Adolf Portmann, La forme animale, 1960

Chapitre de conclusion

 

Dans notre voyage au royaume des formes animales, nous voulons faire un dernier arrêt à l’une des frontières extrêmes de la vie animale et en même temps à la limite de ce qui est visible à l’œil nu. Nous sommes à la recherche de quelque chose de peu apparent : des animalcules mucilagineux vivant sur un support humide. Leurs masses plasmatiques ternes ont souvent été désignées autrefois sous le nom de myxomycètes et considérées comme des plantes, et c’est pourquoi leurs organes de reproduction étaient appelés des sporanges. Mais dès 1858, le botaniste De Bary les rangea dans le règne animal et cette opinion est largement reconnue aujourd’hui. Maintenant, nous les nommons à nouveau mycétozoaires et ils prennent place dans les traités de zoologie. Lire la suite »

Jacques Dewitte, Adolf Portmann et l’« apparence inadressée », 2001

Le grand biologiste suisse de langue allemande Adolf Portmann (1897-1982) est l’auteur d’une œuvre multiple et abondante dont l’originalité scientifique et philosophique est loin d’avoir été appréciée à sa juste mesure. On peut repérer deux champs principaux dans son œuvre théorique : une œuvre anthropologique portant sur l’ontogenèse humaine et la signification de la première année chez le petit d’homme (Biologische Fragmente zu einerLehre vom Menschen, 1944) [1] ; une œuvre morphologique, bien différente de ce que l’on entend généralement par ce terme, portant sur la forme animale (et accessoirement aussi végétale) comprise comme un mode de manifestation, voire d’expression de l’animal, comme un « apparaître » et une « autoprésentation » (Erscheinen et Selbstdarstellung sont les deux concepts principaux). L’ouvrage majeur dans ce domaine est La Forme animale (Die Tiergestalt, 1948) [2], mais il faut également tenir compte de nombreux articles complémentaires parus surtout dans le courant des années cinquante et soixante. À cela s’ajoute également un livre sur L’Animal comme être social (Das Tier als soziales Wesen), paru en 1953 [3], et assez proche de l’éthologie. Lire la suite »

Adolf Portmann, La vie et ses formes, 1968

L’Art d’aujourd’hui, explorant toujours plus avant le domaine de « l’abstrait », se détourne des formes familières de la vie. Le dessinateur, le peintre, le sculpteur – les hommes du regard en général – cherchent des voies nouvelles pour le libre jeu des lignes, des surfaces, des volumes et des couleurs, mais en refusant la Nature qu’il leur fallait auparavant, jusqu’au dégoût, prendre pour modèle.

Art et Savoir

Voici pourtant un livre d’art [Théo Jahn, La vie et ses formes, éd. Bordas, 1968] qui offre des images d’une présence extraordinaire sur le monde réel des formes vivantes. L’effet produit par ces documents correspond-il bien à leur clarté et à leur beauté ?

Sans vouloir porter un jugement trop général sur nos contemporains, il me faut pourtant avouer la déception que j’éprouve souvent devant l’indifférence avec laquelle beaucoup de gens accueillent aujourd’hui de telles merveilles. Comblés, gâtés par des réussites toujours plus grandes dans le domaine des images, sommes-nous encore capables de les apprécier autrement que de façon fugitive ?Lire la suite »

Adolf Portmann, Préface à une anthropologie, 1962

Au cours des dernières dizaines d’années, s’est développé un puissant rameau de la recherche biologique, qui se donne pour but de construire d’importantes hypothèses en vue d’exposer la nature de l’humain ; l’étude du comportement, qui s’est taillé un nouveau domaine entre ses sœurs souvent bien séparées, la morphologie et la physiologie, montre chez beaucoup de ses spécialistes également la volonté de cheminer vers une forme nouvelle de pensée sur l’organisme. Le « comportement » réunit en une nouvelle unité la structure et la fonction. Mais on peut dire aussi que, par un effet secondaire, il apparaît un accroissement de la séparation entre l’organisme et le milieu, car cette nouvelle unité de degré supérieur permet d’embrasser des phénomènes plus amples. Cette nouvelle recherche est susceptible aussi de vaincre l’isolement des individus et elle rend possible de concevoir l’être individuel dans son ordre surindividuel, à l’intérieur de la totalité de l’espèce.Lire la suite »

Adolf Portmann, Les bases biologiques d’un nouvel humanisme, 1951

Parler d’humanisme de nos jours ne signifie ni un nouvel accord sur l’idée de l’humanité ni une nouvelle floraison de l’idéal classique qui, il y a des siècles, lui a donné ce nom. Au contraire, ce mot humanisme, qui rappelle de grandes victoires de la pensée, doit prêter de nos jours la grandeur de son passé aux systèmes les plus contradictoires de la philosophie actuelle. Que ce soit la pensée chrétienne, celle de l’existentialisme ou celle du marxisme, elles empruntent toutes le même terme et se donnent souvent pour les vraies héritières de la lignée des humanismes.

Cette diversité des idées que les humains se font actuellement de l’Homme et de sa destinée est d’autant plus tragique qu’elle se manifeste à une époque où les groupements les plus variés se rencontrent et se heurtent, poussés par leur croissance en nombre aussi bien que par leur extension dans l’espace. La diversité se manifeste tant dans l’ordre économique que dans celui des idées ; elle est à la base des conflits et des problèmes de suprématie qui caractérisent notre époque. Plus encore, la division des idées concernant notre nature humaine sépare les hommes d’un même pays, d’une même famille, et ronge la conscience de l’individu qui devient le terrain de cette lutte.Lire la suite »

Roger Alfred Stamm, L’intériorité, dimension fondamentale de la vie, 1999

La question « qu’est-ce que la vie ? »

Supposons que soit posée la question « qu’est-ce que la vie ? ». Nous espérons trouver une réponse dans un manuel de biologie. Mais, voilà qu’à notre grande surprise nous constatons que le mot « vie » ne figure pas dans l’index. Manifestement, les auteurs ont estimé que celui qui veut savoir ce qu’est la vie n’a qu’à étudier tout le livre. La réponse viendra d’elle-même lorsqu’il se sera fait une idée complète des structures et fonctions qui constituent un organisme. C’est la raison pour laquelle on ne trouvera pas non plus, à la fin du livre, de synthèse rassemblant tout le contenu en une formule et donnant la réponse à notre question. Le scientifique n’en voit pas la nécessité.

A l’époque où j’ai fait mes études, et où j’ai eu Portmann comme professeur, la plupart des manuels contenaient, dans leur introduction, une liste des caractères de la vie. On trouvait par exemple :

« Êtres vivants (organismes) qui apparaissent toujours comme des individus, peuvent être distingués des choses inanimées sur base des propriétés typiques suivantes sur l’ensemble desquelles reposent les performances de la vie  : composition chimique particulière, formation à partir de cellules, métabolisme, excitabilité et performances psychiques, systèmes de régulation, hérédité, développement individuel, évolution. » [1]

C’est ce que nous appelons les systèmes fonctionnels.

Portmann critiquait cette manière de procéder. Celui qui n’envisage qu’une suite de fonctions particulières, disait-il, perd de vue le tout, alors que notre expérience immédiate de la vie est une rencontre avec un être vivant, plante, animal, être humain, dans sa manifestation immédiate, c’est-à-dire totale. Et c’est également en tant que totalité, en tant qu’individu (du latin in-dividuus = non-divisé) que l’organisme est en relation avec l’environnement. Tous les aspects particuliers qu’envisage le scientifique sont des parties, des fragments. On ne peut comprendre leur rôle qu’en les mettant en rapport avec le tout, car c’est seulement ainsi qu’ils sont réellement vivants et non pas en étant isolés sous la forme d’une préparation microscopique ou chimique.Lire la suite »

Roger Alfred Stamm, Une exploration «intégrative» de la vie, 2007

Le morphologiste Adolf Portmann (27 mai 1897-28 juin 1982) était un chercheur et un enseignant reconnu. Avec sa « biologie de la forme », et sa conception de l’être humain en tant qu’entité libre et culturelle, il œuvra contre la perte de l’intégrité du vivant. Vingt-cinq ans après sa mort, en cette époque de technologie génique, cela vaut la peine de se souvenir de lui. Roger Alfred Stamm – professeur émérite de l’université de Lunebourg et curateur des archives Portmann à l’Université de Bâle – donne ici un bref aperçu sur lui.

 

Adolf Portmann grandit à Bâle et enseigna, de 1926 à 1968, la zoologie à l’Université de cette ville, pendant plus de 35 ans comme professeur titulaire et directeur de l’Institut de Zoologie.

Parmi les zoologistes du XXe siècle, Adolf Portmann était sans conteste quelqu’un dont la recherche méritait tout particulièrement le qualificatif de « gœthéenne ». Portmann était morphologiste, et donc le représentant d’une spécialité aujourd’hui à peine soutenue, cependant fondamentale pour la connaissance des êtres vivants. L’évolution embryonnaire et celle du jeune animal étaient son point fort, et Portmann a découvert des choses essentielles sur les stades évolutifs des crabes, des escargots et des seiches, des oiseaux et des mammifères. Nous lui devons les aperçus décisifs sur la fonction des oiseaux et mammifères nidicoles et nidifuges, mais aussi une connaissance approfondie de l’évolution du cerveau chez ces groupes d’animaux.Lire la suite »

Adolf Portmann, La biologie et la conduite de notre vie, 1964

Parmi les multiples questions que pose la vie de demain à la biologie, j’ai choisi deux aspects très différents, complémentaires l’un de l’autre : l’un est doué d’un dynamisme révolutionnaire, l’autre se veut conservateur. Le premier concerne la manipulation de l’homme en vue de sa transformation ; le second, par contraste, posera le problème de la protection du type humain, tel que l’évolution naturelle l’a formé. Les deux questions sont liées au développement des sciences modernes, et l’urgence de nos réflexions augmente avec le dynamisme d’une biotechnique chaque jour plus puissante.Lire la suite »

Recension : A. Portmann, La forme animale, 1961

Adolf Portmann, La forme animale, Paris, Éditions La Bibliothèque, coll. « L’ombre animale », 2013, 294 p., Préface et nouvelle traduction de Jacques Dewitte, ISBN : 978-2-909688-64-0.

 

On ne peut que saluer la récente réédition de cet ouvrage essentiel du biologiste suisse Adolf Portmann. Initialement paru en 1948, puis réédité en 1961 sous une forme augmentée, La forme animale était devenu quasiment inaccessible depuis de nombreuses années. En en proposant une traduction rénovée, les éditions La bibliothèque offrent l’opportunité de (re)découvrir la pensée largement ignorée d’une figure atypique du monde scientifique du XXe siècle. La forme animale fait partie de ces ouvrages relativement peu connus, mais dont l’influence sur plusieurs penseurs en sciences humaines, et parmi les plus importants, est pourtant manifeste. Spécialiste de l’œuvre de Portmann auquel il a consacré de nombreux écrits [1], le philosophe et traducteur de l’ouvrage Jacques Dewitte rappelle dans la préface qu’aussi bien Maurice Merleau-Ponty, Hannah Arendt, Karl Jaspers que Hans Jonas ont ainsi été marqués par la pensée de Portmann. On ajoutera à cette liste le philosophe et sociologue québécois Michel Freitag, qui s’est lui aussi appuyé sur les écrits du biologiste suisse pour réviser notre conception moderne de la vie animale et, plus fondamentalement, de l’existence humaine [2].Lire la suite »