François Jarrige, Le mauvais genre de la machine, 2007

Résumé

Au XIXe siècle, « l’ancien régime typographique » laisse la place à l’ère des productions imprimées industrielles. Si l’impression se transforme rapidement dès la première moitié du XIXe siècle, le travail d’assemblage des caractères en plomb réalisé par le compositeur change peu avant l’introduction des linotypes au tournant du XXe siècle. Cette stabilité du système technique, généralement expliquée par l’imperfection des méthodes de composition mécanique, s’enracine en réalité dans la complexité des rapports sociaux et des enjeux culturels soulevés par les nouveaux procédés. En France en effet, comme en Angleterre, les premières machines à composer mises au point au cours des années 1840 sont précocement associées au travail des femmes. Les fabricants jouent de cette identification pour promouvoir des machines permettant d’utiliser une main-d’œuvre bon marché. De leur côté, les ouvriers du livre instrumentalisent la dimension sexuée des artefacts techniques pour préserver l’espace de travail. Ni transformation inexorable, ni impossibilité technique, le changement des méthodes de composition émerge finalement au terme d’un processus lent d’acclimatation et de négociation entre les différents acteurs du monde de l’imprimerie.

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Sous la monarchie de Juillet, le spectre de la composition mécanique inquiète les ouvriers typographes :

« Non content du tort que font à cette profession le clichage et le polytypage, on invente encore de détestables machines qui vont reproduire sans caractères et sans compositeurs les ouvrages. » 1

C’est l’impression qui est transformée en premier avec la mise au point des presses mécaniques dès le début du XIXe siècle, suivie par la diffusion des rotatives dans la seconde moitié du siècle. L’étape en amont du travail, en revanche, celle de la composition, se mécanise beaucoup plus lentement.

L’assemblage des caractères mobiles en plomb est réalisé manuellement par le compositeur typographe, jusqu’à la généralisation de l’usage des linotypes dans les années 1890-1900. Comment expliquer cette stabilité du système technique et le maintien de l’organisation traditionnelle du travail de composition ?

Les historiens des techniques n’aperçoivent, avant la linotype, que des « tâtonnements géniaux mais impraticables » 2. Pourtant, dès le début des années 1840, les innovations se multiplient pour remplacer le travailleur à la casse. Le « pianotype » de Young et Delcambre (1840) suscite le premier la controverse.

La machine annonce un bouleversement de la structure du marché du travail dans l’imprimerie en favorisant l’embauche de travailleurs jugés illégitimes – notamment les femmes, bien moins payées – et en bouleversant l’organisation des ateliers. Face à ces menaces, les ouvriers du livre comme les petits maîtres imprimeurs réagissent en réaffirmant l’identité du métier et en particulier sa dimension masculine. L’échec du « pianotype » fut ainsi le résultat d’âpres négociations.

En nous plaçant en amont de l’introduction de la linotype, à l’époque des expérimentations et des doutes, nous tenterons d’inscrire le changement technique dans l’épaisseur des univers sociaux qui président à son élaboration 3. La machine à composer, élaborée en Angleterre et rapidement introduite en France, suscite des constructions discursives complexes : chacun tente d’imposer une définition de l’artefact technique. Face aux innovateurs qui vantent les bienfaits du nouveau procédé, les ouvriers compositeurs, qui constituent dans les deux pays une élite ouvrière qualifiée, dénoncent les impasses techniques et morales de la machine. Ils mettent en œuvre des stratégies de résistance souvent proches face aux transformations qui se profilent dans l’atelier et imposent, finalement, une mécanisation négociée.

La mécanisation de la composition : les expérimentations

Après 1830, « l’Ancien Régime typographique » est peu à peu dépassé 4. Les presses mécaniques accroissent fortement la productivité de l’impression. La presse cylindrique à vapeur de Koenig, utilisée pour la première fois en 1814, pour l’impression du Times, est introduite en France dans les dernières années de la Restauration et son usage se généralise progressivement ensuite 5. Rapidement, des essais de mécanisation de la composition voient également le jour.

Clichage, stéréotypie et composition mécanique : des réponses aux pressions du marché

La croissance de la productivité des presses et le développement des imprimés périodiques poussent à la recherche de nouvelles méthodes de composition plus rapides, afin de surmonter ce goulot d’étranglement 6. En effet, la composition manuelle ne suit plus les possibilités de tirage des presses et requiert des effectifs pléthoriques, si l’on ne veut pas casser le rythme de production. La seule alternative est l’innovation technique 7. On cherche d’abord à perfectionner les techniques du clichage et de la stéréotypie, qui devaient permettre de conserver les pages d’un livre d’un usage courant, afin de procéder à des tirages ultérieurs sans être dans l’obligation de recomposer chaque fois l’ensemble. Le cliché désigne la plaque métallique à partir de laquelle on peut tirer un grand nombre d’exemplaires de la composition typographique, le stéréotype lui, évoque le résultat, l’épreuve qui est imprimée avec des planches clichées. On a découvert que pour accélérer les reproductions, il suffit de se servir de l’empreinte d’une composition typographique faite avec des caractères mobiles traditionnels, d’y couler un alliage de plomb, lequel, une fois refroidi et solidifié fournirait un cliché solide que l’on conserverait pour de nouveaux tirages. L’amélioration du procédé est attribuée à Louis-Etienne Herhan, qui le présente à l’Institut le 28 thermidor an VIII (1800) 8. Même si elle a peu de succès pratique à l’époque, cette invention est importante dans la mesure où elle remet en cause le principe de la mobilité des types et, par là, annonce le bouleversement introduit à la fin du XIXe siècle par l’invention des monotypes-linotypes. Des perfectionnements continuels sont apportés à ces procédés 9.

Mais tout au long du XIXe siècle, les efforts portent en priorité sur l’automatisation de la composition de textes nouveaux : on tente de composer mécaniquement, par l’intermédiaire d’un clavier, les caractères typographiques qui sont stockés dans un magasin légèrement surélevé. À l’appel d’une touche, ceux-ci s’assemblent dans l’ordre voulu, en lignes, et les lignes une fois terminées, en pages. Le premier essai de composition mécanique est exécuté sur les types eux-mêmes par un Américain, William Church, de Boston, dont la machine obtient un brevet en Angleterre en 1822. Mais la machine ne fut jamais construite. Les années1830 et1840 connaissent un accroissement sensible des expérimentations en ce domaine :l’imprimeur et philosophe lyonnais Pierre-Simon Ballanche, par exemple, adapte en 1833 un clavier semblable à celui d’un piano à une casse d’un modèle spécial. Quelques années plus tard, un professeur de mathématiques nommé Gaubert met au point, sur un modèle proche, le « Gérotype » 10. Mais ces divers procédés restent à l’état de projet.

Le « pianotype » de Young et Delcambre est la première machine à composer réellement expérimentée dans des ateliers. Elle s’appuie sur le principe qui sera utilisé par la plupart des inventeurs jusqu’à la fin du siècle :celui du « piano à caractères », dans lequel les lettres, stockées dans des tubes, sont libérées par l’action des touches d’un clavier similaire à celui d’un piano.

Origine et diffusion de la composition mécanique en Angleterre

Le « pianotype » de Young et Delcambre est d’abord conçu et expérimenté en Angleterre.A priori, les deux inventeurs étaient peu à même de réussir dans leur entreprise; l’un était le directeur des filatures de coton et de lin Young et Cie, en Angleterre, et le second, Adrien Delcambre, était un industriel lillois; aucun des deux n’était imprimeur 11. Pour mettre au point la machine, ils font appel à un mécanicien célèbre pour son procédé de fabrication de l’acier : Henry Bessemer.

Après 15 mois de mise au point, la « composeuse mécanique » est finalement prête et les deux industriels prennent un brevet d’invention à Londres en mars 1840.

La presse rend compte de cette découverte avec intérêt en notant par exemple que désormais, « l’opération de la composition est devenue une affaire très simple » 12. Le fonctionnement de cette machine a en effet l’apparence de la simplicité : elle groupe les types – c’est-à-dire les caractères d’imprimerie – classés par lettres dans des magasins et, à l’appel d’un clavier à touches, les laisse échapper dans l’ordre voulu pour qu’ils s’assemblent en lignes. Cependant, il fallait toujours remettre les types en place après utilisation, on invente donc des « machines à distribuer », qui font l’objet de modifications continuelles, en vue de replacer les types dans leur casse (Images 1 et 2).

Plusieurs imprimeries anglaises achètent rapidement ce nouveau procédé qui était exposé en permanence dans les locaux de Young et Delcambre 13. Cette machine est employée pour la composition de périodiques comme The Family Herald ou The London Phalanx, et de certains ouvrages 14. Mais son usage ne se généralise pas, on dénonce rapidement son coût excessif et les difficultés de son maniement ; à plusieurs reprises, elle est adoptée puis abandonnée, sans que l’on sache réellement les motifs de cet échec. En 1846, les deux industriels, après avoir mis fin à leur collaboration, abandonnent finalement leurs essais londoniens. Toutefois, Young continue d’y travailler et, dans les décennies qui suivent, il présente de nouveaux modèles perfectionnés 15.

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Image 1: Le pianotype compositeur (a) et
la machine à distribuer de Delcambre (b).

Source : M.Daumas (dir.), Histoire générale des techniques,Tome 3, Paris, PUF, 1968, p. 775.

Dans la deuxième moitié du siècle, d’autres machines à composer fonctionnant sur le modèle du pianotype voient le jour et se répandent sur une échelle plus importante. Dès 1842, la machine à composer de Rosenberg améliore certains aspects du travail de la composition 16. Robert Hattersley surtout, un ingénieur de Manchester, élabore un procédé de composition mécanique sur le même modèle à la fin des années 1850, il réalise des démonstrations à Manchester en 1859 et le Manchester Guardian fait plusieurs essais de cette machine. Deux exemplaires sont vendus au journal Eastern Morning News à Hull en 1866 puis au Bradford Times Office en 1868 17. En 1869, l’appareil est en usage dans les bureaux du Hertfordshire et Bedfordshire Express à Hitchin. D’autres journaux de province acquièrent cette machine dans les décennies qui suivent 18.

Pour Auguste Jeunesse, qui cherche à favoriser la diffusion de ces procédés dans les imprimeries françaises, il ne fait aucun doute que « les machines à composer sont beaucoup employées en Angleterre » 19.

Les premiers essais de mécanisation de la composition ont eu lieu à Londres, mais c’est dans les imprimeries de province que les procédés mécaniques se diffusent prioritairement. À l’exposition internationale de Londres en 1872, la machine de l’Allemand Kastenbein est présentée au public et, dès cette date, elle est installée au Times. En 1877, plusieurs autres machines à composer sont présentées à Londres lors de l’exposition dite « Caxtonienne », en hommage à W. Caxton qui introduisit l’imprimerie en Angleterre 20. Les nouveaux procédés parviennent rapidement sur le continent 21. Dès le milieu des années 1840, Delcambre, se rend à Paris pour y acclimater sa machine à composer.

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Image 2:Le pianotype compositeur de Young et Delcambre.

Source:Brevet,INPI brevet d’invention de 15 ans pris par Delcambre le 23 mai 1846,n° 3633.

Les cheminements de l’innovation en France

À Paris, Young prend un brevet d’importation dès le 7 octobre 1840; après la réforme de la législation des brevets en 1844, d’autres brevets sont pris à Paris par Young et Delcambre 22. Leur machine est présentée lors de l’exposition industrielle de 1844 et Delcambre ouvre un atelier pour la faire fonctionner.

L’expérimentation et le fonctionnement public de la machine avaient une fonction publicitaire : l’industriel invite les imprimeurs de la capitale à venir la voir fonctionner. Delcambre fonde une imprimerie dans le quartier de Montmartre, en association avec Young. Elle fonctionne de 1844 à 1847, avant de fermer après des pertes financières évaluées à 60 000 Fr 23. En 1851, il s’associe avec Jean-Baptiste Petit, directeur du Moniteur du Soir, pour créer une société en commandite appelée la « Néo-typographie » qui se consacre à la construction et à la diffusion des machines à composer. Dans l’exposé qui précède les statuts de la société, les associés exposent l’objectif de l’entreprise :

« L’invention des machines à imprimer [créa] une célérité inconnue jusque-là, mais dont le résultat fut toujours atténué par la lenteur obligée de la composition à la main. Surmonter cette difficulté dernière était un problème que M. Delcambre n’a pas craint d’aborder et, après 10 années d’essais répétés, il l’a résolue de la manière la plus complète; car, non seulement, au moyen de la machine typographique qu’il a inventée, un ouvrier peut, presque sans apprentissage, composer aussi sûrement que le compositeur le plus expérimenté, mais encore aller, selon son degré d’aptitude, de cinq à huit fois plus vite que par le procédé ordinaire.[…] La découverte de M.Delcambre, qui permettra d’atteindre aux dernières limites de la vitesse et du bon marché en imprimerie, était le complément indispensable d’un art dans lequel tout, depuis le papier qui reçoit l’empreinte jusqu’à l’impression qui la donne, se faisait déjà par des procédés mécaniques » 24.

En 1853, alors qu’il obtient un nouveau brevet d’imprimeur, il construit une vingtaine de machines à composer 25. Il réalise par ailleurs une série d’investissements importants pour son imprimerie 26. En 1855, la société d’Adrien Delcambre est dissoute. Dans les années qui suivent pourtant, Isidore Delcambre, le fils de Adrien Delcambre, poursuit l’œuvre de son père : il dépose à son tour un brevet pour une machine à composer et ouvre un atelier pour la faire fonctionner 27. Dès le 3 janvier 1843, le rédacteur du Courrier du Nord annonçait qu’il l’utilisait. Lors de l’exposition de 1844, plusieurs exemplaires étaient vendus. À cette époque, la vaste imprimerie de Paul Dupont l’employait à Paris 28. Au milieu des années 1850, le pianotype sert à composer des périodiques, comme le Journal des Consommateurs et le Voleur 29, ainsi que des ouvrages et brochures qui portent la mention « imprimé par le procédé mécanique d’Adrien Delcambre » et qui reproduisent parfois l’image de la machine (Image 3).

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Image 3:Femmes conduisant le pianotype.

Source:Paris chez soi,revue historique,monumentale,Paris, Imp.Delcambre,1855.

Lors de l’exposition industrielle de 1844, Delcambre reçoit une médaille d’argent 30. Conscient des difficultés pratiques que pose pourtant sa mécanique, il multiplie les améliorations dans les années qui suivent. En 1849, il y ajoute une petite presse mécanique pour permettre l’impression des épreuves, ainsi qu’une nouvelle machine pour faciliter la distribution des caractères. Elle est à nouveau présentée lors de l’exposition universelle de Paris en 1855 et obtient, cette fois, une médaille de deuxième classe 31. Les rapports des jurys industriels réitèrent les encouragements. Lors de l’exposition universelle de Londres en 1867, où elle obtient de nouveau une récompense, « la machine à composer de MM.Delcambre, Cruys et Cie » est décrite par les délégués de la typographie française comme « le fait capital de cette partie de l’exposition par rapport à la main-d’œuvre de la Composition » 32.

D’autres expériences sont tentées à Paris dans la seconde moitié du siècle.

Le compositeur danois Soerenson met au point une machine qui fonctionne quelque temps à Paris et qui obtient la grande médaille d’honneur pour la typographie lors de l’exposition universelle de 1855 33. C’est également à Paris que Charles Kastenbein, met au point son invention entre 1866 et 1870, avant de s’installer à Bruxelles puis à Londres. Il présente sa mécanique à composer lors de l’exposition internationale de 1872. En 1875, elle fonctionne à New York, dans plusieurs imprimeries londoniennes dont celle du Times, et en Belgique dans des imprimeries de Bruxelles et de Braine-le-Comte (Hainaut) 34. En France, l’agence Havas acquiert cinq de ces machines en mars 1877 35. Malgré l’enthousiasme initial qu’ils suscitent, ces procédés ne s’imposent pas dans les ateliers d’impression de la capitale : « on a regardé jusqu’à ce jour la machine à composer comme une utopie. Elle commence pourtant à entrer dans la pratique », lit-on en 1866 dans L’Imprimerie 36.

À partir de 1840 et jusqu’aux années 1880, le modèle de composition mécanique au moyen d’un clavier fonctionne donc dans un certain nombre d’ateliers français et anglais, mais sans jamais bouleverser le travail de la composition. En Angleterre, certains journaux de province adoptent la composition mécanique dès les années 1860, alors qu’en France, on a peu de témoignages d’expérimentations en dehors de Paris. Au XIXe siècle, la composition reste une activité manuelle contrôlée par des ouvriers fiers de leur compétence et de leur position. C’est seulement dans les dernières décennies du siècle que la mécanisation de la composition se généralise avec la mise au point de la linotype par Ottmar Mergenthaler. L’originalité de cette machine, d’abord installée dans les ateliers de la New York Tribune en 1886 avant d’arriver en Europe en 1887, était de fondre de nouveaux caractères pour chaque travail, et ainsi de supprimer la tâche fastidieuse de distribution ultérieure des caractères. La linotype réalise ainsi ce que la composition mécanique n’était pas parvenue à faire.

La mécanique imaginaire

La mécanisation n’est pas seulement un processus technique :pour s’insérer socialement, les nouvelles machines doivent être réinscrites dans l’imaginaire du métier. Or, les premières machines suscitent de vifs débats qui se cristallisent principalement sur la question de leur efficacité, sur les problèmes des identités sexuées au travail, et sur leur impact sur la condition des ouvriers.

Ces discours façonnent un imaginaire conflictuel de la nouvelle technique, qui oriente sa réception sociale.

La question de l’efficacité : le pianotype, « une machine quasi-intelligente »?

En 1843, dans un article intitulé « Des claviers typographiques », le journal L’Illustration, récemment créé, décrit les nouveaux procédés de composition mécanique. L’auteur de l’article, émerveillé, précise que le procédé de Young et Delcambre « est remarquable par sa bonne exécution, qui lui permet d’entrer immédiatement dans les ateliers, sans qu’il y ait trop à redouter de dérangements et de pertes de temps, comme il arrive si souvent dans les machines nouvelles ».

Évoquant la diffusion de ces nouveaux procédés de composition, le journal ajoute : « dès aujourd’hui, des claviers typographiques fonctionnent régulièrement en France et à l’étranger ». La même année, le rédacteur du Courrier du Nord s’émerveille pour « ce piano de nouvelle espèce » :

« Mes mots se forment, mes phrases s’allongent sous mes yeux, elles viennent se caser d’elles-mêmes, et, sans avoir dans l’art typographique plus de connaissance que vous n’en avez, grâce à cette machine quasi-intelligente, me voici compositeur. »

Pendant toute la période, la composition mécanique a ses partisans, persuadés que les machines annoncent un bouleversement complet de l’art du compositeur. Pour répondre aux critiques qu’elles suscitent dans la profession, Auguste Jeunesse se demande en 1867 si :

« Les membres de trois jurys auraient été d’accord pour récompenser à seize années de distance des machines qui ne seraient que des joujoux plus ou moins ingénieux, mais ne devant avoir aucune utilité pratique ?» 37

Très tôt, les jugements sur cette machine oscillent en effet entre l’admiration et le rejet complet. Les jugements se concentrent d’abord sur la question de l’efficacité productive du nouveau procédé. Les machines ne bouleversent pas la nature du travail de composition, les types séparés restaient toujours à la base de l’opération. Il s’agissait de mécaniser le travail en remplaçant les gestes de l’artisan par des procédures automatiques de composition des caractères.

Elles soulevaient plusieurs problèmes techniques : en raison des lois de la gravitation, les caractères descendaient à des rythmes différents dans les canaux et risquaient donc de se mélanger, en outre l’opération avait tendance à accélérer l’usure des caractères. Par ailleurs, le pianotype nécessitait au moins trois personnes pour son fonctionnement : le « claviste » qui actionnait la machine, une personne pour la justification manuelle, et une autre pour la distribution. Le procédé ne supprimait donc pas de la main-d’œuvre, mais il permettait de substituer aux compositeurs expérimentés et ayant suivi un long apprentissage, une main-d’œuvre bon marché. Au début, le coût des machines était élevé, surtout si on le compare au bon marché des casses et des types, qui pouvaient facilement être achetés d’occasion. Leur prix pourtant ne cesse de baisser : en 1867, Delcambre-Cruy vendaient 1 500 Fr la machine à composer et 600 Fr celle à distribuer 38

Un autre objet de débat concerne la productivité des machines, calculée d’après le nombre de caractères soulevés à l’heure. Un ouvrier très agile pouvait lever jusqu’à deux mille lettres à l’heure, grâce aux machines à composer, on pouvait atteindre le nombre fantastique de 10000 lettres. L’évaluation de la vitesse de composition des machines a suscité de vifs débats et des jugements très contradictoires. Lors de sa présentation à l’exposition de 1844, les inventeurs du pianotype assurent que leur mécanique permet de lever 13 000 lettres à l’heure. Ces évaluations extravagantes accentuaient les craintes ouvrières d’être supplantées par les mécaniques.

À la différence des presses mécaniques qui s’imposent en quelques années, les machines à composer suscitent des débats permanents et des évaluations souvent contradictoires. La différence de coût avec le travail manuel restait suffisamment faible pour permettre aux ouvriers compositeurs de faire pression sur leur maître. Pour Charles Laboulaye, contrairement aux presses mécaniques « qui apportaient une économie de plus de 50% », il ne semble pas que les machines à composer « puissent produire jamais une économie de plus de 25 à 30%, et suivant toute probabilité, la composition a la main pourra toujours lutter avec celle faite au moyen de la machine ». Dans ces conditions, « si leur introduction, probablement prochaine, peut apporter quelque économie dans le prix de revient, elle n’est pas telle qu’elle doive apporter une brusque et profonde perturbation dans l’industrie typographique » 39. Pour la plupart des observateurs, la rentabilité de la composition était donc étroitement associée à l’embauche d’une main-d’œuvre bon marché comme les femmes et les enfants.

C’est l’une des conclusions qui ressort des discussions lors de la présentation du pianotype aux expositions de l’industrie. Les membres du jury de 1844, tout en louant les mérites de l’invention, reconnaissent que sa rentabilité dépend de l’embauche de nouveaux ouvriers :

« Comme par ce procédé une partie du travail est moins pénible que celui de la composition par la méthode ordinaire, on peut le faire exécuter par des femmes, et diminuer par conséquent le prix de moitié; c’est ce que font MM.Delcambre et Young. Dans l’imprimerie de M.Levi, où travaille une de leurs machines, ce sont des femmes qui font toutes les opérations, et il en résulte une diminution considérable » 40

Les membres du jury estiment que l’emploi de la machine Delcambre conduite par des femmes permettrait d’économiser environ 25% des coûts 41.

En Angleterre, les industriels utilisent également une main-d’œuvre féminine 42. À Londres, la machine de Young et Delcambre est d’abord actionnée par des hommes pendant quelques mois. Mais devant la faible rentabilité du travail, les inventeurs décident rapidement d’embaucher des femmes. Ils passent une annonce pour recruter des compositrices, dans laquelle se lit une première forme de redéfinition des identités sexuées au travail 43. Au cours des années 1860-1870, le procédé de Hattersley suscite les mêmes réserves. Pour être rentable, il nécessite l’emploi d’une main-d’œuvre n’ayant pas suivi la période légale d’apprentissage 44.

Fondée sur l’idéologie des sphères séparées, qui faisait du travail féminin un simple appoint de celui des hommes 45, l’inégalité des salaires constitue une puissante motivation en faveur de l’adoption des nouveaux procédés 46. La question de l’embauche des femmes est d’ailleurs au centre des nombreuses descriptions de la composition mécanique. La plupart des journaux de la monarchie de Juillet proposaient à leurs lecteurs, parfois sous la forme d’un feuilleton, de longues descriptions des nouveaux procédés exposés dans le Palais de l’Industrie en 1844. Dans la Réforme par exemple, Étienne Arago explique sans détour que :

« l’avantage que cette invention [le pianotype] pourrait offrir aujourd’hui, ce serait de pouvoir remplacer les hommes par des femmes et des enfants. » 47

La « sexuation de l’artefact technique »

La diffusion des machines à composer impliquait donc l’embauche des femmes pour les faire fonctionner 48. Cette contrainte économique oriente rapidement les représentations sociales des nouveaux procédés. On peut ainsi repérer comment la masculinité et la féminité fonctionnent symboliquement autour des artefacts et façonnent la trajectoire du changement technique 49. Si le genre désigne d’abord une construction culturelle à l’écart du biologique 50, alors les êtres inanimés peuvent également être envisagés sous l’angle d’une assignation identitaire sexuée. L’exemple de la composition mécanique fournit une bonne illustration de ce processus, puisqu’elle cristallise très tôt une série de marqueurs symboliques qui l’identifient étroitement à la sphère féminine, et par là la rendent suspecte au sein d’un monde des métiers essentiellement masculin. En effet, à la différence du travail de compositeur à la casse, le travail sur la nouvelle mécanique implique des compétences considérées comme spécifiquement féminines : on insiste sur la simplicité d’utilisation du clavier et sur la dextérité qu’exige son maniement. Dans les comptes rendus consacrés par la presse aux « Machines typographiques » à l’occasion de l’exposition de 1844, les auteurs insistent sur la simplicité et l’élégance du travail sur la machine : autant de caractéristiques qui en font un outil spécifiquement féminin 51. Ces caractéristiques techniques (simplicité, facilité, élégance) correspondent d’ailleurs aux compétences féminines telles qu’on les trouve mentionnées à l’époque dans les écrits de l’économie politique 52. En simplifiant le travail de composition, le pianotype rend possible la libération des potentialités du travail féminin. La position assise permise par la nouvelle machine, à la différence du travail à la casse qui se fait toujours debout, constitue d’ailleurs un argument supplémentaire pour faire de ce procédé un outil spécifiquement féminin. Dans sa présentation, Étienne Cabet note quant à lui qu’avec

« un peu de pratique et d’expérience, la composition typographique deviendra un travail tellement facile et même élégant que les dames pourront s’asseoir devant un piano et fixer en caractères métalliques l’expression de leurs sentiments et de leurs pensées avec aussi peu de peine qu’elles en ont maintenant à les confier au papier. » 53

En rendant le travail plus facile, « moins musculaire », la machine devait naturellement permettre l’utilisation des capacités féminines. Pour les innovateurs, l’association de la machine à composer avec le travail féminin s’inscrivait sans doute dans une stratégie commerciale, encore balbutiante, visant à montrer aux imprimeurs l’intérêt d’une machine facile d’utilisation et permettant l’embauche d’une main-d’œuvre bon marché.

C’est pourquoi les images diffusées à l’époque présentent fréquemment les machines avec de jeunes femmes pour les conduire. La mise en scène iconographique des nouveaux procédés accentue le processus de « sexuation » de l’artefact technique. Dans les années 1840, plusieurs images du « pianotype » circulent dans les ateliers de Londres ou de Paris, on peut y voir une jeune femme, toujours élégante, installée devant la machine comme devant un piano.

L’un des modèles les plus fréquemment reproduit est celui du prospectus publicitaire de l’imprimerie Delcambre, rue Breda, qui utilisait cette machine (Image 3 supra). Comme si l’image venait concrétiser et confirmer l’imaginaire féminin du « pianotype » et par là amplifier l’association étroite entre cette machine, sa facilité d’emploi supposée et la sphère féminine. En Angleterre, le journal The Family Herald la reproduit sur la première page de chacun de ses numéros.

Ces images de femmes témoignent par ailleurs de l’incapacité, qu’on retrouve tout au long du XIXe siècle, à représenter les femmes au travail. Lorsqu’on voulait représenter les ouvrières, on les montrait le plus souvent dans leur cuisine, occupées à des tâches domestiques rassurantes comme la préparation des repas ou la couture. En représentant les travailleuses dans la position du loisir bourgeois par excellence que constitue alors le piano, ces images participent de l’impossibilité de figurer l’activité industrielle des femmes 54. En outre, en dissimulant la rudesse du travail derrière l’apparente simplicité des loisirs domestiques bourgeois, elles ont accentué les méfiances ouvrières contre un procédé qui tendait à faire de leur art un simple loisir féminin et bourgeois. C’est seulement dans la deuxième moitié du siècle que la machine est progressivement représentée sans femme pour la conduire, comme si en supprimant la compositrice on avait voulu pacifier les relations que les ouvriers entretenaient avec ce procédé.

Comme on le voit, les machines à composer expérimentées dans l’imprimerie à partir des années 1840 cristallisent tout un imaginaire de la division sexuée des tâches. En facilitant l’embauche des femmes et en transformant l’art du compositeur en loisir féminin, le pianotype fut, dès l’origine, étroitement associé à la sphère féminine. Cette dimension imaginaire contribua à orienter la réception ouvrière du nouveau procédé. En France comme en Angleterre en effet, la culture des ateliers typographiques restait marquée par une forte identité masculine qui rendait difficile l’acclimatation de cette machine féminine. Plus que n’importe quel autre métier, la composition reste, jusqu’au milieu du XIXe siècle, une activité d’hommes. Inséré dans un réseau diversifié de rituels et de pratiques issus du monde corporatif de l’Ancien Régime, les « singes » considéraient leur activité comme essentiellement masculine, et jugeaient toute tentative pour y introduire des femmes comme une violation de l’honneur du métier 55. En France comme en Grande Bretagne, les rituels professionnels s’inscrivaient dans une culture de la masculinité : l’apprentissage par exemple était autant une étape initiatique visant à produire des hommes libres qu’une période d’acquisition des gestes du métier 56.

L’apprentissage de ces gestes eux-mêmes était conçu comme une étape dans un processus de masculinisation. La « chapelle » possédait également de nombreuses règles qui gouvernaient le comportement des ouvriers : la boisson notamment – plutôt de la bière en Angleterre et du vin en France – constituait une dimension fondamentale de la sociabilité ouvrière (les « beuveries » et les réunions au pub ou au cabaret étaient très fréquentes). La fraternité de l’atelier se manifestait également par le goût pour les farces et les réjouissances où chacun étalait fièrement ses exploits sexuels et musculaires : « l’atelier, conclut Philippe Minard, communie ainsi dans le culte des valeurs physiques caractéristique d’une culture masculine du corps triomphant » 57. Ces pratiques et ces règles de l’atelier interdisaient aux femmes de trouver une place dans un espace destiné à créer une étroite communauté d’intérêt au sein d’un univers fraternel conçu comme masculin.

Émanciper l’esclave du travail

Ces représentations sexuées de la machine troublent les identités ouvrières.

Elles inquiètent les artisans qui luttent contre l’entrée des femmes dans les ateliers. Elles sont également contradictoires avec les promesses d’émancipation des travailleurs défendues par certains. Réinscrivant sa machine dans les nouvelles préoccupations hygiénistes de la monarchie de Juillet, Delcambre assure que « cette invention a aussi pour résultat de mettre la santé des ouvriers, trop souvent atteinte dans l’imprimerie ordinaire, à l’abri des maladies » 58. À la même époque en effet, divers discours, qu’on retrouve surtout en France, réinscrivent la machine dans la question sociale et l’amélioration de la condition ouvrière.

Les socialistes des années 1840 décrivent avec une certaine fascination le « pianotype », ils y voient un moyen d’émancipation du travail. Dans son Almanach Icarien, destiné aux ouvriers, Étienne Cabet s’enthousiasme sans retenue dès 1842; évoquant la machine à composer il écrit :

« si quelqu’un osait dire qu’on inventerait peut-être une machine qui remplacerait le compositeur d’imprimerie, et qui ferait avec ses pièces inanimées ce qu’il fait lui-même avec ses doigts et son intelligence, on s’écriait que la chose était impossible et que c’était folie de l’espérer […] Cette impossibilité, ce prodige surnaturel, ce miracle qui jadis aurait fait adorer son auteur comme un Dieu ou qui l’aurait fait brûler comme un sorcier, ce miracle, disons-nous, est une réalité. » 59

Confronté aux agitations ouvrières contre les nouveaux procédés mécaniques, Cabet s’efforce de réinscrire le changement technique dans le langage de l’autonomie artisanale pour le rendre acceptable aux compagnons typographes 60.

La presse socialiste défend la mise au point de ces techniques dans lesquelles elle détecte un moyen d’émancipation du travail. Dans La démocratie pacifique, le fouriériste Victor Meunier assure que la machine de Young et Delcambre « remplace le travail si fatigant du compositeur par une opération simple, facile, élégante même que remplit une femme ou un enfant assis devant le clavier sur lequel il promène ses doigts comme sur les touches d’un piano ».

Plus loin, il assure d’ailleurs que « le 6e volume des œuvres complètes de Fourier, contenant le Nouveau Monde, est en train de se composer rapidement par ce procédé » 61. Mais contrairement à Cabet, Victor Meunier conclut son texte en s’interrogeant sur le devenir des ouvriers remplacés par la mécanique :

« Il arrivera donc prochainement que ces machines qui […] devaient avoir pour résultat direct d’affranchir une partie de nos semblables d’un travail pénible et de concourir au bien des êtres, viendront faire concurrence à des hommes dont le travail est la seule ressource ».

Pierre Leroux, qui inventa lui-même un procédé pour la composition, défend ces expériences techniques en répondant aux critiques qui s’expriment déjà parmi les ouvriers :

« Jamais je n’ai pensé que ma découverte pu être nuisible à mes compagnons ! Je les trouvais trop esclaves pour qu’il ne fût pas bon de perfectionner cet art auquel nous étions enchaînés. » 62

Il se trouve qu’il avait fait son apprentissage de compositeur chez Herhan, sous l’Empire, et connaissait bien le monde de l’imprimerie. À la différence de l’avocat Cabet, Leroux s’adresse aux ouvriers en se présentant comme l’un des leurs :

« Quel triste et monotone labeur que celui du compositeur d’imprimerie ! Les gens du monde s’imaginent que l’imprimeur lit les livres ou au moins les pages qu’il compose; il n’en est rien. Il ne lit que des lignes, ou plutôt que des lettres […] Pour gagner ces dix sous, il faut être une habile mécanique, qui ne se dérange pas, qui ne s’amuse pas à lire la copie, ni à réfléchir sur elle. » 63

Pourtant, ses anciens camarades d’atelier restés compositeurs expriment une opinion différente. Loin de croire aux promesses de libération promues par les socialistes des années 1840, et devant l’image dégradée de leur travail véhiculée dans ces discours, les ouvriers français et anglais vont mettre en œuvre des stratégies pour repousser l’usage de ces mécaniques.

Une mécanisation négociée

Pour rendre compte de l’échec de la composition mécanique pendant la plus grande partie du XIXe siècle, il faut réinscrire le changement technique dans les multiples négociations qui forment la texture des techniques nouvelles. Au cours du XIXe siècle, le monde de l’imprimerie connaît une transformation complète des conditions de travail. Face à ces évolutions, les compositeurs, comme les pressiers et les relieurs, ont mis en œuvre diverses formes de résistance qui contribuèrent à freiner l’adoption des nouveaux procédés. Ils ont manipulé les discours tenus sur la composition mécanique pour légitimer son rejet. Les compositeurs représentaient une sorte d’aristocratie du travail parmi les ouvriers du livre, ils luttaient pour garder le contrôle sur les modes de recrutement et sur leur identité. C’est cette lutte quasi-invisible, qui s’enracine dans le quotidien du fonctionnement du métier, qui détermina l’échec des premières formes de composition mécanique.

Les compositeurs en France et en Angleterre : une aristocratie du travail ?

En dépit de son ambiguïté et de sa dimension polémique, la notion d’aristocratie du travail reste utile pour caractériser la singularité de certains ouvriers dans le champ social, leur capacité à contrôler l’accès au métier, et le niveau supérieur de leurs salaires 64. Pour cerner les réactions ouvrières devant les nouvelles méthodes de production, on doit examiner à la fois la position des compositeurs dans l’atelier et les menaces que faisait craindre l’introduction des mécaniques.

En Angleterre comme en France, les compositeurs jouissaient d’une position privilégiée dans le monde du travail. Beaucoup d’historiens ont considéré cette activité comme l’archétype du travail qualifié au XIXe siècle. Même s’il faut introduire des nuances selon les régions et les périodes, il semble que les compositeurs gagnaient davantage que les autres ouvriers du livre. À Paris, ils touchent en moyenne 4 F en 1807 alors que les imprimeurs (ou tireurs de feuilles) ne gagnent que 2 à 2,50 F. Dans les années 1844-1847, leur salaire atteint 4,50 F contre seulement 2 à 2,50 F pour les tourneurs de mécaniques (deux par presse mécanique) 65. En province toutefois, les salaires restent généralement inférieurs 66. De même, en Angleterre les compositeurs gagnent davantage en moyenne que la plupart des autres artisans : 33 s. en 1801 et 36 s. en 1866, même si leur position relative se dégrade par rapport au reste du monde du travail 67. Mais comme en France, les compositeurs de la capitale gagnent davantage.

La position privilégiée des compositeurs apparaît aussi dans la régularité du travail, le niveau de qualification, la capacité à s’organiser collectivement. Or, dans ce domaine également les compositeurs font preuve d’un indéniable dynamisme.

C’est en Angleterre que les formes d’organisations syndicales voient le jour en premier : dès 1826 est fondée la London General Trade Society of Compositors; puis en 1834 la London Union of Compositors; et en 1845 les compositeurs de Londres se réunissent dans la London Society of Compositors, qui accueille 1751 membres.

Dans le premier rapport général lu devant la société en janvier 1846, la question des nouvelles machines expérimentées pour la composition suscite de vives discussions 68. À partir de 1849, la Typographical Association voit le jour, elle unit les différentes branches du métier 69. En France, où la législation contre les syndicats subsiste plus longtemps, les travailleurs du livre s’organisent d’une façon plus clandestine. Dès la Monarchie de Juillet cependant, diverses sociétés de secours mutuels et de résistance voient le jour à Paris 70. En 1839 est créée la Société de secours mutuels typographique parisienne. Dès 1843, elle parvient à négocier paritairement et à faire respecter par les maîtres imprimeurs de la capitale un tarif applicable à la profession. Elle entretient des rapports avec des associations du même type formées à Lyon, Nantes, Dijon, Le Havre, comme avec celles de Londres et Bruxelles 71. La société typographique est légalisée en septembre 1849 avec l’adoption d’un règlement précis prévoyant notamment (art. 116) l’exclusion des femmes, pourtant peu nombreuses dans la profession :

« La morale aussi bien que la bonne confection du travail s’opposent à ce que les femmes soient employées comme compositeurs. S’il s’en introduit dans les ateliers de composition, les sociétaires doivent toujours en prévenir le comité et se conformer à sa décision, qui ne peut être rendue que dans le sens de l’exclusion des femmes et de la mise à bas ».

Après une phase de repli au début du Second Empire, le militantisme se renforce au cours des années 1860 pour aboutir en 1881 à la création de la Fédération française typographique qui unifie toutes les sociétés typographiques françaises. Au moyen de ces associations, les compositeurs français et anglais exercent une pression permanente sur les maîtres imprimeurs, ils cherchent à établir des tarifs, à contrôler l’accès au métier, en luttant contre l’entrée des femmes et contre les nouvelles machines.

Contre la féminisation du métier

L’histoire des ouvriers du livre au XIXe siècle est dominée par la lutte contre la féminisation du métier. L’échec de la composition mécanique est inséparable de ce contexte. Pour profiter des salaires inférieurs qu’ils leur versent, les industriels embauchent en effet de plus en plus de femmes à la composition, ce qui suscite une opposition permanente de la part des compositeurs. Dans les descriptions classiques du métier, les femmes n’occupent aucune place, l’« idiome corporatif » était imprégné par une culture masculine telle qu’aucune interdiction formelle du travail féminin n’était nécessaire 72. Mais dans la première moitié du XIXe siècle, la production à grande échelle et la mécanisation créent de nombreuses tâches nouvelles, simples et répétitives, auxquelles sont employées des femmes. En France comme en Angleterre, c’est d’abord le cas dans la reliure, pour plier et coudre : des tâches qui correspondent aux rôles sociaux féminins traditionnels 73. En revanche, dans le secteur de la composition, l’entrée des femmes suscite de fortes oppositions.

Dans les années qui ont précédé l’invention du pianotype, plusieurs tentatives en vue de féminiser les ateliers de composition en France avaient déjà indigné les travailleurs du livre 74. En 1831, Rignoux échoue à établir un atelier composé de jeunes filles à Montbar 75. En 1834, la famille Didot, qui est établie dans l’industrie du livre depuis deux siècles, décide d’initier à la composition d’imprimerie un certain nombre de ses ouvrières, jusqu’alors employées dans l’usine de papier. Un atelier n’employant que des compositrices est alors fondé au Mesnil : les jeunes ouvrières qui savaient à peine lire et écrire sont instruites par le typographe émérite Théotiste Lefebvre 76. À la même époque, Crété emploie également des femmes dans son imprimerie de Corbeil. En 1840, Arnould Frémy, journaliste collaborateur au Charivari et futur professeur à la faculté de Lyon, rend compte de la création, dans le petit hameau de Saint Gernay, entre Paris et Fontainebleau, d’une imprimerie composée exclusivement de femmes chargées des tâches de correction, d’impression et de composition. Il y voit un moyen d’émancipation pour « les pauvres bourgeoises, les petites marchandes » car, grâce à ce travail, l’ouvrière « est élevée au rang de prêtresse de ce temple sacré de l’intelligence » 77. L’apologie de cette expérience jugée philanthropique, dans La Revue de Paris, suscite une vive réaction des ouvriers de la Ruche Populaire, sous la plume du compositeur Coutant. Contre l’argumentation des philanthropes, qui voient dans ce travail une voie d’émancipation pour les femmes, celui-ci dénonce les arrières pensés mercantiles et l’exploitation du travail féminin :

« Adieu quenouille et serpes ; venez, ô jeunes villageoises, vous atteler à cette grande machine typographique ; remuez de vos faibles bras ce monstre qui vomit des milliers d’exemplaires ; c’est là un travail qu’on ne laisserait pas faire aux chevaux, parce qu’il leur donnerait la mort au bout de quelques jours, et on achète des chevaux ; mais vous êtes une marchandise gratuite ; si vous mourrez, d’autres sont prêtes à vous remplacer, et çà ne coûte rien ! » 78

Dans les années 1840 et 1850, l’apparition des premières machines à composer accélère ce mouvement, les ateliers où elles sont utilisées recourant exclusivement au travail féminin. L’opposition ouvrière à l’emploi des femmes compositrices se durcit. En 1855, on assiste pour la première fois à l’introduction des femmes dans une imprimerie parisienne. Jusqu’à cette date, l’opposition des ouvriers parisiens était telle que la féminisation ne concernait que les nouvelles imprimeries de la périphérie. En 1855, l’imprimerie Desoyl et Bouchet, dans une situation commerciale difficile, décide de faire « exécuter sa composition par des femmes placées sous la surveillance d’un metteur en page » 79. La Société typographique prononce immédiatement la mise en interdit de cet atelier 80. En 1859, un autre maître imprimeur, M. Guiraudet, confronté à la menace d’une désertion générale de tous ses ouvriers, renvoie une femme qu’il avait embauchée. Mais quelque temps après, il remplace tous ses compositeurs par des compositrices ! 81

Autour de 1860, la situation semble en effet changer rapidement et le nombre de femmes dans l’imprimerie s’accroît. De plus en plus, le recours au travail féminin est instrumentalisé par les maîtres pour faire pression sur des compagnons dont l’indépendance apparaît inadmissible à l’heure de l’encasernement usinier 82.

Ces conflits commencent à s’apaiser en 1867 lorsqu’une commission de la Société typographique décide d’accepter le travail des femmes sous réserve « de salaires égaux et de conditions de travail identiques, et d’apprentissage » 83. Les ateliers de femmes se multiplient comme dans la grande imprimerie de Paul Dupont à Clichy, que visite l’impératrice en 1865, ou dans l’atelier de l’agence Havas où les cinq machines à composer sont conduites par des femmes en 1877.

En 1879, T. Lefevre installe un atelier de composition à vocation philanthropique composé de jeunes sourdes-muettes au Mesnil Amelot 84. En décembre 1876 encore, plusieurs dizaines de compositeurs font grève pour protester contre l’installation d’ateliers spéciaux composés exclusivement de femmes dans l’imprimerie de Tolmer et Isidor Joseph à Paris 85.

En Grande-Bretagne, l’entrée des femmes dans les ateliers de composition semble plus tardive. Hormis les ateliers de composition utilisant le pianotype au début des années 1840, et une expérience mal connue dans un atelier de Newton-le-Willow en 1848, la féminisation débute vraiment autour de 1860. Ce décalage entre les deux pays s’explique par la précocité des expériences d’organisation des compositeurs britanniques, qui leur permirent de résister plus efficacement que leurs homologues français aux transformations nées de l’industrialisation 86.

Outre-Manche, le rôle des réformateurs et des philanthropes a été déterminant dans l’embauche des femmes pour la composition 87. En 1860, la réformatrice Emily Faithfull lance la « Victoria Press » à Londres avec une grande publicité.

Établie avec l’intention de fournir du travail qualifié aux femmes de la bourgeoisie, cette initiative, peut-être plus qu’aucune autre, a contribué à identifier la composition à une activité féminine 88. Toutes ces expériences suscitent l’opposition de la Typographical Association. À l’occasion des grèves parisiennes de janvier 1862, les ouvriers français sont d’ailleurs soutenus par un emprunt de la société des ouvriers compositeurs londoniens; ce qui montre un certain degré de coopération internationale dans la lutte pour maintenir la salle de composition comme un espace masculin 89. En France, comme en Angleterre, les ateliers typographiques du milieu du siècle résonnent des inquiétudes causées par l’introduction des femmes dans le métier. Les essais de mécanisation accentuèrent ces peurs : en favorisant l’embauche d’une main-d’œuvre jugée illégale, et moins payée, le pianotype participait à la dégradation du statut du compositeur 90. La réception des machines à composer dans le monde du travail est donc indissociable de ces luttes qui dominent la profession à partir du milieu du XIXe siècle.

Des résistances diffuses aux nouveaux procédés

Au cours de la première moitié du XIXe siècle, les ouvriers du livre s’opposent à plusieurs reprises aux nouvelles machines. En France, les pressiers brisent des presses mécaniques en 1830 et en 1848. Aux lendemains de 1830, ils demandent à la fois l’interdiction des presses mécaniques et des clichés 91. En Angleterre, il n’y eut pas de violence du même type même si, en 1830, les relieurs dénoncent l’usage d’un nouveau procédé accusé de les « réduire à la misère » 92. Les compositeurs n’utilisèrent jamais la violence pour résister à l’introduction du « pianotype » et de ses successeurs dans les ateliers. Ils recoururent plutôt à des formes subtiles de négociation et de pression qui, compte tenu de la structure productive de l’imprimerie du XIXe siècle, permirent de maintenir longtemps à l’écart les nouvelles machines.

En effet, les compositeurs sont effrayés par l’augmentation du nombre de tentatives pour mécaniser le travail de composition. Comme l’affirme l’ouvrier Antonio Watripon dès 1842,« la pensée qui occupe à cette heure, tous les esprits dans les ateliers de composition est celle de l’avenir de leur industrie et de son salut, en présence de la machine à composer récemment découverte » 93. Les compositeurs parisiens se pressent en foule lors de l’exposition de 1844 pour observer la machine qui devait les remplacer.

« Le clavier typographique de MM. Young et Delcambre – précise ainsi le rédacteur du bulletin typographique dans son compte rendu de l’exposition – est le produit relatif à la typographie qui fixe le plus l’attention des visiteurs de l’exposition :il est sans cesse entouré d’une foule de compositeurs qui viennent, non sans quelque inquiétude, examiner son curieux travail, et se demandent s’il amène une révolution prochaine dans la profession. » 94

Dans ses carnets, le compositeur Joseph Mairet confirme la vive inquiétude qui s’empare du monde de l’imprimerie dans les années 1840 : il déplore la « concurrence meurtrière et immorale [que] les machines font au travail humain ».

Pour Mairet, qui rédige son texte à la fin de sa vie, alors que la mécanisation semble désormais inéluctable, il faut que « l’individualisme soit remplacé par l’association, et l’emploi des machines devient aussitôt un bienfait immense, parce que, dans ce cas, elles profitent à tous, et suppléent au travail sans supprimer le travailleur » 95.

En 1855, Delcambre lui-même se plaint à la fois « de l’indifférence des imprimeurs pour les perfectionnements qui peuvent contribuer à l’avancement de l’art de la typographie » et « de l’opposition de la part des ouvriers contre ses machines » 96. Plusieurs témoignages soulignent d’ailleurs que Delcambre était « déconsidéré dans le monde typographique » et qu’en tant « qu’inventeur d’un système de machine à distribuer, il se fit des ennemis » 97.

En Angleterre également, la presse syndicale témoigne de la vive opposition suscitée par l’arrivée des nouvelles machines à composer dans les années 1840.

Les compositeurs expriment la crainte que celles-ci ne les réduisent au statut misérable du simple tisserand à la main. Le Compositors’ Chronicle (1841-1843) puis The Printer qui lui succède en novembre 1843, rapportent quelques-unes des inquiétudes et discussions suscitées au sein de la profession par la machine de Young et Delcambre. Elles sont décrites comme des « nouveautés très redoutées », le Compositors’ Chronicle craint que « l’introduction des machines dans cette branche qui fournissait autrefois la nourriture au travailleur honnête et honorable » n’entraîne une hausse du chômage et de la misère. De même, le Printerassure que le succès de cette machine priverait l’ouvrier de sa subsistance. Le Midland Board of the National Typographical Association s’oppose quant à lui à l’introduction de la machine de Rosenborg à Hull au milieu des années 1840 98. À la même époque, une rumeur selon laquelle les propriétaires du Times, Andrew Spottiswoode et John Walter, étaient en train d’acquérir le nouveau pianotype inquiète les compositeurs londoniens 99. La pression exercée par ces derniers contribua largement à la mise à l’écart des premières machines à composer. Dans les années 1860, on a vu que plusieurs modèles se propagent en province où la force syndicale des compositeurs était plus faible. Londres en revanche, il faut attendre les années 1890 pour voir les premiers modèles de machines à composer mécaniques commencer à se répandre. En 1891, lorsque le propriétaire du Daily News fait installer six machines de Hattersleys, et cherche à employer une main-d’œuvre féminine pour manier les machines à distribuer, la London Society of Compositors émet une protestation immédiate qui bloque l’initiative de l’industriel. D’ailleurs, à cette époque, la concurrence de la linotype qui émerge relègue définitivement à l’arrière-plan les premiers procédés de composition mécanique 100.

La résistance ouvrière aux nouveaux procédés prit la forme d’une démonstration à la fois technique et morale des impasses de la mécanisation. Les ouvriers discutent pied à pied les arguments techniques des patrons.À l’occasion de leurs rapports lors de l’exposition universelle de 1862, ils assurent qu’ils ne peuvent « admettre que la diminution et l’avilissement du salaire de l’ouvrier doive être la conséquence nécessaire des progrès industriels ». En 1867, ils ajoutent que

« sans vouloir en rien nuire aux intérêts des inventeurs, nous dirons franchement que nous n’avons pas foi dans leur succès. Le compositeur intelligent fera toujours mieux seul qu’une machine qui demande l’emploi de deux personnes, il lèvera moins de lettres, sans doute, mais le travail qu’il accomplira sera complet, bien fait et n’aura pas besoin de retouche. » 101

La confiance dans la supériorité intellectuelle du travailleur à la casse persiste longtemps. Rendant compte de la machine de Kastenbein à la fin des années 1870, un typographe de Nancy écrit :

« À ceux qui redoutent son introduction, je dis : Soyez sans crainte; la machine est perfectionnée; elle sera perfectionnée encore; mais elle ne sera jamais qu’une machine; elle ne pourra jamais lire un bon manuscrit, à plus forte raison en déchiffrer un mauvais !» 102

Le travail des mécaniques est peut-être plus rapide, mais il n’atteindra jamais la perfection de celui à la main. De même, les typographes de l’Atelier, dans un article qu’ils consacrent au pianotype de Young et Delcambre, démontrent longuement les limites de cette nouvelle machine 103. Après avoir énuméré les impasses techniques et les insuffisances du nouveau procédé, les ouvriers buchéziens concluent leur critique de la machine en insistant sur les problèmes posés par l’embauche des femmes :

« Nous terminerons en blâmant cette tendance générale des inventeurs, qui calculent toujours sur le travail des femmes et des enfants pour mettre en œuvre leurs inventions. Que pourront faire les hommes si on leur suscite partout de tels concurrents ?».

Les rédacteurs de l’Atelier ne se situent pas dans le cadre d’une contestation globale du machinisme, ce qui rendrait leur plainte irrecevable dans le contexte d’optimisme scientiste et technicien naissant 104. Pour eux, la machine soulève d’abord des problèmes moraux liés au recours au travail féminin. Ils concluent en soulignant que :

« Si un comité des brevets d’invention était créé tel que nous l’avons demandé dans notre dernier numéro, il déclarerait dangereuses et nuisibles à la société toutes les machines qui ne pourraient fonctionner qu’en exploitant indignement les enfants et les femmes ».

Pour les compositeurs anglais et français du milieu du XIXe siècle, il était inutile de briser les nouveaux procédés, il leur suffisait de réaffirmer les règles du métier pour bloquer toute avancée de la mécanisation. Les ouvriers élaborent un véritable discours moral qui ré-instrumentalise les ambitions philanthropiques de leurs opposants. Même si elles le pouvaient, les femmes ne devaient pas travailler dans la salle des compositeurs. En s’engageant dans cette activité, elles allaient perdre leur féminité et leur identité. Il y aurait en outre un grand danger à permettre aux femmes de lire tous les textes qui passaient dans l’atelier, certains pouvaient contenir des sujets peu adaptés à leur sexe. En travaillant trop longtemps à proximité des hommes, en écoutant le langage utilisé dans les ateliers, et plus globalement en étant au contact de la culture masculine qui y dominait, les femmes ne risquaient-elles pas de perdre leur féminité ? 105 C’est pour répondre à ces arguments que les ateliers de compositrices sont surveillés par des religieuses et isolées à l’écart de ceux des hommes. Dans la succursale de l’imprimerie de Paul Dupont à Clichy vers 1860 par exemple : « des précautions minutieuses ont été prises pour l’isoler des ateliers de l’autre sexe », ce que Turgan regrette en ajoutant que « M.Paul Dupont a cédé en cela aux susceptibilités exagérées par les adversaires du travail des femmes » 106.

Au moyen de ces arguments, dans le secret des ateliers, les compositeurs exercent une pression continue contre l’emploi des mécaniques. À l’image du système de composition syllabaire qui a échoué à cause des multiples « taquineries d’atelier », les procédés de composition mécanique durent susciter de nombreuses escarmouches entre les maîtres et leurs compositeurs 107. Cette résistance ouvrière fut efficace, car elle se fondait sur les singularités des structures productives de l’imprimerie, qui reste dominée par le modèle de la petite entreprise et la « piétaille des petits ateliers » opposant une résistance tenace aux transformations techniques. En Angleterre, hormis quelques exceptions précoces comme l’imprimerie du Times, les ateliers de composition restent longtemps de petite taille, proche du modèle artisanal. En France, le recensement de 1851 comptabilise 627 ateliers employant 6657 ouvriers dans les 77 départements connus (le Rhône et Paris étant exclus), soit une moyenne de 11 ouvriers par imprimerie seulement 108. Dans ces conditions, seule une minorité d’imprimeurs parisiens, à proximité immédiate des sources du pouvoir et au cœur du marché éditorial, était en mesure de contrôler un marché suffisant pour nécessiter la constitution d’ateliers beaucoup plus importants. En 1861, la situation avait déjà sensiblement évolué, puisque F. Barbier recense 24 ouvriers en moyenne par imprimerie. Face à des procédés encore balbutiants, qui ne parvenaient pas à justifier les lignes ni à distribuer les caractères, et qui demandaient un personnel relativement nombreux pour les faire fonctionner, les imprimeurs hésitèrent à réaliser les investissements nécessaires, qui auraient suscité la colère de leurs ouvriers, voire la mise en interdit de leur atelier. L’achat des mécaniques impliquait également un bouleversement de l’organisation du travail au sein de l’atelier, une remise en cause de l’économie morale du métier.

Or, loin d’être un pur capitaliste mû par la rationalité de l’homo economicus, le maître imprimeur du milieu du XIXe siècle demeure inséré dans les réseaux du monde corporatif soucieux de maintenir le bon ordre au sein de l’atelier.

Progressivement, la concentration des ouvriers dans des ateliers de plus en plus grands va accentuer la dépersonnalisation des relations salariales. Les nouveaux rapports de production, en déstructurant les anciennes solidarités de l’atelier, vont favoriser l’émergence d’un nouveau rapport à la technique propice à l’introduction des nouveautés à la fin du siècle. Ce nouveau rapport à la technique qui émerge à la fin du XIXe siècle apparaît dans le jugement émis par un prote syndiqué, peu avant l’arrivée de la linotype en France :

« Je vois dans l’introduction des machines à composer une révolution économique des plus salutaires dans l’imprimerie. – Relèvement des salaires, augmentation formidable des caractères ou des presses (de l’un ou de l’autre, sinon des deux), – disparition des petites imprimeries qui, vivant au jour le jour, sont toujours prêtes à consentir des réductions exagérées aux clients plutôt que de chômer, – et, qui sait ? Peut-être aussi la composeuse signera-t-elle l’acte d’expulsion de la femme de l’imprimerie. » 109

Désormais, loin de menacer la condition du travailleur, son identité sociale, sa masculinité, la machine devient un outil possible de restauration du métier en crise.

Conclusion

À partir des années 1880, la filière technique de la composition mécanique est peu à peu supplantée par les « composeuses fondeuses » qui transforment la logique même du travail de la composition directement héritée de Gutenberg. Contrairement aux machines à composer, qui restaient inscrites dans le système technique traditionnel en continuant de travailler directement sur les caractères, la nouvelle filière technique repose sur le jumelage des deux opérations de la fonte et de la composition 110. Ce nouveau système s’impose rapidement : la taille des grandes entreprises de presses dans un contexte de croissances permet désormais des investissements moins risqués qu’auparavant; par ailleurs les résistances ouvrières semblent s’atténuer fortement 111. Au lieu de s’opposer à une mécanisation qui leur semble inéluctable dans le nouveau contexte socio-économique, les ouvriers du livre s’efforcent de « réguler son arbitraire en fixant des règles de production horaire et de salaire » 112.

En Angleterre d’abord, la linotype pénètre rapidement dans les ateliers : dès 1895, selon une enquête syndicale, 250 linotypes fonctionnaient en province contre 33 machines à composer de Hattersley et 14 du modèle de Thornes. Les employeurs, informés par l’échec des essais de composition mécanique, tentent d’obtenir le soutien des syndicats en embauchant des ouvriers qualifiés. Au lieu de s’opposer au nouveau procédé, les organisations ouvrières tentent d’en garder le contrôle en imposant des régulations de leur usage 113. Ils luttent aussi pour le maintien de la salle à composer, désormais peuplée de machines, comme un espace masculin 114. Largement influencée par les expériences anglaises, la Fédération française des ouvriers du livre fait adopter en 1900 un tarif qui permet d’atténuer les effets potentiellement subversifs des machines : les opérateurs sur les nouvelles machines devront être choisis parmi les compositeurs de la maison, et seuls les ouvriers ayant fait un apprentissage régulier pourront être admis à travailler à la machine 115. Ces mesures permettent de maintenir largement le monopole masculin sur le travail de la composition, et le linotypiste s’impose rapidement comme la figure de l’ouvrier qualifié bien payé. En définitive, la mécanisation de la composition fut le résultat d’un compromis qui conclut plusieurs décennies de luttes et d’expérimentations.

Dans ces conditions, l’histoire des expériences de mécanisation qui précèdent la diffusion de la linotype n’est pas seulement le récit de vaines utopies ou d’échecs techniques. C’est d’abord le résultat d’un processus lent d’acclimatation par lequel les nouveaux procédés adviennent dans un processus de négociation permanente entre les acteurs impliqués dans l’innovation. Pour se diffuser et être acceptée, l’innovation doit se construire un environnement socio-technique favorable. Or, en étant identifié précocement au travail des femmes, contre lequel luttaient les ouvriers, la composition mécanique échoua à s’insérer dans la culture des ateliers.

À l’encontre du modèle linéaire classique qui voit dans le pianotype un ancêtre embryonnaire de la linotype, il nous faut donc substituer « un modèle tourbillonnaire » qui permet de suivre les multiples négociations socio-techniques qui donnent forme à l’innovation 116. Dans le cas du pianotype, la négociation porta essentiellement sur le genre de la machine : face aux imprimeurs soucieux d’embaucher une main-d’œuvre féminine bon marché pour conduire les nouveaux procédés, les compositeurs réaffirment l’identité sexuée du métier pour combattre la concurrence d’une main-d’œuvre sous-payée. À l’encontre des grands récits de l’industrialisation pour lesquels le progrès avance inéluctablement à travers le dévoilement du perfectionnement technique, cette approche socio-historique des machines est attentive aux négociations et aux discours pluriels des acteurs. En restituant la part d’indétermination qui est au cœur du changement technique, et en montrant que tout dispositif technique incorpore la définition de ses usages sociaux possibles, on peut dessiner les conditions d’un contrôle plus démocratique de la technique.

François Jarrige

Centre de recherche en histoire du XIXe siècle (Paris 1-Paris 4) et université d’Angers, UFR de Lettres, langues et sciences humaines.

Une première version de cet article a été présentée au séminaire « Genre et histoire » (Paris 1, animé par Violaine Sébillotte). Merci à Philippe Minard, Pap N’Diaye, Alice Primi et Vincent Robert pour leur lecture attentive et leurs conseils.


Notes:

1 Jules Ladimir « Le compositeur typographe », in Léon Curmer (éd.), Les Français peints par eux-mêmes. Encyclopédie morale du XIXe siècle, [1840-1842], Paris, La Découverte,2004, p.917.

2 Antoine Seyl, La composition mécanique, Bruxelles, Imprimerie scientifique et littéraire, 1926, avant-propos. La plupart des histoires des techniques de l’imprimerie adoptent ce jugement téléologique et examinent les expériences du XIXe siècles à l’aune du seul triomphe de la linotype.

3 Cf. D.Mackenzie, J. Wajcman (eds.),The Social Construction of Technological System :New Directions in the Sociology and History of Technology, Cambridge (Mass.), MIT Press,1989; Bruno Latour, Aramis ou l’amour des techniques, Paris, La Découverte,1992, p. 105-106.

4 Roger Chartier,« L’Ancien Régime typographique », Annales ESC, 36/2, 1981, p.191-210. En dépit des mutations de la période révolutionnaire, l’organisation technique du travail ne connaît pas de transformations majeures : Philippe Minard, « Travail et travailleurs dans les imprimeries sous la Révolution : permanences et mutations », in Livre et Révolution, Mélanges de la Bibliothèque de la Sorbonne, vol. 9, (actes du colloque CNRS de mai 1987), Paris, 1989, p. 47-62 et ID., « Agitation in the work force », in Robert Darnton, Daniel Roche (eds), Revolution in Print : The Press in France, 1775-1800, Berkeley, University of California Press, 1989, p. 107-123.

5 Eric Le Ray, « La mécanisation des industries graphiques à l’aube de l’ère industrielle », in Alain Mercier (dir.), Les trois révolutions du Livre, Paris, Imprimerie nationale édition,2002, p.301-311.

6 Frédéric Barbier, « Une production multipliée », in Roger Chartier, Henri-Jean Martin (dir.), Histoire de l’édition française, rééd., Paris, Fayard,1990, t.3, p.109; Christophe Charle, Le siècle de la presse (1830-1939), Paris, Seuil, 2004; voir les tirages des principaux périodiques anglais du XIXe siècle dans : Richard Daniel Altick, The English Common Reader. A Social History of the Masse reading Public 1800-1900, Chicago, Chicago University Press, 1957, p. 391-396.

7 Plusieurs ouvrages proposent une typologie des machines inventées pour la composition : John S. Thompson, History of Composing Machines, Chicago, [1904] reprint Garland Publishing, New York, 1980, Richard Huss, The development of Printer’s Mechanical Typesettings Methods (1822-1925), Charlotesville, University Press of Virginia, 1973, A. Seyl, La composition mécanique, op.cit.; Maurice Gouilloud, Essai historique sur les machines à composer (1815-1910), Paris, Imprimerie des cours professionnels, 1910.

8 A.-G. Camus, Histoires et procédés du polytypage et du stéréotypage, Paris, 1802; cf. Maurice Audin, « Histoire de la Stéréotypie », in Maurice Daumas, Histoire générale des techniques, T. 3, [1968], Paris, PUF, 1996, p.750-755.

9 Pierre Arnaud-Leroux, Nouveau procédé typographique qui réunit les avantages de l’imprimerie mobile et du stéréotypage, Imp. Didot,1822; il s’agit en fait de Pierre Leroux, qui était le neveu de Herhan, et qui avait sans succès tenté d’améliorer les procédés de stéréotypie. Voir aussi les demandes en faveur d’un nommé Durouchail : La stéréotypie perfectionnée et de son véritable inventeur, Paris, Imprimerie Paul Dupont, 1834.

10 Alphonse Alkan en fait une description détaillée dès 1840 : « Machine propre à la composition et à la décomposition des caractères d’imprimerie », Annales de la typographie française et étrangère, n° 30, décembre 1840, p. 82-87. Voir aussi la description, évidemment louangeuse, qu’en fait l’inventeur : M. Gaubert (de Gers), Rénovation de l’Imprimerie. Nouvelle puissance de la Mécanique. Notice sur le Gérotype ou machine à distribuer et à composer en typographie, Rapport à l’académie des sciences le 5 décembre 1842, Paris, Chez l’inventeur, rue Servandoni, 16, 1843, 15 p.

11 Henry Bessemer, An Autobiography, London, 1905, cité in Brigitte Robak, Vom Pianotyp zur Zeilensetzmaschine. Setzmaschinenentwicklung und Geschlechterverhältnis 1840-1900, Marburg, Jonas Verlag, 1996, p. 24.

12 « From this brief description of the apparatus, it will readily be perceived that the operation of “composing” is thus rendered a very simple affair », Mechanics’ Magazine, XXXIII, 1840, p. 317, voir aussi A. SEYL, La composition mécanique, op.cit., p. 24.

13 « Young and Delcambre‘s type-composing machine », Mechanics’ Magazine, Vol. XXXVI, 25 juin 1842, n°985, p. 497-500. Au début des années 1840, plusieurs publications rendent compte de cette innovation : The Year Book of Facts in Science and Art, exhibiting the most important discoveries and improvements of the past Year. Londres, Tilt and Bogue, 1843; The Artizan, n° II, 28 février 1843. Le constructeur de ces machines était J.-G.Wilson, à Clerkenwel au nord de Londres (A.SEYL, La composition mécanique, op.cit., p.24).

14 Le premier numéro du Family Herald (17 décembre 1842), affirme ainsi que « la feuille que vous avez devant les yeux peut-être, à juste titre, considérée comme une curiosité. C’est la première publication qui ait jamais été faite entièrement mécaniquement pour la composition. Celle-ci a été exécutée par la machine à composer de Young qui, avec une patience inlassable, après un travail considérable et des dépenses se chiffrant à plusieurs milliers de livres sterling, a révolutionné l’imprimerie en résolvant le problème de la composition mécanique ». Elle est également utilisée pour composer des ouvrages comme celui du docteur Edward BINNS, The anatomy of Sleep, en 1842 (Michael Twyman, Printing,1770-1970 : an Illustrated History of its Development and Uses in England, Londres, Oak Knoll Press,1998, p.60).

15 Brigitte Robak, Vom Pianotyp zur Zeilensetzmaschine, op.cit., p. 28.

16 « Rosenberg’s type composing and distributing machines », Mechanics’Magazine, Vol. XXXVII, 29 octobre 1842, n°1003, p.401-5.

17 Alfred Edward Musson, « Newspaper Printing in the Industrial Revolution », The Economic History Review, 1958, 2nd série, Vol.10, n°3, p. 411-442.

18 Notamment : The Southpost Daily News (1876), Bradford Observer (1881), Liverpool Courier (1883), Sheffield Independent (1885), Liverpool Daily Post (1886), Newcastle Journal (1889), Preston Guardian (1890), et le Manchester Courier (1891); voir A.E. Musson, The Typographical Association. Origins and history up to 1949, Oxford, Oxford University Press, 1954, p.100 et 221-223 et Ellic Howe, Harold Waite, The London Society of Compositors (re-established 1848). A Centenary History, Londres, Cassell, 1948, p.228.

19 Auguste Jeunesse (secrétaire de la rédaction des Annales du Génie civil), « L’imprimerie et les livres », in Eugène Lacroix (dir.), Études sur l’exposition de 1867. Annales et archives de l’industrie au XIXe siècle, 8e série, fascicule 36 à 41, Paris, Eugène Lacroix éditeur, 1869, p. 150-158 : « La composition », p. 155.

20 Voir le compte rendu de cette exposition « Des machines à composer et des machines à distribuer I. », Typologie-Tucker, n°71,15 mars 1878 et n° 75,15 mai 1878.

21 En Belgique d’abord, la machine est exposée dans les ateliers du journal Le Phénix à Gand et en juillet 1842, Le Courrier Belge l’utilise pour composer un de ses numéros : « Machine à composer les pages d’imprimerie ; par M. Young et Delcambre », in Bulletin de la société d’encouragement pour l’industrie nationale, t. 41, août 1842, p. 345-346.

22 Archives de l’institut national de la propriété industrielle, Paris (désormais INPI): Brevet d’importation de 15 ans, délivré le 7 octobre 1840 à Young (Arthur), représenté à Paris par Lawson, rue Saint Honoré, n°335; Brevet d’invention de 15 ans pris le 10 octobre 1844 par Young (n°86); brevet d’invention de 15 ans pris par Delcambre le 23 mai 1846 (n°3633); brevet de 15 ans pris le 20 novembre 1849 par Delcambre (n°9140).

23 Archives nationales, Paris (désormais AN) F18 1754, Dossier Delcambre. Paris, 6 août 1853, rapport du directeur de la sûreté général au ministre de l’intérieur sur le brevet d’imprimeur demandé par Delcambre.

24 AN, MC Et / LXVIII/1008, Statuts de la société en commandite la « néo-typographie », 30/01/1851 et 15/02/1851.

25 AN, F18 1754, Dossier Delcambre. Paris,6 août 1853, rapport du directeur de la sûreté général au ministre de l’intérieur sur le brevet d’imprimeur demandé par Delcambre. L’auteur du rapport précise en effet : « en ce moment, [il] confectionne une vingtaine de ses nouvelles machines ».

26 Dans les derniers mois de l’année 1853, Delcambre achète ainsi à divers fabricants parisiens 1075 kg de caractères, deux presses typographiques en fer, une presse à percussion, une mécanique à deux cylindres et deux presses mécaniques, voir AN, F18 2329 : Déclaration des marchands et fabricants d’ustensiles d’imprimerie (1853).

27 Archives départementales (désormais AD) Paris, D 32 U 3 34 : Enregistrement des actes de sociétés du 7 août 1854 au 17 août 1855, actes n°329 et 330, 8 février 1855; Annuaire général du commerce et de l’industrie, Paris, 1858.

28 Dans cette importante imprimerie qui employait 150 ouvriers, 6 presses mécaniques à côté d’une vingtaine de presses à bras, on trouvait aussi « deux machines-compositeurs typographiques », d’après E-M. Pretot, Annuaire de la typographie parisienne, 1re année, Paris, Imprimerie Pretot, 1844.

29 « Six de ces machines pour la composition, ainsi que six autres pour la distribution, sont montées dans l’imprimerie d’une société pour la typographie mécanique, dans la rue Breda à Paris, et, à ce qu’il paraît, ces machines sont employées pour la composition du Journal des Consommateurs, du Voleur et de différents autres ouvrages » : Rapport du Jury mixte international, Exposition universelle de Paris en 1855, Paris, Imprimerie Impériale, 1956, p. 340.

30 Expositions des produits de l’industrie française en 1844. Rapport du jury central, Paris, Imprimerie de Fain et Thunot,1844, t. 3, p. 387.

31 Rapport du jury central sur les produits de l’agriculture et de l’industrie exposés en 1849, Paris, Imprimerie nationale, 1850, t.2, p.168 sq ; Rapport du Jury, 1855, op.cit., p. 340.

32 Exposition universelle de 1867. Rapports des délégations ouvrières, Paris, A. Morel, 1869, t. III : rapport de la délégation des typographes, p. 7.

33 Rapports du jury mixte international publiés sous la dir. de S.A.I. le Prince Napoléon, président de la commission impériale, Paris, Imprimerie impériale, 1856, p. 334.

34 « Nouvelle machine à composer et à distribuer », L’Imprimerie, mars 1875, n°124, p. 617-620 et avril 1875, n°125, p. 633-635.

35 « Des machines à composer et des machines à distribuer I. », La Typologie-Tucker, n°71, 15 mars 1878. Cf. aussi le témoignage d’un ancien typographe : Edmond Morin, Dictionnaire typographique, Lyon, 1903, art. « Machines à composer ».

36 L’imprimerie, n°29, mai 1866, p. 325.

37 L’Illustration, n°4, samedi 25 mars 1843, p. 59-61; Le Courrier du Nord, op. cit.; Auguste Jeunesse, « L’imprimerie et les livres », in E. Lacroix (dir.), Études sur l’exposition de 1867, op.cit., p. 158.

38 Ibid, p. 155.

39 « Systèmes de composition par procédés mécaniques », Le Bulletin typographique, 1er janvier 1843, n°5.

40 Rapport du jury central sur la machine de MM. Delcambre et Young, Expositions des produits de l’industrie française en 1844, Paris, Imprimerie de Fain et Thunot,1844, t.3, p.282-287.

41 Le prix de la composition de 35 000 lettres par la méthode ordinaire est estimée à 17,50 F, « au moyen de la machine de MM. Delcambre et Young, précise le rapport, et en remplaçant par des femmes et des enfants le travail des ouvriers compositeurs, on obtiendrait une réduction de 4 à 5 F sur ce prix de 17 fr 50 c », Ibidem.

42 « In the case of the machine exhibited it is a young lady who officiate », Mechanics’ Magazine, XXXVI, 25juin 1842, n° 985, p.497.

43 Cette annonce reproduite par le Compositors’ Chronicle précisait : « To young Women requiring Genteel Employment – Wanted several Young Women, who can read well and spell correctly, to be occupied from Nine in the morning until Eight in the evening. The occupation is genteel, light, and sedentary… », cité in Brigitte Robak, Vom Pianotyp zur Zeilensetzmaschine, op.cit., p.25.

44 Il était impossible d’utiliser cette machine avec profit si on interdisait l’embauche des femmes précise ainsi Ellic Howe, The London Society of Compositors, op.cit., p. 229.

45 Joyce Burnette, « An investigation of the female-male wage gap during the industrial revolution in Britain », Economic History Review, 50/2, 1997, p.257-281.

46 En France, au milieu du siècle, les salaires féminins équivalent en moyenne à 50% des salaires masculins dans la typographie, voir Frédéric Barbier, « Les ouvriers du livre et la révolution industrielle en France au XIXe siècle », Revue du Nord, LXIII, n° 248, janvier-mars 1981, p.200. En Grande-Bretagne cette inégalité salariale était d’environ 1/3 à 50%, Patrick Duffy, The Skilled Compositor. An Aristocrat among Working Men, Aldershot, Ashgate, 2000, p. 141. On doit noter également que si, dans la composition, ces différences de salaire ont pu jouer en faveur de la mécanisation, dans d’autres secteurs le faible coût de la main-d’œuvre féminine a pu au contraire ralentir l’adoption des nouveaux procédés en fournissant une alternative à la croissance de la productivité.

47 La Réforme,16 juin 1844.

48 Delphine Gardey, « Mécaniser l’écriture et photographier la parole. Utopies, monde du bureau et histoire de genre et de techniques », Annales HSS, 54/3,1999, p. 587-614. L’expression est appliquée à la machine à écrire, p.594.

49 Voir Keith Grint et Steve Woolgar, « On some failures of nerve in constructivist and feminist analyses of technology », in Keith Grint et Rosalind Gill (dir.), The Gender-Technology Relation : Contemporary Theory and Research, Londres, Taylor and Francis,1995, p.50. Cf. Danielle Chabaud-Richter et Delphine Gardey (dir.), L’engendrement des choses. Des hommes, des femmes et des techniques, Paris, Éditions des archives contemporaines, 2002, p. 81.

50 Selon la définition désormais largement acceptée donnée par Joan W. Scott, « Genre : une catégorie utile d’analyse historique », dans Le genre de l’histoire. Les cahiers du GRIF, 37/38, 1988, p. 125-153.

51 La plupart des observateurs soulignent l’aspect « élégant » de la machine : « la petite machine que nous venons de nommer, fort élégante d’ailleurs, a l’aspect d’un piano droit » lit-on dans Le National du 23 juin 1844.

52 Joan W. Scott, «“L’ouvrière ! Mot impie, sordide…” : Women workers in the discourse of French political economy, 1840-1860 », in Patrick Joyce (éd.), The Historical Meaning of Work, Cambridge, Cambridge University Press, 1987, p. 119-143; « La travailleuse », in Georges Duby, Michelle Perrot (dir.), Histoire des femmes en Occident, t. IV – Le XIXe siècle, Paris, Plon,1991, p.479-511; M. Perrot, « Femmes et machines au XIXe siècle », in Les femmes ou les silences de l’histoire, Paris, Flammarion,1998, p.178.

53 Étienne Cabet, « Machine typographique à composer », Almanach icarien astronomique, scientifique, pratique, industriel, statistique, Politique et Social pour 1843, Paris, Mallet et Cie éditeurs,1842, p.91-93.

54 Anne Higonnet, « Femmes et images. Représentations », in G. Duby, M. Perrot (dir.), Histoire des femmes, tome IV, op.cit., p.362. Sur la représentation du piano comme instrument féminin et bourgeois, voir : Alain Corbin, « Le secret de l’individu », in Philippe ARIÈS, Georges Duby (dir.) Histoire de la vie privée, tome 4, Paris, 1987, p.486-489. L’ascension du piano en Angleterre à partir de la fin du XVIIIe siècle correspond d’ailleurs à l’ascension d’une bourgeoisie détentrice d’une part de plus en plus grande du pouvoir économique et politique.« Comme le clavecin pour l’aristocratie, précise Rémi Lenoir, le piano s’est inscrit dans le système des biens définissant l’appartenance à la bourgeoisie et la pratique de cet instrument est devenue, dès cette époque pour cette classe, un des attributs de la jeune fille accomplie »:voir Rémi Lenoir, « Notes pour une histoire sociale du piano », Actes de la recherche en sciences sociales, n°28, 1979, p. 79-82.

55 Sîan Reynolds, « The Male Compositors’ Culture », Britannica’s Typesetters : Women’s Compositors in Edwardian Edimburg, Edimburg, Edimburg University Press, 1989, p.18-22.

56 Ainsi, précise Ph. Minard, « l’apprentissage est enseignement de l’âge d’homme autant que du métier », Typographes des Lumières, Seyssel, Champ Vallon, 1989, p. 75; ce que confirme Cynthia Cockburn pour l’Angleterre : « As to the rituals of apprenticeship, it was unthinkable that a girl should pass through a process so clearly designed to produce a free man», Brothers. Male Dominance and Technical Change,Londres,Pluto Press,1983, p.17.

57 Ph. Minard, Ibid, p. 148. Même si le processus d’industrialisation commence à modifier cette culture de l’atelier, elle reste encore très vivace au milieu du XIXe siècle, sur l’idéologie de l’apprentissage au XIXe siècle : Yves Lequin, « Apprenticeship in nineteenth-century France :A continuing tradition or a break with the past ?», in Steven L. Kaplan, Cynthia J. Koepp (ed.), Work in France. Representations, Meaning, Organization, and Practice, Cornell University Press, 1986, p. 457-474; Keith D. M. Snell,« The apprenticeship system in British history : the fragmentation of a cultural institution », History of Education, 1996,25/4, p.303-321.

58 AN, MC Et / LXVIII / 1008, Statuts de la « néo-typographie ».

59 Étienne Cabet, “Machine typographique à composer”, Almanach icarien op. cit., p. 91-93.

60 Sur cet aspect du discours icarien, voir F. Jarrige, “Des ‘machines à l’infini’ :Le communisme icarien et l’imaginaire utopique des techniques (1830-1848)”, in Hypothèses 2005, Paris, Publications de la Sorbonne, 2006, p. 199-208.

61 Victor Meunier, “Machines typographiques”, La démocratie pacifique, 25 juillet 1844.

62 Pierre Leroux, “D’une nouvelle typographie”, Revue indépendante, janvier 1843, p.275.

63 Ibid., p.274.

64 Eric J. Hobsbawm, Labouring Men : Studies in the history of labour, London, Weidenfield and Nicolson, 1968, p. 274; Robert Gray, The Aristocracy of Labour in Nineteenth Century Britain, Londres, Macmillan, 1981.

65 Paul Chauvet, Les ouvriers du livre en France de 1789 à la constitution de la fédération du livre, Paris, Marcel Rivière, 1956, p. 653.

66 F. Barbier, “Les ouvriers du livre et la révolution industrielle en France au XIXe siècle”, Revue du Nord, art. cit., p. 201.

67 P. Duffy, The Skilled Compositor, op. cit., p.82-84.

68 Voir Ellic Howe, Harold Waite, The London Society of Compositors (re-established 1848). A Centenary History, Cassell, London, 1948.

69 A.E. Musson, The Typographical Association. Origins and history up to 1949, op. cit.; et John Child, Industrial Relations in the British Printing Industry, Londres, Allen and Unwin, 1985.

70 P. Chauvet, Les ouvriers du livre en France, op. cit., 1956.

71 Sur l’histoire de cette société typographique, voir Les carnets de Joseph Mairet, ouvrier typographe. Histoire de la Société typographique parisienne et du Tarif (1839-1851), Paris, Fédération des travailleurs des industries du Livre CGT, 1995.

72 Comme le note Sian Reynolds dans une étude consacrée à l’Écosse : Britannica’s Typesetters, op.cit., p. 19. Il existe peu de travaux récents sur cette question en France, pourtant c’est dans l’imprimerie que l’introduction des femmes dans le monde de l’atelier suscita le plus de débats et de résistances de la part des compagnons. Dans le cas français, on doit également mentionner une expérience originale d’emplois des femmes dans l’imprimerie pendant la période révolutionnaire; même si cette expérience échoue rapidement, elle a laissé d’indéniables traces dans la mémoire de la profession au cours du XIXe siècle : voir Alphonse Alkan (aîné), Les femmes compositrices d’imprimerie sous la Révolution française, en 1794, par un ancien typographe, Paris, 1862, 10 p. ; et Louis Radiguer, Maîtres imprimeurs et ouvriers typographes, Paris, Société nouvelle de librairie et d’édition, 1903, p. 447 et s.

73 P. Duffy, The Skilled Compositor, op.cit., p. 130.

74 À la fin de la monarchie de Juillet, l’entrée des femmes dans les imprimeries a déjà commencé en dehors des ateliers de reliure où leur présence était déjà ancienne. En 1847, Frédéric Barbier recense ainsi 304 femmes employées dans les imprimeries typographiques, soit 6,7% de la main-d’œuvre (plus 807 ouvrières qui travaillent dans les ateliers de reliure et de dorure): « les ouvriers du Livre », art. cit.

75 Ambroise Firmin Didot, Essai sur la typographie, Extrait du tome XXVI de l’encyclopédie moderne, Paris, Firmin Didot, 1851, p. 867 sq. Né en 1780, Thomas-François Rignoux est un ancien compositeur qui s’enrichit après avoir acquis un brevet d’imprimeur en 1820. En 1830 il fait faillite, ce qui le pousse à expérimenter le travail des femmes, par la suite il devient imprimeur de la faculté de médecine; voir sa nécrologie dans L’imprimerie, mars 1865, n°15, p. 174.

76 L. Radiguer, Maîtres imprimeurs et ouvriers typographes, op.cit., p.452. Sur la famille Didot qui joue un rôle important dans la modernisation de l’imprimerie en France à cette époque, voir : André Jammes (dir.), Les Didot. Trois siècles de typographie et de bibliophilie,1698-1998, Catalogue de l’exposition présentée à la BHVP en 1998, Paris,1998, p.59 et s.

77 Arnould Fremy, « L’imprimerie de Saint-Gernay », Revue de Paris, vol. 18, juin 1840, p.285-299, citation p. 288.

78 Jean-Baptiste Coutant, « Question industrielle et sociale », La Ruche Populaire, septembre 1840, p.7-15.

79 Eugène Gauthier, Annuaire de l’Imprimerie, de la presse et de la librairie pour l’année 1855-1856, Paris, 1855, in-8, p. 30. Gauthier précise à cette occasion que « l’atelier des femmes, avec des ouvriers pour auxiliaires est un sérail, pour ne pas dire autre chose ».

80 Celle-ci paraissait d’autant plus justifiée que l’année précédente l’ancien compositeur Auguste Bouchet, désormais maître imprimeur, avait publié une petite brochure dans laquelle il jugeait l’emploi des femmes « immoral », voir Auguste Bouchet, De l’état de l’imprimerie parisienne en 1854, Paris, 1854.

81 Louis Radiguer, Maîtres imprimeurs et ouvriers typographes, op.cit. p.450.

82 Ainsi, en 1862 les ouvriers font grève pour obtenir une augmentation de tarif, à cette occasion plusieurs maîtres décident de recourir au travail des femmes pour briser le mouvement. Ce conflit a donné lieu à une polémique et à un débat au cours des mois de janvier et février dans les colonnes du journal L’Opinion Nationale.

83 F. Barbier, art.cit., p. 195.

84 Voir la Typologie Tucker: “Les compositrices sourdes-muettes, élèves de M. Théotiste Lefevre”, n°104, 31 juillet 1879 et “Compositrices. L’introduction des femmes dans l’imprimerie française”, n°117, 15 mars 1880.

85 Gutenberg Journal, février 1877.

86 P. Duffy, The Skilled Compositor, op.cit., p. 135 ; Sîan Reynolds, Britannica’s Typesetters, op.cit., note 12 p.149; Felicity Hunt, « The London trade in the printing and binding of books :an experience in exclusion, dilution and deskilling for women works », Women’s Studies International Forum, Volume 6, n°5, 1983, p. 517-524, p. 519. Par ailleurs, cette explication est avancée par les ouvriers français eux-mêmes dans le rapport des délégués de la typographie française à l’exposition universelle de Londres en 1862.

87 L’année 1860 constitue indéniablement un tournant à cet égard, en Écosse par exemple c’est seulement après cette date que les femmes commencent à entrer massivement dans la composition d’où elles étaient auparavant totalement exclues : S. Reynolds, Britannica’s Typesetters, op.cit.

88 Cf. James D. Stone, Emily Faithfull : Victorian Champion of Women’s Rights, Toronto, P.D. Meany, 1994.

89 P. Duffy, Ibid., p. 137.

90 En Grande-Bretagne et en France, la lutte contre les ouvriers illégaux – c’est-à-dire n’ayant pas suivi la période normale d’apprentissage ou ne respectant pas le tarif –, comme les alloués au XVIIIe siècle, reste une revendication de premier ordre au cours du XIXe siècle. En 1862, les délégués de la typographie française précisent ainsi que « si nous luttons contre l’introduction [des femmes] parmi nous, – ce n’est pas, avons-nous besoin de le dire, un sexe que nous combattons ? C’est un instrument d’abaissement de salaire, c’est un travailleur à prix réduit. Nous luttons contre la femme comme nous luttons contre tous les compositeurs à bas prix, quels que soient leur sexe et leur âge » : Délégations ouvrières à l’exposition universelle de Londres en 1862. Rapport des délégués de la Typographie suivi du nouveau Tarif, Paris, 1863, p. 26.

91 Madeleine Rébérioux, “Les ouvriers du livre devant l’innovation technologique. Esquisse d’une réflexion”, Histoire, Économie et Société, 1986/2, p.223-232.

92 Cité in Ellic Howe, John Child, The Society of London Bookbinders, 1780-1951, Londres, Sylvan Press,1952, chapitre XII, Bookbinders versus Machines.

93 “Enquête industrielle – Les imprimeurs-typographes”, Le Populaire, n°9, 11 décembre 1842. Ce témoignage montre que, bien avant sa mise en scène publique à l’occasion de l’exposition industrielle de 1844, les compositeurs parisiens suivaient avec attention les avancées de la mécanisation de leur travail.

94 Le Bulletin typographique, mai et juin 1844, n°21-22.

95 Les carnets de Joseph Mairet, op.cit.,p. 138.

96 Rapport du jury international de l’exposition universelle de Paris en 1855, op.cit., p.340.

97 AN, F18 1754 : Dossier des brevetés parisiens, Paris, 6 août 1853, rapport du directeur de la sûreté générale.

98 A. E. Musson, The Typographical Association. Origins and history up to 1949, Oxford, Oxford University Press, 1954, p. 20; Compositors’ Chronicle, n°19, mars 1842 et The Printer, n°13, novembre 1844; cf. MUSSON, Ibid., p.50-52.

99 Apparemment sans fondement : E. Howe H. Waite, The London Society of Compositors, op.cit., p. 226.

100 Ibid., p.230.

101 Délégations ouvrières à l’exposition universelle de Londres en 1862. Rapport des délégués de la Typographie suivi du nouveau Tarif, Paris, 1863, p. 22-28 ; « Rapport de la délégation des typographes », Exposition universelle de 1867. Rapports des délégations ouvrières, Paris, A. Morel, 1868, Vol.1, p. 7-8.

102 J. Marchal (ouvrier typographe), Rapport sur la machine à composer de M.Kastenbein, Nancy, impr. de Gebhart, 1878, In-8, 4 p.

103 “Machines – Pianotype de MM. Young et Delcambre”, L’Atelier, n°10, juillet 1844. Parmi les ouvriers de L’Atelier on trouvait un grand nombre de compositeurs, voir : Rémy Gossez, “Presse ouvrière à destination des ouvriers,1848-1851”, in Jacques Godechot (dir.), La presse ouvrière,1819-1850, Paris, Bibliothèque de la révolution de 1848, tome XXIII, 1966.

104 En 1848 d’ailleurs, les ouvriers de L’Atelier s’empressent de condamner les nouveaux bris de machines qui ont lieu dans la capitale, outre un article intitulé « Ne brisons pas les machines !» les ateliéristes font imprimer une affiche apposée sur les murs de la capitale invitant les ouvriers à ne pas briser les machines, voir L’Atelier, n°6, 27 février 1848.

105 Ava Baron insiste sur ce point : « Technology and the crisis of masculinity. The gendering of work and skill in the US printing industry, 1850-1920 », in Andrex Sturdy, David Knights, Hugh Willmott (eds.), Skill and consent. Contemporary Studies in the Labour Process, London, Routledge, 1992, p. 67-95.

106 Julien Turgan, Les grandes usines de France : tableau de l’industrie française au XIXe siècle, Paris, 1860-1865, Tome 4 : « Imprimerie administrative de Paul Dupont », p. 314.

107 « Pourquoi la composition syllabaire, qui est employée à New-York, a-t-elle été abandonnée en France ? – demande A. Jeunesse – parce que M. Joostens, qui avait fait tant de sacrifices pour perfectionner sa casse était en butte à des tracasseries incessantes de la part de ses compagnons d’atelier, et que plus d’une fois, – il nous a fait la confidence de ses douleurs, – il a trouvé le matin mélangés dans ses nombreux cassetins les caractères qu’il avait arrangés avec tant de soin et d’amour la veille au soir. Les taquineries d’ateliers eurent raison de son énergie », Auguste Jeunesse, « L’imprimerie et les livres », in E. Lacroix (dir.), Études sur l’exposition de 1867, op.cit, p. 152. Sur la culture du secret de l’atelier en Angleterre et sa fonction de préservation du contrôle ouvrier sur l’espace de travail, voir Clive Behagg, « Secrecy, ritual and folk violence : the opacity of the workplace in the first half of the nineteenth century », in Robert D. Storch (ed.), Popular Culture and Custom in Nineteenth-Century England, Londres, 1982, p.154-179.

108 F. Barbier, Livre, économie et sociétés industrielles en Allemagne et en France au XIXe siècle (1840-1914), Thèse d’État, Université Paris 1,1986, p.758-765.

109 “De la justification par les machines à composer”, La compositrice, organe des travailleuses du livre. 2/4, 1er avril 1888.

110 F. Barbier, Livre, économie et société…, op.cit., p.589-591.

111 Même si les typographes du Midi tentèrent, sans succès, d’organiser un « syndicat de résistance » pour mettre hors d’état de fonctionner la linotype utilisée par la Dépêche de Toulouse. Comme l’écrit M. Rébérioux, il semble que « c’en était bien fini de la lutte contre la machine »: Les ouvriers du livre et leur fédération. Un centenaire, 1881-1981, Paris, 1981, p.59.

112 M. Rébérioux, « Les ouvriers du livre devant l’innovation technologique », art. cit., p.223-233.

113 Jonathan Zeitlin, « Engineers and Compositors : A comparison », in Royden Harrison, Jonathan Zeitlin (eds.), Divisions of Labour. Skilled Workers and Technological Change in Nineteenth century England, Brighton, The Harvester Press,1985, pp.185-250; et pour une étude des conséquences sociales de l’introduction de la linotype en Angleterre, voir : David A. Preece, « Social aspects and effects of Composing Machine adoption in the British Printing Industry », Journal of the Printing Historical Society, n° 18,1983/1984, p.1-35.

114 Cynthia Cockburn, Brothers. Male Dominance and Technical Change, op.cit., p.31.

115 L. Radiguer, Maîtres imprimeurs, op.cit., « tarifs de la Machine à Composer. A l’étranger. En France », p. 477-490.

116 Pour une approche théorique du « modèle tourbillonnaire » de l’innovation, voir l’article classique de Madeleine Akrich, Michel Callon, Bruno Latour, « À quoi tient le succès des innovations », Annales des Mines, série « Gérer et comprendre », juin 1988, p. 4-17 et décembre 1988, p. 14-29.

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