Écologie & Politique n°65, Les enfants de la Machine, 2022

Biotechnologies, reproduction et eugénisme

Dossier

Un jour, les femmes n’enfanteront plus. Leurs cellules et celles des hommes seront soigneusement produites, sélectionnées puis traitées en laboratoire en vue de la fabrication industrielle d’êtres humains. Améliorés, sur mesure, sans défauts génétiques. De la science-fiction ? En réalité, cet avenir d’où l’enfantement aurait disparu, ce futur où les enfants ne seraient plus le fruit du hasard biologique mais celui d’un système technologique finement paramétré, est déjà parmi nous, en puissance. Petit à petit, par ses avancées dans le domaine des technologies de la reproduction (de l’insémination artificielle à l’ectogenèse, en passant par la fécondation in vitro et la congélation d’ovaires) et au prétexte fallacieux de libérer les femmes, la technoscience nous y conduit. Après avoir pris le contrôle des sols et celui des corps travailleurs dans le but d’accroître toujours plus son emprise, l’industrialisme, dans la poursuite de son geste totalitaire, s’affaire depuis plusieurs décennies à prendre le contrôle du vivant.

Coordination : Jacques Luzi et Mathias Lefèvre.

 

Ce numéro étant épuisé, nous proposons d’en publier les articles afin que chacun puisse juger sur pièces des propos « réactionnaires » qu’ils contiennent (voir ci-dessous l’entretien avec Jacques Luzi)…

Les articles sont maintenant au complet, prochainement un document PDF sera disponible. Lire la suite »

Céline Lafontaine, Les racines américaines de la French Theory, 2005

« Les modèles de la cybernétique sont déjà post-structuralistes, ils ne sont modèles que d’eux-mêmes, ou bien d’autres modèles, miroirs de miroirs, spéculums ne réfléchissant aucune réalité. »
Jean-Pierre Dupuy

Rudement mises à l’épreuve par les visées belliqueuses du gouvernement Bush, les relations franco-américaines témoignent d’une profonde divergence d’esprit en matière de vision du monde et de valeurs démocratiques. Loin de se cantonner à la sphère diplomatique, le fossé de civilisation séparant la France des États-Unis se creuse davantage lorsqu’il est question de la vie universitaire et des mouvements de pensée. C’est ce que suggère de manière pour le moins paradoxale l’ouvrage récent de François Cusset consacré au succès outre-Atlantique de la French Theory [1]. Cocktail théorique regroupant les Lacan, Foucault, Deleuze, Guattari, Derrida, Lyotard et leurs innombrables acolytes, la French Theory constitue, il est vrai, l’une des principales sources philosophiques de l’Amérique postmoderne. Dépassant le cadre restreint des campus universitaires, l’influence des penseurs de la déconstruction, de la multitude et du « tout est langage » se répercute, comme le démontre bien François Cusset, jusque dans les politiques identitaires et la culture populaire américaine. Lire la suite »

Céline Lafontaine, The Cybernetic Matrix of French Theory, 2007

Analyzing the experiences of identity multiplication in cyberspace, sociologist Sherry Turkle notes in her book Life On the Screen: “More than twenty years after meeting the ideas of Lacan, Foucault, Deleuze and Guattari, I am meeting them again in my new life on the screen” (1997: 15). Far from being obvious, the close intellectual kinship she perceives between what is conventionally referred to as ‘French theory’ and cyberculture should rather be surprising.

Indeed, how is one to explain that a philosophical movement of French origin seems to embody itself in a typically American technological innovation? This is all the more surprising knowing that the influence of deconstructionist, multitude, rhizome and ‘everything is language’ thinkers is far more deeply rooted in the United States than in France (Cusset, 2003). Whence does this strange intellectual concord between “French theory” and postmodern America come? Surely it is not by mere chance that the virtual universe of networks constitutes one of the spaces where the postmodern expression of subjectivity, characterized as flowing and multiple, manifests itself most explicitly (Turkle, 1997: 15). Could this be understood as a sign that the philosophical roots of French theory and the techno-scientific foundations of cyberspace are born of the one and same matrix? Not only would this allow a paradox to be solved, but also, even more significantly, it would unveil the kinship between ‘French theory’ and postwar America. Lire la suite »

Céline Lafontaine, La cybernétique, matrice du posthumanisme, 2000

« C’est un nouvel humanisme, beaucoup moins individualiste mais énormément plus rentable, qui peut naître de l’application consciente de la cybernétique. »

Giuseppe Foddis, IIe Congrès international de cybernétique.

« Le cybernanthrope déplore la faiblesse humaine et ses faiblesses. Il connaît ses imperfections. L’humain, la qualité humaine, il les désavoue. Il disqualifie l’humanisme, en pensée et en action. »

Henri Lefebvre.

Entre l’ubiquité que lui procurent les réseaux informatiques et l’éclatement de ses repères identitaires, l’individu contemporain semble muter vers une nouvelle forme de subjectivité. Il est vrai qu’à l’aube du IIIe millénaire les mutations technologiques en cours poussent à croire qu’on assistera d’ici peu à la naissance d’un Homme nouveau. Les penseurs et les idéologues de la société communicationnelle ne se privent d’ailleurs pas de spéculer sur cette éventuelle possibilité : Homme numérique, Homme symbiotique, cyborg, cyber-sujet, etc., les épithètes abondent pour qualifier ce nouvel humain dont on guette l’avènement. Lire la suite »

Bennholdt-Thomsen & Mies, Postmodernisme féministe, 1997

L’idéologie de l’oubli et de la dématérialisation

La tendance de certains groupes à oublier ou à « tuer » leurs origines n’est pas du tout un cas isolé et spécifique à l’Allemagne. La même chose s’est produite aux États-Unis et en Grande-Bretagne, pays d’où, sous la bannière du postmodernisme, cette tendance s’est répandue au monde entier. Le féminisme postmoderne est devenu le courant théorique dominant dans la plupart des départements universitaires d’études féministes, en particulier dans le monde anglo-saxon. Les chercheuses féministes qui ne suivent pas ce courant rencontrent beaucoup de difficultés pour trouver un poste dans un programme d’études féministes.Lire la suite »

Bennholdt-Thomsen & Mies, Feminist postmodernism, 1997

The ideology of oblivion and dematerialisation

The tendency of groups to forget or “kill” their origins is by no means an isolated case, specific to Germany. We find the same in the USA and in the UK, from where under the banner of postmodernism this tendency spread throughout the whole world. Postmodern feminism has become the dominant theoretical stream in most Women’s Studies departments, particularly in the Anglo-Saxon world. Feminist scholars who do not follow this stream experience problems in finding a position in Women’s Studies programmes.Lire la suite »

Bennholdt-Thomsen & Mies, Postmodernismus, 1997

die Ideologie des Vergessens und die Entmaterialisierung der Frau

Was wir in der deutschen Frauenbewegung über die Abkehr von den Anfängen beobachtet haben, ist keine Einzelerscheinung. Dieser Trend ist vor allem in den USA verbreitet, von wo er sich seit etwa 1980 unter dem Banner des postmodernen Feminismus als die neue theoretische Grundlage über die ganze Welt verbreitet hat.

Wie 1996 auf dem internationalen Frauenkongreß „Radical Feminist Politics“ in Melbourne berichtet wurde, ist der Postmodernismus inzwischen die herrschende Theorie an fast allen Frauenforschungs- und -studienschwerpunkten in der Welt, vor allem der angelsächsischen Welt. Frauen, die diese Theorie ablehnen, finden kaum mehr eine Stelle in den Women’s Studies. Lire la suite »

Renaud Garcia, Le militantisme “woke” ne cherche pas à convaincre, 2021

mais à régenter la vie des autres

Spécialiste de Christopher Lasch, Piotr Kropotkine et Léon Tolstoï, auxquels il a consacré des ouvrages, Renaud Garcia enseigne la philosophie au lycée, à Marseille. Ses recherches portent sur l’anarchisme, la critique sociale et la décroissance. En 2015, il a publié Le désert de la critique. Déconstruction et politique (L’Échappée), ouvrage dans lequel il analyse les effets politiques à gauche et à l’extrême gauche de la pensée déconstructiviste (Jacques Derrida, Michel Foucault, Gilles Deleuze, Judith Butler, etc.) d’un point de vue socialiste et libertaire. Six ans plus tard, il réédite ce livre en édition poche, chez le même éditeur, agrémenté d’une préface inédite d’une soixantaine de pages. Dans celle-ci, il met à jour ses réflexions à l’aune de la montée du militantisme “woke”, en vogue depuis peu. Lire la suite »

Creuse-Citron, A propos de PMO et de la « question trans », 2023

Il arrive que Creuse-Citron publie des textes écrits ou diffusés par le collectif Pièces et Main d’œuvre (PMO), ou encore que nous nous appuyions sur leurs analyses et enquêtes.

 

Sans être d’accord avec tout, sur le fond ou la forme, nous sommes d’accord sur l’essentiel, et trouvons souvent des choses nourrissantes dans leur travail.

Or PMO est la cible d’une campagne d’attaques très virulentes émanant de certains militants LGBT, les accusant d’être homophobes, transphobes, masculinistes, et plus généralement réactionnaires. Il s’agit selon nous d’une campagne de pure calomnie sans aucun fondement (sinon nous ne les publierions pas comme nous le faisons) et il nous paraît utile de réagir à ces attaques car nous avons pu voir des gens de bonne foi renoncer à aller y voir de plus près à cause de ces calomnies. Lire la suite »

Miguel Amorós, Le mal philosophique…, 2015

…ou la manie funeste de penser
à l’époque de la reproductibilité technique

« Les vivants se découvrent, chaque fois, au midi de l’histoire.
Ils sont tenus d’apprêter un repas pour le passé.
L’historien est le héraut qui invite les morts au festin. »
Walter Benjamin.

Les idées meuvent le monde, et bien plus encore elles le transforment. Ces affirmations se vérifient surtout à partir de la seconde moitié du XVIIe siècle, quand la manie de penser se répandit parmi les gens instruits, impliquant un processus de rationalisation qui ébranla les murs de la religion et de la coutume et entraîna une remise en question des autorités, aussi bien ecclésiastique que royale, des hiérarchies et, en général, de tout l’ordre monarchique légitimé théologiquement. Sans que personne ne s’en rendît trop compte, il se déroulait une crise intellectuelle qui se traduisait par une crise des élites. La culture cessa d’être modelée et définie selon l’intérêt de la domination, et le clergé, les aristocrates, les courtisans, les académiciens, etc., c’est-à-dire les classes cultivées, allaient s’incliner devant les jugements de la Raison. Nous pouvons alors parler d’une révolution philosophique ininterrompue comme principale caractéristique des Temps modernes jusqu’au milieu du XXe siècle, révolution dont les références principales ont été, à mon sens, les œuvres de Baruch Spinoza (1632-1677), Georg Wilhelm Friedrich Hegel (1770-1831) et Walter Benjamin (1892-1940), non qu’elles soient les plus connues, mais parce qu’elles sont les plus représentatives. Lire la suite »