Retour sur la révolution industrielle

Couverture N&Mc 12Le n°12 de Notes & Morceaux choisis, bulletin critique des sciences, des technologies et de la société industrielle (éd. La Lenteur, 144 p., 12 euros) vient de paraître! Ci-dessous une brève présentation de cet ouvrage:

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Présentation de l’éditeur:

Dans les années qui suivent la bataille de Waterloo et l’effondrement de l’empire napoléonien (1815), l’Angleterre accueille de nouveau des voyageurs, après une longue période d’isolement. Ils découvrent à cette occasion les bouleversement accomplis en un quart de siècle: la révolution industrielle.

Se forme alors une doctrine qui célèbre l’organisation sociale fondée sur les stupéfiantes avancées technologiques de cette époque: l’industrialisme. Cette doctrine ne se confond pas avec le libéralisme – les saint-simoniens, ancêtres directs d’un certain socialisme, sont de fervents industrialistes. Au contraire, Sismondi, bien que favorable au libre échange, est anti-industrialiste.

Ainsi, l’industrialisme possède deux faces, l’une libérale, l’autre “organisatrice” (ou socialiste). Une ambivalence que le vaste courant antilibéral de ce début de XXIe siècle évite soigneusement de mentionner.

Extrait de l’éditorial:

Il est de bon ton, aujourd’hui, de fustiger le «libéralisme» et le «néo-libéralisme». Mais que recouvrent exactement ces termes?

Le dictionnaire nous donne deux sens principaux:

1. «Doctrine des libéraux, partisans de la liberté de conscience. Ensemble des doctrines qui tendent à garantir les libertés individuelles dans la société.»

Cette première définition provient des Lumières, de l’opposition aux régimes despotiques et à la domination de l’Église sur les esprits.

2. «Doctrine économique classique prônant la libre entreprise, la libre concurrence et le libre jeu des initiatives individuelles (opposé à étatisme, socialisme).»

Cette deuxième définition correspond à l’acception dominante du terme de nos jours: la défense de la «liberté du commerce et de l’industrie» contre toute intervention étatique et réglementaire.

Néanmoins, ces deux sens sont confondus dans la conception de l’individu moderne dont le comportement est orienté vers la poursuite égoïste de son seul intérêt matériel, de l’Homo œconomicus âpre au gain. Par exemple, pour des penseurs comme Jean-Claude Michéa, le sens premier du libéralisme aurait finalement, au bout de deux siècles d’«axiomatique libérale», consolidé et donné toute sa puissance au second.

C’est le mérite des Notes sur la naissance de l’industrialisme (1815-1830) de Nicolas Eyguesier, membre fondateur des éditions La Lenteur, que de restituer la complexité des débats entre libéraux et industrialistes qui ont accompagné la naissance du capitalisme industriel. Et notamment, les analyses et prises de positions libérales et anti-industrielles de Jean Charles Léonard Sismonde de Sismondi (1773-1842) qui tranchent avec l’enthousiasme débridé des uns pour le développement économique et industriel, et l’autoritarisme des autres qui veulent l’encadrer strictement pour éviter les crises et lui donner un visage humain (préfigurant par certains aspects le socialisme et le communisme autoritaires).

«J’attaquais ce qui, à leurs yeux, faisait la gloire de l’industrie.»

Sismondi dénonce le «parti industriel» comme un faux «parti libéral», car il reçoit en réalité le soutien et l’encouragement de l’État. La fameuse «liberté du commerce et de l’industrie» n’est en réalité que le masque des intérêts de la classe dominante, des exploiteurs, des accapareurs et des spéculateurs, contre les intérêts du peuple, des paysans et des artisans et autres professions libérales. Dans cette lutte des classes, la production de masse – ce que nous appelons aujourd’hui l’industrie – est devenue une nouvelle arme aux mains des puissants. Sismondi dénonce la fausse richesse qu’elle produit, car elle engendre une dépossession généralisée, et surtout parce qu’elle est un moyen pour des intérêts privés, à travers la nouvelle forme d’économie politique qu’elle engendre, de se soumettre l’activité de toute la société.

Cette confusion perdure aujourd’hui, alors que domine de manière de plus en plus évidente le «parti industriel» (au deuxième sens du mot libéralisme), tandis que le «parti libéral» (au premier sens du mot libéralisme) a quasiment disparu.

En effet, il est de notoriété publique que l’État intervient massivement pour faire tourner l’économie et moderniser l’industrie (1). Et cela au nom de la fiction de l’intérêt général, qui n’est que l’intérêt des classes dominantes et du système de production industriel en général – comme nous en avons l’illustration depuis plusieurs années avec les diverses Zones à Défendre (ZaD). On peut lire ce qu’il reste de libéral à la classe politique dans les propos de Manuel Valls le jeudi 19 novembre 2015 à l’Assemblée nationale pour défendre le projet de loi relatif à la prolongation de l’état d’urgence: «La sécurité est la première des libertés». Et d’ajouter: «C’est pourquoi d’autres libertés pourront être limitées».

Sismondi a particulièrement bien saisi la logique propre du système capitaliste et ses tendances à long terme. À propos de l’Angleterre et de sa nouvelle économie politique, il s’écrie:

«Quoi donc! La richesse est tout, les hommes ne sont absolument rien? […] En vérité, il ne reste plus à désirer que le roi, demeuré tout seul dans l’île, en tournant constamment une manivelle, fasse accomplir, par des automates, tout l’ouvrage de l’Angleterre.» (Sismondi, 1819)

Nous y sommes presque (2), bien qu’il y ait – ailleurs et loin des regards des techno-progressistes enthousiastes – encore besoin de «biorobots» dans des usines pour assembler les automates (3).


Au sommaire :

Éditorial

par Bertrand Louart

Notes

Notes sur la naissance de l’industrialisme, 1815-1830

par Nicolas Eyguesier

Morceaux choisis

Notice sur l’application de la machine à vapeur (1818)

Par Marc-Auguste Pictet

Terrible explosion d’une machine à vapeur

Par Anonyme

De l’organisation économique de la société humaine (1838)

Par Sismondi

De l’autorité (1874)

Par F. Engels

La question des machines et la formation de l’économie politique (1980)

Par Maxine Berg

Liste complète des numéros parus

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Notes:

1. Et cela dès les débuts de l’industrialisation, notamment pour contenir la contestation des nuisances industrielles, voir à ce sujet Jean-Baptiste Fressoz, L’Apocalypse joyeuse, une histoire du risque technologique, Le Seuil, 2012.

2. Voir la Revue itinérante d’enquête et de critique sociale Z n°9 – «Toulouse», 2015, qui consacre de nombreux articles aux «technopoles radieuses» et au développement de l’automatisation.

3. Voir Yang, Jenny Chang, Xu Lizhi, La machine est ton seigneur et maître, analyses, enquêtes et témoignages sur la vie des ouvriers des usines chinoises de Foxconn, qui la perdent à fabriquer iPhone, Kindle et autres PlayStation pour Amazon, Apple, Google, Microsoft, Nokia, Sonny, etc., Agone, 2015.

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