Michel Barrillon, Procès en réhabilitation de l’idée de nature 2, 2019

Ébauche, 2nd et dernière partie

II. Les deux natures

« Nature n’est qu’une poésie énigmatique, une peinture voilée et ténébreuse, entreluisant d’une infinité variété de faux jours à exercer nos conjectures. »
Montaigne [1]

« Nous n’avons aucune communication à l’être » (Montaigne)

Pour les gens ordinaires qui jugent de la réalité du monde selon le sens commun, « the proof of the pudding is in the eating». Pour les philosophes qui sont de purs esprits, cet argument de bon sens n’est pas recevable. Dans la parabole du rêve du papillon, Tchouang Tseu pose avec humour le problème de l’identité. En revanche, c’est avec le plus grand sérieux que Descartes déclare à ceux qu’il n’aurait pas convaincus de l’existence de Dieu et de leur âme :

« Je veux qu’ils sachent que toutes les autres choses, dont ils se pensent peut-être assurés, comme d’avoir un corps et qu’il y a des astres et une Terre, et choses semblables, sont moins certaines. » [2]

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Michel Barrillon, Procès en réhabilitation de l’idée de nature 1, 2018

Ébauche, 1er partie

I. Pour en finir avec Gaïa

« Nous ne défendons pas la nature,
nous sommes la nature qui se défend. »

Slogan des zadistes.

Abolir la nature, disent-ils

« Ça offense l’ego humain de voir la nature si indifférente à notre sort. La nature se fiche de ceux qui vivent ou qui meurent. Elle refuse de se laisser dompter. Elle fait ce qu’elle veut. C’est comme si les gens ne comptaient pas. Elle ne nous reconnaît pas le droit d’être là. Ça exaspère les gens. Ils ne peuvent pas supporter d’être ignorés. C’est insultant. » [1]

Ces propos que Bill Watterson prête à son personnage expriment parfaitement l’espèce de « malentendu fondamental » [2] qui trouble les rapports entre les Occidentaux et la nature depuis des lustres. Convaincus de s’en être « arrachés », les modernes entreprirent de la soumettre au joug de la Technoscience et finirent par croire qu’ils l’avaient terrassée, qu’ils s’en étaient définitivement émancipés, jusqu’à ce que la nature s’avise de manifester avec toujours plus de véhémence sa rétivité farouche : la nature n’est pas simplement indomptable de manière rédhibitoire, elle est aussi indispensable, vitale, et c’est bien là ce qui navre ceux qui entendent l’ignorer superbement. Lire la suite »

Jérôme Baschet, L’inacceptable inacceptable, 2021

De(s)générations : Tu parles de la nécessité, entre autres dans Défaire la tyrannie du présent [1], de se « débarrasser » des mythologies progressistes. Tu mets en question un paradigme progressiste révolutionnaire qui serait celui du Grand Soir ou, comme le nomme Frédéric Lordon, le « point L » (comme Lénine). Pourtant, si je t’ai bien lu, il ne me semble pas que tu sois totalement opposé à l’événement révolutionnaire car tu apportes une nuance dans Basculements :

« Il faudrait plutôt concevoir un processus qui commence dès maintenant, sans pour autant exclure des épisodes d’intensification de l’affrontement avec le monde de l’économie. » [2]

Tu critiques la stratégie du Grand Soir tout en proposant d’autres notions qui n’excluent pas fondamentalement celle-ci. Pourrais-tu ici revenir sur la manière dont ces deux tendances pourraient s’articuler de manière fructueuse ? Y a-t-il réellement incompatibilité ? Ces deux stratégies ne peuvent-elles pas exister comme deux régimes de temporalité concomitants ?

Jérôme Baschet : J’aimerais tenter d’écarter un possible malentendu. Je fais en effet la critique de l’imaginaire du Grand Soir, tel que Frédéric Lordon l’a récemment revendiqué. Mais l’hypothèse stratégique proposée dans Basculements – et, précédemment, dans Une juste colère [3] – n’exclut pas du tout une dynamique de soulèvements et d’affrontements avec le monde de l’Économie et les forces qui le défendent. Plus précisément, et je vais y revenir, cette hypothèse stratégique repose sur la combinaison entre la multiplication de ce que j’appelle des espaces libérés et une intensification des dynamiques de blocage dans toutes les dimensions que ce terme peut recouvrir, jusqu’à la propagation de soulèvements populaires, ainsi qu’on l’a vu avec les Gilets jaunes et la séquence insurrectionnelle planétaire de l’année 2019. Lire la suite »

Edward P. Thompson, William Morris, 1959

Si nous devons reconnaître en William Morris l’un de nos plus grands Anglais, je n’ai absolument pas changé d’avis à ce sujet, ce n’est pas parce qu’il fut, par à-coups, un bon poète ; ce n’est pas non plus en raison de son influence sur la typographie, ni de son superbe travail dans les arts décoratifs ; ce n’est pas non plus parce qu’il fut à l’avant-garde d’un socialisme concret ; ce n’est pas, en fait, parce qu’il fut tout cela, mais c’est en raison d’un trait dont sont empreintes toutes ces activités et qui leur donne une certaine unité. Lire la suite »

Edward P. Thompson, William Morris, 1959

I have in no way altered my opinion that if we are to acknowledge William Morris as one of the greatest of Englishmen it is not because he was, by fits and starts, a good poet; nor because of his influence upon typography; nor because of his high craftsmanship in the decorative arts; nor because he was a practical socialist pioneer; nor, indeed, because he was all these; but because of a quality which permeates all these activities and which gives to them a certain unity. Lire la suite »

Miguel Amorós, Masses, partitocratie et fascisme, 2013

« Tout dans l’État,
rien contre l’État,
rien en dehors de l’État. »
Mussolini

L’existence de la partitocratie n’a pas été analysée de manière sérieuse ni par la sociologie académique, ni par la critique « antifasciste » du parlementarisme moderne, et cela en dépit du fait que la crise des régimes autoproclamés démocratiques a dévoilé leur réalité de systèmes autoritaires aux apparences libérales où les partis, animés par la recherche du pouvoir, s’approprient la représentation de la volonté populaire afin de légitimer leur action et leurs excès. Les partis, arrivés à ce point, deviennent opaques et se ferment à la participation et au simple contrôle de leurs militants, se transformant en machineries électorales. Lire la suite »

Miguel Amorós, Masses, partocracy and fascism, 2013

The topic of partocracy has not been studied seriously by either academic sociology or the “anti-fascist” critique of modern parliamentarism, despite the fact that the crisis of the self-proclaimed democratic regimes has revealed its specific reality as an authoritarian system with liberal appearances where the parties, and especially their leaderships, abrogate the representation of the popular will in order to legitimize their actions and their excesses in defense of their particular interests. Nor should this fact be at all surprising, since the same thing happened in the party bureaucracy in the Stalinist and fascist regimes: the political class moulded by the partocracy exists to the extent that it conceals its existence as a class. As Debord pointed out, “the ideological lie at its origin can never be revealed”. Its existence as a class depends on the monopoly of ideology, Leninist or fascist in the one case, democratic in the other. While the bureaucratic class of State Capitalism dissimulated its exploitative class function by presenting itself as the “party of the proletariat” or the “party of the nation and the race”, the partocratic class of market capitalism does so by presenting itself as the “representative of millions of voters”, and thus, if the bureaucratic dictatorship was “real socialism”, the partocratic usurpation of popular sovereignty is “real democracy”. The former attempted to reinforce its position with an abundance of ritual spectacles and sacrifices; the latter has attempted to do so with an abundance of houses and the credit with which they can be bought. Both have failed. Lire la suite »

Miguel Amorós, Masas, partitocracia y fascismo, 2013

“Todo dentro del Estado,
nada fuera del Estado,
nada contra el Estado.”
Mussolini

El tema de la partitocracia no ha sido seriamente estudiado ni por la sociología académica ni por la crítica «antifascista» del parlamentarismo moderno, y eso a pesar de que la crisis de los regímenes autoproclamados democráticos haya desvelado su realidad específica en tanto que sistemas autoritarios con apariencias liberales donde los partidos, y especialmente sus cúpulas, guiándose por intereses de poder, se abrogan la representación de la voluntad popular a fin de legitimar su acción y sus excesos. Los partidos, llegados a ese punto, se vuelven opacos y se cierran a la participación y al simple control de sus afiliados, convirtiéndose en maquinarias electorales. Lire la suite »

Jeanne Burgart-Goutal, Ce que le féminisme apporte à l’écologie, 2018

« Hirvi Dharti, Stri Shakti, Manav Murti »

« Terre verte, puissance féminine, libération humaine » [1]

 

Résumé

En quoi les concepts et points de vue développés par le féminisme, à première vue sans lien avec la crise environnementale, permettent-ils en fait de féconder la pensée écologiste ? À travers l’étude des discussions que l’écoféminisme a tissées au il du temps avec d’autres courants, je voudrais montrer que, loin de n’être qu’un cas particulier de la pensée écologiste, il constitue un outil de critique et de dépassement de la façon même dont les problèmes y sont généralement posés. Lire la suite »

Jeanne Burgart-Goutal, L’écoféminisme, une pensée de « l’égalité dans la différence », 2016

« Il faut refuser les notions vagues de supériorité, infériorité, égalité qui ont perverti toutes les discussions et repartir à neuf. »

Simone de Beauvoir, Le Deuxième sexe, 1949.

À l’heure où les inégalités s’accroissent, la promotion de l’égalité envahit le discours public : on entend tous les jours parler de lutte contre les discriminations en tous genres, de mouvements pour la reconnaissance de droits égaux aux « minorités » ethniques, sexuelles ou même spécifiques (véganisme, droits animaux) : que ce soit dans le discours officiel ou les courants activistes, l’égalité est et demeure une valeur centrale.

Il en va de même, à première vue, dans l’écoféminisme – vaste mouvement théorique et militant qui se déploie depuis le milieu des années 1970, essentiellement dans le monde anglo-saxon – auquel nous souhaitons ici nous intéresser. Loin d’être un courant unifié, l’écoféminisme est une nébuleuse où pullulent les tendances, débats et désaccords. Nous nous permettons toutefois dans ce texte de parler au singulier de « l’écoféminisme », dans la mesure où nous nous penchons ici sur des points qui font globalement consensus parmi les auteures concernées. Lire la suite »