Le scientisme

Qu’est-ce que le scientisme ?

Tentatives de définition

Le scientisme est d’abord la croyance que la méthode scientifique est la seule valable, car elle est a même d’engendrer une connaissance vraie, précise et universelle et que la science permet d’appréhender tous les phénomènes, des plus simples aux plus complexes, du fait de son objectivité.

Le culte laïque et obligatoire de la société capitaliste et industrielle
Le culte laïque et obligatoire de la société capitaliste et industrielle

Le terme de scientisme a été employé pour la première fois par le biologiste Félix Le Dantec dans un article paru en 1911 dans la Grande Revue :

« Je crois à l’avenir de la Science : je crois que la Science et la Science seule résoudra toutes les questions qui ont un sens ; je crois qu’elle pénétrera jusqu’aux arcanes de notre vie sentimentale et qu’elle m’expliquera même l’origine et la structure du mysticisme héréditaire anti-scientifique qui cohabite chez moi avec le scientisme le plus absolu. Mais je suis convaincu aussi que les hommes se posent bien des questions qui ne signifient rien. Ces questions, la Science montrera leur absurdité en n’y répondant pas, ce qui prouvera qu’elles ne comportent pas de réponse. »

Une autre définition plus récente :

« Le scientisme affirme qu’en dehors de la connaissance scientifique, aucune autre forme de connaissance n’est légitime, car seule la connaissance scientifique est positive et vraie. C’est une forme de réductionnisme où seules les connaissances valides sont scientifiquement prouvées, le reste étant irrationalités, croyances ou idéologies. Se trouvent ainsi disqualifiés d’emblée les savoirs traditionnels des populations autochtones ou encore ceux des « non-scientifiques », les savoirs populaires et les savoirs paysans. »

Marie-Hélène Parizeau, Biotechnologies, nanotechnologies, écologie, entre science et idéologie, éd. Quae, 2010.

De nos jours, le scientisme peut prendre différentes formes et ne s’en tient pas nécessairement à ce credo de la supériorité de la connaissance scientifique sur les autres formes de connaissance.

Il consiste le plus souvent en une conception abstraite et essentialisée de « la Science », sorte d’entité idéale qui planerait au-dessus de l’humanité et lui dispenserait ses bienfaits par l’intermédiaire des scientifiques :

« Cette confiance préalable [de l’honnête homme] est sous tendue par une vision de la science comme humanisme, comme une valeur liée à la connaissance : il appartient aux scientifiques de faire avancer la connaissance pour l’humanité en son ensemble, comme il appartient à chacun d’entre nous d’approfondir ses connaissances – par libido sciendi, par désir d’apprendre. Sans se leurrer l’un l’autre sur les dangers liés à l’exploitation de la science. »

Alexandre Moatti, Alterscience, postures, dogmes, idéologies, éd. Odile Jacob, 2013, p. 312.

Car lorsque « la Science » est mal utilisée, ce sont au contraire « les hommes » qui sont seuls responsables. En conséquence de quoi, critiquer la science sous prétexte qu’elle engendre des nuisances, contribue à renforcer les puissances de domination et d’aliénation, c’est se tromper de cible, c’est être « antiscience » ou, pour reprendre le concept récemment lancé par Alexandre Moatti, ce polytechnicien qui se revendique scientiste, tomber dans l’« alterscience ».

« Est-ce une science simple catégorie platonicienne, une Science par trop idéalisée, sans aucun rapport avec la réalité actuelle ? Peut-être. […] On pourrait parler de scientisme à propos de cette vision [idéalisée de la science]. Ce scientisme de bon aloi est-il un humanisme ? Oui. L’alterscience, non : elle est même un antihumaniste contemporain. »

Moatti, op. cit., p. 314.

Le scientisme constitue donc une religion de substitution : « la Science » devenant une sorte de divinité tutélaire de l’humanité… Pour ces scientistes, il est donc nécessaire de combattre partout les irrationalités, croyances ou idéologies qui font de l’ombre à cette divinité, soit parce qu’elles se substituent à la connaissance scientifique (religion, mysticisme, superstitions, etc.), soit parce qu’elles contestent la science elle-même (critique du darwinisme, etc.) ou ses applications (nucléaire, OGM, nanotechnologies etc.).

Dans ce dernier cas, la contestation des applications de la science, on assiste souvent à des manifestation de pure hystérie de la part des scientistes : que l’on se trompe sur le plan des croyances et des idées, passe encore, mais que l’on s’en prenne aux symboles mêmes de la réussite des sciences, cela relève du sacrilège, de la profanation des icônes et des lieux de culte…

Toute critique des doctrines scientifiques est identifiée par les scientistes à une « mauvaise compréhension » des théories scientifiques ; sous-entendu, quand on a compris ces théories, on les accepte bien volontiers. C’est une manière de disqualifier a priori la critique en la traitant de haut : « vous n’y comprenez rien, on va vous expliquer… ». Et de fait, le scientiste veut combattre l’erreur en répétant la vérité scientifique sur tous les tons, sans chercher à comprendre les arguments, les motivations et les ressorts psychologiques de ceux qu’il veut ainsi convertir à son culte.

Toute attaque contre les applications de la science est assimilée par les scientistes à de l’obscurantisme, à un refus irrationnel et irraisonné du progrès. De même, la critique des conséquences mortifère de l’utilisation de la science doit toujours rester raisonnable et modérée, sous peine d’être qualifié de violente ou même, de nos jours, de terroriste. Sous-entendu, un être raisonnable ne peut et ne doit qu’exprimer poliment ses doutes, ses craintes et ses inquiétudes, la violence ne peut être que le fait d’esprits dérangés et irrationnels.

Curieusement, cette indignation contre « la violence » – terme qui ici peut recouvrir énormément de choses anodines, comme prendre la parole en public sans y être invité ou perturber un « débat public » (comme en 2010 sur les nanotechnologies), etc. – est à sens unique : la violence des dirigeants qui imposent leurs décisions à l’aide de la police, de l’armée et des tribunaux (cf. les luttes anti-nucléaires, NoTAV, Notre-Dame des Landes ou encore le barrage de Sivens) non seulement ne rentre pas dans les motifs d’indignation, mais elle est bien souvent totalement occultée.

A suivre…

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Une réflexion sur “Le scientisme

  1. Bonjour,
    Je viens de découvrir et parcourir, en partie, ce blog que je trouve instructif sur ce sujet du scientisme qui ne m’est pas familier. De formation scientifique, je suis cependant gêné par une chose : n’est-il pas fait un amalgame entre la science, d’une part, qui est seulement une démarche consistant à essayer de comprendre ce qui nous entoure en employant des méthodes rigoureuses (d’ailleurs, ne se limite pas à la technique, puisque l’histoire, la médecine et les sciences sociales sont aussi des sciences) et, d’autre part, ce qu’on pourrait assimiler à un culte du progrès et de la technique ?
    La question serait alors plutôt celle de l’emploi des sciences. De l’éthique, des dangers de la technique et de l’utilisation detournée de notions scientifiques pour défendre des idéologies (politiques, sociétales, économiques) ou les faire appliquer. Et bien sûr, de cet écueil consistant à considérer que la rigueur scientifique suffirait à justifier la mise en œuvre d’applications techniques issues des sciences.

    Il me semble important de faire cette distinction, car beaucoup de démarches vertueuses t.q. l’éthique, l’esprit critique, le journalisme d’investigation (attention : pas la bouillie sensationaliste et course-à-l’audiance-tiste que nous servent les médias conventionnels actuels) sont des démarches voisines de la démarche scientifique. Elles forment, à mon sens, une grande famille d’outils indispensables pour aider les Hommes à faire « de leur mieux ». Sinon, sur quoi s’appuyer ?

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