, à savoir, comme nous allons le voir, la constitution d’une ouverture perceptive au monde et d’une auto-mobilité qui, libérée du réflexe, a rendu possible l’apparition de la conscience.Lire la suite »