Alexis Escudero, La reproduction artificielle de l’humain, 2014

couv_RAHLa procréation médicalement assistée (PMA) n’a rien à voir avec l’égalité des droits ; elle doit être combattue en tant que telle, et non pas pour son extension aux homosexuels ; nous n’avons rien à gagner, et tout à perdre à la reproduction artificielle de l’humain : autant d’évidences que ce livre doit hélas rappeler.

Eugénisme, marchandisation du vivant, manipulation génétique des embryons, transhumanisme.

Nous, luddites et libertaires, anti-industriels et anti-capitalistes, simples humains et animaux politiques, nous défendons le progrès social et humain, ou plutôt nous tâchons de défendre ce qui reste d’humain, de libre et d’animal en ce monde, contre le nihilisme technologique. Pour aller au fin mot de ces pages : l’émancipation sera politique ou ne sera pas.

La PMA, ni pour les homos, ni pour les hétéros !

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Le clip vidéo de promotion, en exclusivité !


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Alexis Escudero

La reproduction artificielle de l’humain

Chapitre 1 : La Stérilité pour tous et toutes !,

Chapitre 2 : Au Bazar du Beau Bébé

Chapitre 3 : De la reproduction du bétail humain

Chapitre 4 : Les crimes de l’égalité

Conclusion : 10 thèses sur la reproduction artificielle de l’humain

éditions Le monde à l’envers

Grenoble, 2014.

230 pages, 7 euros.


La reproduction artificielle des animaux non-humains

Depuis la sortie du film Mouton 2.0 nous n’avons cessé d’affirmer que la lutte contre le puçage n’était pas une lutte agricole. Qu’elle ne concernait pas que les ruraux et pas seulement les agriculteurs, mais bien au contraire toute la société.

Toutes les personnes mangeant cette nourriture produite de cette façon. Que de nombreux ponts étaient à construire avec les urbains, avec d’autres métiers (ou même avec les chômeurs) ou d’autres situations. Que de cette situation faite aux éleveurs, chacun en avait l’expérience dans sa propre vie.

Quiconque ayant eu affaire à une administration (c’est-à-dire à peu près tout le monde) a ressenti un jour ce sentiment de solitude face à une bureaucratie kafkaïenne désormais informatisée. Ce sentiment de n’être qu’un numéro de sécu. Appuyez sur la touche étoile. Nous persistons: la lutte contre le puçage ne peut être victorieuse qu’avec tous les puçés, des villes et des campagnes. L’affaire Snowden qui dure maintenant depuis un an ne faisant que confirmer ce que d’autres disaient avant nous: tout le monde est concerné, plus personne ne peut prétendre y échapper. Ce qui signifie en substance que les éleveurs ne gagneront pas seuls. Ce n’est qu’en se tournant vers d’autres («la société civile», «la masse», «le peuple», bref les gens) qu’ils pourront s’en sortir et emmener d’autres personnes dans leur lutte.

Si nous avons voulu ces ponts, c’est que la nourriture est une question centrale dans cette société. Et que la façon de la produire en dit long sur le monde dans lequel nous vivons. Elle peut servir d’entrée à une critique du monde industriel de manière générale. Là encore nous n’inventons rien. Les procédés de rationalisation d’après-guerre de l’agriculture et notamment de l’élevage ont été étudiés sous toutes les coutures.

Mais aujourd’hui c’est le troupeau humain qui réclame le même traitement que celui des moutons. Le journal Libération faisait récemment sa une en offrant une tribune aux 343 fraudeuses ayant eu recours à la PMA (1). Rendant hommage aux «343 salopes» qui eurent recours illégalement à l’avortement, « les fraudeuses » réclament ici la PMA pour toutes – c’est-à-dire pour les femmes homosexuelles, sans discrimination. Pourtant, si la légalisation de l’avortement et le fait pour les femmes de pouvoir choisir fut un grand progrès social, nous voyons au contraire dans la PMA un danger.

Les technologies développées dans le cadre de l’élevage industriel (insémination artificielle, fécondation in vitro) ont, au cours des années 1970 et 80 progressivement été appliquées aux femmes pour le traitement de l’infertilité humaine. «Au-delà des importantes questions éthiques que soulève l’expérimentation, au nom du désir d’enfant, de méthodes issues de l’élevage industriel sur le corps des femmes, il faut bien voir qu’à travers ce transfert technologique ce sont les valeurs productivistes de l’économie industrielle qui ont été transférées», écrit la sociologue Céline Lafontaine dans un livre sur la bioéconomie (la mise sur le marché de pièces détachées humaines: sang, tissus, cellules, ovules…) (2). «En ayant permis de contrôler les paramètres biologiques et génétiques de la reproduction, les biotechnologies développées dans le cadre de l’agriculture industrielle sont au fondement même de la bioéconomie, dont le premier objectif est d’accroître la productivité». La transposition au corps féminin de biotechnologies conçues pour contrôler la reproduction d’animaux d’élevage est donc à l’origine de l’exploit scientifique qu’a représenté la naissance du premier «bébé-éprouvette». Ce passage de l’élevage industriel à la reproduction humaine est historiquement attesté par le fait que Jacques Testart, le père scientifique d’Amandine (première Française née de fécondation in vitro en 1982), a commencé sa carrière à l’INRA (recherche agronomique) comme biologiste spécialiste de la reproduction des bovins.

Jacques Testart écrit d’ailleurs à propos de la reproduction artificielle: «Comme l’a montré Jean-Pierre Berlan (3), le but des nécrotechnologies est d’exproprier « cette propriété malheureuse des plantes et des animaux: se reproduire et se multiplier« . Il s’agit donc de séparer la production qui reste dans les mains des agriculteurs, de la reproduction qui devient le privilège de l’investisseur, c’est-à-dire de quelques multinationales. D’où le projet «séculaire mortifère de stérilisation du vivant.» (4)

Dans Mouton 2.0 nous parlons de génétique. De l’histoire de la sélection bovine car celle-ci nous est connue. Cette histoire s’est faite sans puce RFID il est vrai, tout simplement parce que celle-ci n’était pas encore au point dans les 1960 et 70. Mais aujourd’hui la puce et les fichiers auxquels elle est reliée sont l’outil ultime de gestion. Ils sont intimement liés à l’amélioration de la race à laquelle travaillent les généticiens de l’INRA. Pour sélectionner il faut connaître. Identifier et générer de l’information. Le plus d’information possible. Créer des chiffres et les exploiter de manière exponentielle – desquels découleront d’autres chiffres. Grâce à des banques de données, recouper des informations, faire des statistiques pour ensuite trifouiller les gènes. Bref, faire un travail génétique. Pour aboutir au mouton blond aux yeux bleus, à la brebis qui produira le plus de lait ou le plus d’agneaux, comme les bovins ont leur Holstein (5) ou désormais leur Blanc Bleu Belge (6). Bref à l’eugénisme.

Testart, qui est passé des animaux aux humains, sait de quoi il parle lorsqu’il affirme que «les techniques d’insémination artificielles de mères porteuses d’embryons sélectionnés conduisent à des monopoles sur les géniteurs et œuvrent à la raréfaction variétale (sélection)». Et de poursuivre pour les mêmes procédés adaptés aux humains: «qui souhaiterait choisir un embryon génétique taré quand des dizaines de normaux seront disponibles? Une telle banalisation de la norme par sélection compétitive ouvre la porte d’un nouvel eugénisme».

A ce sujet nous ne pouvons que conseiller la lecture d’un livre fraîchement sorti: La reproduction artificielle de l’humain (7). Ce livre rappelle d’abord (chapitre 1: La stérilité pour tous et toutes) que la baisse de la fertilité chez les hommes est due à la dégradation de notre environnement et de nos modes de vies. La PMA face à ce constat arrive en sauveur pour résoudre le problème. On connaît la chanson: la nouvelle vague d’innovations prétend résoudre les problèmes posés par la précédente. Le serpent se mord la queue. Le livre explique ensuite les promesses, déjà à l’œuvre ou à venir de la PMA: eugénisme, marchandisation du vivant, manipulation génétique des embryons, transhumanisme…

La PMA n’a donc rien de naturel ni d’une simple aide à la procréation. Elle implique un lourd dispositif biomédical avec nombre de risques pour les patientes. Elle exige la création de banques de données. D’une hiérarchie dans la classification de ces données (gamètes de prix Nobel par exemple). Elle accroît notre dépendance vis-à-vis de l’industrie médicale et ouvre la voie à l’eugénisme. Non pas l’eugénisme négatif (par élimination) mais un eugénisme «positif». Comme le proposaient les biologistes soviétiques partisans d’un eugénisme socialiste «vu l’état actuel de l’insémination artificielle (largement utilisée pour le bétail) la sélection humaine pourrait faire un gigantesque bond en avant […] par insémination artificielle de femmes choisies pour leurs qualités, par du sperme d’hommes non moins choisis» (8). Voici l’eugénisme du libre choix, de la mondialisation et du libéralisme. Non pas contraint mais choisi, sauf peut-être pour cette Indienne payée vingt mille dollars pour porter votre enfant.

N’en déplaise aux libérateurs d’animaux pour qui la nature n’existe pas ou à certaines féministes (comme Clémentine Autain) la déclarant «fasciste», la barbarie de notre époque réside sans doute plus dans cette illusion de vouloir la contrôler et la dominer que dans le fait de se soumettre à elle. «Toute tentative ayant pour but de briser la contrainte exercée par la nature en la brisant n’aboutit qu’à une soumission plus grande au joug de celle-ci» (9). Qui plus est, il est paradoxal de constater que derrière cette revendication du droit à l’enfant et son discours ultra moderniste (revendiquant une technologie de pointe) se cache le désir archaïque d’une parentalité biologique. Le sang de mon sang, l’ADN de mon ADN. Comme si l’important dans la parentalité était d’ordre génétique.

Revenons à nos moutons. Une distance s’est faite chez les éleveurs en lutte entre ceux voulant une dérogation pour ajouter leur label «agneau non puçé» et ceux voulant porter la critique plus loin. Au-delà de leur élevage, vers le cheptel humain. On conviendra après ce qui précède qu’aménager son pré carré au milieu de ce monde est une politique vouée à l’échec. Nous ne voulons pas être les derniers des Mohicans. Nous voulons rester humains.

Fin avril 2014, José Bové déclarait son opposition à la PMA. «Je crois qu’il faut être très prudent sur ces questions-là. Mais, pour moi, tout ce qui est manipulation sur le vivant qu’il soit animal, végétal ou humain doit être combattu». Ce à quoi l’écolo-technocrate Esther Benbassa sénatrice EE-LV répondait avec mépris «À trop suivre la nature on finit par vivre avec des animaux dans une ferme du Larzac». Après cela, libre à chacun de choisir son camp et d’en tirer les conséquences.

Notre inquiétude ne découle pas de l’irruption de quelques savants fous et de leurs manipes, mais de la tranquille assurance de tous les autres à nous fabriquer un avenir sur commande. Un monde meilleur. Le meilleur des mondes. Sommes-nous la dernière génération d’enfants nés et non pas produits ?

La PMA, ni pour les homos, ni pour les hétéros. Ni pour les humains, ni pour les animaux.

Par un des réalisateurs du film documentaire Mouton 2.0: la puce à l’oreille.

Notes:

  1. Procréation médicale assistée, technique autorisée en France pour les couples hétéros mais pas encore pour les couples de femmes homos.
  2. Céline Lafontaine, Le Corps-marché, La marchandisation de la vie humaine à l’ère de la bioéconomie, éd. du Seuil, 2014.
  3. Jean-Pierre Berlan, La guerre au vivant, OGM et mystifications scientifiques, éd. Agone, 2001.
  4. Jacques Testart, « Fabrique du vivant et décroissance », revue Entropia n°3, 2007.
  5. Race inconnue en France avant les années 1960, elle domine maintenant la plupart des troupeaux.
  6. Voir l’article « La BBB, vache XXL », Le Monde du 3 mai 2014.
  7. Alexis Escudero, La reproduction artificielle de l’humain, éd. Le monde à l’envers, 2014.
  8. André Pichot, La société pure, de Darwin à Hitler, éd. Flammarion, 2001.
  9. Adorno et Horkheimer, La dialectique de la raison, 1947.

 

Interview d’Alexis Escudero

La Décroissance : Après l’adoption de la loi sur le mariage homosexuel, de nombreuses voix se font entendre pour réclamer la mise en place de la PMA pour les couples lesbiens, voire pour les plus extrémistes la légalisation de la GPA. En quoi ces mesures renforceraient-elles l’emprise de la technologie et du capitalisme sur nos vies ?

Le récent débat sur la PMA en France a été mal posé. Au nom d’une conception biaisée de l’égalité, la gauche a réduit tout débat sur la PMA – considérée unanimement comme un progrès social et humain – à la seule question de son ouverture aux homosexuels. La droite s’est engouffrée sur ce terrain là. Elle qui ne trouve rien à redire à la PMA depuis 30 ans, s’insurge aujourd’hui contre son extension aux homosexuels, comme si les couples homos n’avaient pas les mêmes capacités que les hétéros à aimer, éduquer et prendre soin d’un enfant.

Le vrai débat sur la PMA et la GPA ne porte pas là-dessus. Ces techniques doivent être critiquées et combattues en tant que telles, indifféremment pour les homos et pour les hétéros. L’assistance médicale à la procréation asservit les hommes et les femmes à une technocratie en blouse blanche : médecins, gynécologues, banquiers en sperme et généticiens. Elle signe l’intrusion des experts et du pouvoir bio-médical jusque dans la chambre à coucher. La PMA et la GPA concourent à la marchandisation du vivant, à l’exploitation des femmes pauvres et transforment les enfants en produits manufacturés, monnayables sur un marché de l’enfant. Avec la fécondation in vitro, la reproduction artificielle de l’humain place les embryons sous la coupe du biologiste et entraîne leur sélection : l’eugénisme. Elle ouvre la voie à leur manipulation génétique, et donc au transhumanisme [Notez que l’insémination pratiquée à domicile avec le sperme d’un proche n’est pas la PMA. Elle n’exige qu’un pot de yaourt et une seringue et ne soulève qu’une seule question : celle de l’accès aux origines : dira t-on au gamin qui est son père biologique ?].

Dans cette optique, la revendication d’un « droit à la PMA » pour les couples de lesbiennes doit être combattue pour ce qu’elle est avant tout : l’ouverture de la PMA à tous les individus fertiles, homos ou hétéros. Cette revendication rend légitime pour qui le souhaite, la possibilité de recourir à la fécondation in vitro et donc à la sélection génétique des embryons. C’est le passage d’une technique palliative, déjà condamnable en tant que telle dans un monde surpeuplé, à une technique de convenance. Voilà qui permettra comme aux États Unis, à des couples de bourgeois fertiles de recourir à la fécondation in vitro afin de sélectionner sur des critères génétiques (diagnostic pré-implantatoire) l’embryon qu’ils veulent implanter dans l’utérus – celui de maman, ou celui d’une Indienne, si maman ne veut pas prendre du ventre. Evidemment, l’opération devra être financée et prise en charge par l’État et la société : c’est la signification du « droit à la PMA » revendiqué par les libéraux de gauche, un droit opposable, qui oblige l’État à fournir à chacun les moyens de l’exercer, par opposition au « droit de », simple absence d’interdiction.

Dans votre ouvrage, vous montrez que le marché de la reproduction artificielle existe déjà : pourriez-vous présenter les pratiques à l’œuvre aujourd’hui, et le poids que représente ce marché ?

A l’ère technologique, le capitalisme trouve les moyens de son expansion dans les ravages qu’il a lui-même causés. La baisse foudroyante de la fertilité humaine liée à la pollution chimique de l’environnement depuis un siècle, lui ouvre aujourd’hui un marché gigantesque. Ce nouveau secteur industriel pèse 650 millions d’euros au Royaume-Uni, plus de trois milliards de dollars aux États-Unis. En Inde, les dizaines de milliers de clients qui louent un utérus déboursent chaque année plus d’un milliard d’euros. La douleur des couples en mal d’enfants a bon dos. PMA et GPA existent d’abord et avant tout parce qu’elles engraissent médecins, biologistes, généticiens, directeurs de banques de gamètes, juristes et avocats spécialisés dans la filiation. Comme tout marché, celui-ci est a-moral. Tout s’achète, tout se vend. La loi de l’offre et de la demande fixe le cours de l’ovule, du sperme ou de l’enfant dans le supermarché mondial de la reproduction humaine. Chez le danois Cryos Bank, leader mondial du sperm business, le sperme est livré en 24 heures, moyennant 500 à 2 000 euros selon la qualité souhaitée. Aux États-Unis, le prix de l’ovule varie entre 2 500 et 50 000 dollars, en fonction de vos exigences. Des catalogues en ligne permettent de choisir votre produit en fonction de critères toujours plus précis : âge de la fournisseuse, type ethnique, antécédents médicaux, origine sociale, caractéristiques physiques, quotient intellectuel et niveau d’éducation. La reproduction artificielle de l’humain a aussi son hard discount. Les centers for human reproduction implantés en Europe de l’Est et dans le Tiers-Monde, défient toute concurrence, en matière de vente d’ovule, de prestations médicales, ou de location d’utérus.

Dans la guerre économique mondiale, soutenir le développement de la PMA et de la GPA, c’est soutenir le commerce des ovules et du sperme, l’exploitation des femmes du Tiers-Monde, et en définitive, le principe maître du capitalisme selon lequel tout se vend et tout s’achète.

Les barrières morales à la fusion homme-machine semblent sauter une à une : pensez-vous que nous avons pris le chemin du meilleur des mondes, avec des perspectives d’eugénisme et de transhumanisme ?

On espère toujours que nos écrits seront contredits par la réalité, que la conscience du désastre progressera plus vite que le désastre lui-même. Malheureusement, il y a peu de raisons d’être optimiste.

La PMA est intrinsèquement eugéniste. Voyez les catalogues des banques de gamètes. Ne sont sélectionnés que les candidats qui correspondent aux canons des managers et d’Hollywood. Depuis 2011, Cryos Bank n’accepte plus le sperme des hommes roux.

Mais le potentiel eugéniste de la PMA réside surtout dans la généralisation du diagnostic pré-implantatoire (DPI) : le testage génétique de multiples embryons lors d’une fécondation in vitro afin de sélectionner celui qui sera implanté. Bénéficiant de chaque « progrès » de la génétique, le DPI ouvre la voie à un véritable design de l’enfant. Il permet déjà de choisir le sexe ou la couleur des yeux du futur bébé, et de lui d’éviter quelques 400 maladies. Il permettra bientôt de sélectionner des caractéristiques liées non seulement à la santé, mais également à l’apparence physique, voire à l’intelligence. Ainsi qu’on le fait avec les saumons ou les porcs, il est aussi possible de manipuler génétiquement des embryons humains. L’amélioration génétique est une des voies promues par les transhumanistes pour fabriquer l’homme augmenté.

Dans ce contexte, les parents seront contraints à la sélection génétique de leur progéniture, sous peine de la voir reléguée au rang de sous-humanité. Et si cet eugénisme du libre choix ne suffit pas à les convaincre, les impératifs de l’État, de l’Industrie et du Développement Durable dans la guerre économique mondiale sauront les rappeler à l’ordre : améliorée leur main d’œuvre sera plus productive. Plus petite, elle produira moins de CO2. Que de perspectives pour les écotechniciens ! L’enfer vert, c’est aussi l’eugénisme vert [Voir Tomjo, L’Enfer Vert, L’échappée, 2013].

En ayant abandonné la critique de la marchandisation de l’existence et en rejetant une nature honnie, diriez-vous que la gauche (PS, EELV, Front de gauche, etc.) est devenue fer de lance du libéralisme ?

La gauche confond nature et idée d’ordre naturel. La nature c’est ce qui naît, l’inné, ce qui est donné à chacun à la naissance et n’est le produit ni de la construction sociale, ni d’un quelconque artifice. Cette nature existe évidemment et nous impose de nombreuses contraintes : une femme ou un homme seul ne peut pas faire d’enfants, deux hommes ou deux femmes non plus. L’ordre naturel en revanche est un fantasme, qui légitime les inégalités sociales au nom de la nature.

La gauche libérale jette la nature avec l’eau du bain. Croyant couper l’herbe sous le pied de la droite et des réactionnaires, elle rejette en bloc les contraintes biologiques et physiologiques qui s’imposent à nous (pour le pire et pour le meilleur), et qui font de nous des êtres humains, des animaux politiques. Elle développe une conception de la liberté exclusivement libérale, individuelle et consumériste, qui fait de l’abolition de la nature son unique critère. Est bon ce qui est artificiel, est mauvais ce qui est naturel. Évidemment, le recours au marché et à la technologie est l’unique horizon de cette fausse liberté.

Or la nature n’est ni bonne ni mauvaise, et l’abolition de la nature n’est pas synonyme d’émancipation. A l’ère du capitalisme technologique, la lutte pour l’émancipation de la nature qui fut un moment facteur d’émancipation, se paye désormais au centuple en soumission au capitalisme et à la technologie.

Il est étrange au passage que les mêmes personnes qui rejettent toute idée de nature, et proclament sans cesse le côté culturel de la filiation se battent pour obtenir, via la PMA, des enfants issus de leurs gènes. La chair de leur chair. Le sang de leur sang. Une fois déconstruit ce préjugé naturaliste, il est évident pourtant que l’adoption est un moyen tout aussi digne et respectable de bâtir une filiation.

Enfin, pourriez-vous décoder le langage orwellien de notre époque : comment expliquer que le développement de la reproduction artificielle se fasse au nom de l’égalité ?

La gauche confond égalité politique et identité (au sens de ce qui est identique). L’égalité qui a formé jusqu’ici la matrice idéologique de la gauche, est une égalité sociale, économique et politique. Elle est l’idée que les individus, quelles que soient par ailleurs leurs différences biologiques (physiques, cognitives, intellectuelles, sexuelles, ethniques…) doivent bénéficier des mêmes droits, des mêmes richesses et d’un même pouvoir de décision dans les choses de la cité. L’égalité ne vise pas à abolir les différences biologiques entre les individus, elle en fait abstraction. C’est là que réside la beauté de l’idée, et des combats qui furent menés en son nom.

C’est cette conception de l’égalité que les avant-gardes de la gauche libérale – cyber-féministes, transhumanistes, philosophes post-modernes et autres avatars de la French Theory – falsifient de jour en jour. Réduisant la réalité sociale à l’opposition binaire entre dominants et dominés, hantées par l’idée que toute différence est nécessairement inégalité, elles en déduisent qu’on ne peut lutter contre la seconde sans abolir la première. L’égalité, c’est l’identité. Les bio-technologies sont les armes de ce combat pour l’uniformisation. Au nom de l’égalité, les femmes doivent pouvoir enfanter via la PMA comme les hommes, jusqu’à 70 ans. Il faut développer l’utérus artificiel, seul dispositif capable de mettre l’homme et la femme à égalité devant la grossesse. Les homosexuels doivent pouvoir se reproduire entre personnes de même sexe, grâce à la manipulation de cellules souches et à la gestation pour autrui.

En vérité, ce prétendu égalitarisme technologique se paiera d’un renforcement de toutes les inégalités. L’élite de la technocratie continuera d’accéder aux meilleurs outils de sélection et de manipulation génétique. Les inégalités sociales se doubleront d’une inégalité biologique. Par ailleurs appeler « égalité », ce qui n’est qu’uniformisation biologique des individus, c’est accepter le principe fondateur du libéralisme économique selon lequel l’homme est un loup pour l’homme.

Les hommes incapables de cohabiter malgré leurs différences, la gauche assigne à la technologie la tâche de les rendre identiques, dans l’espoir que ce nivellement mettra fin aux discriminations et aux inégalités. Ce pessimisme libéral abandonne à la technologie le combat pour l’égalité, et renonce en fait à toute vie politique. Il confie aux forces impersonnelles de la Technologie (et donc de l’État et du Marché) la tâche de gérer et gouverner nos vies. Il remplace le gouvernement des hommes par l’administration des choses et prépare le meilleur des mondes : le technototalitarisme.

Alexis Escudero a été interviewé dans La Décroissance n°111, juillet-août 2014.

 


Controverses et contre-sens

A ceux et celles qui estiment que les propos de l’auteur sont « anti-féministes », « sexistes », « homophobes » et autres amabilités…

Pour autant que nous ayons pu en juger jusqu’à maintenant, la plupart de ceux et celles qui qualifient Escudero d’ « anti-féministe », « sexiste », « homophobe », et autres amabilités l’on fait sur la base de confusions et de lecture hâtive ou biaisée idéologiquement, qui ne savent plus lire sans des lunettes fumées d’idéologies qui leur font sur-interpréter et déformer les propos de l’auteur. Signe, selon nous, de la très grande décomposition de la capacité à penser d’une certaine « gauche » progressiste qui ne sait plus très bien au juste pourquoi être contre le capitalisme, qui trouve finalement assez confortable le monde de la marchandise et qui ne s’indigne plus que des inégalités dans la distributions de ces marchandises (et en effet, la PMA réservée aux couple hétérosexuels constitue un refus de vente pour tous les autres).
Mais on a pas le droit de dire cela : car ce serait « mépriser, ignorer et traiter ouvertement en ennemi les critiques féministes radicales » prétendent certain(e)s.

C’est pourquoi nous reproduisons ici une réponse à un article de blog qui nous semble résumer assez bien ce que l’on peut dire de cet ouvrage et ce que l’on peut répondre à de telles calomnies proférées à l’encontre de son contenu et des intentions de l’auteur :

Le mardi 26 août 2014, 12:02 par thomas

Bonjour,

Désolé, mais votre lecture du bouquin me semble complètement à côté de la plaque.
Quelques constats que nous partageons vous et moi, je crois : le ton du bouquin est pamphlétaire, c’est assumé ; l’auteur ne place pas d’un point de vue féministe ; il critique l’invasion technologique et médicale dans un « secteur » qui y échappait relativement.

J’entends votre critique lorsque vous dites que l’auteur aurait du prendre plus en compte les points de vue féministes, ou à tout le moins laisser la porte ouverte à des lectures féministes. Pour autant, vous faites là je crois une lecture biaisée du livre : vous le transformez en un brûlot anti-féministe, misogyne et homophobe ! Le livre ne me paraît évidemment pas misogyne (le caractère révoltant de l’exploitation des femmes du tiers-monde pour la GPA est par exemple critiqué), ni homophobe (cf. la citation dans l’interview dans La Décroissance – où je n’ai pas lu l’auteur « s’excuser », mais préciser sa position), ni anti-féministe ( Les propos de S. Agancisky et M.J. Bonnet – quoi qu’on pense de celles-ci, elles sont féministes – entrent ainsi en résonnance avec le texte).

Il s’agit d’une critique de la PMA sous l’angle de la marchandisation de l’humain et de l’eugénisme. La médicalisation est abordée, mais rapidement (ou avec un autre langage : l’auteur préfère parler de « pouvoir des experts » – les experts de la médecine ce sont les médecins). Sur ce point, il me semble évident qu’il y a des convergences avec nombre d’analyses féministes. A ce sujet, je ne peux que vous conseiller la lecture du livre Le corps marché de Céline Lafontaine qui veint de sortir, ouvrage passionnant sur la marchandisation du vivant, qui critique mondialisation du capitalisme et biotechnologies avec une grille de lecture féministe.

Détail (?) : quand l’auteur parle de l’insémination « artisanale » et affirme que la seule question qu’elle pose est « la question de l’accès aux origines, c. à d. dira-t-on à l’enfant qui est son géniteur? », je ne pense pas qu’il cherche à déligitimer le combat pour la légalisation de ce genre de pratique, au contraire. Il s’agit simplement, pour moi, de couper court à tous ceux qui dénient aux couples de lesbiennes le droit à la parentalité (refus de l’altérité, un enfant a besoin d’un papa, etc etc). Je crois qu’il s’agit d’un faux procès que vous lui faites là.

Voir en ce livre un texte misogyne, homophobe ou masculiniste me semble une aberration complète de votre part. Il s’agit au contraire d’une contribution importante (par un homme) à la critique d’une technologie aliénant le corps des femmes sous prétexte d’émancipation libérale. Et jusqu’à maintenant -et je le déplore- les voix féministes ont globalement oublié de prendre la parole pour se distancier de la PMA-GPA.

Si l’auteur y va à la hache sur certaines assertions ou formulations, je ne crois pas que vous ferez avancer le débat en employant des arguments encore plus outranciers que lui.

Cordialement,
Thomas


A lire également sur le même sujet:

« Mise au point » par les éditions Le monde à l’envers

Juin 2015

Il est remarquable que cette mise au point, publiée un an après la sortie du livre et après une intense polémique, n’a suscité aucun commentaire de la part de ceux qui avaient cloué au pilori son auteur.


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