Recensions: L. Mucchielli (dir.), La Doxa du Covid, 2022

Mucchielli et la doxa du Dr Raoult

A propos de la recension de La Doxa du Covid dans L’Inventaire n°12

La recension élogieuse de La Doxa du Covid de Laurent Mucchielli par Raphaël Deschamps dans L’Inventaire n°12 [reproduite ci-dessous] m’a surpris et peiné. Peut-on vraiment faire confiance aux analyses d’une personne qui manque à ce point de discernement et fait preuve d’un tel parti pris sur le Dr Didier Raoult et son fameux traitement préventif à base d’hydroxychloroquine (HCQ) ?

Mucchielli consacre un chapitre (t. I, ch. 7) à la défense de Raoult. Ce dernier incarne à ses yeux le « choix du service public », à l’opposé de ceux qui se sont « mariés à l’industrie », ce qui lui permet « d’échapper à la corruption par les industries pharmaceutiques ». Le tome II, s’ouvre sur un chapitre sur Raoult écrit par Ella Roche (29 mars 2020, t. II, ch. 1). Tous deux nous disent qu’il faut « éviter la personnalisation à outrance », se garder d’une « ridicule politisation d’un problème médical », afin d’examiner objectivement l’efficacité du « protocole Raoult ». Mais qui a « personnalisé » et « politisé » cette affaire, sinon Raoult lui-même par ses déclarations outrancières ?

Le plus étonnant est que Mucchielli nous dit que le narcissisme et l’autoritarisme de Raoult sont sans importance, parce que ce sont des choses « banales » et courantes dans le milieu de la recherche. Bref, nous sommes devant un personnage qui est à la tête d’une institution prestigieuse, qu’il a créée avec de nombreux appuis politiques, au sommet d’une hiérarchie et dans une situation de pouvoir quasi-absolu, qui est imbu de lui-même, et qui ne s’est pas privé déjà depuis un temps d’user et abuser de son pouvoir [1], et Mucchielli nous dit en somme que cela ne porte pas à conséquence, que l’on peut faire confiance aux compétences de Raoult, à ses titres et aux financements et récompenses de son IHU, parce qu’ils incarnent tous deux l’excellence de la recherche et du service public à la française… Cocorico ! De là, faut-il en inférer que son directeur est infaillible ? Faut-il en déduire que Raoult n’usera jamais, au grand jamais, de sa position de quasi toute-puissance au sein de son institution pour imposer ses vues ? Bref, que la fraude y est impossible ?

C’est pourtant bien ce qui s’est passé, et il n’était pas difficile de le comprendre dès le début [2]. Raoult a cru avoir affaire à quelque chose de familier avec le Covid-19, et a préconisé son remède favori, l’HCQ, sur la foi d’une étude chinoise bâclée et vite publiée [3]. La suite est très simple : l’autoritarisme et le narcissisme du personnage ont fait le reste, et en dépit des cinglants démentis qu’aurait dû lui infliger l’évolution de l’épidémie [4], le mandarin Raoult a réussi à se faire passer pour un intransigeant rebelle dans l’opinion publique grâce à ses vidéos Youtube où il disait aux gens ce qu’ils avaient envie d’entendre. Il s’est enferré dans la défense de sa molécule fétiche, et cela sans aucun doute de la manière la plus sincère (mais avec un mépris toujours plus profond pour tout ce qui venait le contredire).

La fraude sur la publication de l’IHU de Marseille concernant le « protocole Raoult », l’obligation faite aux soignant de cet hôpital d’administrer l’HCQ par son patron, tout cela est désormais bien établit [5], même si cela n’est pas reconnu officiellement.

« Ils [des conflits, des tensions, des inimitiés, etc. à l’IHU de Marseille] feront le bonheur des journalistes – en particulier ceux de Marsactu et de Mediapart – lorsque ces derniers décideront (ou recevront la consigne) de “sortir les vieux dossiers” (ou d’en inventer de nouveau) pour tenter de faire déchoir Raoult. » (t. I, p. 54)

Mucchielli insinue que les journalistes – même ceux qui se prétendent indépendants – sont « aux ordres ». Il ne nous dit pas de qui, car se serait du « complotisme » vulgaire… Pourtant, on est là typiquement face à un procédé rhétorique complotiste : on suggère et procède par allusions, sans évidement avancer aucune preuve, et le « lecteur averti » (ou qui se croit tel par cette complicité factice) saura lire entre les lignes…

Concernant Raoult, les journalistes n’ont pas eu besoin « d’inventer » quoi que ce soit. Les tombereaux de bêtises (« fin de partie », « c’est probablement l’infection respiratoire la plus facile à traiter » [6], « pas de deuxième vague », « grippette », « accidents de trottinette », etc.) que ce personnage à déversé dans les nombreuses vidéos mises en ligne par l’IHU de Marseille, étaient amplement suffisants. Mais Mucchielli ne parle pas de ces vidéos dans le tome I de son ouvrage. Il en cite quelques unes sur des questions médicales dans le tome II et dans une note en toute fin d’ouvrage on peut lire qu’il s’est « instruit » essentiellement grâce à ces vidéos…

Pour Mucchielli et son amie Ella Roche, toutes les critiques faites envers Raoult semblent relever de la « haine », sorte de sentiment irrationnel. Mais à partir du moment où l’on occulte tous les travers du personnage sous prétexte d’une pseudo-objectivité qui cache mal une admiration sans bornes, en effet, les critiques ne peuvent plus relever d’une argumentation fondée.

Surtout, si Mucchielli peste contre la presse « aux ordres », il ne nous dira rien (sinon des Remerciements à la fin du t. II) des médias dits « alternatifs » comme Reinfo Covid ou FranceSoir et des diverses personnes qui ont cru utile de s’y afficher. Il est d’ailleurs assez comique de voir que Mucchielli semble ignorer que Xavier Azalbert, directeur de la publication de FranceSoir, a été un ardent promoteur du « documentaire » Hold-Up. Retour sur un chaos (mai 2021) qu’il analyse ainsi :

« En résumé, il semble évident que ce film servira surtout à la doxa pour asseoir mieux encore sa domination intellectuelle en se posant en rempart contre le complotisme. » (t. II, ch. 10)

De là en en conclure que ce « documentaire » est un fake réalisé par la « doxa », il n’y a qu’un pas (qui n’est, comme il se doit, que suggéré) !

Il est vraiment étonnant de voir ce sociologue ne pas se poser un seul instant la question du rôle des médias « alternatifs » et de certaines personnes qu’il cite dans son ouvrage dans cette fabrique du complotisme… On peut ne pas avoir un respect excessif pour les médias mainstream, mais les médias « alternatifs » de ce type se sont de toute évidence encore plus émancipés de toute vérification des faits et de toute déontologie.

Sur le plan médical, Mucchielli soutient donc dès le début l’HCQ et le « protocole Raoult ». A-t’on à ce moment suffisamment testé ce traitement ? Connaît-on ses effets secondaires, ses contre-indications, etc. ? A-t’on suffisamment de recul pour évaluer son efficacité ? Toutes ces questions qui sont tout-à-fait légitimes concernant les vaccins semblent n’avoir pour Mucchielli aucune pertinence.

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[Passage non publié faute de place :]

« Qui – sauf les fieffés escrocs et les sacrés jobards déjà évoqués – ne comprend que tous les affidés de l’industriel [Giléad] n’aient eu de cesse de vouloir discréditer D. Raoult et l’IHU de Marseille dans ces conditions ? Et l’histoire se répétera par la suite avec l’Ivermectine, antiparasitaire à la molécule ancienne et générique, dont l’intérêt thérapeutique est peut-être supérieur encore. » (t. I, ch. 12)

Qui ne comprend que ce genre de raisonnement ne prouve absolument rien en faveur du « protocole Raoult » et de l’HCQ comme traitement préventif du Covid-19 ? D’un seul coup Mucchielli ne se place plus sur le terrain médical pour justifier un traitement médical. Les magouilles des méchantes multinationales pour fourguer leurs médicaments brevetés et très chers viennent expliquer le refus d’un traitement à base de médicaments génériques peu chers promus par le gentil service public…

On est là typiquement devant un des procédés rhétorique favoris des complotistes : on glisse d’une proposition à une autre, sans établir la véracité ou même simplement le caractère vraisemblable d’aucune ; car le but est une fois de plus de suggérer des rapports entre des faits qu’une ne sont pas du même ordre, afin de donner une apparence de logique à cet enchaînement décousu.

Sur la même page on apprend plus loin que finalement l’OMS abandonnera le 20 novembre 2020 la recommandation du médicament de la société Giléad « devant l’accumulation des études montrant l’inefficacité et même la toxicité du Remdesivir ». Comment cela est-il possible si l’« OMS est devenue dépendante du philanthrocapitalisme et des industries » (titre du ch. 9, t. I) ? Il faut donc croire qu’il y a encore des scientifiques capables d’évaluer objectivement la toxicité d’une molécule et des fonctionnaires suffisamment intègres pour en tirer les conséquences ?… sauf lorsqu’il s’agit de l’HCQ, bien sûr !

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Rappelons que l’HCQ, est d’abord et avant tout un antipaludéen, c’est-à-dire une substance qui vise à tuer un parasite, un être vivant, présent à l’intérieur d’un être humain. On peut raisonnablement penser, sans être médecin, qu’administrer de l’HCQ pour traiter une infection virale n’est peut-être pas tout à fait adéquat et pourrait même avoir des conséquences néfastes sur l’être humain en contribuant encore à l’affaiblir. Et il ne faut pas oublier que la promotion tapageuse qui a été faite de ce traitement à un moment où il n’en existait pas d’autre a incité beaucoup de gens tenaillés par l’angoisse à l’auto-médication sans suivi médical.

Mais Mucchielli va encore plus loin :

« En conclusion, à l’heure actuelle, nul ne peut dire avec certitude si le protocole de l’IHU est réellement efficace ou non pour diminuer la mortalité liée au Covid-19 ; nul ne peut dire avec certitude si le plus efficace dans la stratégie proposée à Marseille est le dépistage ou le traitement ; et nul ne peut dire avec certitude si, dans le traitement, le plus potentiellement efficace est l’hydroxychloroquine ou l’antibiotique ajouté. Deux choses sont en revanche certaines. La première est que la stratégie marseillaise de traitement médical de la maladie est la seule qui existe pour tenter de réduire les risques d’aggravation de la maladie, donc d’engorgement des hôpitaux et de risques de mortalité associés. La seconde est que, contrairement à ce qu’ont répété à plusieurs reprises les autorités politiques et sanitaires françaises, il n’existe aucune politique scientifique cherchant à tester véritablement cette stratégie thérapeutique. » (t. II, ch. 5, 28 avril 2020 ; souligné en gras par moi)

Je veux bien que comme Mucchielli (à la suite de Raoult) on remette en question l’« evidence based medicine », mais là on est devant quelque chose d’assez fantastique : on ne sait rien, mais puisque qu’un traitement médical « existe », alors autant l’utiliser ! Qui ne comprend qu’avec une telle méthode on pourrait proposer n’importe quel « protocole » pour soigner n’importe quelle pathologie « à partir de deux idées bancales et trois expériences semi-ratées », comme disait André Pichot à propos des généticiens en quête de reconnaissance [7] ? Seulement voilà, tout ne monde n’a pas le prestige médical et l’aplomb médiatique de Raoult. Donc, si l’on comprend bien, Mucchielli soutient le « protocole Raoult » par un acte de foi envers une personnalité autoritaire, sur la base de son intime conviction selon laquelle Raoult ne peut pas se tromper…

À la doxa du Covid, Mucchielli oppose la doxa de Raoult !

À la religion du vaccin, Mucchielli préfère la religion de l’HCQ !

Pour avoir commenté l’actualité sur Radio Zinzine [8] durant cette période, j’ai pleinement partagé ce sentiment de débordement d’informations qu’évoque Deschamps dans sa recension. Je me suis d’emblé tenu à distance des questions médicales, sur lesquelles je n’ai aucune compétence. Car sur ce terrain, on peut toujours jouer à l’expert, il y aura toujours quelqu’un d’autre pour jouer au contre-expert. C’est un jeu sans fin et nombreux sont ceux qui ne se sont pas privés d’y jouer, et de s’y perdre. J’ai préféré me focaliser plutôt sur la gestion politique de l’épidémie (et même là, ce n’était pas toujours facile de se faire une idée claire de ce qui était en train de se passer).

Dans cette confusion, les médias et figures « alternatives » n’ont pas été en reste [9]. Il me paraît donc pour le moins exagéré, comme l’écrit Deschamps, de prétendre que Mucchielli et consort ont « esquissé les contours d’un rapport moins frelaté au réel et à la vérité ». Tous ces gens et bien d’autres qui n’ont rien eut de plus pressé que d’aller – tout comme Raoult sur la chaîne Youtube de son IHU – assener leurs certitudes dans les médias « alternatifs », ont au contraire tout autant participé à les malmener.

Le sociologue Mucchielli non seulement occulte complètement cette réalité, mais s’en est fait assez rapidement le complice. Voilà ce qui a mes yeux suffit à discréditer sa personne et son ouvrage.

Bertrand Louart, avril 2023.

 

Texte publié dans la revue L’Inventaire n°13, automne 2023.

 

Dans l’éditorial qui ouvre L’Inventaire n°13, la rédaction considère ma critique comme « hors-sujet » au prétexte que je ne parle pas du contenu de La Doxa du covid et que je ne « dit pas un mot des nombreux thèmes abordés qui peuvent à eux seuls justifier qu’on lise le livre, comme l’evidence-based medicine, les technologies OGM, le pouvoir des laboratoires pharmaceutiques ou encore le scientisme ». Il me semble pourtant ici avoir brièvement montré, à partir de son soutien à un Raoult, que la méthode de Mucchielli pour parler de tout cela est fondamentalement viciée. Ce qui ne veut pas dire que tout ce qu’il a écrit est faux ou inintéressant, mais cela jette un soupçon général sur son ouvrage. Et du reste, un admirateur de Raoult n’a certainement rien à nous apprendre sur le scientisme… B.L.

 


Note sur La Doxa du Covid

sous la direction de Laurent Mucchielli

 

Ne serait-ce qu’en raison des difficultés à se procurer, ailleurs que sur Internet, une information un tant soit peu documentée et des analyses étayées à propos de la crise politico-sanitaire de ces deux dernières années, ce livre est à saluer. Son contenu est certes issu de la Toile puisque principalement constitué des textes, chroniques et tribunes de 46 contributeurs (chercheurs, médecins, juristes, journalistes d’investigation) initialement parus sur le blog Mediapart de Laurent Mucchielli, mais sa « formule papier » donne à ce travail d’enquête une unité et une pérennité d’autant plus nécessaires qu’elles sont devenues rares.

La numérisation totale à laquelle on assiste depuis plus de deux ans n’ayant pas épargné les mouvements d’opposition à la politique sanitaire du gouvernement, il est devenu pratiquement impossible de lire ou publier des contenus hétérodoxes sur le sujet sans avoir recours au support numérique [10]. Le journal La Décroissance a heureusement livré des points de vue non alignés en matière de Covid-19, mais sa périodicité (mensuelle) et la priorité donnée logiquement dans ses colonnes aux articles de fond plutôt qu’à « l’actualité » amènent au constat suivant : on serait bien en peine de citer, dans la presse écrite nationale, ne serait-ce qu’un seul quotidien ou hebdomadaire ayant donné accès à une information et à des débats moins outrageusement favorables à ce que Mucchielli appelle « la doxa du Covid ».

Quant à la presse quotidienne ou hebdomadaire militante et engagée, elle a soit disparu, soit abdiqué (et publie sur Internet), soit soutenu dans les grandes lignes la gestion sanitaire imposée par le pouvoir. Ce livre redonne donc, certes a posteriori, une vue d’ensemble et une cohérence à un travail d’enquête dont on eût aimé suivre le fil, par exemple, dans un grand quotidien indépendant.

La perspective de remonter le temps peut paraître aussi déprimante que fastidieuse à qui voudrait faire un bilan, même provisoire, des deux années passées. Par où et par quoi commencer ? Le traitement médiatique a suscité un tel dégoût et une telle saturation qu’il a parfois paru plus sage ou plus reposant de se tenir à distance de la propagande techno-sanitaire. D’où peut-être chez certains d’entre nous l’adoption d’une forme de détachement vis-à-vis des questions purement médicales, par exemple.

Il faut ajouter à cela que se prononcer pour ou contré l’association de l’hydroxychloroquine à un antibiotique impliquait également d’avoir un avis tranché sur ses promoteurs, leurs supposées amitiés coupables ou leur style capillaire. De quoi plonger dans un abîme de perplexité quiconque n’est ni médecin ni coiffeur, et inciter à remettre à plus tard ces questions de « spécialistes ». Souvenons-nous : soumis à un flot ininterrompu d’informations souvent contradictoires – mais toutes anxiogènes –, aux projections alarmistes, aux discours culpabilisateurs et aux affirmations péremptoires de ceux qui n’en connaissaient parfois pas plus que nous, nous constations nos difficultés à séparer le bon grain de l’ivraie et à dire le vrai du faux. Pris de court, la tentation fut grande de considérer l’avalanche informationnelle comme périphérique ou secondaire tant il était difficile de se l’approprier sérieusement… et rapidement. Rétrospectivement ce fut peut-être une erreur de raisonner ainsi et de passer parfois trop vite par-dessus l’actualité, même dans ce qu’elle a de plus ingrat. C’est une victoire des médias, de l’industrie pharmaceutique et du pouvoir que d’avoir su nous distraire et tenir à distance de sujets importants en les maltraitant de la sorte.

Ce livre donne l’occasion de retisser, à tête plus reposée cette fois, le fil de cette histoire dont nous ne sommes pas sortis. Associé à l’enquête du collectif Pièces et Main d’œuvre (PMO), Le Règne machinal, la crise sanitaire et au-delà [11], il constitue un document sur lequel s’appuyer pour faire de cette période un diagnostic plus lucide.

Dès le mois de mars 2020, c’est la perplexité « face à certaines décisions politiques stratégiquement cruciales » qui a poussé Laurent Mucchielli à partager ses doutes sur son blog hébergé par Mediapart. Confinement général, absence de recommandations de la part des organismes de santé publique, subite remise en cause de la doctrine de gestion des pandémies, disqualification puis interdiction des traitements précoces de la maladie : autant de points sur lesquels un écart ou des réserves, même timides, à l’égard de la politique gouvernementale n’allaient pas tarder à passer pour du complotisme et marquer les sceptiques du sceau de l’infamie. C’est ainsi que les travaux de Laurent Mucchielli sur le Covid-19 seront d’abord ignorés puis leur accès rendu plus difficile par Mediapart (méthode de désindexation des articles) jusqu’à leur censure pure et simple à plusieurs reprises à partir d’août 2021 pour cause de divulgation de fausses nouvelles (dans les faits : compilation de données officielles de pharmaco-vigilance remettant en cause la politique vaccinale et pointant les effets parfois indésirables des vaccins). Il faut, dans ce contexte, reconnaître à certains le courage d’avoir très vite su s’extraire de cette atmosphère de sidération, par exemple en lui opposant un travail de recherche et d’enquête, y compris avec une approche a priori assez technique, factuelle, de la situation. Laurent Mucchielli et ses comparses sont de ceux-là.

De fait, c’est bien en scientifiques (pour la plupart) qu’ils ont décidé de se positionner sur l’efficacité des décisions politiques et sur la seule option scientifique qui très tôt fut imposée sans discussion possible. L’impérieuse nécessité, au-delà des querelles scientifiques, d’affirmer par des considérations et analyses d’ordre plus politiques ou philosophiques [12], plus générales aussi, un refus premier et urgent du monde ultra-connecté qui s’ébauchait au nom du respect de la vie n’est pourtant pas en cause. On peut simplement regretter la compartimentation excessive des registres de la critique.

D’autant que ce travail d’enquête très documenté ne s’en tient pas à une critique exclusivement technique ou scientifique de la politique gouvernementale, suggérant par là qu’une autre gestion de la crise eut été, de ce point de vue, possible. On se désole d’ailleurs qu’occupé par une gauche gestionnaire n’ayant écorné les confinements et les protocoles successifs (sanitaires ou policiers) que pour regretter leur caractère trop partiel, éphémère ou laxiste, ce créneau ait largement tenu lieu d’opposition officielle à la politique gouvernementale.

Mais voyons plutôt : peur de la mort, abandon des plus fragiles, emprise du numérique et de la communication, dévitalisation démocratique, corruption, conflits d’intérêts, atteintes aux droits et libertés fondamentales, mise sous tutelle des sciences et de l’information par l’industrie (notamment pharmaceutique) : c’est au contraire très au-delà des seuls problèmes de méthode ou de gestion que Mucchielli et consorts ont poussé leurs recherches et leurs critiques. Ils ont, entre autres mérites et quoi qu’il leur en coûte par la suite, esquissé les contours d’un rapport moins frelaté au réel et à la vérité, franchement malmenés ces deux dernières années.

On signalera, au cœur des six parties de ce livre, les chapitres consacrés à la production frauduleuse de données scientifiques ou au culte des essais randomisés (issus de l’evidence based medecine) au nom desquels tout débat contradictoire ou retour d’expérience furent par principe écartés depuis 2020. Plaidant de façon assez pondérée pour un recours à des méthodes combinant essais randomisés et études observationnelles, Mucchielli en appelle à « une réconciliation méthodologique ». On ne résiste pas, à sa suite, à livrer la conclusion d’un article de 2003 [13] dans lequel deux chercheurs anglais regrettaient malicieusement que :

« comme pour de nombreuses thérapies, l’efficacité des parachutes n’a[it] pas été soumise à une évaluation rigoureuse en utilisant des essais contrôlés randomisés. Les partisans de la médecine. de la preuve ont critiqué l’adoption de thérapies évaluées en utilisant uniquement des données d’observation. Nous pensons qu’il serait utile pour la société que les protagonistes les plus radicaux de la médecine de la preuve organisent et participent à un essai en double aveugle randomisé et contrôlé avec remplacement du parachute par un placébo. »

Les mois ont passé depuis le début de cette crise, mais les contributeurs de cet ouvrage (dont certains sont déjà mis à l’index) semblent n’avoir à rougir ni sur le plan moral ni sur le plan scientifique des analyses tenues à chaud, « sur un monde en train de s’écrire sous nos yeux ».

Ainsi, il est désormais permis d’affirmer – y compris sur France Inter pour peu que ce soit à une heure de moindre écoute – que la létalité du Covid-19 est faible et qu’il a moins tué durant deux ans que la pollution atmosphérique [14], ou que la vaccination n’est une garantie ni contre l’infection ni contre la propagation du virus. Et donc que les thèses sur lesquelles reposent officiellement l’instauration du passe sanitaire et l’obligation vaccinale sont abusives et mensongères. Renaud Piarroux, épidémiologiste à l’hôpital de la Salpêtrière est même récemment revenu [15] sur ce qui était jusqu’à présent considéré comme une fake news de premier ordre : selon lui, l’hypothèse d’une origine naturelle du virus est de moins en moins plausible. Malgré les précautions d’usage, il confirme ce que le collectif PMO considérait déjà en 2020 comme l’origine la plus probable du Sars-Cov-2, à savoir une fuite de laboratoire. Deux jours plus tôt (9 juin 2022), c’est l’OMS qui avait remis cette question (qu’elle affirmait pourtant avoir tranchée définitivement en 2021) à l’ordre du jour, en réclamant des études approfondies sur l’hypothèse… d’une fuite de laboratoire.

C’est incontestablement en sociologue et homme de gauche que Laurent Mucchielli a coordonné cette enquête, mais pas en doctrinaire progressiste, et c’est peut-être ce qui ne lui sera pas pardonné, ni par ses collègues ni par ses (anciens) camarades. Constatant lui aussi que « nos sociétés ont temporairement accepté de subordonner leurs principes fondamentaux aux injonctions de la science, dans l’intention de garantir leur sécurité », il s’est fixé avec ce livre

« l’objectif de présenter certains des exemples de corruption de la science depuis le début de la pandémie de Covid-19 afin de mettre en lumière les limites, pour une société, de la démarche qui consiste à subordonner des valeurs et principes fondateurs à une direction qui lui serait donnée par la science. »

Objectif atteint. On regrettera cependant que certains contributeurs du livre, à juste titre attachés à la rigueur scientifique, aient pris plus de liberté avec la langue (mais en quel honneur ?) alors qu’une relecture attentive eût sans doute suffi à donner au propos plus encore de poids.

Raphaël Deschamps

 

Recension publiée dans la revue L’Inventaire n°12,
La Lenteur, automne 2022.

 


[1] Complément d’enquête, « Didier Raoult, le savant flou », 28 octobre 2022.

[2] Christian Lehmann, « Journal d’épidémie : “Le grand recensement des contre-vérités flagrantes sur la chloroquine” », Libération, 16 avril 2020. Odile Fillod, « “Je ne suis pas complotiste, mais…” : à propos de l’affaire Raoult », 26 avril 2020. Ce texte est une mise en pièce détaillée de l’article de Ella Roche (t. II, ch. 1).

[3] Ariane Chemin et Marie-France Etchegoin, Raoult. Une folie française, Gallimard, juin 2021, p. 139.

[4] La spécificité du virus Sars-Cov-2 est qu’il se transmet durant la phase asymptomatique de l’infection, ce qui va être établit un peu tardivement.

[5] Cf. Didier Raoult, le savant flou.

[6] Raoult fait cette déclaration dans la vidéo où il annonce que des chercheurs chinois ont expérimenté avec succès la chloroquine comme traitement du Covid-19 le 25 février 2020 (IHU Méditerranée-infection, « Coronavirus : vers une sortie de crise ? »). Interviewé en octobre 2022 [Didier Raoult, le savant flou, à 10mn30s], devant la journaliste médusée, il nie catégoriquement avoir fait une telle déclaration !

[7] Tribune « Clonage : Frankenstein ou Pieds-Nickelés ? », Le Monde, 30 novembre 2001.

[8] Radio Zinzine est citée dans les Remerciements du livre de Mucchielli. Des membres de l’équipe de Radio Zinzine d’Aix-en-Provence (distincte de celle de Limans dont je fais partie) ont jugé utile d’inviter et d’interviewer Mucchielli peu après la « dépublication » de son article sur Mediapart. Et ce malgré les désaccords et des échanges un peu vifs entre nos deux équipes sur l’opportunité de faire parler sur nos ondes ce personnage controversé.

[9] Malgré des prises de positions pertinentes, cf. Mucchielli, Toussaint et Toubiana, « Ne nous laissons pas gouverner par la peur », Le Parisien, 10 septembre 2020.

[10] Dans les manifestations anti-passe sanitaire, circulent désormais des tracts sans contenu, exclusivement constitués d’un recto partagé en six QR Code renvoyant chacun à des thématiques telles que l’enfance, la santé, la liberté, etc. et d’un verso mentionnant une douzaine de sites Internet militants.

[11] Lire PMO, Le règne machinal, la crise sanitaire et au-delà, Service compris, septembre 2021.

[12] Voir, entre autres, les brochures du collectif Écran total et les essais recensés dans les numéros 11 et 12 de notre revue.

[13] Smith et Pell, « Parachute use to prevent death and major trauma related to gravitational challenge: systematic review of randomised controlled trials », British Medical Journal, 2003, 327 (7429).

[14] D’après une étude du Lancet Planetary Health relayée par lemonde.fr du 18 mai 2022, la pollution est responsable de 9 millions de morts chaque année dans le monde, la pandémie de Covid-19 ayant de son côté, et selon les estimations les plus élevées, fait environ 15 millions de morts dans le monde entre le 1cr janvier 2020 et le 31 décembre 2021 (source : Le Monde du 5 mai 2022).

[15] Invité de Carine Bécart sur France Inter le 11 juin 2022 à 7 h 50.

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