Adrien D., La déshumanisation de l’école, 2022

L’école se vide de son humanité et s’industrialise

L’école du futur en 1900

Au lycée, alors que le nombre d’enseignants diminue [1], le taux d’équipement technologique n’arrête pas de grimper. On manque de plus en plus de personnel d’encadrement : surveillants, infirmières scolaires [2], alors que les établissements restent bondés, le tout sur fond de crise sanitaire. Les problèmes de gestion, d’orientation, d’enseignement s’accumulent donc et une seule solution semble s’imposer d’elle-même : plus de technologie et plus d’applications informatiques [3] pour aider les directions d’établissement et les enseignants dans leurs missions. Cette industrialisation de l’école qui s’accompagne forcément d’une déshumanisation ne date pas d’hier, elle prend sa source aux origines mêmes de l’institution, mais elle connaît une accélération récente au niveau mondial depuis l’avènement du numérique. Lire la suite »

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Adrien D., De la difficulté d’élever des enfants en milieu industriel, 2022

Nous ne jouons pas à armes égales. Lorsqu’on décide d’éveiller les consciences au respect de l’environnement et du vivant, d’alerter sur les désastres présents, passés et futurs, le combat est trop souvent inégal face aux appels à la consommation technophile d’un monde sirénique [1], d’un monde industriel racoleur qui pousse dès l’enfance à l’admiration de gadgets écocidaires fabriqués en masse.

Nous ne pouvons en vouloir aux jeunes esprits qui ne peuvent pas toujours imaginer les conséquences de leurs pratiques et de ces outils, de ces machines qu’ils admirent tant. Ils sont souvent incapables de faire preuve de raison ou d’éthique à leur âge. Certains resteront d’ailleurs bloqués à ce stade toute leur vie et nous pouvons les comprendre car c’est la meilleure attitude pour être performant et compétitif dans la guerre économique du tous contre tous. On appelle parfois cela l’adulescent quand il garde un esprit un peu enfantin, mais c’est tout simplement l’adulte du XXIe siècle. Lire la suite »

Collectif de l’Appel de Beauchastel, Sous les masques, un nouveau pas dans l’école du désastre, 2021

Une journée d’école en 2021.

Élève de CP, je revêts mon masque une dizaine de mètres avant la grille de l’école. Parents, instituteurs, directeurs le portent aussi. Plus tard, après l’avoir partiellement ôté plusieurs fois, penché sur ma feuille en classe, je devrai demeurer parqué dans ma zone dédiée dans la cour, avant de manger au garde-à-vous. Même pas l’occasion de respirer. Collégien, j’ai déjà préparé mon masque dans la rue. Me tenant à la barre du bus, je toucherai ensuite mon masque, l’ôterai à moitié, histoire de jouer aux grands, de faire la bise à mes camarades, ou autres découvertes de mon âge. A la fin de la journée, j’aurai sans doute mal à la tête et mon accessoire de survie sera en mauvais état, mais il paraît que c’est ce qu’il faut faire. Lycéen et interne, je suis tenu de porter le masque en continu. J’oublierai d’en changer toutes les quatre heures. Plusieurs fois, je serai près d’enlever ce bâillon, moi qui suis, comme le savent ceux qui s’intéressent aux apprentissages du corps, traversé par des émotions contradictoires qu’il me faut apprendre à maîtriser par ma respiration. Comme tous mes camarades, j’attendrai d’être agglutiné à la cantine pour respirer en ingérant. De retour dans ma chambre, ma tête sera lourde, mais au moins aurai-je respecté les protocoles. Sinon pour moi, du moins pour les autres. Lire la suite »

Groupe Grothendieck, Pour la création de collectifs autonomes universitaires, 2021

Appel aux étudiants et professeurs

 

« Amis ! Quittez au plus vite ce monde condamné à la destruction. Quittez ces universités, ces académies, ces écoles dont on vous chasse maintenant, et dans lesquelles on n’a jamais cherché qu’à vous séparer du peuple. Allez dans le peuple. Là doit être votre carrière, votre vie, votre science. […] Et rappelez-vous bien, frères, que la jeunesse lettrée ne doit être ni le maître, ni le protecteur, ni le bienfaiteur, ni le dictateur du peuple, mais seulement l’accoucheur de son émancipation spontanée, l’unisseur et l’organisateur des efforts et de toutes les forces populaires. Ne vous souciez pas en ce moment de la science au nom de laquelle on voudrait vous lier, vous châtier. Cette science officielle doit périr avec le monde qu’elle exprime et qu’elle sert ; et à sa place, une science nouvelle, rationnelle et vivante, surgira, après la victoire du peuple, des profondeurs mêmes de la vie populaire déchaînée. »

Mikhaïl Bakounine, « Quelques paroles à mes jeunes frères en Russie » (mai 1869, in : Le socialisme libertaire, Denoël, 1972, pp. 210-211).

 

« Survivre, mouvement ouvert à tous, se veut un instrument pour la lutte en commun des scientifiques avec les masses, pour notre survie […] Il semble que Survivre soit le premier effort systématique fait pour rapprocher, dans un combat commun, les scientifiques des couches les plus variées de la population. »

Marc Atteia, Alexandre Grothendieck, Daniel Lautié, Jérôme Manuceau, Michel Mendès-France et Patrick Wucher, extrait de « Pourquoi encore un autre mouvement », in : Survivre, n°2/3 septembre-octobre 1970.

 

CONSIDÉRANT l’hégémonie prise par la techno-science dans l’ensemble de la société industrielle dans les domaines du savoir/pouvoir et sa fâcheuse tendance à développer des applications technologiques mortifères (modification du vivant, nanotechnologies, ville intelligente, smart-bidule, nucléaire, etc.) et des dispositifs politiques de contrôle/contrainte (reconnaissances faciales, drones, fichage généralisé, etc.).

CONSIDÉRANT que c’est au sein de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche (ESR), dans les universités, les écoles d’ingénieurs, les instituts de recherche comme le CEA et le CNRS, qu’est née et se développe actuellement cette techno-science. Lire la suite »

Il n’y a pas de «continuité pédagogique»: éteignez les tablettes!, 2020

Confinement oblige, l’Éducation nationale invite à la « continuité pédagogique », possible grâce au numérique. Or, selon les auteurs de cette tribune, « la pédagogie virtuelle n’existe pas », et « seuls les élèves éveillés, enfermés avec des parents désœuvrés au fort niveau d’études vont bénéficier d’une pédagogie efficace : l’instruction en famille ».

 

Alors que le pays se claquemure et bascule dans la vie virtuelle, l’Éducation nationale invite à la « continuité pédagogique ». En clair, comme dans tous les secteurs, accélération de la numérisation : plateformes, tablettes, webcams, classe virtuelle, espaces numériques de travail, WhatsApp, Pearltrees, etc.

Cela dans un contexte où vont simultanément augmenter l’isolement et la promiscuité, où ont toutes les chances de se multiplier incompréhensions, conflits, angoisses et dépressions. Lire la suite »

Renaud Garcia, Le Sens des limites, contre l’abstraction capitaliste, 2018

« Le divin que communique à la matière la perception sensuelle de la vie, au lieu de l’employer à chercher le goût des choses, nous l’utilisons à en expliquer les raisons. Quand précisément la raison des choses est leur goût. »

Jean Giono, Le Poids du ciel

« Je préférerais échanger des idées avec les oiseaux qui peuplent notre planète plutôt que d’apprendre à entretenir des communications intergalactiques avec quelque obscure race d’humanoïdes habitant un astre satellite du système de Bételgeuse. Les bœufs d’abord, la charrue ensuite. »

Edward Abbey, Désert solitaire

Professeur de philosophie au lycée, me voici devant une classe, présent aux adolescents de dix-sept, dix-huit ou dix-neuf ans qui me font face. À cette heure, la lumière du matin hivernal réchauffe difficilement les élèves, dont les mimiques paraissent surjouer un état de glaciation imminente. Nous en rions ensemble, avant que je ne ressente à mon tour la froideur de la salle, due au dysfonctionnement d’un radiateur. Je comprends tout de suite mieux leur air transi. Les conditions climatiques, l’heure précoce du cours, la recherche déçue d’une source de chaleur dans la salle de classe : tout cela confère une tonalité affective particulière à ce premier contact de la journée, que l’on pourrait considérer pourtant, de l’extérieur, comme tout à fait routinier. Le cours débute. Pour effectuer mon travail académique, il me serait possible de débiter un contenu théorique, en position assise, sans quitter ma table. Mais je préfère me tenir debout et bouger, je retrouve dans cette posture mon « assiette » naturelle, située dans un lieu familier. Alors, tout en parlant et guidant la leçon, je saisis, par une compréhension toute corporelle, la fatigue qui se lit sur le visage de cette élève lorgnant en direction de la fenêtre, l’incompréhension d’un autre qui me porte immédiatement à clarifier un point ou à suspendre le cours d’une démonstration par une question adressée à la collectivité. Plus tard, un enjeu théorique suscite des interventions dans l’auditoire, des controverses. L’atmosphère ouatée du début disparaît progressivement, les énergies intellectuelles se réveillent et les élèves prennent en charge une discussion férocement indisciplinée. Il y a du bruit, objectivement. Or, une classe où il y a du bruit, n’est-ce pas le signe d’un manque de cadre, et d’un échec de l’enseignant à transmettre le contenu du cours dans des conditions optimales pour tous ? C’est parfois vrai, et il s’agit en tout cas d’une représentation académique bien partagée. Pourtant, ce bruit-ci, qui monte à cet instant-là, dans cette classe-là, à partir de désaccords adolescents indissolublement théoriques et personnels, ce bruit, donc, je le perçois affectivement comme du «bon» bruit. Le critère est net : cette agitation progressive, au lieu de faire obstacle à mon activité, est le signe d’une vitalité qui l’exalte et l’exhausse. Fi des prescriptions : j’interviens peu, recadre simplement dans les limites du tolérable. Dès lors, je sais qu’avec une telle classe, dans laquelle alternent moments de calme et phases d’intensité intellectuelle, je serai en mesure, autant que possible, de bien travailler. Ces élèves eux-mêmes, en dépit peut-être de toutes leurs autres difficultés, conforteront mon enthousiasme à faire de mon mieux, ce qui ne pourra qu’être satisfaisant pour eux. Lire la suite »

Biagini, Cailleaux et Jarrige, Critiques de l’école numérique, 2019

Nos vies sont totalement bouleversées par un déferlement numérique qui fascine et terrifie à la fois. Au nom de la modernité et d’un progrès qui ne sauraient être arrêtés, nos subjectivités, nos relations sociales, nos expériences du monde… mutent à un rythme accéléré. Et, sur tous les continents, des plans numériques pour l’éducation sont adoptés à marche forcée. Plus encore peut-être qu’ailleurs, les promesses prolifèrent dans le domaine de l’enseignement. Des structures, des technologies, des langages nouveaux s’inventent pour intégrer les impératifs numériques dans le système éducatif-devenu un formidable terrain d’expérimentation de la numérisation du monde. Lire la suite »

Groupe Oblomoff, Le Monde en pièces, vol. 1, 2012

Les éditions La Lenteur ont publié Le Monde en pièces, pour une critique de la gestion, volume 1: Quantifier. Ci-dessous une brève présentation.

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Avant-propos

À l’automne 2009, un séminaire intitulé “Critique de la gestion” démarre dans les locaux d’un site anonyme du CNRS. Chaque séance se déroule sur la base d’un ou deux exposés, dont la, le ou les auteurs fournissent sur-le-champ un résumé sur papier aux participants.

Les textes ici rassemblés sont issus des exposés présentés au cours de la première année, consacrée au thème de la quantification.

La deuxième année du séminaire (2010-2011) a été consacrée à l’informatisation, la troisième (2011-2012) à la certification. Deux autres ouvrages devraient suivre sur le modèle de celui-ci.

L’introduction est signée Oblomoff, un groupuscule obscur dont l’influence réelle – l’habile noyautage de ce séminaire par exemple – est sans commune mesure avec le nombre réduit de ses membres, sélectionnés à l’issue d’un rite mystérieux au sujet duquel peu d’informations ont filtré. Lire la suite »

Hans Magnus Enzensberger, L’industrie culturelle, 1965

Chacun, fût-il l’être le moins indépendant, se flatte d’être souverain dans le domaine de sa conscience. Depuis qu’il n’est plus question que de l’âme, qu’on fasse appel au confesseur ou au psychanalyste, la conscience passe pour le dernier refuge que le sujet, devant un monde catastrophique, cherche et croit trouver en lui- même, comme si c’était une citadelle capable de résister à un siège quotidien. Même dans les pires conditions, celles du pouvoir totalitaire, nul ne veut s’avouer à lui-même qu’il y a peut-être longtemps déjà que la citadelle est tombée [1]. Nulle illusion n’est plus tenace, tant est vaste et profonde l’influence de la philosophie, même sur ses détracteurs. Car la fausse croyance que l’individu, faute de l’être ailleurs, peut rester le maître dans sa propre conscience est le produit d’une philosophie qui n’a cessé de dégénérer de Descartes à Husserl, une philosophie essentiellement bourgeoise, un idéalisme en pantoufles, ramené à la mesure du particulier. Lire la suite »

Bertrand Louart, Écran Total à Lyon, 2014

Durant le week-end du 31 janvier au 2 février 2014, s’est tenue à Lyon la seconde rencontre Ecran Total qui rassemble un certain nombre d’individus et de collectifs opposés à l’informatisation et aux techniques de gestion dans leur domaine professionnel ou leur vie quotidienne.

Lors de la première réunion publique qui s’est tenue à Montreuil en octobre 2013 1, on a ainsi vu témoigner des assistantes sociales refusant de faire remonter les statistiques qu’on exige d’elles ; des éleveurs écrasés par les contraintes administratives qui ne veulent pas épingler leurs troupeaux de puces électroniques ; des enseignants opposés à l’équipement à marche forcée des écoles en ordinateurs, tablettes, tableaux interactifs, etc. ; des travailleurs de la chaîne du livre soumis à la concurrence des robots et des supermarchés. Les participants à ces rencontres ont décidé de se revoir pour discuter plus précisément de la nature des bouleversements qu’ils vivent et de ce qu’il convient de faire pour s’y opposer, et prêter main forte à ceux qui subissent déjà des sanctions pour leur refus d’y participer.Lire la suite »