Xavier Noulhianne est éleveur et a écrit Le Ménage des champs – Chroniques d’un éleveur du XXIe siècle, Éditions du bout de la ville, 2016. Nous avons souhaité l’interviewer car ce qu’il documente, depuis sa propre expérience, des conditions de la production alimentaire aujourd’hui, décrit un système à proprement parler totalitaire (dont la formule « il n’y a qu’un seul éleveur en France : l’État », rend spectaculairement compte). Ses propos ne peuvent que nous interroger sur le territoire perdu en matière de maîtrise et d’autonomie, et sur la tâche à mener désormais pour reprendre possession, politiquement et matériellement, de ce rapport à l’alimentation, des conditions de sa production et des modalités de sa consommation.Lire la suite »
Étiquette : industrie
Radio: Aurore Stephant, Ruée minière au XXIe siècle, 2022
Aurore Stephant ingénieure et géologue minier, spécialiste des activités minières et de leurs impacts humains, sanitaires, sociaux et environnementaux, membre de l’association SystExt (Systèmes extractifs et Environnements), donne une conférence sur le thème « Ruée minière au XXIe siècle : jusqu’où les limites seront-elles repoussées ? ».
Le monde fait face à une demande croissante en ressources minérales dans tous les secteurs, en particulier ceux de la construction, du transport, de la défense, de l’approvisionnement en énergie ou encore des technologies de l’information et de la communication. Si la mine a servi toutes les révolutions industrielles, il est désormais attendu qu’elle soit plus que jamais sollicitée pour l’avènement de la Révolution 4.0, celle de la « dématérialisation », des énergies « propres » et des technologies « vertes ». Ce modèle de développement repose sur l’intensification de l’industrie minière, qui est l’une des activités les plus prédatrices et dangereuses. Le secteur est ainsi le plus important producteur industriel de déchets solides, liquides et gazeux, ou encore responsable du plus grand nombre de conflits socio-environnementaux. Dans un contexte de diminution des teneurs et de raréfaction des gisements facilement exploitables, il en résulte une augmentation exponentielle de la consommation d’eau et d’énergie, ainsi que des impacts environnementaux et sociaux. Jusqu’où toutes ces limites seront-elles repoussées pour répondre à une consommation de métaux démesurée ?
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Racine de moins un
Une émission
de critique des sciences, des technologies
et de la société industrielle.
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Émission Racine de Moins Un n°83,
diffusée sur Radio Zinzine en février 2023. Lire la suite »
F. Jarrige & T. Le Roux, Pollutions industrielles, 2022
Histoire d’une contamination globale
La généralisation croissante des pollutions à l’échelle globale a contribué à imposer l’urgence des transitions dans le débat contemporain. C’est pour lutter contre leur expansion que s’impose la nécessité d’engager des actions et des politiques pour réduire les émissions toxiques dans l’air, les sols ou les eaux. Depuis les années 1970, la pollution est en effet devenue une catégorie d’analyse et d’action fondamentale des sociétés contemporaines, au moment où l’écologie politique s’est affirmée dans le champ intellectuel et médiatique. Depuis cinquante ans, les pollutions sont l’un des principaux moyens par lesquels la question écologique s’invite dans les médias : le sujet occupe une part importante des alertes à destination du public, il symbolise les impasses et dégradations environnementales du modèle industriel dominant [1]. Lire la suite »
Sébastien Dutreuil, James Lovelock, Gaïa et la pollution, 2017
L’hypothèse Gaïa a été élaborée par James Lovelock dans les années 1960, et en collaboration avec Lynn Margulis dans les années 1970. En multipliant très tôt les genres de publication – articles de revues scientifiques prestigieuses comme Nature, livres à destination du grand public et des scientifiques, presse généraliste, revues d’écologie politique – et en mêlant différents registres discursifs dans chacune de ces publications – Gaïa étant tantôt abordée comme un programme de recherche scientifique tantôt comme une philosophie de la nature –, Lovelock a contribué à singulièrement brouiller les repères sur le statut de Gaïa. Tandis que certains scientifiques l’ont considérée tantôt comme une hypothèse qu’il faudrait confronter directement aux faits empiriques, tantôt comme une théorie qu’il s’agirait d’élaborer à l’aide de modèles mathématiques et computationnels, d’autres ont abordé Gaïa comme un programme de recherche très large comprenant des revendications méthodologiques et ontologiques pour les sciences de la Terre et de l’environnement. Les philosophes et acteurs des mouvements environnementalistes l’ont lue comme une philosophie de la nature, visant à nous dire ce dont le monde est fait, à reconfigurer des concepts centraux comme ceux de vie, de nature et d’environnement, et à offrir une conception de la nature alternative à celle de la modernité. Lire la suite »
Bertrand Louart, James Lovelock et l’hypothèse Gaïa, 2002
L’hypothèse Gaïa aurait été l’occasion d’un renouvellement de la méthode scientifique et d’une réflexion plus unitaire pour l’écologie politique. Mais James Lovelock (1919-2022), avec sa vision étroitement cybernétique de la vie, l’utilise au contraire pour promouvoir les intérêts du despotisme industriel.
« Il est d’ailleurs impossible de prévoir, dès maintenant, tous les emplois bienfaisants de l’énergie atomique. Le biologiste Julian Huxley proposait, l’autre jour à New York, le bombardement de la banquise arctique. L’énorme chaleur dégagée ferait fondre les glaces et le climat de l’hémisphère Nord s’en trouverait adouci. Frédéric Joliot-Curie pense que d’autres bombes atomiques, non moins pacifiques, pourraient être utilisées pour modifier les conditions météorologiques, pour créer des nuages, pour faire pleuvoir. Cela se traduirait par une amélioration du rendement agricole et du rendement hydroélectrique. Que le monde fasse confiance aux physiciens, l’ère atomique commence seulement. » [1]
Le Monde, 20 décembre 1945.
« Et lorsque la Terre sera usée,
l’Humanité déménagera dans les étoiles ! »Flaubert, Bouvard et Pécuchet, 1880.
Nota Bene : Nous nous référons dans ce qui suit aux trois ouvrages de James Lovelock traduits en français :
- La Terre est un être vivant, l’hypothèse Gaïa, 1979 ; éd. Flammarion, coll. Champs, 1993 ;
- Les âges de Gaïa, 1988 ; éd. Odile Jacob, coll. Opus, 1997 ;
- Gaïa. Une médecine pour la planète, 1991 ; éd. Sang de la Terre, 2001 ;
- La revanche de Gaïa, pourquoi la Terre riposte-t-elle ?, 2006 ; éd. Flammarion, coll. Nouvelle Bibliothèque Scientifique, 2007. [non commenté dans cet article]
Ils seront désignés respectivement dans la suite par les abréviations Hypothèse, Âges et Médecine.
Le scientifique britannique James Lovelock (26 juillet 1919 – 26 juillet 2022) a formulé l’hypothèse Gaïa, selon laquelle la biosphère serait un être vivant à part entière, en travaillant pour la NASA sur le programme des sondes martiennes Viking vers la fin des années 1960. Son travail consistait à réfléchir aux moyens qui permettraient à la sonde, une fois sur Mars, de détecter la présence d’êtres vivants, notamment des micro-organismes.
Ses recherches l’ont amené, avant même que les sondes aient quitté la Terre, à conclure à l’absence de vie sur Mars, simplement en comparant les atmosphères de ces deux planètes [2]. En effet, l’atmosphère martienne est en équilibre chimique : aucune réaction ne peut s’y produire spontanément, le dioxyde de carbone (CO2) est le gaz dominant (97%). Tandis que sur Terre, l’atmosphère est en déséquilibre chimique notable : les gaz très réactifs comme l’azote (N2) et l’oxygène (O2) en sont les principaux constituants (respectivement 79% et 21%). C’est donc que sur Terre il y a « quelque chose » qui produit et maintient ce déséquilibre – qui permet toutes sortes de réactions chimiques –, alors que sur Mars il n’y a rien qui empêche l’atmosphère d’atteindre un équilibre où plus aucune réaction n’est possible. Lire la suite »
Frédéric Bastiat, Pétition concernant l’éclairage, 1845
Pétition
des fabricants de chandelles, bougies, lampes, chandeliers, réverbères, mouchettes, éteignoirs, et des producteurs de suif, huile, résine, alcool, et généralement de tout ce qui concerne l’éclairage.
À MM. les Membres de la Chambre des Députés.
Messieurs,
Vous êtes dans la bonne voie. Vous repoussez les théories abstraites ; l’abondance, le bon marché vous touchent peu. Vous vous préoccupez surtout du sort du producteur. Vous le voulez affranchir de la concurrence extérieure, en un mot, vous voulez réserver le marché national au travail national.
Nous venons vous offrir une admirable occasion d’appliquer votre… comment dirons-nous ? votre théorie ? non, rien n’est plus trompeur que la théorie ; votre doctrine ? votre système ? votre principe ? mais vous n’aimez pas les doctrines, vous avez horreur des systèmes, et, quant aux principes, vous déclarez qu’il n’y en a pas en économie sociale ; nous dirons donc votre pratique, votre pratique sans théorie et sans principe. Lire la suite »
Low-Tech Magazine, L’Économie circulaire est-elle vraiment circulaire ?, 2018
Tant que nous continuerons à accumuler des matières premières, la fermeture du cycle de l’économie restera une illusion, même pour les matériaux qui sont, en principe, recyclables.
L’économie circulaire est la nouvelle expression magique des partisans du développement durable. Elle promet l’idéal d’une croissance économique sans destruction ni déchets. Cependant, ce concept ne se concentre que sur une infime part des ressources utilisées et ne prend pas en compte les lois de la thermodynamique. Lire la suite »
Aurélien Berlan, Réécrire l’histoire, neutraliser l’écologie politique, 2020
A propos d’Abondance et liberté
de Pierre Charbonnier
Où va l’écologie politique ? Derrière sa renaissance actuelle, que reste-t-il d’une tradition de pensées et d’actions qui s’est affirmée, dès ses débuts, comme une immense mise en question de l’héritage de la modernité ? La publication du livre Abondance et liberté de Pierre Charbonnier est l’occasion de tirer un premier bilan de cet héritage et d’exposer de francs désaccords.
– Mais « gloire » ne signifie pas « un bel argument pour te clouer le bec », objecta Alice.
– Moi, quand j’emploie un mot, dit Humpty Dumpty avec dédain, il signifie ce que je veux qu’il signifie, ni plus ni moins.
– La question est de savoir si l’on peut faire que les mots signifient autant de choses différentes, dit Alice.
– La question est de savoir qui est le maître, répondit Humpty Dumpty, un point c’est tout.Lewis Carroll, De l’autre côté du miroir.
Dans un contexte où, comme nos sociétés et la biosphère, le sens de la liberté censée être au cœur de la modernité est entré en crise [1], la parution d’Abondance et liberté de Pierre Charbonnier semblait être une bonne nouvelle. Vu son ampleur (460 pages), on pouvait espérer une enquête historique fouillée sur les rapports entre l’abondance et la liberté dans la pensée moderne, ainsi qu’une réflexion philosophique à la hauteur de la situation présente. Comment est apparue la focalisation moderne sur « l’abondance » et que faut-il entendre par là ? Quels biais a-t-elle introduits dans l’idéal de liberté et comment ont-ils contribué à nous enfermer dans l’impasse actuelle ? En quel sens entendre cette « autonomie » que tant de contestataires, notamment écologistes, opposent à la conception individuelle et libérale de la liberté qui a contribué à faire le lit de nos « sociétés d’abondance » ? Lire la suite »
Philippe Simonnot, Les Nucléocrates, 1978
Connaissez-vous PEON ?
Non, ce n’est pas un haut fonctionnaire ni un P.-D.G., bien qu’il soit de l’une et de l’autre espèce. C’est la commission pour la production d’énergie d’origine nucléaire, le lieu où depuis vingt ans, à peu près secrètement, s’est élaborée la politique nucléaire de la France. Françoise Giroud s’est taillé un beau succès de librairie en révélant aux braves gens qu’il ne se passe rien au conseil des ministres. Où donc est le pouvoir ? Certains, comme P. Birnbaum, tracent les contours, plus étroits qu’on ne pense, du milieu où il se trouve. Mais la question demeure : où et comment les grandes décisions qui affectent notre avenir se prennent-elles ? Le livre de Philippe Simonnot est plus passionnant que celui de Françoise Giroud, car il est plus excitant de découvrir où se trouve le pouvoir que de révéler où il n’est pas. Lire la suite »
William Morris, L’âge de l’ersatz, 1894
De même que l’on nomme certaines périodes de l’histoire l’âge de la connaissance, l’âge de la chevalerie, l’âge de la foi, etc., ainsi pourrais-je baptiser notre époque « l’âge de l’ersatz ». En d’autres temps, lorsque quelque chose leur était inaccessible, les gens s’en passaient et ne souffraient pas d’une frustration, ni même n’étaient conscients d’un manque quelconque. Aujourd’hui en revanche, l’abondance d’informations est telle que nous connaissons l’existence de toutes sortes d’objets qu’il nous faudrait mais que nous ne pouvons posséder et donc, peu disposés à en être purement et simplement privés, nous en acquérons l’ersatz. L’omniprésence des ersatz et, je le crains, le fait de s’en accommoder forment l’essence de ce que nous appelons civilisation.
Je vais maintenant passer en revue un certain nombre d’ersatz, afin d’examiner ce qu’ils contiennent de funeste ou de bon, et quel genre d’espoir ils autorisent. Je suis venu aujourd’hui, je ne vous le cache pas, pour critiquer un état de fait ; mais le dénonce sans chercher à le redresser serait, à mon sens, une vaine entreprise. Lire la suite »