Fabien Locher, Les pâturages de la Guerre froide, 2013

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Dossier La Tragédie des Communaux

Pour toute une famille de pensée, le peuple est incapable de gérer collectivement une ressource naturelle sans la surexploiter. Récit d’une imposture et de ses racines. Un dossier spécial.

Résumé

L’article de Garrett Hardin paru en 1968, « La tragédie des communs », est une référence essentielle dans les débats sur la propriété, l’environnement, l’économie des ressources matérielles et immatérielles. Sa thèse : l’incompatibilité entre propriété commune et durabilité. Or, si ce texte est sans cesse mobilisé, on sait très peu de choses des logiques historiques qui ont présidé à son élaboration, à sa réception ; très peu de choses sur son auteur Garrett Hardin, sur sa trajectoire, ses motivations, les éléments vis-à-vis desquels son propos fait sens lorsqu’il décide, fin 1968, de formuler un raisonnement dont l’onde de choc s’est propagée jusqu’à notre époque de crise environnementale, de réflexion sur les communs numériques. Ce constat a motivé notre enquête. Son ambition est de contribuer, par le détour de l’histoire, aux réflexions contemporaines sur les différentes formes du « commun ». S’y révèlent aussi certaines dimensions méconnues de l’environnementalisme américain au XXe siècle : ses liens étroits et complexes à la configuration de Guerre froide ; la place qu’y occupent des courants combinant souci de l’environnement et projet de contrôle de la « qualité » des populations. Enfin, cette histoire de la « tragédie des communs » est aussi un chapitre de l’histoire du néolibéralisme, lorsque celui-ci s’empare de la question du gouvernement des ressources et des environnements.

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Depuis quarante ans, son influence ne faiblit pas. Il a été mobilisé des milliers de fois dans des travaux d’économie, de droit, d’histoire, de sociologie, d’anthropologie, de sciences politiques 1. Son titre – qui renvoie à son argument-clé – est devenu un terme d’usage courant en sciences sociales, et jusque dans le débat public : l’article “The tragedy of the commons” est paru en 1968, sous la plume du biologiste Garrett Hardin, et depuis lors, il constitue une référence structurante dans les débats sur la propriété, le gouvernement des ressources, les liens entre organisation économique et viabilité écologique 2.

L’argument est connu. Il tient à une expérience de pensée : un pâturage, mutualisé entre des éleveurs soucieux de leur prospérité économique, connaît une ruine inéluctable par le seul jeu de leurs conduites individuelles. Hardin entend ainsi démontrer l’incompatibilité entre propriété commune et durabilité des ressources. Depuis lors, d’innombrables travaux ont cherché à mettre ce raisonnement à l’épreuve des faits 3. Sociologues, anthropologues et historiens ont étudié des cas concrets de gestion, et invalidé cette conclusion : depuis des siècles des forêts, des pâturages et des ressources halieutiques ont été exploités en commun sans être frappés de ruine 4. Cette production empirique a répondu au succès hors norme de l’argument hardinien dans les champs de l’économie et du droit. Dans les années 1970 et 1980, il est annexé par une pensée néo-libérale en plein essor. La « New Resource Economics » fait de cette supposée « tragédie des communs » l’emblème de sa lutte en faveur de la propriété exclusive comme seul outil rationnel de gestion des ressources. L’argument est mobilisé pour traiter des forêts, des pêcheries, du sous-sol mais aussi des fréquences radio, des places de parking ou de la pollution. Il se diffuse dans la littérature juridique et dans tous les travaux sur la propriété 5.

Dès l’origine, le raisonnement de G. Hardin est contesté par certains économistes. La parution en 1990 du Governing the Commons d’Elinor Ostrom (prix Nobel d’économie 2009) est un jalon important dans cette remise en cause. Mais la critique de l’argumentaire hardinien et de ses usages n’est pas l’apanage d’Ostrom et des néo-institutionnalistes. Elle mobilise aussi les tenants de l’économie écologique qui dénoncent l’amalgame présent, dès le départ, entre « commun » et « libre accès » 6 ; elle est sous-jacente chez ceux qui, à la suite de Michael Heller, soulignent les effets potentiellement sclérosants de la propriété exclusive sur l’activité économique et l’innovation, et parlent de « tragédie des anti-communs » 7. Il n’empêche : en dépit de ces mises en cause, la « tragédie des communs » hante toujours les débats contemporains sur la régulation environnementale, la propriété, la possibilité de formes alternatives d’appropriation des ressources matérielles et immatérielles.

Le présent article est né d’un étonnement : si l’on a beaucoup écrit sur la « tragédie des communs », on sait très peu de choses des logiques historiques qui ont présidé à son élaboration, très peu de choses sur son auteur, Garrett Hardin, sur sa trajectoire, ses motivations, les éléments vis-à-vis desquels son propos fait sens lorsqu’il décide, en cette fi n 1968, de formuler un raisonnement dont l’onde de choc s’est propagée jusqu’à notre époque de crise environnementale, de réflexion sur les communs numériques 8. Tout se passe comme si la mise en scène du pâturage hardinien avait rejeté dans l’ombre son créateur, la logique et les mobiles profonds de sa prise de parole 9.

Depuis une dizaine d’années la question du « commun », sous ses différentes facettes, suscite un intense intérêt en économie, en histoire, en philosophie politique 10. Pour repenser leur objet, ces réflexions devront se dégager des cadres théoriques préformatés hérités du passé 11. Cela devra passer nécessairement par une meilleure compréhension historique des termes du débat. C’est ce à quoi cet article voudrait contribuer à propos de Garrett Hardin et de la « tragédie des communs », tout en éclairant certaines dimensions méconnues de l’environnementalisme américain au XXe siècle 12.

Population, ressources, conflictualité

La trajectoire intellectuelle et politique de Hardin doit beaucoup au contexte dans lequel il a été socialisé en tant que biologiste 13. Il étudie à l’université de Chicago dans les années 1930, dans ce qui est alors l’épicentre de l’écologie scientifique états-unienne 14. Son mentor est Warder C. Allee, grand nom de la zoologie et chef de file de l’approche écologique dite « organiciste ». Ce courant de pensée trouve sa cohérence dans l’étude des populations animales, analysées comme des super-organismes dont il s’agit de décrire les comportements génériques et les forces de cohérence interne 15. L’écologie organiciste est très influente dans les États-Unis de l’entre-deux-guerres, non seulement en biologie mais aussi dans les sciences sociales, dans le champ médiatique et au sein des élites politiques et administratives. Elle inspirera au sociologue Robert Park son projet d’une science de l’» écologie humaine » – une démarche qui sera à l’origine de l’école sociologique de Chicago 16.

Dans la seconde moitié des années 1930, l’analyse des dynamiques de population est une question centrale pour les écologues organicistes. Leurs interrogations se cristallisent autour de l’existence d’une loi, censée régir les populations animales et humaines. Elle est dite de la courbe « logistique », ou courbe « en S » : après une phase de croissance sans frein, toute population serait vouée à atteindre un seuil de saturation et à fluctuer autour d’une valeur-limite imposée par des mécanismes internes et les conditions extérieures 17.

C’est le biologiste Raymond Pearl qui, en 1920, a proposé cette loi pour rendre compte de la dynamique de la population américaine depuis 1790, à partir d’une analyse des données de recensement 18. Pearl et son coauteur Lowell J. Reed prévoyaient, sur cette base, une saturation démographique de l’espace états-unien à l’horizon de quelques décennies. Dans les années suivantes, Pearl va poursuivre en postulant – et en cherchant à établir empiriquement – la validité de la courbe en S pour toutes les populations humaines 19. Mais ses efforts de généralisation ne s’arrêtent pas là : en mobilisant des travaux sur la croissance des micro-organismes, en s’engageant dans l’étude expérimentale de populations d’insectes, il élargit son approche jusqu’à affirmer, en 1927, le caractère universel de sa loi pour tous les groupes humains et animaux 20.

Dans les années 1920 et 1930, c’est tout un sous-champ académique qui se structure autour de la réception – controversée – des thèses de Pearl. En dépit des critiques, sa position académique à l’université Johns Hopkins et le soutien financier de la fondation Rockefeller lui permettent d’accueillir des chercheurs américains et étrangers, qui prolongent ses travaux en matière d’analyse statistique et d’étude des micro-populations. C’est en écho à ces recherches que le biologiste russe Georgii Gause publie en 1934 un mémoire qui va être décisif pour acculturer l’écologie animale américaine à la courbe en S et à son étude en laboratoire 21. Gause s’intéresse aux micro-populations afin d’étudier leur dynamique d’ensemble mais aussi, par cette entremise, les mécanismes de « lutte pour la vie » en situation de contrainte environnementale.

Ces recherches ouvrent un nouvel horizon à l’écologie animale. En 1936, Hardin s’engouffre dans la brèche en partant en thèse à Stanford, pour travailler sur ce thème sous la direction de Willis Johnson, un disciple de Allee spécialiste des micro-organismes 22. Il étudie les Oikomonas, des organismes unicellulaires qu’il cultive en modulant leurs ressources alimentaires et en les mettant en présence d’autres espèces. Ce sont les phénomènes de croissance, de compétition et d’équilibre affectant ces micro-populations que Hardin traque sous les lentilles de son microscope 23.

Il soutient sa thèse en 1941 24, juste avant Pearl Harbor, mais il ne part pas au front car les séquelles d’une polio le rendent inapte au service. Il passe la période de la guerre au sein du laboratoire de biologie végétale que la Carnegie Institution entretient sur le campus de Stanford, à travailler sur les algues de culture. Mais sa vocation pour la recherche est limitée : en 1946, il s’en détourne en acceptant un poste d’enseignant au Santa Barbara College, en passe d’être intégré à l’Université d’État de Californie 25. Il passera plus de quarante années à l’UCSB. Il ne travaille plus en laboratoire mais se consacre à des travaux théoriques, à l’enseignement, à l’écriture et à des activités militantes sur les thématiques sociales et environnementales.

Il publie son premier livre en 1950 26. C’est un manuel de biologie qui rencontrera un certain succès. Il est rarement cité et c’est dommage car sa lecture est très instructive 27. Hardin y traite surtout de physiologie humaine, de biologie cellulaire, de théorie de l’évolution. Mais il choisit en plus d’aborder deux problèmes qu’il juge essentiels : la conservation des ressources naturelles et la gestion de la population.

Hardin est un contemporain du dust bowl, cette érosion à grande échelle des plaines états-uniennes, qui s’amorce à la fin des années 1920 et atteint son acmé juste avant la Seconde Guerre mondiale 28. En 1950, il dénonce les pratiques agricoles inadaptées qui sont à l’origine de ce fléau et célèbre les mesures fédérales organisées pour y faire face 29. Ces mesures, prises dans le cadre du New Deal, étaient multiples : rachat et réhabilitation de terres par l’État, diffusion de « bonnes pratiques », conditionnement des subventions agricoles à des critères de conservation. Elles incluaient aussi la création d’un service public de lutte contre l’érosion, le Soil Conservation Service, placé sous l’autorité de l’US Department of Agriculture 30. Il ne s’agissait pas seulement de faire face à une situation catastrophique : cette action correspondait à un projet politique plus général liant interventionnisme économique et conservation des ressources, ces dernières devant être gérées collectivement pour optimiser le fonctionnement de l’économie et favoriser le bien-être social 31.

En 1950, Hardin prend ainsi position pour un modèle de gestion des ressources qui fait la part belle à l’État 32. Évoquant la foresterie, il souligne que les entreprises ne peuvent qu’adopter des comportements court-termistes et qu’une gestion de long terme implique une intervention publique. Il met en garde : la dégradation des sols, dans le passé, a contribué à la chute de grandes nations 33. Cela pourrait se reproduire en Amérique.

Selon lui, une autre menace pèse sur la société américaine : le déclin de son capital biologique. L’intelligence serait héréditaire et les individus les moins capables seraient aussi ceux qui ont le plus d’enfants. Par suite, l’intelligence moyenne décroît. La solution : une politique délibérée d’» amélioration » de la population. Hardin est et restera toujours un partisan déterminé de l’eugénisme, dans sa version dite « positive » (favoriser la reproduction de certains individus) mais aussi négative (l’empêcher chez d’autres, y compris par la force). En 1950, il se déclare en faveur de la stérilisation des faibles d’esprit (feeble-minded) et s’interroge sur les moyens d’inciter les individus les plus éduqués – c’est-à-dire, pour lui, les plus intelligents – à être féconds 34.

Le courant eugéniste est très influent aux États-Unis à partir des années 1900 35. Les scientifiques y sont très présents, et ils contribuent à le structurer en fondant des institutions comme l’Eugenics Record Office (en 1910) et l’American Eugenics Society (en 1922). Plusieurs États se dotent de législations d’inspiration eugéniste, en interdisant le mariage aux malades mentaux et en organisant leur stérilisation.

Les arguments eugénistes font aussi irruption dans les débats sur les politiques migratoires : des groupes de pression comme l’Immigration Restriction League réclament la fermeture des frontières afin de préserver la « qualité » de la population américaine. Ces revendications trouvent une expression politique dès le début du XXe siècle, avec la multiplication de lois sur l’immigration qui visent notamment à interdire l’entrée aux porteurs de maladies héréditaires ou de faiblesse mentale. Elles triomphent avec la promulgation de l’Immigration Act de 1924, qui renforce encore les sélections et favorise l’immigration en provenance d’Europe du Nord.

Dans les années 1930, et plus encore après la Seconde Guerre mondiale, l’eugénisme états-unien perd en influence. Mais certains États (dont la Californie) poursuivent les stérilisations jusque dans les années 1960. Lorsqu’en 1950, Hardin prend position pour cette pratique, il n’évoque donc pas une mesure hypothétique mais une disposition en vigueur, dont il défend la légitimité. Son engagement se traduit au même moment par son appartenance à l’American Eugenics Society 36 – au sein de laquelle il restera durablement actif, assumant même des fonctions de direction au début des années 1970 37.

Après la publication de son manuel, Hardin s’oriente vers des travaux d’élucidation théorique et de popularisation concernant la théorie de l’évolution, l’hérédité et les applications de la biologie à l’étude des phénomènes sociaux. Il se fait connaître en travaillant, dans le sillage de Gause, sur le principe dit d’» exclusion compétitive » qui postule que, dans un écosystème donné, il ne peut exister deux espèces en compétition absolue 38. Ce principe n’est en rien la célébration d’une paix interspécifique : il prévoit au contraire l’extermination inéluctable d’une espèce par l’autre 39. Pour Hardin, le grand enseignement de Darwin est que la compétition entre individus, entre groupes, entre espèces est inhérente à la vie biologique. Pour lui, cette conflictualité « naturelle » est aussi intrinsèque aux groupes humains. Les sociétés, comme les écosystèmes, sont des champs de bataille où règne la lutte pour la vie : No activity of man is without competitive use, écrit-il en 1959 40.

Les collectifs humains, tel qu’Hardin les décrit, sont des espaces de compétition généralisée, où s’affrontent des individus dont les performances sont dépendantes de la génétique. Cette compétition est façonnée par les règles socio-culturelles : c’est la spécificité de l’homme vis-à-vis des animaux. Parce que sa morale, son organisation politique, ses règles économiques produisent toujours des effets de sélection biologique, il est condamné à être son propre breeder (sélectionneur).

Ces thèses, telles qu’elles se précisent au fil des années 1950, véhiculent une critique radicale du Welfare State et des politiques de redistribution. Aider les individus que leur infériorité naturelle voue à être des perdants n’est-ce pas, note Hardin en jouant à front renversé, faire inconsciemment de l’eugénisme, mais de l’eugénisme à l’envers ? 41 L’aide sociale, mais aussi la progressivité de l’impôt, sont pour lui autant de mesures qui contribuent au déclin de la société américaine en dégradant son patrimoine génétique. Parce que l’homme est son propre breeder, il doit en prendre conscience, démanteler ces institutions et concevoir des politiques publiques répondant à l’objectif d’amélioration des populations 42.

Les enfants de la guerre froide

Jusqu’à la fin des années 1950, la sociobiologie hardinienne 43 est surtout centrée sur des considérations touchant à la « qualité » des individus. Sa perspective va changer dans la décennie suivante, Hardin se concentrant sur ce qui sera – jusqu’à sa mort en 2003 – son grand engagement intellectuel et militant : la cause néo-malthusienne.

Sur ce point, sa trajectoire est à la confluence de deux phénomènes intellectuels et politiques majeurs de la Guerre froide : les inquiétudes touchant à la surpopulation et à la déplétion des ressources ; la révolution que suscite, dans l’ordre des savoirs, la généralisation des outils conceptuels élaborés en contexte militaire.

Considérons tout d’abord la montée de la question démographique. Après 1945, avec l’affrontement entre les blocs et la création de nouvelles institutions internationales, l’objet population est repensé à l’échelle globale. Le diagnostic d’une croissance planétaire se généralise et cette question est conceptualisée dans une perspective transnationale 44. Ce sont l’essor des populations au Sud mais aussi leurs migrations et l’évolution des populations pauvres au Nord qui sont mis sous surveillance.

Aux États-Unis, la question de la surpopulation est débattue tout au long des décennies post-1945, mais elle occupe surtout le devant des scènes politiques et médiatiques à deux reprises : dans la seconde moitié des années 1940, et à la fin des années 1960 et au début des années 1970. Ces phases d’intensification des débats sur le péril démographique sont catalysées par des succès éditoriaux. La parution, en 1968, du The Population Bomb de Paul Ehrlich est emblématique du retour en force de ce thème à la fin de la décennie 1960 45. Mais le propos de Ehrlich n’a rien d’inédit : il fait suite à deux décennies de publications et de prises de position sur ce thème, et il reprend une expression (Population Bomb ou P Bomb) déjà en circulation.

C’est un autre livre, paru en 1948, qui a érigé la surpopulation au rang de menace globale 46. Road to Survival connaît un succès spectaculaire à sa sortie, avec plus de vingt millions d’exemplaires vendus 47. Son auteur, William Vogt, est un spécialiste de la conservation qui a travaillé en Amérique du Sud pour le compte de la Pan American Union, un organisme international créé pour promouvoir l’influence des États-Unis sur le continent 48. Son livre dresse un bilan accablant de l’épuisement des ressources planétaires, et à ce titre on peut le considérer, quinze ans avant le Silent Spring de Rachel Carson, comme le premier best-seller de l’écologisme états-unien.

L’historiographie a beaucoup insisté sur l’importance du livre de Carson, souvent pour présenter la seconde moitié des années 1960 comme le « creuset » de l’environnementalisme moderne 49. A contrario, Donald Worster avait proposé dès 1977 de faire remonter au 16 juillet 1945 – date de la première explosion nucléaire de l’histoire – l’entrée dans « l’âge de l’écologie » 50. Il voulait ainsi souligner l’émergence, en réaction à la menace atomique, d’une réflexivité nouvelle quant aux conséquences potentiellement tragiques, globales et définitives de l’agir humain. Mais ce n’est que depuis peu que la pensée environnementale des décennies 1945-1965 a vraiment retenu l’attention des historiens 51.

Thomas Robertson a montré tout ce que les réflexions sur la pénurie et la conservation des ressources planétaires doivent, dans les États-Unis d’après 1945, à l’expérience de la Seconde Guerre Mondiale et de la Guerre froide 52. Sur la Terre transformée en champ de bataille, l’inventaire, l’exploitation et la conservation des ressources sont des enjeux vitaux. C’est vis-à-vis de cette configuration géostratégique que se définit le discours de The Road to Survival. Son autre spécificité est un malthusianisme sans ambages : l’épuisement des ressources est avant tout attribué à une croissance de la population que ne vient plus réguler, au Sud, le « frein » que constituait la mort par maladie 53. Pour endiguer le problème, soutient Vogt, il faudrait populariser la contraception, lier l’aide internationale à des campagnes de contrôle des naissances, rétribuer les stérilisations « volontaires » 54. Le livre cristallise une configuration théorique et politique particulière, un démo-ressourcisme qui fait jouer ensemble réflexivité environnementale, rationalité malthusienne et projet biopolitique global, au service de la domination états-unienne.

Hardin et Ehrlich s’en feront les champions dans la décennie 1960, dans un contexte marqué par l’essor de nouvelles menaces (la pollution), de nouvelles promesses (l’exploitation des océans), de nouvelles grammaires savantes (les sciences du système-Terre et de la biosphère). Ehrlich créditera Vogt de l’avoir, le premier, sensibilisé aux thèses de Malthus 55. Hardin lit Road to Survival dès sa parution mais ses convictions sont plus anciennes. Elles se forment dès les années 1930, au contact de Allee qui enseigne la doctrine malthusienne dans ses cours 56.

Celui-ci, pourtant, entretient un rapport contrasté avec les théories de Malthus. Il s’intéresse plutôt aux situations de faible densité démographique. On lui doit l’» effet Allee », selon lequel une densité de population animale trop faible est défavorable aux interactions de groupe, et donc au taux de survie des individus 57. Plus globalement, ses recherches sont orientées vers l’étude des situations de coopération. Elles sont sous-tendues par une vision du monde qui emprunte à sa foi Quaker, par une conception des ordres sociaux et biologiques aux antipodes de la compétition généralisée de Hardin.

Les deux hommes divergent aussi en matière de démographie. Leur différend concerne les mécanismes sociaux sous-tendant la courbe en S – une question très discutée dans les années 1930 58. Allee soutient une interprétation contre-malthusienne : pour lui, la transition inévitable vers une population d’équilibre est l’effet d’une limitation spontanée des naissances, qui émergera à l’approche des limites matérielles de subsistance 59. Pour Hardin, c’est tout le contraire : il voit l’universalité de la « courbe en S » comme le triomphe posthume de Malthus, car elle étend à tout le règne animal ses thèses sur le croisement entre courbe exponentielle de la population et courbe arithmétique des moyens de subsistance. La marche à l’asymptote annonce la catastrophe : le déchaînement des famines, des guerres et des épidémies qui frappent les populations humaines lorsqu’elles saturent leurs lieux de vie.

Pour lui, une seule solution : le contrôle de la fécondité. Ce constat entre en résonance avec sa conviction, très vive dès les années 1940, selon laquelle le rôle de la science n’est pas tant de maîtriser le monde physique que de donner à l’homme le moyen de se contrôler en tant qu’espèce 60.

C’est une conférence qu’il donne sur le contrôle des naissances au printemps 1963 qui, en faisant scandale, intronise Hardin en héros de la cause néomalthusienne 61. Par la suite, il profitera de cette notoriété pour dénoncer sans relâche les effets de la surpopulation, à l’échelle des États-Unis et de la planète. Il se focalise sur les questions procréatives et multiplie les interventions en faveur de la contraception et de l’avortement 62. Matthew Connely a décrit les connexions a priori déconcertantes qui se nouent dans le sillage des combats anti-populationnistes : ainsi Hardin l’inégalitariste 63, le conservateur en politique, milite-t-il dans la Planned Parenthood Organization of America avec le pasteur Hugh Amwyl, un activiste connu pour son soutien au régime cubain et son engagement contre l’intervention au Vietnam 64.

C’est la profonde mutation des champs de savoir catalysée par la Seconde Guerre mondiale puis la Guerre froide qui va fournir à Hardin les moyens de formuler et de promouvoir son agenda biopolitique. Après 1945, de nouvelles approches technoscientifiques, d’abord élaborées pour faire pièce aux forces de l’Axe, se disséminent et reconfigurent les façons de « faire science » en Occident 65. Ces approches, que Peter Galison a proposé de nommer « sciences manichéennes » 66, se déclinent en trois composantes.

Tout d’abord, la cybernétique, issue des recherches sur la lutte anti-aérienne 67. Cette approche se donne comme une grammaire générale des systèmes : tous les objets – des organismes aux machines, des biotopes aux sociétés humaines – sont décomposés en éléments discrets dont la cybernétique analyse les interactions et les comportements d’ensemble. Ensuite vient la théorie des jeux, formalisée avant-guerre mais qui prend son essor pendant le conflit pour la chasse aux sous-marins et aux bombardiers 68. Elle se présente comme une théorie mathématique de la rationalité, qui analyse toutes les situations d’interaction sociale par une analyse itérative du choix des sujets. La théorie des jeux est sous-tendue par une ontologie très particulière : le monde y est peuplé d’acteurs individuels opaques, calculateurs et oppositionnels, en lutte à mort pour la survie et/ou le triomphe de leurs intérêts. Dernière composante, la recherche opérationnelle, élaborée pour la lutte anti-sous-marine. Elle emprunte aux deux premières approches mais vise plus spécifiquement à élaborer une science du gouvernement des systèmes complexes 69.

Ces approches vont travailler en profondeur la dynamique des savoirs pendant la Guerre froide. L’écologie états-unienne amorce ainsi un changement de paradigme dès les années 1950, avec la transition de l’écologie organiciste à une approche en termes d’» écosystèmes » qui emprunte sa logique au raisonnement cybernétique 70. Les sciences du social, elles aussi, sont infléchies par la révolution manichéenne : l’anthropologie, avec l’influence de la cybernétique sur les travaux de Gregory Bateson et Margaret Mead ; la sociologie et les sciences politiques, avec l’emploi de la théorie des jeux pour analyser la déviance sociale, les oligopoles marchands, les coalitions politiques 71 ; l’économie où la théorie des jeux et la recherche opérationnelle sont décisives pour l’évolution du paradigme néoclassique 72.

En plus de reconfigurer les champs de savoir, les sciences manichéennes s’épanouissent au sein d’arènes transépistémiques où se croisent mathématiciens, biologistes, experts en sciences sociales, militaires et administrateurs. Dans les années 1950 et 1960, Hardin participe à l’un de ces cercles, la Society for General Systems Research, que le biologiste Ludwig Von Bertalanffy, le mathématicien Anatol Rapoport et l’économiste Kenneth Boulding ont fondé pour promouvoir les méthodes des « sciences manichéennes » dans les sciences sociales 73.

Au début des années 1960, il utilise la cybernétique pour reformuler ses thèses sur la compétition généralisée et le péril malthusien, et développer ce qu’il appelle une « cybernetics of competition » 74. Il mobilise cette approche pour analyser la population d’équilibre prédite par la courbe en S comme un système bouclé, stabilisé par ces chaînes de rétroaction négative que sont les maladies, les famines, les guerres – les freins malthusiens classiques. Sous l’influence de Rachel Carson, il suggère aussi d’intégrer la pollution dans ce faisceau de feedbacks, l’attribuant ainsi de facto à un effet de surpopulation 75. C’est ce modèle qu’il appellera plus tard le « démostat malthusien », en référence à l’un des dispositifs paradigmatiques de la cybernétique, le thermostat 76. Pour lui, la diffusion de la médecine pastorienne, en réduisant la rétroaction par les maladies, a perturbé les populations-systèmes au Sud et y a multiplié, par effet systémique, les occurrences de famine. Seule une politique de contrôle des naissances, soutient-il, peut ramener ces systèmes à l’équilibre et prévenir les crises de subsistance.

Ces travaux participent du vaste ensemble de recherches produites, dans ces années 1950 et 1960, à propos de l’équilibre et du contrôle social. La modélisation cybernétique semble ouvrir la voie à une ingénierie rationnelle des sociétés, garantissant leur stabilité dans un contexte vécu – et pensé – comme profondément agonistique. Au même moment des travaux de sciences sociales analysant les disruptions socio-naturelles extrêmes (séismes, inondations ou crises de subsistance) sont promus par les agences militaires américaines – elles jetteront les bases des Disaster Studies contemporaines 77. Ces recherches constituent un enjeu stratégique fondamental, car la déstabilisation des sociétés du tiers-monde peut ouvrir la voie à leur basculement dans le camp soviétique.

La tragédie de la finitude

C’est à l’occasion d’une intervention publique donnée à la fin juin 1968 que Garrett Hardin formule pour la première fois l’argument de la « tragédie des communs » 78. C’est ce discours, réécrit et amputé de moitié, que publiera la revue Science. Ce moment ne doit rien au hasard. En décembre 1967, Paul Ehrlich, jusque-là inconnu du grand public, a fait paraître ses premiers textes sur la surpopulation mondiale et la déplétion des ressources 79. Dans la foulée, David Brower, le directeur exécutif du Sierra Club (la plus grande organisation préservationniste états-unienne), lui propose de prolonger sa démarche par un livre. The Population Bomb est publié au printemps 1968, sous les auspices de l’association. Au moment où Hardin rédige son discours, cette parution focalise l’attention du public sur ces questions de surpopulation et de pénurie planétaires 80.

Les alertes de Ehrlich ne sont pas isolées : comme on l’a dit, en cette fin des années 1960 les États-Unis vivent un second pic d’influence du démoressourcisme, qui avait perdu du terrain dans la décennie précédente 81. En plus de partisans de longue date mais toujours actifs comme Vogt 82 et Henry Fairfield Osborn Jr. 83, il bénéficie de l’engagement d’une nouvelle génération de scientifiques, d’experts et de théoriciens sociaux qui, comme Ehrlich, dénoncent l’explosion démographique, les ressources dévastées, les pénuries présentes et à venir. Ces prises de position correspondent à une montée générale des préoccupations pour la « faim dans le monde » portée par des organismes comme la FAO 84. La famine qui a touché la province indienne du Bihar en 1966-1967 a particulièrement frappé les esprits : les États-Unis avaient alors débloqué une aide alimentaire massive, destinée à secourir les populations et à reprendre l’ascendant sur une puissance non-alignée et jouant de plus en plus de son autonomie à l’échelle internationale 85. Une intervention d’autant plus prompte que cette famine venait questionner la viabilité du processus de développement soutenu par l’Ouest, en Inde, face à celui du communisme chinois.

C’est dans ce contexte qu’en novembre 1967, le sociologue et démographe Kingsley Davis intervient dans les colonnes de Science, pour défendre des mesures coercitives de stabilisation de la population 86. Son intervention provoque une avalanche de réactions, qui ne contestent pas le constat mais les moyens préconisés. La prise de parole de Hardin – et son choix de publier dans Science – fait aussi sens vis-à-vis de cette séquence polémique particulière, où il vient prêter main-forte à Davis et entretenir le débat 87. La proclamation finale de la conférence onusienne de Téhéran, qui en mai 1968 souligne le droit des familles à choisir leur nombre d’enfants, ajoute encore à l’actualité de la question.

Jusque-là, la gestion des ressources était restée une question peu élaborée chez Hardin. Elle était surtout abordée sous l’angle de la pénurie, pour affirmer le caractère inéluctable du « mur » auquel doit tôt ou tard se heurter une population en croissance infinie dans un univers fini 88. En 1968, il place ce problème au cœur de son propos, essayant de profiter d’une séquence favorable aux thèses néo-malthusiennes qu’il défend de longue date.

Son article déploie un fil argumentatif assez déstructuré, fait de retours en arrière, de digressions, de pistes ouvertes et vite refermées. Un premier argument découle du rapprochement qu’il fait, comme Ehrlich, entre conflit armé et bataille pour nourrir l’humanité 89. Comme la course aux armements, argumente Hardin, la surpopulation est un problème qui ne peut pas être réglé par la surenchère technologique. Car en fournissant de nouvelles productions alimentaires, elle ne ferait qu’accélérer la croissance démographique – comme le perfectionnement des armements accroît sans cesse la montée des périls 90. De plus, et c’est le point essentiel pour lui, l’humanité vit désormais dans un monde clos. Spatialement clos : une planète. Physiquement clos : un espace aux potentialités matérielles finies, dont l’usage ne peut plus être intensifié qu’à la marge – et en relançant la « course à la population ». Hardin conteste en particulier l’idée que la recherche agronomique ou les perspectives ouvertes par l’exploitation des océans 91 puissent fournir des solutions durables aux problèmes alimentaires mondiaux. Avec cette insistance sur la finitude planétaire, Hardin est à l’unisson du grand mouvement intellectuel et culturel qui, dans ces années 1960, fait de ce constat un point-clé dans l’appréhension des rapports homme/environnement. Ce mouvement prolonge et intensifie la globalisation des approches environnementales entamée dans l’immédiate après-guerre, tout en puisant dans l’actualité de la conquête spatiale. Comme cela a souvent été souligné, la montée d’une sensibilité à la globalité environnementale doit beaucoup à la course à l’espace des années 1960-1970, et notamment au choc suscité par les clichés de la Terre pris par les missions Appolo 92. Six mois après la parution de la « Tragédie », c’est depuis la Lune que Neil Amstrong contemplera la finitude du globe terrestre.

En insistant sur les limites, Hardin réactive aussi un affrontement idéologique de longue durée : celui qui, depuis le XIXe siècle, oppose les malthusiens aux tenants des thèses cornucopistes qui soutiennent que les activités inventives et productives de l’homme lui permettront d’assumer indéfiniment ses besoins, même dans un monde fini 93.

Biopolitique du pâturage

Comment gouverner les hommes et les ressources sur une Terre limitée mais toujours plus peuplée ? Pour prolonger sa réflexion, Hardin va puiser dans un corpus théorique qu’il connaît bien : celui du malthusianisme classique. Il mobilise un auteur du XIXe siècle, William Foster Lloyd 94. Dans les années 1830, Lloyd est professeur d’économie politique à Oxford et il consacre ses leçons aux enjeux démographiques 95. Il raisonne en malthusien en attribuant la pauvreté à l’excès de population. Mais il s’oppose aussi à Malthus à propos des causes de la croissance démographique 96. Pour ce dernier, les populations laborieuses sont responsables : dominées par leurs « passions », elles ne restreignent pas leur fécondité en dépit de l’exemple donné par les familles pauvres car nombreuses. Malthus pointe aussi l’influence de dispositifs comme les Poor Laws, mais ce sont surtout les dispositions individuelles des travailleurs – chez qui la « passion » l’emporte sur la « raison » – qu’il incrimine.

Lloyd rejette ce raisonnement. Pour lui, le choix d’avoir des enfants procède d’une décision inspirée par la raison. En effet, en ces temps d’essor industriel, femmes et enfants peuvent travailler et donc contribuer aux besoins du foyer. Reste l’effet d’ensemble de la croissance démographique que Lloyd, après Malthus, rend responsable de la pauvreté. Mais pour lui, parce que chaque enfant additionnel n’augmente que d’une fraction les besoins globaux de la population, un individu, même guidé par la raison, ne peut percevoir les conséquences de ses choix procréatifs. La vie devient plus difficile parce que les ressources sont divisées, mais seul l’effet est perçu, pas la cause. Pour Lloyd, la taille de la société crée une inconscience structurelle qui empêche les travailleurs d’ajuster leurs conduites à leurs intérêts à long terme.

En 1833, Lloyd décline ce même argument pour prendre parti dans l’une des plus vives controverses politiques et intellectuelles de la modernité, celle des enclosures 97. Pour cela il met en scène la situation – reprise par Hardin – du pâturage commun où chacun a intérêt à rajouter une bête, mais où rien n’incite jamais à limiter le troupeau, ce qui finit par dégrader la ressource. Comme l’a souligné Joachim Radkau, cette figure du pâturage dévasté est récurrente chez les agronomes des XVIIIe et XIXe siècles en lutte contre la propriété collective 98. Mais l’argument de Lloyd est plus spécifique. Pour lui, le processus de dégradation s’enracine dans une inconscience double. Lorsqu’un paysan rajoute un animal sur un commun déjà saturé, il en tire une satisfaction mais ne se rend pas compte que la taille de chacune de ses bêtes diminue légèrement. Lorsqu’un autre l’imite, ce même paysan ne perçoit pas que cela a un impact identique (et aussi minime) sur ses propres animaux. Mais, d’ajout en ajout, les bêtes dépérissent et le pâturage est dévasté. Une nouvelle fois, selon Lloyd, la dilution de l’effet des actes individuels crée une inconscience structurelle qui mène à la catastrophe.

D’où la solution qu’il préconise : l’exploitation des terres sous le régime de la propriété privée, qui crée une situation où chaque propriétaire est en mesure de mesurer pour lui-même les conséquences de ses actes, ce qui fabrique de la prudence. Le régime du commun, par contraste, est dénoncé comme un dispositif qui empêche de penser le futur, qui enferme dans le présent 99.

En 1968, Hardin reprend les grandes lignes de ce raisonnement, mais en fusionnant ses deux volets dans une même expérience de pensée 100. C’est implicite dans le déroulé de la « Tragédie », mais cette dualité sous-tend tout l’article et les réemplois qu’il en fera. La « tragédie des communs » fonctionne à deux niveaux. À un premier niveau, elle met en scène un agrégat d’acteurs individuels, intéressés à l’exploitation d’une ressource finie. C’est en ce sens qu’elle a surtout été comprise, saluée ou critiquée dans les débats sur l’environnement. Le bétail, dans cette perspective, constitue la médiation technique par laquelle la ressource est (sur)exploitée.

Mais un second niveau de raisonnement est sous-jacent et pourtant constamment actif. Comme chez Lloyd, il concerne la population. Ce que Hardin veut dénoncer, c’est aussi la dynamique délétère qui conduit les individus à se reproduire sans frein, jusqu’à ruiner leurs moyens de subsistance. Pour nourrir leur progéniture, les éleveurs doivent exploiter toujours plus la pâture ; parce que celle-ci est commune, rien n’entrave leur tendance à enfanter – avant l’effondrement final. Dans la « tragédie des communs », les têtes de bétail ne représentent pas seulement les animaux que chaque éleveur place sur le pâturage. Elles symbolisent aussi les enfants de ces mêmes éleveurs, qui en se multipliant menacent de ruiner la ressource.

Toutefois Hardin se distingue de Lloyd sur un point essentiel. En effet, pour caractériser le comportement des acteurs, il mobilise une anthropologie tout à fait particulière : celle des « sciences manichéennes », dans la version qu’en donne la théorie des jeux. Cette anthropologie est sous-tendue par ce que Peter Galison a appelé une « ontologie de l’ennemi » : la théorie des jeux, élaborée pour agir en situation d’extrême conflictualité, promeut une vision solipsiste du social, réduit à un espace peuplé de monades calculatrices, anonymes, engagées dans une lutte sans merci. Dès 1963, Hardin insiste sur la pertinence de ce cadre interprétatif, en soulignant le caractère éminemment conscient des stratégies individuelles 101. Il s’inspire des travaux fondateurs de Von Neumann et Morgenstern et de leurs prolongements par les théoriciens du conflit (comme Anatol Rapoport), mais pas de la micro-économie dont il ne cite jamais les apports 102. L’individu hardinien n’est pas, comme chez Malthus, dominé par ses passions ; il n’est pas, comme chez Lloyd, aveuglé par les effets d’échelle : s’il ajoute toujours plus d’animaux – et d’enfants – au pâturage, c’est parce qu’il sait vivre avec des semblables aussi décidés que lui à faire triompher leurs intérêts.

La logique du pâturage présente un autre trait caractéristique des théories sociales inspirées par les « sciences manichéennes » : les problèmes y sont réduits à des configurations finies, à des causalités proximales pour pouvoir être formalisés par la théorie des jeux ou la cybernétique 103. Émergent ainsi des schémas modélisateurs appliqués, en aval, à toutes les échelles spatiales. C’est le cas avec la « tragédie des communs », dont le principe explicatif est mobilisé pour traiter des zones de pêche 104, des budgets étatiques 105 ou des ressources mondiales. Son formidable écho doit beaucoup à ce caractère générique qui en fait une séquence argumentaire immédiatement réappropriable et transposable. Et parce qu’elle est sous-tendue par une anthropologie qui puise aux mêmes sources que l’homo oeconomicus néoclassique, elle s’intégrera aisément au formalisme microéconomique sous la forme de versions toujours plus complexes du « dilemme du prisonnier ».

Gouverner les ressources, gouverner la reproduction

Selon Hardin, la « tragédie des communs » entraîne une conséquence imparable. Pour prévenir l’effondrement environnemental et démographique, il faut recourir à des formes sévères de gouvernement, relevant – selon une expression restée célèbre – d’une « coercition mutuelle décidée en commun » 106. En ce sens, son propos est profondément politique. Il récuse non seulement les thèses cornucopistes, mais aussi l’idée d’une réforme des valeurs qui ouvrirait à un mode de vie respectueux des équilibres naturels. Cette prise de position est une critique implicite de ceux qui, à l’instar du médiéviste Lynn White, promeuvent au même moment une analyse culturelle des racines de la crise environnementale. C’est d’ailleurs dans les colonnes de Science qu’était paru, l’année précédente, le célèbre article dans lequel ce dernier désignait la tradition judéo-chrétienne comme le déterminant en dernier ressort du rapport destructeur de l’Occident à la nature 107. Avec son intervention, Hardin se distancie aussi des revendications de l’environnementalisme contre-culturel qui prend son essor, au même moment, sur les campus de la côte Ouest en en appelant à une révolution intellectuelle et spirituelle dans le rapport à l’environnement 108.

Pour lui, les ressources naturelles doivent être gérées sur un mode impératif, selon une alternative : pour durer elles devraient être soit privatisées, soit contrôlées par une instance politico-administrative supérieure 109. Sa conclusion, on le voit, n’est pas unilatérale : la coercition qu’il juge nécessaire passe par un choix entre création de droits de propriété et administration centralisée (de type atique) 110. Cette dualité des préconisations sera largement perçue et discutée dans les débats ultérieurs – elle sert par exemple de point de départ à Ostrom dans sa recherche d’une « troisième voie » à l’échelle locale 111. La remarque est importante car l’on observe, dans le contexte français, une distorsion dans la perception de l’argumentaire hardinien. Il est souvent assimilé à ses lectures les plus libérales, qui présentent le recours au marché comme l’unique remède à la « Tragédie » 112. Or cet amalgame rend incompréhensibles les processus de réception et de réappropriation de l’argument, qui ont très largement opéré à partir de l’alternative posée par Hardin, pour surenchérir en faveur de l’une des deux options ou proposer de dépasser cette dichotomie (Ostrom).

Cela ne signifie pas que les positions de Hardin soient neutres quant à la place à accorder à l’État. Ses préférences se définissent, en la matière, en lien avec ses thèses sur la compétition généralisée et le devenir des communs matériels et reproductifs. Deux types d’intervention étatique focalisent son attention. Tout d’abord, on l’a vu, c’est un ardent défenseur des politiques publiques de conservation. Dans cette perspective, il dénonce ces éleveurs qui font pression sur les autorités, réclament de placer toujours plus de bêtes sur les terres fédérales et risquent de les convertir en de nouveaux « communs » 113. À l’inverse, il est un périmètre d’intervention qu’il ne cesse de contester : celui du Welfare State. C’est aussi ce « commun » que vise son article de 1968. Hardin dénonce ce système qui promet des aides indexées sur le nombre d’enfants, conforte les comportements procréatifs irresponsables et fait du budget fédéral une ressource promise à la ruine. Son engagement contre le Welfare State est ancien mais il prend un sens nouveau dans ces années de présidence Johnson, marquée par la grande « War on poverty » (1964-1969) et l’extension des programmes sociaux.

Son argumentaire, et en particulier son insistance sur la coercition, renvoie aussi d’une autre façon à ses conceptions biopolitiques. En effet, Hardin considère non seulement qu’il est chimérique de se contenter de plaider pour une limitation des naissances, mais encore que cette seule approche par la conviction est dangereuse. En 1968, Paul Ehrlich, en état de grâce médiatique, fonde l’association Zero Population Growth (ZPG), qui compte deux ans plus tard près de 33 000 membres aux Etats-Unis 114. L’objectif de ZPG est la stabilisation de la population états-unienne : elle promeut des méthodes de restriction volontaire de la fertilité (contraception, stérilisation choisie), via la sensibilisation du public et le lobbying politique. Pour Hardin, ce recours à la conscience individuelle est absurde : il ne convainc que les individus éduqués, et donc il est non seulement inefficace, mais contre-productif, car il menace de dégrader encore le patrimoine génétique du pays 115. Pour lui, seul un gouvernement impératif peut permettre de placer quantité et qualité de la population sous contrôle.

Ici aussi il milite pour des solutions passant, soit par la propriété et le marché, soit par l’intervention publique. Il est favorable, pour les États-Unis, à un marché des droits à enfanter, prenant la forme de titres convertibles en argent 116, et pour des pays comme l’Inde et la Chine à des politiques autoritaires des États. Au Nord, le marché doit permettre de contrôler la quantité et la qualité des individus, en favorisant les plus éduqués, vus comme les plus doués génétiquement. Au Sud, la suppression de l’aide alimentaire américaine (pour laquelle milite Hardin) doit mettre les gouvernements devant leurs responsabilités.

Les Communs, l’État, le Marché

Dès sa parution, l’article The tragedy of the commons connaît un grand retentissement 117. Depuis lors, son influence ne s’est jamais démentie et en a fait une référence commune à toutes les sciences sociales et environnementales. Sa réception et ses réappropriations théoriques ont été complexes et multiformes et leur analyse complète excéderait les limites de cet article. Malgré tout, nous voudrions tenter d’apporter quelques éléments sur ce point, en nous concentrant sur son influence dans les débats sur l’environnement et le gouvernement des ressources.

On peut distinguer, en la matière, trois grands champs de réception de la « Tragédie » – quatre, avec l’étude systématique des communs menée dans le sillage d’Ostrom, qui fît paradoxalement beaucoup pour la postérité de l’argument en le prenant jusqu’à aujourd’hui comme point de départ, comme repoussoir 118.

Sa réappropriation a été, premièrement, le fait d’auteurs qui, au début des années 1970, cristallisent une critique de la croissance mondiale et de ses conséquences écologiques. Le rapport Limits to Growth du Club de Rome, paru en 1972, est le bréviaire de cette forme d’environnementalisme politique qui lie préoccupations écologiques, critique du mode de vie occidental et exigence de justice globale 119. Dans ce contexte, la « tragédie des communs » est appliquée à des entités planétaires (la Terre, les océans, l’atmosphère), afin de souligner l’exigence de leur gestion concertée à des fins de viabilité, d’apaisement des conflits et de développement. C’est ainsi qu’Aurelio Peccei, le fondateur du Club de Rome, analyse la raison d’être de son organisation en soulignant qu’il faut agir car

« La planète tout entière fournit un exemple typique de ce que Garrett Hardin appelle la “Tragédie des communs” – le destin irrémédiable de quelque chose qui appartient à la communauté et que chacun essaie d’exploiter plus que les autres, ou avant eux, sans le moindre souci de l’intérêt commun. » 120

Dans ce champ de réception, la « Tragédie » est utilisée pour promouvoir de nouvelles formes de régulation, destinées à gérer les « communs mondiaux ».

Chez les auteurs inspirés par le Club de Rome, le caractère malthusien de l’argument n’est pas sous-estimé et il vient souligner le lien qui est établi entre crise écologique et crise de surpopulation (son arrière-fond eugéniste, en revanche, n’est pas du tout perçu). C’est en ce sens que la « Tragédie » est d’abord mobilisée en France. La première mention que nous ayons identifiée apparaît en effet sous la plume d’André Gorz, dans sa chronique du Nouvel Observateur du 2 septembre 1974 121. Or Gorz utilise l’argument (décrit comme un « scénario classique de la théorie des jeux ») pour traiter de la surexploitation des ressources halieutiques mondiales et souligner ce qu’elle doit à la surpopulation. Pour lui, on a trop longtemps éludé le rôle de ce facteur dans la crise environnementale. Il prône une relance des campagnes antinatalistes au Sud, à condition que l’Occident y soutienne dans le même temps l’émancipation politique et le développement.

Au moment même où le Club de Rome s’interroge sur le devenir du système-monde, la question des ressources s’impose comme une problématique majeure de la science économique. Si l’économie des ressources hérite d’une longue tradition 122, elle connaît un véritable boom à partir de la fin des années 1960, catalysé par la montée des inquiétudes environnementales et le choc pétrolier de 1973. Le champ se développe en combinant formalisme micro-économique et modélisation de l’état physique des ressources (forêts, pêcheries, champs d’hydrocarbures…), pour en analyser l’économie extractive. Un article de l’économiste canadien H. Scott Gordon, publié en 1954, est l’une des références structurantes à partir desquelles se développent ces recherches 123.

Or les conclusions de Gordon, comme cela a souvent été noté 124, sont très proches de celles de Hardin. Dans son article, il proposait un modèle mathématique pour décrire l’activité dans une zone de pêche. En l’analysant et en recourant à une série d’exemples (dont celui des pâturages), il concluait que la « common-property » – assimilée au libre accès – interdit une rente économique durable, car chaque acteur est engagé dans une course sans fi n, visant à exploiter la ressource avant tous les autres 125. Par ailleurs il est sceptique sur l’épuisement des pêcheries, mais il pointe ce type d’effet dans le cas des ressources en gibier et des pâtures. Pour éviter ces situations, Gordon propose la même alternative que Hardin : soit l’imposition de droits de propriété exclusifs, soit la gestion par une autorité hors-marché 126. Il inaugure par ailleurs l’amalgame, présent chez Hardin, entre propriété commune et libre accès.

Le texte de Gordon va connaître un succès croissant au cours des années 1950 et 1960, d’abord chez les spécialistes de la gestion halieutique, puis dans l’ensemble de la communauté des économistes. On s’est souvent interrogé sur le fait de savoir si Hardin avait formulé la « Tragédie » indépendamment de Gordon, ou s’il s’était contenté de reprendre son raisonnement. On peut tout d’abord noter qu’il ne cite pas son article avant le début des années 1970. Mais l’analyse des archives personnelles de Hardin permet d’aller plus loin et de trancher la question. Tout milite en faveur d’une formulation indépendante. En effet, on s’aperçoit qu’avant 1968 les listes de lecture de Hardin ne font aucune place à la littérature économique – et a fortiori à un texte relativement technique comme celui de Gordon 127. Mieux, Hardin s’explique directement sur la question dans un courrier adressé, des années plus tard, au sociobiologiste Edward O. Wilson. Après sa publication de 1968, écrit-il, plusieurs économistes ont attiré son attention sur le travail de Gordon : ce n’est qu’à ce moment-là qu’il l’a lu, sans d’ailleurs y trouver la profondeur de son propre raisonnement… 128.

En cette même fin des années 1960, le futur prix Nobel d’économie Vernon L. Smith intronise définitivement l’article de 1954 comme un classique de l’économie de l’environnement, en en faisant le point de départ d’une série d’articles 129. Smith généralise son approche micro-économique et son raisonnement sur les communs, mais en présentant la propriété exclusive comme la seule solution viable, fidèle en cela à son credo du tout marché. Par la suite, la critique de la « propriété commune » va devenir omniprésente dans le champ de l’économie des ressources, chaque auteur défendant ses solutions par le Marché et/ou l’État 130.

Le deuxième champ de réception de la « Tragédie » émerge d’un processus de résonance éditoriale : depuis la fin des années 1960, l’argument hardinien est mobilisé dans de très nombreux travaux d’économie des ressources, mais pour mettre en mots un raisonnement qui est développé à partir du formalisme micro-économique dont Gordon avait, le premier, jeté les bases 131.

L’essor des théories économiques et de la vision socio-politique globale portées par le néolibéralisme a été décisif pour donner à la « Tragédie » la place qu’elle occupe aujourd’hui dans les débats sur l’environnement, les ressources et le marché. La modélisation micro-économique a contribué à sa métabolisation par la pensée néolibérale, à la suite de Vernon L. Smith. Mais celle-ci s’est surtout faite, dans le dernier tiers du XXe siècle, par l’entremise du nouveau paradigme des droits de propriété promu par les économistes Ronald Coase, Armen Alchian et Harold Demsetz 132. Ce paradigme postule que l’efficacité d’un processus économique est subordonnée à l’existence de droits de propriété bien définis, garantis et transférables sur toutes les entités. A contrario, un déficit d’appropriation provoquerait des externalités – des transferts de coûts non pris en compte, interférant avec le bon fonctionnement du marché.

Dans les années 1970, les approches néolibérales de l’environnement se développent en appliquant ce raisonnement aux ressources et aux pollutions. Ce sera le troisième grand champ de réception de la « Tragédie ». Les dégradations environnementales sont attribuées à des déficits d’extension de la propriété privée : les entités non appropriées n’étant pas monétarisées, leur usage est gratuit et sans limite, ce qui cause leur dégradation. La solution : créer de nouveaux droits de propriété, afin d’atteindre une situation où la monétarisation de l’environnement décourage sa détérioration et permet d’atteindre une pleine efficacité économique 133. Le corollaire : retrait de l’État, démantèlement des réglementations environnementales et des services publics, privatisation des ressources – par exemple des nappes phréatiques 134.

C’est l’agenda de la « New Resource Economics » (NRE), une école de pensée qui se développe aux États-Unis à partir des années 1970, en empruntant au paradigme des droits de propriété, à la théorie du « Public Choice », à l’enseignement des néolibéraux autrichiens (Mises, Hayek) 135. La NRE s’appuie sur des structures de recherche privées comme le Political Economy Research Center (PERC) et la Foundation for Research on Economics and the Environment (FREE), toutes deux implantées dans le Montana et où œuvrent les chefs de fi le du mouvement (John Baden, Bruce Yandle, Richard Stroup, Terry L. Anderson). La NRE, proche de la droite du Parti républicain, bénéficie aussi du soutien de think tanks ultralibéraux comme le Pacific Research Institute for Public Policy, et de celui des libertariens du Cato Institute.

« La tragédie des communs » est une référence omniprésente de la NRE. 136 En effet, elle est utilisée pour caractériser la chaîne causale, fondamentale dans cette approche, entre absence de droits de propriété, externalités et dégradation environnementale. Cet enchaînement explique pourquoi le pâturage doit être privatisé, comme toutes les autres ressources, mais aussi comme les milieux sujets à la pollution 137. Les tenants de la NRE n’ignorent pas la dualité de la solution préconisée par Hardin 138. Mais parce qu’un aspect essentiel de leur travail consiste à documenter les faillites (réelles ou supposées) des politiques environnementales publiques, et à les caractériser comme l’expression sournoise d’intérêts particuliers à partir de la théorie du « Public Choice », l’alternative se réduit instantanément, chez eux, à la solution par le marché 139.

En France, la NRE a trouvé un propagandiste en la personne de Max Falque, qui l’introduit en France en 1986, à la faveur d’un article publié dans la revue Futuribles 140. Le texte s’ouvre par un long développement consacré à la « Tragédie », qualifiée de « pierre d’angle » de la NRE, mais qui reste encore méconnue en France. Cette mise en lumière concomitante a contribué à la lecture simplificatrice qui a été faite des thèses de Hardin, aux dépens d’une vraie mise en contexte historique. Or en dépit de convergences réelles (le démantèlement du Welfare State), on a vu que celles-ci ne s’épuisent dans leurs réappropriations néolibérales.

Péril migratoire, péril environnemental

Après le succès de la « Tragédie » – qu’il cherche à faire fructifier 141 –, Hardin se consacrera surtout à l’action militante. À la suite de l’arrêt Roe vs Wade de 1973 (qui légalise l’avortement aux États-Unis), il quitte la Planned Parenthood Organization, estimant que – une fois cet objectif atteint – l’organisation devient inutile puisqu’elle promeut la maîtrise individuelle des corps, et non le contrôle démographique 142. Il s’engage d’abord dans l’Environmental Fund, qui milite contre l’aide alimentaire au tiers-monde au nom de ses effets contre-malthusiens 143. Puis, c’est d’un autre combat dont il va faire son cheval de bataille : la lutte contre l’immigration.

Le tournant est opéré avec son texte « Living on a Lifeboat » de 1974 144. Il y décrit les nations occidentales comme des canots surpeuplés qui ne peuvent plus accueillir de migrants sans risquer de sombrer – sans épuiser leurs ressources. En 1978, le militant anti-immigration John Tanton (ancien président du ZPG entre 1975 et 1977) fonde la Federation for American Immigration Reform (FAIR), qui milite pour la fermeture des frontières en dénonçant les effets à la fois sociaux, culturels et environnementaux des flux migratoires. Jusqu’à son décès en 2003, Garrett Hardin est un personnage-clé de la FAIR : il occupe des fonctions de direction 145, multiplie les interventions sur les liens entre immigration et environnement 146, publie un recueil qui réinterprète la « Tragédie » à la lumière de cette articulation 147. Depuis sa mort, c’est la Garrett Hardin Society, émanation de la FAIR, qui cherche à faire vivre cet héritage politique.

Cette façon de lier question migratoire et question environnementale hérite d’une longue histoire. Le conservationnisme et le préservationniste états-uniens du premier tiers du XXe siècle intègrent en effet un courant fortement réactionnaire, qui lie ses revendications à des thèses sur « l’invasion » de populations migrantes non anglo-saxonnes 148. Ce courant combine eugénisme, nativisme et revendications à portée environnementale. Il dénonce dans un même mouvement la dégradation de la population et la destruction environnementale causées par l’immigration. Sa rhétorique opère notamment par inversion de la mythologie américaine de la wilderness, cette Nature sauvage donnée en tribut aux colons partis à la conquête de l’Ouest, et source de leurs vertus physiques et morales 149. Ce qui est dénoncé par contraste, c’est la croissance des villes peuplées de migrants, qui menacent la « wilderness » et les populations anglo-saxonnes qui se sont forgées à son contact.

L’une des figures emblématiques de ce courant est Henry Fairfield Osborn, chef de file de l’eugénisme des années 1900-1930 et cofondateur de la Save-the-Redwoods League (une organisation historique du préservationnisme californien, œuvrant à la protection des séquoias), qui est aussi le père du théoricien néomalthusien Henry Fairfield Osborn Jr. 150.

La focalisation tardive de Hardin sur les questions migratoires permet de mieux interpréter sa trajectoire, car elle révèle sa connexion profonde à cette tradition issue de la Progressive Era. Il la perpétue en liant eugénisme et, dans son cas, conservationnisme, dans le contexte du démo-ressourcisme d’après 1945. L’esprit de la Progressive Era est aussi sensible dans l’idéal d’un gouvernement par les savants qui imprègne, tout au long de son existence, les actions et les prises de position de Hardin – un idéal encore conforté par le scientisme exacerbé des décennies de Guerre froide. L’effet générationnel joue ici son rôle ; près de vingt ans séparent en effet Ehrlich et Hardin, formé intellectuellement dans les années 1930 et donc plus exposé à l’influence des idées technocratiques et eugénistes du premier quart de siècle.

Ceci n’empêche pas la montée des questions migratoires de caractériser toute l’histoire tardive du démo-ressourcisme, indépendamment d’une filiation à la Progressive Era. Comme on l’a vu, dans les années 1970-1980 le courant démo-ressourciste se ramifie et se réincarne notamment dans des organisations comme l’Environmental Fund et la FAIR. Celles-ci participent à l’essor de la nouvelle droite américaine en thématisant les liens entre enjeux environnementaux, rapport au tiers-monde et immigration.

La question migratoire émerge aussi comme une ligne de fracture au sein d’une organisation « historique » comme le Sierra Club. À la fi n des années 1960, l’association s’invite dans les débats sur les liens population/environnement : comme on l’a vu, c’est sous ses auspices qu’Ehrlich publie The Population Bomb 151. Mais par la suite, le Club opte pour une position de retrait : il soutient un objectif de stabilisation démographique à l’échelle des États-Unis et de la planète, mais sans s’engager plus avant. Michael McCloskey, son directeur exécutif de 1969 à 1985, insiste dans ses mémoires sur sa volonté de maintenir l’association à l’écart des questions d’immigration, au moment où les rapports avec les mouvements latino se font de plus en plus étroits dans un contexte de lutte pour les droits civiques et de montée de l’environnementalisme 152. Mais dans les années 1990, cet équilibre est compromis : l’association est déstabilisée par l’action d’une fraction de ses dirigeants, qui cherche à promouvoir un objectif de fermeture des frontières au nom de la protection de l’environnement 153.

Cette prégnance des thèses liant population, immigration et dommages écologiques dans l’environnementalisme états-unien (et particulièrement californien) permet de mieux comprendre certains aspects d’une œuvre comme celle de Jared Diamond qui, en conclusion de son best-seller Effondrement, attribue à la croissance démographique et aux flux migratoires le déclin environnemental de son lieu de vie, Los Angeles 154.

Conclusion

Depuis 1968, la polémique autour de la « tragédie des communs » n’a jamais cessé. Démonstration imparable pour les uns, absurdité pour les autres, elle est jusqu’à aujourd’hui un point de condensation des débats sur l’économie des ressources, les formes de la propriété, le rôle de l’État. Comme on l’a montré, elle apparaît aussi comme un lieu théorique où se croisent et s’enchevêtrent une formidable gamme de traditions intellectuelles et politiques traitant des populations et de leurs environnements. De la Progressive Era à la Guerre froide, de Malthus à Coase, du Club de Rome à la New Resource Economics, des prairies de l’Ouest aux pays du Sud soumis au consensus de Washington, la « tragédie des communs » nous parvient comme un visage des luttes, passées et à venir, mettant en jeu le gouvernement conjoint des hommes et de la nature.

Fabien Locher

Centre de Recherches Historiques (EHESS-CNRS)

Locher Fabien, Les pâturages de la Guerre froide : Garrett Hardin et la « Tragédie des communs », Revue d’histoire moderne et contemporaine, n°60-1, janvier-mars 2013.

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Dossier La Tragédie des Communaux

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Table des articles
Garrett Hardin, La Tragédie des Communaux, 13 décembre 1968
Ian Angus, Le Mythe de la tragédie des communaux, 22 Août 2008
Hervé Le Crosnier, Une bonne nouvelle pour la théorie des biens communs, 12 octobre 2009
Hervé Le Crosnier, Elinor Ostrom ou la réinvention des biens communs, 15 juin 2012
Eva Hemmungs Wirtén, Passé et présent des biens communs, De l’utilisation des terres au partage d’informations, 17 septembre 2013
Allan Greer, Confusion sur les Communs, 31 mars 2015
Fabien Locher, Les pâturages de la Guerre froide, Garrett Hardin et la «Tragédie des communs», Janvier 2013
Notre-Dame des Landes, De la ZAD aux Communaux?, Quelques pistes à explorer pour aller plus loin…, Printemps 2014

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Notes:

1 La base Web of Science fournit 4 320 citations pour les seuls articles scientifiques en langue anglaise (en août 2012). Ceci n’inclut ni les ouvrages, ni les publications hors langue anglaise.

2 Garrett Hardin, “The tragedy of the commons”, Science, 162, 13 décembre 1968, p. 1243-1248.

3 Pour un exemple récent, voir T. Chris Smout, “Garrett Hardin, the tragedy of the commons and the firth of forth”, Environment and History, 17-3, 2011, p. 357-378.

4 Voir les exemples donnés par Elinor Ostrom, Governing the Commons: The Evolution of Institutions for Collective Action, Cambridge, Cambridge University Press, 1990, chapitre 3 (traduit en français sous le titre La gouvernance des biens communs : pour une nouvelle approche des ressources naturelles, Bruxelles, De Boeck, 2010).

5 Le tournant serait le livre de Bruce A. Ackerman (ed.), Economic Foundations of Property Law, Boston, Little Brown and Co, 1975, selon R. Samuel Deese, “A metaphor at midlife: ‘the tragedy of the commons’ turns 40”, Endeavour, 32-4, 2008, p. 152-155 (ici p. 153).

6 Juan Martinez-Alier, The Environmentalism of the Poor. A study of Ecological Conflicts and Valuation, Cheltenham, Edward Elgar, 2002, p. 75-77. Cette objection fondamentale est soulevée dès les années 1970 par Siegfried Von Ciriacy-Wantrup et Richard C. Bishop : “Common property as a concept in natural resource policy”, Natural Resource Journal, 15, 1975, p. 713-727. Elle était même esquissée dès 1971 dans S. Von Ciriacy-Wantrup, “The economics of environmental policy”, Land Economics, 47-1, 1971, p. 36-45 (ici p. 43-44), à partir de la distinction entre les catégories juridiques de res nullius et de res communis.

7 Michael Heller, “The tragedy of the anticommons: property in the transition from Marx to markets”, Harvard Law Review, 111, 1998, p. 621-688.

8 Les travaux sur l’histoire de l’environnementalisme, du néo-malthusianisme, de l’économie des ressources ne traitent que brièvement d’Hardin. Voir tout de même Bjorn Linner, The Return of Malthus: Environmentalism and Post-War Population-Resource Crises, Isle of Harris, White Horse Press, 2003, p. 170, 173, 190 ; et Matthew Connelly, Fatal Misconception. The Struggle to Control World Population, Cambridge (Mass.), Harvard University Press, 2008, p. 247-248. Eric Ross, et surtout Thomas Robertson, lui ont accordé plus d’attention : E. B. Ross, The Malthus Factor: Population, Poverty and Politics in Capitalist Development, Londres, Zed Books, 1998, p. 74-78 et 212-213 ; Th. Robertson, The Malthusian Moment. Global Population Growth and the Birth of American Environmentalism, New Brunswick (N. J.), Rutgers University Press, 2012, p. 153-155, 158-159, 187, 190-191, 197-198. On dispose également de notices biographiques : Carl Jay Bajema, “Garrett James Hardin: ecologist, educator, ethicist and environmentalist”, Population and Environment, 12-3, 1991, p. 193-212 ; “Garrett Hardin. 1915-2003”, Proceedings of the American Philosophical Society, 149-3, 2005, p. 413-419.

9 Saluons toutefois la mise en contexte d’Alice Ingold, dans un article sur la postérité – et le dépassement – de l’argumentaire hardinien dans les débats sur le gouvernement des systèmes irrigués : A. Ingold, “Les sociétés d’irrigation : bien commun et action collective”, Entreprises & Histoire, 50, 2008, p. 19-35.

10 En histoire, des travaux importants ont été publiés dans la décennie 2000, notamment : Marie-Danielle Demélas, Nadine Vivier (éd.), Les propriétés collectives face aux attaques libérales (1750-1914). Europe occidentale et Amérique latine, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2003 ; Martina De Moor, Leigh Shaw-Taylor, Paul Warde (ed.), The Management of Common Land in North West Europe, c. 1500-1850, Turnhout, Brepols publishers, 2002 ; Peter Linebaugh, Magna Carta Manifesto: Liberties and Commons for All, Berkeley, University of California Press, 2008.

11 Ce point a été souligné par David Harvey, “The future of the commons”, Radical History Review, 109, 2011, p. 101-107 (ici p. 101).

12 Je remercie Caroline Douki, Marc Elie, Frédéric Graber, Dominique Pestre et Antonin Pottier, ainsi que la rédaction de la RHMC, pour leurs remarques et commentaires.

13 On est renseigné sur la formation de Hardin grâce à la série d’entretiens qu’il a accordée au Davidson Library oral history program de l’University of California, Santa Barbara, en 1983. Ces quatorze entretiens sont d’une exploitation délicate : ils ont été menés par un interviewer peu expérimenté ; les questionnements sont souvent anecdotiques ; c’est Hardin qui oriente l’échange et en fait une tribune personnelle. Leurs transcriptions sont conservées au sein des archives que Hardin a versées à UCSB : Garrett Hardin papers, Davidson Library, University of California, Santa Barbara, carton 1. Je remercie les archivistes David Gartrell et Amanda Demeter de m’avoir permis d’accéder à ce fonds. Sur la trajectoire de Hardin avant 1945, voir les entretiens 1 à 4.

14 Avec la Carnegie Institution de Washington, à laquelle est lié Frederic Clements, le grand promoteur de l’écologie végétale organiciste : Eugène Cittadino, “Ecology and the professionalization of botany in America”, Studies in the History of Biology, 4, 1980, p. 171-198.

15 Sharon E. Kingsland, Modeling Nature. Episodes in the History of Population Biology, Chicago, University of Chicago Press, 1985, p. 50-76, et Gregg Mitman, The State of Nature. Ecology, Community, and American Social Thought, 1900-1950, Chicago, University of Chicago Press, 1992.

16 Catherine Rhein, “L’écologie humaine, discipline-chimère”, Sociétés contemporaines, 49-50, 2003, p. 167-190.

17 Pour une analyse des théories population-ressources voir Michel Picouet et alii, “Le

renouvellement des théories population-environnement”, in Michel Picouet et alii (éd.), Environnement et sociétés rurales en mutation : approches alternatives, Paris, IRD, 2004, p. 17-43 (et en particulier p. 22-26).

18 Raymond Pearl, Lowell J. Reed, “On the rate of growth of the population of the United States since 1790 and its mathematical representation”, Proceedings of the National Academy of Sciences of the USA, 6, 1920, p. 275-288. On se fonde dans cette section sur le travail de référence de S. Kingsland, Modeling Nature…, op. cit.

19 R. Pearl, Studies in Human Biology, Baltimore, Williams & Wilkins, 1924, p. 584-637.

20 R. Pearl, “The growth of populations”, The Quarterly Review of Biology, 2, 1927, p. 532-548.

21 Georgii Gause, The Struggle for Existence, Baltimore, Williams & Wilkins, 1934. Gause a été sensibilisé aux travaux de Pearl par son mentor Vladimir Alpatov, qui avait passé plusieurs mois dans son laboratoire grâce à un financement de la fondation Rockfeller.

22 Dans les années 1940, les deux hommes collaborent activement pour développer un comité d’écologie animale soutenu par le National Research Council et la fondation Rockfeller. Voir leurs échanges à ce propos dans le fonds Allee de l’université de Chicago : Special collections research center, University of Chicago, carton 19 dossier 4.

23 G. Hardin, “Physiological observations and their ecological significance: a study of the protozoan, oikomonas termo”, Ecology, 25-2, 1944, p. 192-201 ; G. Hardin, “Symbiosis of paramecium and oikomonas”, Ecology, 25-3, 1944, p. 304-311.

24 G. Hardin, “The ecology and physiology of oikomonas termo, and the signifi cance of oikomonas in the nutrition of paramecium multimicronucleatum”, Ph. D, Stanford University, 1941.

25 Lettre de Hardin à Allee, du 18 février 1946 : Fonds Allee de l’université de Chicago, carton 18 dossier 1.

26 G. Hardin, Biology. Its Human Implications, San Francisco, Freeman and Co, 1950.

27 Voir tout de même E. B. Ross, The Malthus factor…, op. cit., p. 76-77.

28 Donald Worster, Dust Bowl: The Southern Plains in the 1930s, New York, Oxford University Press, 1979 ; Christophe Masutti, Le dust bowl, la politique de conservation des ressources et les écologues aux États-Unis dans les années 1930, thèse de l’université Louis Pasteur (Strasbourg 1), 2004.

29 G. Hardin, Biology…, op. cit., p. 550-559.

30 Il est créé en 1935. Un service du même type, mais plus modeste, existait depuis 1929 au sein de l’USDA. Ch. Masutti, Le dust bowl… , op. cit., p. 33.

31 Ibidem, p. 68-70.

32 G. Hardin, Biology…, op. cit., p. 558.

33 Ibidem, p. 554.

34 Ibidem, p. 609-621.

35 Sur l’histoire de l’eugénisme états-unien, la bibliographie est considérable. Voir en particulier Alexandra Minna Stern, Eugenic Nation. Faults and Frontiers of Better Breeding in Modern America, Berkeley, University of California Press, 2005, et Thomas C. Leonard, “Eugenics and economics in the Progressive Era”, Journal of Economic Perspectives, 19-4, 2005, p. 207-224.

36 Voir la liste de membres rendue publique par la Société en 1956 : Eugenics Quarterly, 3, 1956, p. 245.

37 Il est membre de son comité directeur entre 1971 et 1974. Voir Social Biology, 18-3, 1971 à 21-4, 1974, « American Eugenics Society – Officers and board of directors ». Entre-temps la société a changé de nom pour celui, plus neutre, de Society for the Study of Social Biology.

38 G. Gause, The Struggle for Existence, op. cit.; G. Hardin, “The competitive exclusion principle”, Science, 131, 29 avril 1960, p. 1292-1297.

39 Ibidem, p. 1293.

40 G. Hardin, Nature and Man’s Fate, New York, Rinehart and Co, 1959, p. 253.

41 Ibidem, p. 338 et G. Hardin, Biology…, op. cit., p. 619-620.

42 Hardin analyse plus avant les effets de sélection héréditaire entre riches et pauvres dans : G. Hardin, “Genetic consequences of cultural decisions in the realm of population”, Social Biology, 19-4, 1972, p. 350-361.

43 Il se réclame de ce terme à partir des années 1970. Il l’emprunte au livre éponyme d’Edward O. Wilson, Sociobiology: The New Synthesis, Cambridge (Mass.), Harvard University Press, 1975, pour lequel il a pris fait et cause après sa sortie controversée : G. Hardin, “Sociobiology – Aesop with teeth”, Social Theory and Practice, 4-3, 1977, p. 303-313.

44 M. Connelly, Fatal Misconception, op. cit., chapitre 4.

45 Paul Ehrlich [et Anne Ehrlich, non créditée], The Population Bomb, New York, Sierra Club-Ballantine Books, 1968.

46 Pierre Desrochers, Christine Hoffbauer, “The post war intellectual roots of the population bomb. Fairfield Osborn’s Our plundered planet and Williams Vogt’s Road to survival in retrospect”, The Electronic Journal of Sustainable Development, 1-3, 2009, p. 37-61 ; Th. Robertson, The Malthusian Moment…, p. 36-60.

47 Ibidem, p. 38. William Vogt, Road to Survival [1948], traduit sous le titre La faim du monde, Paris, Hachette, 1950.

48 David C. Duffy, “William Vogt: a pilgrim on the road to survival”, American Birds, 43-5, 1989, p. 1256-1257.

49 Ramachandra Guha, Environmentalism: A Global History, New York, Longman, 2000, p. 1 et John McNeill, Du nouveau sous le soleil. Une histoire de l’environnement mondial au XXe siècle [2000], Seyssel, Champ Vallon, 2010, p. 444-447.

50 Donald Worster, Nature’s Economy: The Roots of Ecology, San Francisco, Sierra Club books, 1977, p. 339-348.

51 Th. Robertson, “This is the American Earth: American empire, the cold war, and American environmentalism”, Diplomatic History, 32-4, 2008, p. 561-584 ; R. Samuel Deese, “The new ecology of power. Julian and Aldous Huxley in the Cold War era”, in John R. McNeill, Corinna R. Unger (ed.), Environmental Histories of the Cold War, Washington D.C./New York, German Historical Institute/Cambridge University Press, 2010, p. 279-300 ; Yannick Mahrane et alii, “De la Nature à la biosphère. L’invention politique de l’environnement global, 1945-1972”, Vingtième siècle, 113, janvier-mars 2012, p. 127-141.

52 Th. Robertson, “This is the American Earth…”, art. cit.

53 W. Vogt, Road to Survival, op. cit., p. 61.

54 Ibidem, p. 279-283. La riposte ne se fait pas attendre. Ainsi dans les rééditions de son ouvrage fameux, Josué de Castro s’en prend à Vogt : J. de Castro, Géopolitique de la faim [1946], Paris, Éditions ouvrières, 1952, p. 42-47 et p. 378-380.

55 Andrew Jamison, Ron Eyerman, Seeds of the Sixties, Berkeley, University of California Press, 1995, p. 77.

56 Entretien avec Garrett Hardin, Davidson Library oral history program, 1983, entretien 4.

57 Philip Stephens, William Sutherland, Robert Freckleton, “What is the Allee effect?”, Oikos, 87, 1999, p. 185-190. Ce qui ne l’empêche pas de souligner qu’à l’autre extrémité du spectre, une densité excessive aiguise la conflictualité et ampute ce taux : Warder C. Allee, Animal Aggregations. A Study in General Sociology, Chicago, University of Chicago Press, 1931, p. 101-147.

58 Sur ce point : Sharon Kingsland, “The refractory model: the logistic curve and the history of population ecology”, The Quaterly Review of Biology, 57, 1982, p. 29-52.

59 Warder C. Allee, The Social Life of Animals, New York, W.W. Norton & Co, 1938, p. 209-243.

60 Lettre de Hardin à Allee, du 12 mai 1942. Fonds Allee de l’université de Chicago, carton 18 dossier 1.

61 G. Hardin, entretien, FAIR oral history projet, 1997, Garrett Hardin papers, carton 1.

62 G. Hardin (ed.), Population, Evolution, and Birth Control. A Collage of Controversial Ideas, San Francisco, Freeman and Co, 1964 ; G. Hardin, “The history and future of birth control”, Perspectives in Biology and Medicine, 10, 1966, p. 1-18 ; G. Hardin, “The ghost of authority”, Perspectives in Biology and Medicine, 9-2, 1966, p. 289-297.

63 Hardin n’aborde presque jamais la question raciale. Toutefois, ses prises de position à l’occasion de la controverse de la Bell Curve ne laissent guère de doute sur ses convictions inégalitaristes. Il signe le manifeste en défense du livre, qui paraît sous le titre “Mainstream science on intelligence” dans le Wall Street Journal du 13 décembre 1994. Sur cette affaire, voir Éric Fassin, “Discours sur l’inégalité des races. The Bell Curve: polémique savante, rhétorique raciale et politique publique”, Hérodote n°85, 1997, p. 61-88. Eugénisme et racisme entretiennent des rapports complexes, ils sont souvent associés chez les acteurs, mais ce n’est pas systématique. Voir l’exemple que donne A.M. Stern, Eugenic Nation, op. cit., p. 131.

64 G. Hardin, entretien, FAIR oral history project, 1997, Garrett Hardin papers, carton 1.

65 Amy Dahan, Dominique Pestre, Les sciences pour la guerre. 1940-1960, Paris, Éditions de l’EHESS, 2004.

66 Peter Galison, “The ontology of the enemy: Norbert Wiener and the cybernetic vision”, Critical Inquiry, 21-1, 1994, p. 228-266.

67 Ibidem ; et Geof Bowker, “How to be universal: some cybernetic strategies, 1943-1970”, Social Studies of Science, 23-1, 1993, p. 107-127.

68 Robert Leonard, Von Neumann, Morgenstern and the Creation of Game Theory: from Chess to Social Science 1900-1960, Cambridge, Cambridge University Press, 2010.

69 Agatha C. Hughes, Thomas P. Hughes (ed.), Systems, Experts, and Computers. The Systems Approach in Management and Engineering, World War II and after, Cambridge (Mass.), MIT Press, 2000, et particulièrement le chapitre de David R. Jardini, “Out of the blue yonder: the transfer of systems thinking from the Pentagon to the Great Society, 1961-1965”, p. 311-357.

70 Un moment fondateur est la parution de : Eugene Odum, Fundamentals of Ecology, Philadelphia, Saunders, 1953.

71 Voir E. Roy Weintraub (ed.), Towards a History of Game Theory, Durham, Duke University Press, 1992, p. 177-204 et 207-223.

72 Philip Mirowski, Machine Dreams. Economics Becomes a Cyborg Science, Cambridge, Cambridge University Press, 2002.

73 General Systems – Yearbook of the Society for the Advancement of General Systems Theory, Ann Harbor, Michigan, 3, 1958, liste des membres au 1er octobre 1958 (cf. volumes suivants).

74 G. Hardin, “The cybernetics of competition: a biologist’s view of society”, Perspectives in Biology and Medicine, 7, 1963, p. 58-84.

75 Ibidem, p. 64, p. 77-78.

76 G. Hardin, “The demostat”, in Living within Limits. Ecology, Economics and Population Taboos, New York, Oxford University Press, 1993, p. 102-110.

77 Greg Bankoff, “Time is the essence: disasters, vulnerability and history”, International Journal of Mass Emergencies and Disasters, 22-3, 2004, p. 23-42.

78 Entretien avec G. Hardin, Davidson library oral history program, 1983, entretien 7.

79 D’abord dans The New Scientist puis dans le Washington Post : Paul Ehrlich, “Paying the piper”, The New Scientist, 36, p. 652-655, 14 décembre 1967 et Paul Ehrlich, “The fight against famine is already lost”, Washington Post, 10 mars 1968.

80 D’autant qu’en 1967 paraît aussi William et Paul Paddock, Famine, 1975 !, Boston, Little Brown and Co, 1967, sur ces mêmes thèmes.

81 B. Linner, The Return of Malthus…, op. cit., p. 151-198.

82 W. Vogt, People! Challenge to Survival, London, Victor Gollancz, 1961.

83 Henry Fairfield Osborn Jr., Our Crowded Planet. Essays on the Pressure of Population, New York, Doubleday, 1962. La première édition (Londres, Faber & Faber, 1948) avait connu un succès comparable au Road to Survival de Vogt.

84 B. Linner, The Return of Malthus…, op. cit., p. 152.

85 Paul R. Brass, “The political uses of crisis: the Bihar famine of 1966-1967”, Journal of Asian Studies, 45-2, 1986, p. 245-267. C’est le moment où l’Inde cherche à se doter de la bombe atomique, au grand dam des États-Unis.

86 Kingsley Davis, “Population policy: will current programs succeed?”, Science, 158, 10 novembre 1967, p. 730-739.

87 Cette séquence est analysée par Élodie Vieille Blanchard dans sa thèse sur le Club de Rome : « Les limites à la croissance dans un monde global. Modélisations, prospectives, réfutations », thèse, EHESS, 2011, p. 151-188. G. Hardin prolonge le débat en publiant trois éditoriaux dans Science : “Parenthood: right or privilege?”, Science, 169, 31 juillet 1970, p. 427 ; “Nobody ever dies of overpopulation”, Science, 171, 12 février 1971, p. 527 ; “The survival of nations and civilization”, Science, 172, 25 juin 1971, p. 1297.

88 G. Hardin, “The cybernetics of competition…”, art. cit., p. 62.

89 G. Hardin, “The tragedy…”, art. cit., p. 1243.

90 Hardin se réfère à une tribune fameuse, signée par deux experts proches de la Présidence américaine, et qui pointait le caractère inéluctable de cette spirale pour argumenter en faveur du désarmement : Herbert York, Jerome Wiesner, “National security and the nuclear test ban”, Scientific American, 211-4, 1964, p. 27-35.

91 G. Hardin, “The tragedy…”, art. cit., p. 1243. C’est ce que Ehrlich, dans son article du Washington Post, appelle “The ocean myth”. Voir aussi P. Ehrlich, La Bombe P [1968], Paris, Fayard, 1972, p. 100-103. Les années 1960 sont un âge d’or de l’exploration des océans, avec notamment le programme des Sea Labs, destiné à préparer une colonisation permanente du monde sous-marin (Ben Hellwarth, Sealab: America’s Forgotten Quest to Live and Work on the Ocean Floor, New York, Simon & Schuster, 2012).

92 Denis Cosgrove, “Contested global visions: one-Earth, whole-Earth, and the Apollo space photographs”, Annals of the Association of American Geographers, 84-2, 1994, p. 270-294 ; Sheila Jasanoff, “Image and imagination: The formation of global environmental consciousness”, in Paul Edwards, Clark Miller (ed.), Changing the Atmosphere: Expert Knowledge and Environmental Governance, Cambridge (Mass.), MIT Press, 2001, p. 309-337.

93 Le terme « cornucopisme » est récent et a été forgé par Julian Simon, The Ultimate Resource, Princeton, Princeton University Press, 1981.

94 Après l’avoir réédité : G. Hardin (ed.), Population, Evolution…, op. cit., p. 28-31.

95 William Foster Lloyd, Two Lectures on the Checks to Population, Oxford/Londres, J.H. Parker/J.G. & F. Rivington, 1833.

96 Sur ce point voir Michael White, “Dear prudence: W. F. Lloyd on population growth and the natural wage”, History of Economics Review, 53-1, 2011, p. 73-90. Voir aussi, notamment sur les influences de Lloyd, Gregory Moore, Michael White, “Placing William Forster Lloyd in context”, Research in the History of Economic Thought and Methodology, 28-B, 2010, p. 109-141. Sur Lloyd et le mouvement des enclosures dans le contexte anglais, voir P. Linebaugh, “Enclosures from the bottom up”, Radical History Review, 108, 2010, p. 11-27.

97 W. Foster Lloyd, Two Lectures…, op. cit., p. 30-32.

98 Joachim Radkau, Nature and Power: A Global History of the Environment, New York, Cambridge University Press, 2008, p. 71-73.

99 W. Foster Lloyd, Two Lectures…, op. cit., p. 20.

100 G. Hardin, “The tragedy…”, art. cit., p. 1244.

101 G. Hardin, “The cybernetics of competition…”, art. cit., p. 72.

102 John Von Neumann, Oskar Morgenstern, Theory of Games and Economic Behavior, Princeton, Princeton University Press, 1947.

103 Angela O’Rand, “Mathematizing social science in the 1950s: the early development and diffusion of game theory”, in E. Roy Weintraub (ed.), Toward a History of Game Theory, Durham, Duke University Press, 1992, p. 177-204 (ici p. 194).

104 T. C. Smout, “Garrett Hardin…”, art. cit.

105 Voir les références données dans E. Ostrom, Governing the Commons, op. cit., p. 3.

106 « mutual coercion mutually agreed upon »: G. Hardin, “The tragedy…”, art. cit., p. 1247.

107 Lynn T. White, “The historical roots of our ecologic crisis”, Science, 155, 10 mars 1967, p. 1203-1207. Les premiers travaux de l’histoire environnementale américaine portent l’empreinte des débats ouverts par l’article de White. C’est notamment le cas du livre de Carolyn Merchant, The Death of Nature: Women, Ecology and Scientific Revolution, San Francisco, Harper & Row, 1980.

108 Ce caractère « contre-culturel » doit toutefois être contextualisé et nuancé. Fred Turner a récemment insisté sur la réappropriation, par la mouvance environnementaliste des années 1970, de l’héritage technologique de la Guerre froide et de son complexe militaro-industriel : Fred Turner, From Counterculture to Cyberculture: Stewart Brand, the Whole Earth Network, and the Rise of Digital Utopianism, Chicago, University of Chicago Press, 2006.

109 G. Hardin, “The tragedy…”, art. cit., p. 1245.

110 Hardin reformulera cette alternative en 1972 (G. Hardin, Exploring New Ethics for Survival [1972], Baltimore, Penguin Books, 1973, p. 109-118) et en 1998 (“Extensions of the tragedy of the commons”, Science, 280, 1er mai 1998, p. 682-683).

111 Ce point est clairement énoncé dans Thomas Dietz, Nives Dolsak, Elinor Ostrom, Paul C. Stern, “The drama of the commons”, in E. Ostrom et alii (ed.), The Drama of the Commons, Washington, D.C., National Academy Press, 2002, p. 3-36 (voir particulièrement p. 11-12).

112 Si l’on s’en tient là, il devient très difficile de comprendre la logique d’une intervention comme celle du politiste Beryl L. Crowe, qui dans une réponse à Hardin publiée en 1969 dans Science, lui reproche sa confiance dans la gestion par les agences administratives et dénonce le « mythe des administrateurs des communs ». B. L. Crowe, “The tragedy of the commons revisited”, Science, 166, 28 novembre 1969, p. 1103-1107.

113 G. Hardin, “The tragedy…”, art. cit., p. 1245 et “Living on a lifeboat”, in G. Hardin et John Baden, Managing the Commons, San Francisco, Freeman and Co, 1977, p. 262-279 (ici p. 265).

114 Robert Gottlieb, Forcing the Spring. The Transformation of the American Environmental Movement, Washington, Island Press, 2005, p. 330-335.

115 Cathy Spencer, Interview: Garrett Hardin, Omni, 14-9, juin 1992, p. 54-63 (ici p. 59). C’est aussi ce qui explique la profonde cohérence entre l’engagement néo-malthusien de Hardin et sa décision, apparemment paradoxale, d’avoir quatre enfants.

116 G. Hardin, “Living on a lifeboat”, art. cit. (p. 277). Hardin reprend en fait une proposition de Kenneth E. Boulding, The Meaning of the Twentieth Century. The Great Transition, New York, Harper and Row, 1964, p. 135-136. Plus tard, il insistera sur l’idée d’agir par l’impôt (par exemple en modulant l’assiette d’imposition), comme l’avait proposé Ehrlich (P. Ehrlich, La Bombe P, op. cit., p. 142-143).

117 L’année qui suit sa publication, il est déjà cité dans 18 articles académiques (source Web of Science). Une version écourtée du texte paraît aussi dans la presse : “How freedom in a commons brings tragedy”, Washington Post, 11 mai 1969.

118 E. Ostrom, Governing the Commons, op. cit., p. 2-3 ; E. Ostrom et alii (ed.), The Drama of the Commons, op. cit., p. 1-4 (« A point of departure »). Sur l’histoire de l’étude des communs, voir Frank Van Laerhoven, E. Ostrom, “Traditions and trends in the study of the commons”, International Journal of the Commons, 1-1, 2007, p. 3-28.

119 Donella H. Meadows et alii, The Limits to Growth. A report for the Club of Rome’s Project on the Predicament of Mankind, New York, Universe Books, 1972.

120 Aurelio Peccei, The Human Quality, Oxford/New York, Pergamon Press, 1977, p. 76.

121 André Gorz, “Douze milliard d’hommes ?”, Le Nouvel Observateur, 2 septembre 1974 (pseud. Michel Bosquet).

122 Songeons simplement aux travaux de William Stanley Jevons sur les ressources minérales : W. S. Jevons, The Coal Question, Londres, MacMillan, 1865.

123 H. Scott Gordon, “The economic theory of a common-property resource: the fishery”, Journal of Political Economy, 62-2, 1954, p. 124-142. Son modèle est complété peu après par Anthony Scott, “The fishery: the objectives of sole ownership”, Journal of Political Economy, 63-2, 1955, p. 116-124.

124 Par exemple par E. Ostrom, Governing the Commons, op. cit., p. 3.

125 H. S. Gordon, art. cit., p. 134-135.

126 Ibidem, p. 135.

127 Garrett Hardin papers, cartons 3 à 6.

128 Lettre de G. Hardin à Edward O. Wilson, du 8 mars 1979, Garrett Hardin papers, carton 17.

129 Vernon L. Smith, “Economics of production from natural resources”, The American Economic Review, 58-3, 1968, p. 409-431 ; “On models of commercial fishing”, Journal of Political Economy, 77-2, 1969, p. 181-198 ; Jim Quirk, V. L. Smith, “Dynamic models of fishing”, in Anthony Scott (ed.), Economics of Fisheries Management: A Symposium, Vancouver, University of British Columbia Press, 1970, p. 3-32.

130 Cela explique pourquoi dans leur panorama du champ, publié en 1977, Peterson et Fisher consacrent une section entière au « problème de la propriété commune » : Frederick M. Peterson, Anthony C. Fisher, “L’économie des ressources naturelles”, L’Actualité économique, 53-4, 1977, p. 510-558 (ici p. 519-522).

131 Voir par exemple les travaux de Colin W. Clark, “The economics of overexploitation”, Science, 181, 17 août 1973, p. 630-634, notamment.

132 Ronald Coase, “The problem of social cost”, Journal of Law and Economics, 3, 1960, p. 1-44 ; Harold Demsetz, “Toward a theory of property rights”, American Economic Review, 57-2, 1967, p. 347-359 ; et surtout Armen Alchian, H. Demsetz, “The property right paradigm”, Journal of Economic History, 33-1, 1973, p. 16-27.

133 Ce qui n’est pas la seule façon d’internaliser les externalités (taxation, marché de droits) : Valérie Boisvert, Armelle Caron, Estienne Rodary, “Privatiser pour conserver ? Petits arrangements de la nouvelle économie des ressources avec la réalité”, Tiers-Monde, 45, 2004, p. 61-84.

134 Une solution préconisée par Terry L. Anderson, Pamela S. Snyder, Water Markets: Priming the Invisible Pump, Washington D.C., Cato Institute, 1997.

135 Sur la NRE, voir V. Boisvert, A. Caron, E. Rodary, art. cit. ; Natacha Lajoie, François Blais, “Une réconciliation est-elle possible entre l’environnement et le marché ? Une évaluation critique de deux tentatives”, Politique et Sociétés, 18-3, 1999, p. 49-77 ; Olivier Petit, “La nouvelle économie des ressources et les marchés de l’eau : une perspective idéologique ?”, Vertigo, 5-2, 2004 [revue en ligne] ; Sébastien Caré, “La main verte invisible du marché : l’expertise libertarienne et les politiques environnementales aux États-Unis”, en ligne : <http://www.pacte.cnrs.fr/IMG/html_LATTSCare.html&gt; (consulté le 1er juillet 2012) ; pour une présentation de cette approche par l’un de ses principaux tenants, voir Terry L. Anderson, “The new resource economics: old ideas and new applications”, The New Political Economy of Natural Resources, 64-5, 1982, p. 928-934.

136 Un seul exemple : Robert J. Smith, “Resolving the tragedy of the commons by creating private property rights in wildlife”, The Cato Journal, 1-2, 1981, p. 439-468.

137 Hardin avait devancé cette conclusion en évoquant l’air et les eaux comme des communs dégradés. G. Hardin, “The tragedy…”, art. cit., p. 1245.

138 T. L. Anderson, Donald R. Leal, Free Market Environmentalism Today, New York, Palgrave, 2001, p. 143-144.

139 Voir par exemple John Baden, Richard Stroup (ed.), Bureaucracy vs. Environment, Ann Arbor, University of Michigan Press, 1981.

140 Max Falque, “Libéralisme et environnement”, Futuribles, 97, 1986, p. 40-55. Il éditera par la suite plusieurs volumes consacrés à la NRE et aux approches néolibérales de l’environnement. Le dernier en date est : Max Falque, Henri Lamotte (éd.), Biodiversité : Droits de propriété, économie et environnement. Conférence internationale (Aix-en-Provence, 2010), Bruxelles, Bruylant, 2012.

141 Il publie notamment un recueil des principales réactions à la Tragédie : G. Hardin, John Baden, Managing the Commons, San Francisco, Freeman and Co, 1977. Malgré la codirection de John Baden, l’un des chefs de file de la NRE, le spectre des contributions reste assez large. Elinor Ostrom réédite ainsi un article où, dès 1969, elle esquissait ses premières critiques de l’argument (p. 173-182).

142 Entretien avec Garrett Hardin, Davidson Library Oral History Program, 1983, entretien 11.

143 Sur l’Environmental Fund, voir le récit (évasif) que fait Hardin dans : Entretien avec Garrett Hardin, Davidson Library Oral History Program, 1983, entretiens 10, 11 et 12.

144 G. Hardin, “Living on a lifeboat”, art. cit. (texte paru au départ dans Bioscience, 24-10, 1974, p. 561-568). Sur la montée des questions migratoires dans l’agenda de l’environnementalisme néomalthusien, voir Th. Robertson, The Malthusian Moment…, op. cit., p. 186-190 et 196-200.

145 De 1984-1985 à 1996 (d’après Garrett Hardin, entretien, FAIR oral history projet, 1997, Garrett Hardin papers, carton 1) puis de nouveau au début des années 2000 (Board of advisors. FAIR Annual Report 2001, p. 27-29, et 2002, p. 26-28).

146 Voir par exemple G. Hardin, “There is no global population problem”, The Humanist, 49, juillet-août 1989, p. 11-13.

147 G. Hardin, The Immigration Dilemna: Avoiding the Tragedy of the Commons, Washington DC, FAIR, 1995.

148 Garland E. Allen, “Culling the herd: eugenics and the conservation movement in the United States, 1900-1940”, Journal of the History of Biology, en ligne (mars 2012) ; A.M. Stern, Eugenic Nation, op. cit., p. 115-149 ; Gray Brechin, “Conserving the race: natural aristocracies, eugenics and the US conservation movement”, Antipode, 28-3, 1996, p. 229-245.

149 Sur la wilderness voir le livre classique de Roderick Nash, Wilderness and the American Mind, New Haven, Yale University Press, 1967.

150 Chez qui on ne retrouve pas, soulignons-le, de thèses nativistes, eugénistes ou racialistes.

151 L’association était déjà intervenue ponctuellement en 1959, pour souligner le risque que la surpopulation mondiale fait peser sur la wilderness. Th. Robertson, The Malthusian Moment…, op. cit., p. 122.

152 J. Michael McCloskey, In the Thick of It. My Life in the Sierra Club, Washington/London, Island Press/Shearwater Books, 2005, p. 199, 241-242 et 350-351.

153 The Planet Newsletter, 4-10, décembre 1997. Voir aussi la présentation (peu nuancée) qu’en fait Alexander Cockburn, “Commentary: a big green bomb aimed at immigration”, Los Angeles Times du 2 octobre 1997. Ces dissensions internes se raviveront au milieu des années 2000 : voir Felicity Barringer, “Bitter division for Sierra Club on immigration”, New York Times du 16 mars 2004.

154 Jared Diamond, Effondrement. Comment les sociétés décident de leur disparition ou de leur survie [2005], Paris, Gallimard « Folio », 2009, p. 757-763. Avec Diamond, on est toutefois au plus loin de l’inégalitarisme hardinien, ce qui peut être mesuré à la lecture du compte rendu que rédige Hardin sur le livre de J. Diamond, Guns, Germs, and Steel: The Fates of Human Societies, New York, W. W. Norton, 1997 (traduit sous le titre De l’inégalité parmi les sociétés, Paris, Gallimard, 2000), dans Population and Development Review, 23-4, 1997, p. 889-895.

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