José Ardillo, Pour une écologie libertaire sans compte à rebours, 2020

Aventures et mésaventures de l’effondrement

Commençons par un petit exercice de spéculation historique. Projetons-nous au siècle passé, au début des années 1970. À cette époque la population mondiale avoisinait les quatre milliards, l’urgence écologique était devenue un fait officiel dans tout le monde civilisé, notamment à la suite du célèbre Jour de la Terre [1] et des premiers rapports écologiques concernant la soutenabilité, avec également les livres de Barry Commoner ou de Paul Erlich, entre autres. Il relevait alors du lieu commun d’affirmer que l’humanité entrerait en crise aux alentours de l’an 2000, une date qui à seulement trente ans d’écart apparaissait comme une limite à la fois mythique et infranchissable. La science-fiction, au moyen du cinéma, des bandes dessinées et de la littérature, alimentait cette inquiétude au sujet d’un désastre qui semblait imminent. Souvenons-nous que l’opinion publique occidentale était agitée par la guerre du Vietnam, les conflits sanglants sur le territoire dudit « Tiers Monde », les tensions avec les pays arabes, etc. Au sein d’un tel panorama, la menace environnementale et son cortège funeste de pollutions venaient compléter un tableau apocalyptique qui, aux yeux de beaucoup de gens, était amené à constituer le futur de la société industrielle. Lire la suite »

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David Watson, Bientôt tout cela ne sera plus que ruines pittoresques, 2020

Lettre à des amis français sur le passage d’un très grand nombre de personnes à travers une assez courte unité de temps

« Pouvons-nous compter sur le fait qu’un “revirement” soit accompli par suffisamment de monde en un temps suffisamment bref pour sauver le monde moderne ? On pose souvent cette question, mais peu importe la réponse, elle sera trompeuse. Répondre “oui” pourrait conduire à la complaisance, répondre “non”, au désespoir. Ce qui est désirable, c’est laisser ces perplexités de côté et se mettre au travail. »

— Ernst Friedrich Schumacher, A Guide for the Perplexed (1977)

À la veille de la destruction

Lorsque j’ai été invité à commenter la « collapsologie », c’était la première fois que j’entendais ce terme. À l’évidence, je n’aurais pas dû être surpris que la société de masse, dans sa tendance à une prolifération baroque, et le capitalisme, dans sa tendance à faire commerce de tout, aient exploité les angoisses diffuses face à l’effondrement social et l’éventualité de l’extinction de l’humanité pour donner de la matière à une discipline académique, une mode éditoriale, des jérémiades sur Youtube, des formes expérimentales de retraite et des activités de consulting. Comme le chantait jadis Bob Dylan, « il semble que chacun a ces rêves-là » (Talkin’World War III Blues). Et puisque toute personne qui prend en charge le sujet des périls actuels pourrait être appelée un collapsologue, je dois en être un aussi. Lire la suite »

David Watson, “Soon To Be Picturesque Ruins!”, 2020

On the passage of a very large number of people through a brief bottleneck in time

Recently I was invited to comment on “collapsology.” It was the first I had heard the term. I guess I shouldn’t have been surprised that mass society’s tendency to baroque proliferation, and capitalism’s tendency to turn everything into commerce, would leverage widespread anxieties about social collapse and even potential human extinction into fodder for an academic discipline, literary fashion, YouTube jeremiads, experiential retreats, and consulting businesses. “Seems / everybody’s having them dreams,” Dylan once put it. And since anyone who takes up the subject of the current peril could be called a collapsologue, I must be one, too. Lire la suite »

Jean-Baptiste Fressoz, Une histoire matérielle de la lumière, 2020

L’histoire chimique de la bougie fut l’un des grand succès de la carrière de Michael Faraday. Ses leçons de 1845 à la Royal Institution sont un chef d’œuvre de vulgarisation : l’objet le plus commun lui permettait d’aborder les états de la matière, la capillarité, l’attraction, la combustion, la respiration et bien d’autres choses encore. « Toutes les lois de l’univers » écrivait Faraday « se manifestent dans la combustion d’une bougie » [1]. On pourrait ajouter que nombre de phénomènes historiques s’y révèlent également.

Timbre commémoratif des 10 ans de Tchernobyl, Ukraine

La bougie éclaire beaucoup d’a priori sur les techniques que l’on considère importantes à une époque donnée [2]. Pour dix livres sur le gaz d’éclairage au début du XIXe siècle ou cent articles sur l’électricité au début du suivant, on n’en trouvera pas un seul traitant de la lampe à huile ou de la bougie aux mêmes époques [3]. C’est qu’entre temps ces dernières sont devenues l’emblème de la désuétude. Il y a peu, les écologistes étaient encore accusés de vouloir « retourner à l’époque de la bougie ». L’histoire de la lumière présentée dans ce chapitre est matérielle au sens où elle s’intéresse autant aux dispositifs qu’aux matières combustibles qui les alimentent. Il en ressort un tableau bien différent de celui brossé par les historiens de l’éclairage et de l’énergie où se succèdent dans un ordre classique la bougie et la lampe à huile, puis le gaz d’éclairage et enfin la modernité électrique. Lire la suite »

François Jarrige, Sabotage, un essai d’archéologie au XIXe siècle, 2020

Résumé

Si le sabotage émerge, s’étend et se théorise comme mode d’action à la fin du XIXe siècle, il renvoie cependant à des logiques plus anciennes qui n’ont cessé d’accompagner l’installation des sociétés industrielles, ses nouveaux équipements et ses infrastructures. Dans ce bref essai, il s’agit d’explorer certains traits de ce répertoire d’actions protestataires en examinant brièvement la généalogie du sabotage et des actions destructrices au XIXe siècle, révélant par là la diversité de ses formes et l’ingéniosité des groupes subalternes. Le mot « sabotage » désigne une action qui vise à détériorer et mettre hors d’usage, de façon volontaire et plus ou moins clandestine, du matériel, des machines, des installations ou équipements, afin de désorganiser une activité productive ou sociale et faire pression sur les décideurs économiques et politiques. Mais le terme recouvre un ensemble d’actions très diverses qui varient selon les groupes et les périodes. Lire la suite »

Jérôme Baschet, Zapatiste (Rébellion), 2020

Un article de l’Encyclopédie anarchiste

L’autonomie zapatiste, qui se construit depuis le 1er janvier 1994 dans les montagnes et la forêt du Chiapas, au sud du Mexique, constitue l’une des expériences rebelles contemporaines les plus remarquables par son ampleur, sa persistance et sa radicalité. Elle a pu déployer une forme d’autogouvernement populaire, en sécession complète par rapport aux institutions de l’État mexicain, en même temps qu’elle défend des modes de vie constituant une alternative concrète à la logique capitaliste dominante. Elle est le fruit d’une histoire très singulière, mais son écho et sa portée n’en dépassent pas moins les frontières du Mexique. Lire la suite »

Celia Izoard, Cancer : L’art de ne pas regarder une épidémie, 2020

Comment se fait-il que, dans une société fondée sur le traitement de l’information et la collecte de données, il soit si difficile d’expliquer la multiplication effrénée de certains cancers ?

 

Voilà un fait étonnant : on ne sait pas combien de cancers surviennent en France chaque année. Ce chiffre n’existe pas, il n’a pas été produit. On ne sait pas exactement combien de cancers surviennent, on ne sait pas où ils surviennent. Quand Santé publique France, l’agence de veille sanitaire, annonce, par exemple, 346 000 cas de cancers pour l’année 2015, il s’agit d’une estimation réalisée à partir des registres des cancers, qui couvrent entre 19 et 22 départements selon le cancer étudié, soit 22 % de la population. le dernier bilan publié en 2019 précise :

« Cette méthodologie repose sur l’hypothèse que la zone géographique constituée par les registres est représentative de la France métropolitaine en termes d’incidence des cancers. » [1]

Pourtant, le Tarn, l’Hérault ou le Finistère, couverts par des registres, sont des départements relativement épargnés par l’urbanisation et l’industrie. En revanche, les cancers dans certaines des principales métropoles du pays, comme Paris, Marseille et Toulouse, ne sont pas décomptés. Et comme le montre une enquête de Viviane Thivent pour Le Monde, les départements les plus concernés par les sites Seveso ne sont pas non plus couverts par les registres : la Moselle (43 sites « Seveso seuil haut »), la Seine-Maritime (47), les Bouches-du-Rhône (44) [2]. Un complot ? Non. La simple démonstration du fait que connaître l’impact des pollutions urbaines et industrielles n’a pas figuré jusqu’ici au premier rang des préoccupations des épidémiologistes. Lire la suite »

François Jarrige, Sobriété énergétique, un nouvel oxymore ?, 2020

En consultation publique jusqu’au 19 février 2020, la Programmation pluriannuelle de l’énergie et la Stratégie nationale bas-carbone doivent fixer le cap énergétique de la France pour atteindre la neutralité carbone à l’horizon 2050. Pour y parvenir, on évoque depuis la loi de 2015 la sobriété énergétique, une expression qui risque fort de rejoindre la longue liste des oxymores (tels développement durable ou croissance verte) si on ne prend pas conscience collectivement de la nécessité d’une redéfinition profonde des modes de vie et du système capitaliste dominant. Lire la suite »

François Jarrige, Amish et lampes à huiles, 2020

Macron piégé par le technosolutionnisme

Dans un discours prononcé le 15 septembre 2020 devant les investisseurs de la French Tech, le président Macron a balayé la demande de moratoire sur le déploiement de la 5G, renvoyée au « modèle Amish » et au retour à la lampe à huile. Choisissant l’humour, les Amis de la Terre se sont renommés pour l’occasion les « Amish de la Terre » en organisant devant l’Élysée une manifestation éclairée à la bougie. Au-delà de l’anecdote quelque peu dérisoire alors que tant de drames et de catastrophes se jouent partout, l’évènement est pourtant révélateur du contexte intellectuel, social et politique dans lequel nous sommes et des impasses dans lesquels s’enferme le pouvoir en s’en remettant toujours plus entre les mains d’un technosolutionnisme hors-sol. Lire la suite »

Nicole Athea, Médicalisation de la vie reproductive des femmes, 2020

Quelques aspects

Le lien entre le corps et le politique se décline sous de nombreux aspects : l’un d’entre eux est celui de la médicalisation, qui est de plus en plus étendue et concerne aujourd’hui tous les aspects de la vie de chacun, y compris la plus intime. Derrière cette médicalisation, certains philosophes voient se cacher un ou des pouvoirs qui assurent leur domination par une normalisation préventive des individus, normalisation agissant par l’intériorisation d’une norme sociale que ces pouvoirs, pour l’essentiel, créent. Selon eux, cette évolution n’a cessé de croître avec l’accélération du développement technologique observé de façon générale dans notre société depuis les années 1950-1960, et qui a participé à étendre les champs de la médicalisation. Lire la suite »