Ce texte, qui porte sur les sciences, la recherche et l’univers social, économique et politique de l’après-guerre à nos jours est, par définition, assez ambitieux. Il est aussi composite. La raison en est que les dix thèses qu’il propose oscillent entre des considérations générales sur ce qui définit les sciences et leur place dans l’ordre social de la modernité (une série de préalables qui font le cœur des trois premières thèses) et des thèses qui considèrent les régimes de sciences en société qui sont ou ont été les nôtres depuis la Seconde Guerre mondiale. Il est aussi composite en ceci que le texte considère les transformations de ces régimes à l’échelle globale, mais qu’il insiste sur l’exemple français dans les thèses quatre et cinq – ce qui se justifie par le contexte qui est le leur, les années 1945-1975.
Ces dix thèses sont regroupées en quatre thématiques. Les trois premières sont propédeutiques et portent sur « la science moderne » dans son rapport nouveau aux techniques, à l’économique et au politique. Suivent deux thèses qui portent sur les trente années d’après-guerre, puis trois qui regardent les changements qui se sont fait jour depuis. Les deux dernières thèses sont centrées sur les nouvelles définitions de l’université d’une part, du « bon savoir » de l’autre, modes et normes que nos gouvernants cherchent à faire prévaloir aujourd’hui [1].
Trois thèses générales sur les sciences « modernes » et ce qu’elles font au social
Thèse 1
La science qui est la nôtre depuis plus de trois siècles n’est pas seulement un « savoir » mais une capacité d’action, un outil pour refaire le monde, un mode opératoire qui a ses propres biais, sa propre « politique » [2].
Entrons par une banalité. Les sciences relèvent de l’ordre humain, elles sont fabriquées par des humains faits de chair et d’os, non par des Dieux. Les preuves produites par les sciences ne peuvent donc être absolues ou « objectives », elles reposent sur des simplifications et des partis pris de départ, elles sont partielles et partiales – même si elles offrent des résultats utiles et intéressants. La science parle donc rarement d’une seule voix et les avis experts sont en général multiples. Précisons un point : cet énoncé ne doit pas être compris comme une proposition relativiste, il vise simplement à dire la nature humaine et sociale de toute production de savoir, et à en tirer les conséquences.
Second point : les sciences ne sont pas principalement « tirées en avant » par leurs propres logiques. Les questions dont elles traitent, ce qu’elles étudient ou ignorent, leurs manières de poser leurs problèmes et de les approcher dépendent de considérations qui varient certes selon les cadrages épistémologiques (toutes les sciences ne travaillent pas avec les mêmes critères de preuve) mais aussi selon les situations institutionnelles, la variété des lieux où ces savoirs sont produits, selon la nature des financeurs et des projets qui sont les leurs, etc.
Un troisième fait important est que la science moderne n’est pas seulement un mode de savoir mais une activité à vocation pratique. À travers l’expérimentation contrôlée, l’observation systématique, les mathématiques, l’usage de corrélations numériques et les modélisations, cette forme de connaissance permet une maîtrise sur les phénomènes, sur la nature et les choses, sur les hommes et le social que ne visaient pas souvent les formes antérieures de savoir. En d’autres termes, la forme « science moderne » est une manière d’aborder les questions qui autorise une action plus efficace dans le monde.
Du fait de cette capacité opérationnelle, la science moderne a toujours été liée aux pouvoirs de tous types. Elle a toujours été suivie avec attention par les pouvoirs en place, et les savants ont offert leurs services aux princes, aux États démocratiques et autoritaires, aux entreprises commerciales, aux producteurs, aux industriels et aux militaires. La science moderne a aussi été très vite un moyen de gouverner, à travers le management scientifique, la recherche opérationnelle ou l’ingénierie sociale. Historiquement, elle a été un moyen d’aider les personnes au pouvoir à mieux comprendre le monde et donc à mieux gérer la nature comme la société.
La science moderne n’est pas un véhicule neutre du progrès. Comme toute activité humaine de connaissance, elle se fonde sur des valeurs et des catégories qui imprègnent son langage, ses outils et ses résultats. Ce que la science produit est part au monde et intéressée par les préoccupations humaines et sociales. Du fait de son lien organique au développement technique et économique, la science moderne n’a jamais été reconnue universellement comme un bien en soi, et elle a souvent été contestée. La science moderne produit des résultats et des techniques utiles pour faire face aux questions que se posent individus et sociétés mais on peut aussi la voir comme la source des problèmes que ceux-ci sont souvent amenés à se poser.
Finalement, pour clore ce préambule propédeutique et général, je dirai que la science moderne n’a jamais été très attentive aux conséquences qui surgissent de la boîte de Pandore qu’elle réouvre constamment. Les institutions scientifiques et techniques produisent des résultats rendus disponibles via des publications, mais aussi à travers des marchés. Les produits et savoirs pénètrent ainsi le social, via la consommation et les usages, mais sans vraiment que les implications sociales, morales ou environnementales soient d’emblée prises en compte. En d’autres termes, il faut penser les sciences et techniques comme ayant un coût, comme portant en elles-mêmes leur politique, comme favorisant certaines manières d’être au monde et de se développer au détriment d’autres. On ne doit donc pas être surpris des réactions du social et des questions qu’il pose, depuis près de deux siècles et demi, à la (techno-)science (industrielle).
Thèse 2
La science est autorité cognitive, elle est l’une des valeurs clés des sociétés libérales, individualistes et démocratiques [3].
La question qui se pose, si l’on accepte cette thèse, est de comprendre comment cette situation est advenue et s’est maintenue contre toutes les évidences que les choses sont plus compliquées. Je vais répondre en passant par l’histoire, en évoquant brièvement les étapes qui ont conduit à cette situation.
Je commencerai par le XVIIe siècle, moment où s’invente cette nouvelle pratique de savoir que nous appelons « science moderne » ou « philosophie naturelle ». Elle naît de la conjonction de pratiques différentes et plutôt pragmatiques – les mathématiques pratiques des ingénieurs militaires, la médecine des recettes, le monde des artisans, des chimistes et mécaniciens. Elle prend forme dans des espaces sociaux nouveaux, dans les cours, autour des « appareils d’État » naissants, dans les académies royales et militaires, des lieux le plus souvent liés organiquement aux pouvoirs du Prince. Elle relève alors d’un lien plus instrumental au monde (le marché des instruments et des pompes par exemple), elle fait montre d’une nouvelle volonté de maîtrise (pensez à Descartes et à son expression de « la science comme maître et possesseur de la nature ») et elle n’est pas sans lien à la montée politique de l’ordre des individus et du droit [4].
Rhétoriquement, apparaît alors le topos du « témoin modeste », le topos du savant ventriloque qui laisse parler la nature et dit la vérité intangible des faits. En ce sens, on peut suivre Amos Funkenstein et parler de la naissance d’une théologie scientifique, d’un savoir qui se donne comme transcendant, comme offrant une alternative au désenchantement d’un monde en train de perdre son Dieu et ses certitudes – mais qui ne peut vivre sans elles. Apparaît aussi l’idée que la manière dont débattent, dans l’ordre idéal, les sociétés académiques – elles débattent en évitant les spéculations, et arrivent ainsi aux certitudes des faits – peut servir de modèle à l’ordre politique et donc permettre de gérer le dissensus religieux et politique. En bref, apparaît à cette époque ce que Bruno Latour a appelé « le grand partage », à savoir l’assertion que science et politique sont distinguables, qu’elles relèvent de logiques séparées, et que la première, qui atteint le vrai, peut être la garantie de l’action juste du second [5].
Le second XVIIIe siècle introduit une nouveauté majeure pour penser l’autorité propre des sciences. C’est le moment où naît l’ordre libéral, l’ordre du gouvernement d’individus libres, la gouvernementalité qui vise la conduite des conduites. Le savant est alors capital, il est celui qui calcule et sait et peut donc dire ce qu’il convient de faire, il devient le spécialiste du « bien public ». Il le fait dans l’ordre économique – ce que Michel Foucault nous a enseigné – comme dans l’ordre de la santé publique – un exemple est celui de la variolisation puis de la vaccination. En bref, naît l’ordre libéral qui demande, pour réussir, de connaître les réalités du monde – ce qu’offre la science qui y gagne alors en « neutralité », en autorité et pouvoir [6].
Un troisième moment renforce ce statut à part des sciences comme source d’autorité. Il apparaît au second XIXe siècle et se déploie tout au long du XXe. C’est le moment où l’industrialisation devient une réalité massive, le moment où elle transforme les modes de vie. Le développement technique-industriel et la foi dans le progrès deviennent alors des valeurs clés des sociétés. S’y ajoute, si l’on parle de la France, le fait que la science devient aussi une valeur propre du nouveau régime dans ses combats contre la « réaction et l’Église », le fait qu’elle devient un point d’ancrage de la République. Plus globalement, la progressive mise en place au XXe siècle de l’État-providence puis du keynésianisme conduit à faire de la science une ressource centrale puisqu’elle seule permet de guider ce nouveau champ immense de l’action publique. De ce faisceau de changements, autant politiques qu’économiques et idéologiques, émerge alors la science en majesté, en directrice évidente du progrès [7].
Thèse 3
La science est l’outil par excellence du gouvernement et de la gestion dans l’ordre politique et économique libéral [8].
Ce point vient d’être évoqué mais je crois essentiel de le préciser. Le savoir, en régime libéral, permet de ne pas gouverner de façon disciplinaire (au sens de Foucault), mais de gouverner par le droit et les normes, dont les normes techniques, par la création et la gestion de marchés plus efficients. Savoir permet d’anticiper, de (se) projeter, en termes financiers comme industriels, en termes privés comme publics. Le savoir permet le déploiement technique, en amont (via l’innovation) et en aval (via la normalisation). Plus tard, dans le moment keynésien et les économies socialistes, il permet aussi le gouvernement par la « planification », une pratique qui a ses origines dans la gestion des colonies.
Historiquement, le moment d’émergence de la chimie industrielle vers 1800 est le meilleur point d’entrée, puisque c’est alors que s’instaure cet ordre techno-industriel-politique nouveau, et c’est sur lui que je vais m’attarder un instant.
Ce qui caractérise le tournant des XVIIIe et XIXe siècles est une liaison organique nouvelle entre savants, entrepreneurs, États et administrations – le meilleur exemple étant Chaptal, ministre, industriel et savant. L’objectif que se donne ce « complexe » étatique-industriel-scientifique (pour paraphraser le Président Eisenhower) est de déployer un nouveau mode productif, de faire advenir la liberté de produire, de produire hors des cadres habituels, celui des artisans et corporations. Pour ce faire la définition explicite de règles (normes de production et de qualité des produits) est fondamentale : elles seules permettent de garantir les investissements industriels, maintenant importants, et qui doivent être protégés par un droit nouveau [9].
En bref, il s’agit de développer activement une économie reposant sur des marchés homogènes et construits sur des normes antécédentes et connues de tous. Leur fonction est de permettre la création d’un espace social et économique isotrope, d’éliminer les contraintes juridiques locales, de les remplacer par un ordre administratif et juridique homogène, par des normes valables sur un territoire étendu. La clé est de casser les logiques « caméralistes » ou « policières » antérieures, de basculer dans un monde où l’économique et l’échange sont premiers et décrétés autonomes. Ce qui importe est de « laisser faire » (ce qu’on fait pour le prix du pain) mais qui demande, pour la vie industrieuse, un dur labeur de calibration des produits, des règles de production et des marchés financiers.
Cela demande encore la mise en place d’un droit des brevets nouveau (ce qui advient en 1791 aux États-Unis et en France) et le déploiement d’un nouveau sens de la justice puisqu’on doit passer d’une justice d’équité qui sait la variété des constitutions, qui juge au cas par cas, selon la variété des États et situations, à un monde qui énonce l’isotropie et l’égalité a priori, qui norme égalitairement de façon abstraite, à un monde « qui rêve d’une loi parfaite unique et uniforme qui rendrait le juge superflu » [10].
Les sciences et la recherche dans les années 1945-1975
Thèse 4
En France, la décennie d’après-guerre est le temps d’une recherche universitaire qui reste globalement cantonnée hors du monde économique et militaire [11].
Les décennies d’après-guerre, pour ce qui a trait aux sciences, sont dominées par la guerre froide. Celle-ci, à l’échelle internationale, est une guerre qui se mène par technologies interposées – d’où l’attention très grande portée aux savoirs de pointe. Au cœur du gouvernement des sciences se trouve alors un « proministrative state » dominé par les militaires [12].
Cette situation n’est toutefois vraie, dans la décennie d’après-guerre, que pour les États-Unis et l’URSS – et beaucoup moins pour le reste du monde, la France et l’Europe continentale notamment. Dans les discours, la centralité des sciences est reconnue. La situation économique de ces pays fait toutefois que les sciences ne sont pas traitées comme prioritaires face aux tâches de reconstruction les plus urgentes. La tâche est alors de remettre en état les infrastructures, de rebâtir villes et usines, de produire de l’énergie en quantité – et, s’il faut mettre en œuvre du radicalement neuf, cela concerne d’abord les pratiques de gestion et, par exemple, l’augmentation de la productivité. L’argent, qui est rare, est délibérément alloué à la « reconstruction » et beaucoup moins aux activités ésotériques que sont les sciences [13].
En termes militaires, la France et l’Europe de l’ouest sont sous protection américaine – ce qui signifie qu’elles ne prennent pas part centralement à la course technologique qu’est la guerre froide. Cela explique pourquoi les militaires ne se battent pas, dans ces pays, pour financer la physique des hautes énergies ou la biologie. En termes de préoccupations quotidiennes et d’imaginaire social, la science n’est pas non plus un point de repère crucial. Les questions politiques et sociales restent les plus débattues en France, les scientifiques restent encore des « savants » et/ou des « intellectuels », et les étudiants choisissent encore massivement les humanités et le droit au détriment des cursus scientifiques.
Le système français d’innovation industrielle garde alors ses caractéristiques d’avant-guerre. Il ne repose pas centralement sur l’intégration des savoirs scientifiques les plus neufs mais sur un processus continu d’adaptation et d’expérimentations locales accomplies par les ingénieurs de productions et les travailleurs qualifiés (dans les industries du verre, de l’aluminium et des aciers spéciaux par exemple). Dans les secteurs de pointe comme l’industrie électrique ou l’« électronique », les stratégies des compagnies consistent surtout à acheter des brevets et à les faire adapter par leurs ingénieurs. Enfin, dans les cas où les compagnies ont des laboratoires de recherche fondamentale, comme chez Air Liquide et dans la firme électronique CSF, l’osmose entre chercheurs de laboratoire et ingénieurs de fabrication reste, par exemple, plus marquée qu’aux Etats-Unis [14].
Tout ceci n’implique pas que les sciences soient ignorées. Les militaires sont par exemple très actifs dans les années 1945-1948 en France car ils espèrent que les sciences vont apporter des renouvellements radicaux. Les résultats n’étant toutefois pas à la hauteur des espérances, ils se retirent assez vite du soutien à la recherche universitaire. Seul le Comité d’Action Scientifique de Défense Nationale s’autorisera un soutien aux champs de sciences les plus avancés [15].
Cela ne veut pas dire non plus que l’appareil technique de l’État, les polytechniciens des corps des Mines ou des Télécommunications par exemple, ne s’intéresse pas aux sciences et aux technologies – mais cela se mène indépendamment des universités. Les années de l’immédiat après-guerre voient en effet la création, la multiplication devrait-on dire, d’institutions techniques et de recherche nouvelles. Citons le CEA et son rôle dans la promotion de la recherche et de l’enseignement des sciences nucléaires. Citons l’INSERM pour la santé et le CNET pour l’électronique et les télécommunications – même si cette action est décalée dans le temps et ne prend vraiment forme que vers le milieu des années 1950 [16].
Pour les scientifiques universitaires, enfin, la fin de la guerre signifie d’abord d’aller aux États-Unis ou en Grande-Bretagne. Les sciences sont à refonder radicalement (il faut s’éloigner du modèle français d’avant-guerre), il faut réapprendre à l’aune des avancées américaines et britanniques du temps de guerre. Des collaborations étroites sont établies avec les universités et les fondations américaines, les voyages d’étude et l’envoi d’étudiants à l’étranger se multiplient, et des institutions nouvelles sont créées – c’est le cas du CERN et de l’école d’été des Houches, installés en 1951 par les jeunes entrepreneurs scientifiques, les Auger, Perrin, Rocard, Néel, Kastler. Pour les universités, et notamment à la Sorbonne, la mutation est en revanche plus lente et c’est seulement à partir de 1955 que les premiers changements apparaissent. À partir de ce moment, toutefois, la croissance économique aidant, les évolutions – comme toutes les courbes de financement, de postes ou d’étudiants – vont prendre des allures exponentielles pour près de dix ans [17].
Thèse 5
Les années 1960 sont celles du rattrapage, de la science en gloire et choyée, de la science qui se lie à l’industrie et la défense – alors que les premières contestations commencent.
À partir du milieu des années 1950, le lien des sciences au politique, à la guerre et à l’économique passe à un niveau supérieur pour toutes les grandes nations. La « nationalisation des sciences », pour reprendre l’expression de David Edgerton, mute alors qualitativement. En ces temps de politiques keynésiennes et d’État-providence, le politique joue un rôle déterminant dans la promotion des sciences et du développement technique au rang d’enjeu national. Les années 1960-1975 voient donc la généralisation du modèle américain à l’ensemble du Continent européen, à la fois dans le rôle dorénavant premier que jouent les politiques et les militaires et dans les modes de financement de la recherche (c’est le moment où commence le financement de la recherche sur projets, par exemple) [18].
Cette évolution conduit à une transformation très significative du paysage français de la recherche. Durant la période gaulliste, et même si les prémisses sont là depuis le gouvernement Mendès France et le colloque de Caen de 1956, la France cherche à devenir une puissance scientifique, technique et militaire. La DGRST, créée dès l’arrivée au pouvoir du général de Gaulle, en est l’instrument privilégié. À travers elle, des priorités d’investissements sont établies et le poids de la recherche industrielle et de ses priorités s’accroît. Cette transformation et montée en puissance est enfin marquée par le Plan, qui inclut maintenant les sciences et techniques, et par les grands programmes techno-industriels, le plan calcul par exemple [19].
Les militaires pénètrent les territoires scientifiques, en France, à partir de 1962-1963, sous pression directe des politiques. Ces choix sont imposés dans le cadre de la réforme du ministère de la défense et des corps techniques. Ils conduisent à la création d’une Délégation Ministérielle à l’Armement dotée d’une direction de la recherche, la DRME, délibérément confiée à un civil. Cette réorganisation drastique sanctionne la fin des guerres coloniales comme priorités, elle signale que la France entre dans la guerre technologique qu’est la guerre froide, qu’elle entend se doter d’une « force de frappe autonome ». À l’image de la DGRST, la recherche militaire adopte aussi le financement sur projets [20].
Pour les sciences académiques, la nouveauté, en ligne avec la dimension alors très interventionniste des États, est la montée en puissance des « grands organismes » : parmi eux le CNRS, l’INRA, l’INSERM, puis le CNES, le CNEXO, l’INRIA. Ces institutions se donnent comme objectif de contribuer à « la modernisation de la ferme France » – comme l’écrivent judicieusement Christophe Bonneuil et Frédéric Thomas à propos de l’INRA. Ces organismes mettent eux-mêmes en chantier de grands programmes – celui du four solaire de Montlouis autour de Félix Trombe, par exemple, ou celui de microscopie électronique autour de Gaston Dupouy à Toulouse. Cela va colorer fortement les modes de recherche – ainsi induits à se faire hautement technologiques et polarisés sur les instruments [21].
Cette période est aussi celle de la création de nouveaux champs disciplinaires. Ceux-ci, en toute logique de guerre froide, vont se faire autour des sciences de laboratoire, et notamment des sciences physiques. Les physiciens contrôlent le CNRS et, pour les plus importants d’entre eux, comme Yves Rocard et Louis Néel, les liens aux industriels et aux militaires deviennent la norme. La biologie moléculaire entre dans le paysage au milieu des années 1960, par l’action résolue de la DGRST et le fait que la recherche pénètre les grandes écoles (les polytechniciens joueront un rôle important dans cette molécularisation de la biologie). C’est aussi le moment où émerge une nouvelle géographie de la France scientifique, avec la montée de Grenoble (en matériaux) et Toulouse (en informatique et aéronautique) [22].
Finalement, la « modernité » souhaitée pénètre la Sorbonne. Une part de la faculté des sciences de Paris commence sa migration vers Orsay-Saclay et les constructions se multiplient (à Jussieu ou Nanterre par exemple). Les recrutements changent de rythme et accompagnent la « massification » de l’enseignement supérieur, à la Sorbonne comme dans les grands organismes. Les cursus se diversifient et se spécialisent – et la mécanique quantique entre enfin dans le programme de la licence, après de vifs débats.
Durant ces années de fort contrôle médiatique et qui voient les grands savants avoir leurs émissions à la télévision (c’est le cas de Louis Leprince-Ringuet par exemple), la contestation commence à se faire jour. Elle gagne les laboratoires à partir de 1965-1968 et vise, dans un premier temps et en parallèle à la guerre du Vietnam, « le complexe militaire-industriel-académique ». Plus tard, dans les années 1970, elle passe par la mobilisation anti-nucléaire, très forte en France, mais ignore, même si elle n’y reste pas insensible, la question environnementale et les pollutions [23].
En bref, un moment de forte croissance, de reconnaissance de la science et du rôle des techniques et de l’innovation dans le progrès national, un encadrement assez strict de la recherche par un État incitant les industriels à investir et à changer de pratiques, des disciplines achevant une mutation initiée hors de France durant la guerre, et un poids nouveau, mais voué à un bel avenir, des grands organismes et des structures de gestion et de promotion de la recherche. Vu du côté des scientifiques universitaires, reste toutefois une liberté de travail qui n’a pas encore été entamée.
Des années 1970 aux années 2000 – les changements de paradigme
Thèse 6
Depuis les années 1970, la contestation, le retour de la « société civile » et la survenue de l’environnement placent les sciences et le développement technique sous pression [24].
Le monde (et la France) ont beaucoup changé depuis quarante ans – dans leurs réalités structurelles (la « composition » des sociétés), dans leurs subjectivités (dans les régimes d’existence psychique, les mœurs ou le rapport à l’autorité), dans la place de l’espace public (largement ré-ouvert) comme dans les formes d’action de tous les acteurs : aujourd’hui c’est la capacité à mobiliser de l’expertise, la capacité à agir sur divers pouvoirs (organismes internationaux, opinion publique) par divers moyens (publication de travaux, appels au boycott) qui est devenue centrale – comparez Greenpeace aux syndicats ouvriers [25].
Les modes du gouvernement des hommes et des choses ont aussi connu, sur les décombres d’un État gérant la paix sociale dans le cadre de la nation, des renouvellements majeurs. D’une part les formes néo-libérales de gouvernement ont repris une actualité qui s’était perdue depuis la fin du XVIIIe siècle et d’autre part – face claire de ces modes obscurs de gouvernement – est apparue « la gouvernance », une doctrine de gestion qui promeut la « participation » de tous à la « décision » et promet la « délibération » [26].
Une conséquence en est d’abord un changement des attitudes vis-à-vis de l’autorité de la science et de ses institutions. La confiance dans un progrès technique sans limite, bénéfique et toujours contrôlable, s’est érodée – même si elle ne fut jamais totale, et même si cela n’implique pas que la sound science ne reste pas une catégorie centrale pour les institutions (le tribunal de l’OMC juge des différends qui lui sont soumis selon ce seul critère). Un élément a initialement contribué à ce désenchantement social, je l’ai évoqué, la montée en puissance de la question environnementale et du débat nucléaire dans les États-Unis des années 1960, le fait que le débat entre experts se soit alors déplacé dans l’espace public. Au début des années 1970, le rapport du Club de Rome sur les limites de la croissance donne une touche finale à cette première inversion de tendance [27].
Les décisions d’experts sont maintenant contestées lorsqu’elles ne se déploient pas de façon « transparente » et contradictoire. Ce qui est en jeu est toutefois moins un refus de « la science » qu’un désir de juger par soi-même des problèmes. Ce que les ONG questionnent, par exemple, est la justesse des décisions, la pertinence des régulations mises en place – et elles créent leurs propres unités de recherche si l’information officielle n’apparaît pas fiable. Par ailleurs, des plaintes sont aujourd’hui portées devant les tribunaux avec plus de systématicité qu’autrefois – et des conférences de consensus ou autres Grenelle de l’Environnement se multiplient, sous la houlette des politiques, pour tenter de prendre le pouls des populations et gérer la critique.
Dans les milieux savants, la tendance a longtemps été de ne pas vraiment considérer ces nouvelles réalités, de les tenir comme l’expression d’un irrationalisme à combattre. L’appréciation est assez proche dans les milieux économiques et politiques qui sont terrorisés, après l’épisode OGM, par l’idée de « se faire avoir » une seconde fois par ce qu’ils voient comme une technophobie sans fondement des peuples – et des peuples européens en particulier [28].
Cette réduction est une façon de ne pas prendre en compte des réalités massives impliquant des populations larges et parmi les plus créatives et éduquées – et de ne pas saisir la logique positive qui les motive. D’ailleurs, l’explosion de la demande participative et la multiplication des critiques à l’encontre des savoirs officiels vont de pair avec une extension et une valorisation accrue de l’expertise dans tous les milieux.
Thèse 7
Depuis les années 1980, le retour d’un libéralisme pur et dur en termes économiques implique une autre pratique des savoirs, des sciences et des techniques [29].
Les régulations productives, économiques et financières ont elles aussi été transformées en profondeur dans les dernières décennies. Les savoirs scientifiques n’y sont pas pour rien (pensez aux outils mathématiques inventés pour permettre le déploiement des produits financiers, aux STIC – sciences et techniques de l’information et de la communication – ou aux bio-technologies pour la « nouvelle économie »), mais ces changements n’ont pas été sans effet, en retour, sur l’institution science elle-même.
D’abord, les intérêts présents dans le champ de la recherche se sont multipliés. Le capital-risque, les fonds de pension, le Nasdaq, les start-ups, et les avocats d’affaires, sont devenus décisifs, aux côtés des militaires et des États, dans l’orientation de la recherche, dans les formes qu’elle prend, dans ce qui est étudié et ce qui est marginalisé. Cela a conduit à une redéfinition de l’université. Les universitaires ont été incités à se faire entrepreneurs et à vivre des accords privilégiés passés avec des entreprises. Ce faisant, ils ont perdu une part de l’autonomie et de la capacité d’initiative qui faisaient le privilège et un ressort important de leur métier.
Dans un certain nombre d’entreprises (même s’il reste des formes plus classiques, comme dans la pharmacie), les recherches propres des laboratoires industriels, qui visaient un long terme et avaient par définition une grande inertie, ont eu tendance à être réduites. Internationalement, le cas paradigmatique est celui de la disparition des fameux Bell Laboratories. La conception de produits et de lignées génériques, et non plus la R&D, devient alors le cœur du travail d’innovation. Dans ces cas, le travail de recherche est souvent défini, dans l’entreprise, comme un input à acquérir au coup par coup et qu’il est donc préférable d’externaliser. Il passe alors dans des firmes ou des réseaux spécialisés qui vendent leurs services au gré des besoins. Il est aussi passé, et ce point est majeur, dans les grandes universités, celles qui sont massivement financées par des entreprises et avec qui elles ont des contrats privilégiés [30].
Au cœur de cette nouvelle économie politique des savoirs, se trouve aussi le changement des règles de la propriété intellectuelle – un élément qui affecte très directement la vie des sciences. La définition et les règles d’octroi des brevets ont en effet été profondément modifiés dans les années 1980, aux États-Unis d’abord, dans le reste du monde ensuite. À la fois du fait de l’émergence de nouvelles pratiques (la capacité de manipuler les gènes par exemple, objets dont le droit se saisissait mal) et pour des raisons de positionnement stratégique sur le long terme. Il s’agissait en effet pour les États-Unis de modifier la définition du brevetable pour se réserver des pans entiers du futur technologique en protégeant les découvertes de base faites en amont à l’université et dans les start-ups de biotechnologie moléculaire et de sciences de l’information du pays – domaines dans lesquels les États-Unis restent très en avance [31].
Des droits de propriété sont donc maintenant accordés sur des savoirs de plus en plus fondamentaux et les contraintes d’utilité justifiant traditionnellement du dépôt d’un brevet sont devenues très lâches. Ces formes nouvelles d’appropriation expliquent la parcellisation nouvelle qui affecte la recherche, les phénomènes croissants de judiciarisation du travail des sciences, et l’émergence de monopoles. La planification d’une recherche requiert en effet la rédaction d’accords nombreux sur les usages qui seront faits des entités sous droits de propriété, ainsi que sur la répartition des bénéfices escomptés.
Thèse 8
Depuis les années 1980, les objets et techniques de la recherche scientifique se sont profondément transformés. Sont notamment réapparues des sciences de l’observation à fonction gestionnaire.
Les changements sont aussi très significatifs, depuis trente ans, dans les disciplines, les pratiques et outils du travail scientifique. Aux XIXe et XXe siècles, et notamment dans la période de la guerre froide, ce sont les sciences physiques et leurs génies associés qui ont imposé leurs marques matérielles sur la société. Depuis la fin des années 1970, ce sont d’autres (techno-)sciences de laboratoire qui ont pris cette place dans les imaginaires (et, dans une mesure moindre, dans les réalités industrielles) – à savoir les sciences de la vie, les biotechnologies, les nanosciences, des sciences en mesure de recombiner et d’optimiser le matériau biologique et physique [32].
Aujourd’hui, les modes de travail de ces sciences sont plus « pragmatiques » qu’autrefois, plus clairement orientés vers et par des volontés de développement marchand. Leur rôle dans la guerre n’est pas aussi central que celui des sciences physiques mais ces techno-sciences ont conduit à des formes de biopolitique historiquement neuves puisque leur maîtrise est dans les mains des individus autant que dans celles des États [33].
Les changements des dernières décennies ne se limitent toutefois pas à un déplacement du centre de gravité de la techno-physique à la techno-biologie. La pratique des sciences s’est aussi recomposée du fait de la puissance de calcul des ordinateurs, du fait des modélisations et simulations qu’ils permettent. Les capacités de lecture directe des phénomènes (via les puces à ADN en biologie par exemple), les capacités de stockage de l’information, comme les capacités de traitement des données ont transformé en profondeur la vie des sciences et de la recherche. Les modélisations sont aussi devenues l’essence de l’analyse des grands systèmes « naturels » (pensez à l’étude du changement climatique) après avoir été au cœur du déploiement des grands systèmes technico-militaires [34].
De nouveaux « champs de science » ont aussi émergé dans les dernières décennies. Si l’histoire du dernier siècle et demi a été celle d’une montée inexorable des approches réductionnistes, les trois dernières décennies ont vu le retour des sciences de l’observation. Des milliers de chercheurs travaillent sur le système Terre et ses équilibres, sur la biodiversité et son évolution, sur les pollutions de tous types, sur la gestion des « risques globaux » – toutes choses très nouvelles, il faut le noter, par rapport à ce qui a fait la gloire historique des Sciences. Une conséquence en est la fin du rêve de l’unité des sciences, la fin d’une certaine norme épistémologique [35].
Les raisons de ce retour sont nombreuses. Il s’agit d’abord de l’émergence des nouveaux outils informatiques que je viens de mentionner puisqu’ils sont la condition de l’intégration de la masse très diversifiée d’observations et de données en un espace cognitif unique. Plus généralement ce sont le web et les ratés du progrès (et leur cortège d’affaires et d’effets environnementaux pervers) qui ont fait surgir ces questions et ont conduit les sciences à se déployer dans ces directions nouvelles.
Dans ces champs nouveaux, les questions de gestion et les considérations morales et politiques sont irrémédiablement mêlées aux études et évaluations de fait. Ces analyses sont autant descriptives que prescriptives, et elles sont autant centrées sur « la nature » que sur l’activité humaine. Et c’est cette complexité du problème qui fait que les sciences sociales sont maintenant mobilisées, dans ces champs, en parallèle aux sciences de la nature.
Les conséquences sociales et politiques de ces nouvelles sciences du système Terre, des pratiques de simulation et de modélisation comme des bio-nano-technologies, sont finalement considérables. Elles sont d’une nature neuve – pensez au clonage humain dont la question ne pourra pas ne pas émerger comme question vive dans un futur proche et qui polarisera les sociétés comme les sciences physiques ne l’ont jamais fait. Elles demandent aussi la mobilisation de critères de jugement délicats à manier – pensez à la notion de précaution. Finalement les traitements informatiques gargantuesques conduisent à des descriptions et scénarios que personne ne peut appréhender indépendamment d’elles. La question de la confiance dans le travail des scientifiques, comme celle de la gestion de cette confiance dans l’espace public et médiatique, deviennent donc des questions politiques majeures – ce dont nous faisons l’expérience quotidienne, avec les « climato-sceptiques », depuis l’échec du Sommet de Copenhague [36].
La situation présente
Thèse 9
Le gouvernement et la régulation du monde sont aujourd’hui en tension entre libéralisme, bonne gouvernance et discours schmittien qui mobilisent chacun des types de savoirs propres.
Jusqu’à présent, j’ai beaucoup insisté sur l’ordre néo-libéral mais celui-ci n’est pas le seul à essayer de s’imposer comme la norme première. Deux autres grands paradigmes lui font concurrence : l’ordre de la gouvernance dialogique et participative, et l’ordre schmittien de la guerre préventive, de la guerre des civilisations et de la sécurité. Ces modes sont en tension les uns avec les autres, ils mobilisent des types de savoirs et des dispositifs différents, et leur conflit a pris une nouvelle tournure depuis la Conférence de Copenhague sur le changement climatique de 2009.
Si l’on suit Friedrich Hayek, ce qui fonde la légitimité de l’ordre libéral est le constat de l’hubris injustifiée de la raison humaine lorsqu’elle s’incarne dans l’État social et le keynésianisme (qui pensent pouvoir maîtriser la complexité du monde et le faire mieux fonctionner), hubris à contraster aux fonctionnements des marchés, qui sont les seuls bons calculateurs [37].
Une première tension existe dans l’ordre libéral lui-même – du moins dans ses principes – entre cette vision du « on gouverne toujours trop » (laissez les marchés faire leur œuvre) et ce qu’il est nécessaire de faire pour que les individus se comportent effectivement en homo oeconomicus parfaits optimisant constamment leurs avantages. Une intense activité de « reformatage » des individus est donc nécessaire et ce sont les gestionnaires et leurs outils (les benchmarks par exemple) qui remplissent cette fonction très invasive de réformation des individus [38].
Une seconde tension est entre cette vision libérale et la bonne gouvernance. Cette dernière promeut en effet le dialogue, la concertation, un dépassement de la démocratie représentative – là où la première pense essentiellement l’individu comme le prisonnier dans le fameux dilemme du même nom, c’est-à-dire comme quelqu’un d’isolé et de non-coopérant. La bonne gouvernance est bien sûr dotée de sa propre langue (la responsabilité, la transparence, la « publicité », l’éthique) et de ses dispositifs (les forums participatifs, le management partagé du risque ou la MOC – méthode ouverte de coordination) [39].
Cette gouvernance est elle aussi en tension avec elle-même – du moins si on la regarde du point de vue des pouvoirs gestionnaires. D’une part, principiellement, elle prend acte de la volonté affichée de la « société civile » d’être part aux choix qui la concernent ; d’autre part, toutefois, elle utilise ces dispositifs participatifs comme un moyen de gestion des populations, elle les « instrumentalise » – ou, pour parler comme Luc Boltanski, elle « gère la critique ». Ceci a été théorisé au tournant des années 1980-1990 par les groupes de conseil aux entreprises et au parti républicain afin de leur apprendre à gérer leurs images et une opinion publique devenue « green and participative » [40].
Peut-être convient-il de ne pas forcer l’image. Ces modes de management ne sont pas nécessairement contradictoires et sont souvent utilisés de façon complémentaire. Il n’en reste pas moins que la gouvernance précautionneuse et attentive à l’environnement (à défaut de l’être sur la question sociale) relève plutôt d’une logique « social-démocrate et écologiste ». Je veux dire par là qu’elle est plutôt anticipatrice, normative et interventionniste. C’est ce clivage entre cette manière de penser le futur et d’agir et les modes plus directement libéraux qui a conduit à l’échec de Copenhague et à la (possible) disparition du protocole de Kyoto.
Mais il est encore un troisième cadrage de ce qu’implique le bien gouverner aujourd’hui. Il est le fait initial des think tanks néo-conservateurs américains des années 1990 et s’est incarné dans les politiques du gouvernement Bush. À la chute du Mur de Berlin, ces think tanks ont commencé à promouvoir le discours de la guerre nécessaire et du conflit inévitable des civilisations et à promouvoir la notion de sécurité comme valeur première. Cela a conduit à un retour du discours schmittien de l’état d’exception comme norme, à un retour du discours de la souveraineté forte et affirmée pour les États-Unis. En a découlé, en termes de savoirs et d’orientation des recherches, le concept des technologies duales – des technologies militaires, essentielles à développer, mais qui doivent inclure les usages civils dès leur conception.
Un fait intéressant est que, aujourd’hui, dans certains champs émergents comme la biologie synthétique ou les xénogreffes, ce mode de pensée s’hybridise au mode libéral et au mode de la gouvernance (même si, pour ce dernier, c’est sous une forme réduite aux acquêts) pour développer une conception originale de l’innovation, de la gestion de l’espace public et du « contrôle politique ». Elle passe par une priorité donnée aux mesures de sécurité (tracer les informations et les matériaux pour éviter la « prolifération ») et aux mesures de sûreté des produits (largement remis surtout entre les mains des acteurs scientifiques et industriels). Elle passe par un rôle accru donnée à une « éthique humaine » qu’il convient de redéfinir hors des formes actuelles, déclarées inadéquates pour les sociétés bio-techniques et de concurrence acharnée qui sont les nôtres. Elle passe enfin par un rôle nouveau confié à des sciences sociales qui ont à redéfinir les ontologies sociales et à revisiter les dispositifs de régulation actuellement existants et qui sont trop « lents » [41].
Thèse 10
L’université est aujourd’hui redéfinie dans ses modes d’être et est soumise à de nouvelles définitions du « bon savoir », notamment dans les sciences sociales.
Pour terminer et reprendre les divers fils tressés dans ce texte, je dirai que l’université et la recherche publique, comme les valeurs qui les ont historiquement constituées, ont aujourd’hui perdu leur place de référent. « Savoir » prend un autre sens, plus pragmatique, plus tourné vers l’utilité à court terme – et l’identité universitaire peut en être redéfinie.
Quatre raisons peuvent provisoirement rendre compte de cette évolution.
D’une part l’équilibre créé dans la phase précédente entre savoirs publics et connaissances privées a évolué au profit des secondes. Le désintéressement, la curiosité, la gratuité, pour reprendre des termes anciens, sont devenus des catégories démonétisées parmi ceux qui financent la recherche – même si cela est beaucoup moins vrai chez les scientifiques eux-mêmes, et même s’il n’est aucune raison d’idéaliser ce qu’ils indiquaient de la réalité dans la phase précédente. Les pratiques inter-disciplinaires et inter-métiers ont gagné du terrain dans une recherche conçue à partir des objets et de lignées génériques –, ce que l’université, par définition enseignante et plutôt guidée par ses propres logiques de recherche, a du mal à intégrer.
Les politiques, intéressés au premier chef par le développement économique, mais aussi par ce qu’ils appellent la rationalisation (en l’occurrence des universités), visent à réduire la place et l’autonomie des professions, et notamment des professions universitaires, en développant la recherche sous contrat ou en changeant ses modes d’évaluation. Le phénomène n’en est qu’à ses débuts en France mais les premiers effets sont déjà sensibles [42]. Enfin, dans un registre plus large, l’offre d’information et de connaissance que permet le web mine l’évidence, dans l’espace public, des savoirs de l’université (et de l’école plus généralement) comme des savoirs dotés d’une légitimité spécifique [43].
Plus globalement, et notamment pour une part des sciences humaines et sociales, la question de ce qui constitue le « bon savoir » est aujourd’hui (re)posée. Historiquement, l’université s’est construite comme une institution autonome dotée de ses formes propres de jugement, comme une autorité indépendante et protégée fonctionnant comme alter ego de l’État, nous l’avons vu. Aujourd’hui, cette position n’est plus tenable dans l’espace public, même si elle guide toujours les instances de régulation. Parce que chacun constate que les avis scientifiques sont directement au cœur des enjeux politiques, mais aussi parce que des institutions de savoir alternatives ont émergé depuis les années 1970, institutions qui produisent leurs propres savoirs et expertises.
Les premières institutions nouvelles à évoquer sont les think tanks néo-libéraux et conservateurs des années 1970, des instituts de réflexion et de recherche créés à l’initiative du monde des affaires et des réseaux Républicains dans le but de miner l’évidence des discours keynésiens et à vocation sociale qui dominaient alors l’université. Leur but était d’asseoir à leur place, en prenant appui sur l’espace public comme lieu de légitimation, le discours de la libéralisation nécessaire, le discours de l’individu en pleine et entière responsabilité de lui-même. Et ils ont largement réussi.
Viennent ensuite, dans un registre symétrique, les grandes ONG internationales qui se généralisent elles aussi au début des années 1970, qui traitent des questions de protection de la nature, d’environnement et/ou de développement, et dont les équipes de recherche ont pénétré le territoire des savoirs experts. À proprement parler, ce sont elles qui ont créé, en osmose avec les universitaires, le champ des sciences de l’environnement que j’ai évoqué précédemment. Dans les années postérieures, le phénomène s’est généralisé à d’autres champs – pensez aux associations de patients, aujourd’hui centrales en santé publique, et qui ont modifié les manières de travailler des médecins.
Il convient encore de mentionner la transformation des grandes institutions internationales comme l’OCDE ou la Banque Mondiale, institutions qui, en parallèle aux think tanks et souvent dans le même registre, sont devenues de grosses productrices de rapports, d’analyses et de critères normatifs. Comme les autres, ils cherchent à peser sur ce qui définit les bons savoirs et les bonnes questions – comme ils pèsent sur la définition des bonnes pratiques économiques et politiques. Je terminerai avec un type d’institution un peu différent, une profession en plein boom, celle des « manageurs » qui, après avoir réformé la gestion des entreprises et des États, est maintenant invitée à rationaliser les universités, à redéfinir les savoirs utiles, via les mêmes techniques – la LOLF (loi organique relative aux lois de finances) ou les benchmarks.
Les normes définies par ces multiples institutions pèsent sur l’université et l’obligent à expliciter et justifier ce qui fait la légitimité et l’utilité de ses énoncés, de ses méthodes, de ses catégories, de ses cadrages des questions. Ce qui est une situation neuve, une situation qui n’est pas nécessairement négative dans ce qu’elle exige, mais qui a aussi conduit, à partir des années 2000, à des attaques en règle contre l’irresponsabilité cosmopolite des universitaires. De façon plus concrète, elle a conduit à dénier sa part de vérité aux savoirs des sciences qui déplaisaient ou entravaient le déploiement normal du business, sur les questions environnementales comme sur les questions de santé publique – ou sur l’organisation de l’expertise de l’État, régulièrement remodelée sous l’administration Bush [44].
Dominique Pestre,
historien des sciences et directeur d’études
à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS).
Article publié dans Le Mouvement Social n°233, 2010/4.
La science, une activité (presque) comme les autres
Entretien avec Dominique Pestre
novembre 2017
Il y a d’abord les faits. Les pommes tombent par terre, avec ou sans témoin. Mais il y a, ensuite, la façon dont nous comprenons ces phénomènes. Et là, tout se complique…
Qu’appelle-t-on les sciences studies ?
Dominique Pestre : Les sciences studies, nées dans les années 1970, ont pour objectif de comprendre comment les savoirs se fabriquent, en insistant sur les aspects matériels, pratiques et culturels. L’une des premières études a été celle d’Harry Collins. Observant l’installation d’un laser canadien dans un laboratoire de physique de l’université anglaise de Bath, il s’aperçoit que malgré tous les échanges préalables, les Anglais ont besoin de faire venir un Canadien pour faire fonctionner cet outil scientifique. Cette étude souligne ainsi l’importance des savoir-faire dans la pratique scientifique et l’élaboration des sciences. Une deuxième étape est franchie par David Bloor en 1976 : lorsque les historiens étudient une controverse du passé entre deux scientifiques, explique-t-il, ils s’intéressent peu à celui qui a raison puisque la vérité se justifie d’elle-même. En revanche, ils explorent en détail les sous-jacents culturels ou sociaux qui ont conduit son adversaire à faire fausse route. D. Bloor invite à dépasser cette approche déséquilibrée, d’autant plus qu’aucun savant n’a jamais totalement tort ou raison ! Et il propose de considérer les deux comme également ancrés dans leur temps. Le troisième moment date de l’étude que Bruno Latour consacre à l’expérience menée par Pasteur à Pouilly-Lefort [première expérience de vaccination sur des animaux]. Latour souligne que cette expérimentation publique, conçue comme un grand show médiatique, a joué un rôle essentiel dans la reconnaissance scientifique des thèses pastoriennes. Latour insiste ainsi sur la nécessité d’élargir l’analyse de la pratique scientifique au-delà du cercle scientifique proprement dit. En résumé, les sciences studies étudient la science comme une activité humaine qui s’ancre dans une époque et des pratiques.
Il n’y aurait donc pas de « vérité » scientifique ?
Dominique Pestre : Il serait évidemment absurde de dire que tout dépend du social ! Prenons la théorie des couleurs de Newton. Newton est le premier à diffracter la lumière du Soleil et à montrer que cette lumière est composée de couleurs. Il ajoute toutefois que cette lumière est composée de sept couleurs – alors que, aujourd’hui, nous pensons la lumière du Soleil comme composée d’un nombre infini de couleurs (c’est un continu de longueurs d’onde). Pourquoi sept couleurs, et non six ou neuf ? Parce que la grande activité de Newton consiste à décoder le message divin, et que le chiffre sept est à ses yeux central dans toute la numérologie biblique. Vous voyez comment Newton a pu à la fois faire progresser notre compréhension de la lumière, et en même temps rester totalement un homme de son temps. Voilà ce que nous essayons de comprendre dans les sciences studies.
Comment lier le cadre matériel de production des savoirs, et les savoirs eux-mêmes ?
Dominique Pestre : Dans Histoire des sciences et des savoirs que j’ai dirigé en 2015, nous avons essayé de comprendre à travers de multiples exemples ce qui fonde les manières de penser et faire au fil du temps. Quels sont les concepts ou les savoir-faire en usage ? Qu’est-ce qui constitue une preuve à un moment donné ? Qui a l’autorité pour dire la vérité ? Etc. Aujourd’hui, lorsqu’un scientifique publie un article relatant une expérience, nous pensons a priori qu’il a effectivement mené cette expérience. Au XVIIe siècle, cela n’a au contraire rien d’évident. À la Royal Society, premier lieu à développer systématiquement des pratiques expérimentales rigoureuses, on convoquait donc des personnages de renom, l’archevêque de Canterbury par exemple, afin qu’ils garantissent le déroulement de l’expérience et ses résultats.
Ces questions obligent à se demander ce qui lie la production du savoir et la société. Cela varie énormément au fil du temps, comme le montre par exemple le droit des brevets créé en France et aux États-Unis à la fin du XVIIIe siècle. Le système rompt avec le dispositif antérieur dans lequel le prince accordait des privilèges aux inventeurs. Le brevet permet à un individu de diffuser librement ce qu’il a découvert contre des redevances qu’on va lui payer. Et il repose sur, et encourage, le jeu libre d’individus maîtres de leurs idées et tous égaux devant la loi – ce qui est au cœur des révolutions française et états-unienne.
Et ces divers « assemblages », que j’ai appelés des « régimes de production, de régulation et d’appropriation des savoirs », ont des effets en retour sur le savoir lui-même. Un exemple : dans le courant des années 1980, le système « psycho-psychanalytique » de classification des maladies mentales cède la place à un nouveau système classificatoire, guidé par les molécules (le type de médicament) susceptibles d’agir – en bref, il est articulé sur les productions de l’industrie pharmaceutique. La corrélation faible entre classes de maladies et types de molécules, à un moment où le nombre de ces dernières explose, impose la recomposition de l’ensemble conceptuel.
Peut-on distinguer divers « régimes de savoir » qui se succéderaient au cours du temps ?
Dominique Pestre : Par nature, les périodisations sont des simplifications et aucune n’est parfaite. Mais je peux avancer une périodisation utile de l’histoire des savoirs – du moins de ceux qui dont devenus hégémoniques au fil des derniers siècles.
Un premier moment pourrait aller du XVIe au milieu du XVIIIe siècle, lorsque les grandes découvertes ramènent en Europe des plantes et des animaux qu’on n’avait jamais vus. Quand arrive le premier hippopotame à Paris, tout le monde se déplace et la science centrale de la période est l’histoire naturelle. Un autre savoir décisif est celui des mathématiques pratiques, capitales pour l’artillerie et l’art de la guerre. Un dernier est celui des sciences de laboratoire, expérimentales et mathématisées.
Des Lumières aux années 1870, les sciences sont marquées par la révolution des machines à vapeur, du charbon, du train ; d’où le développement de la thermodynamique et des arts mécaniques.
Le troisième régime, des années 1870 aux années 1970, est le siècle des guerres européennes. Les militaires et les États sont les grands financeurs de science, et ils mobilisent de nombreux savoirs, de la chimie à l’électronique et aux semi-conducteurs. C’est le moment de la chimie organique, de la microphysique (électron, mécanique quantique, etc.) et donc de la modernisation agricole (via les fertilisants), des plastiques, de l’industrialisation de la pharmacie, des missiles balistiques, etc.
Enfin, depuis les années 1970, s’ouvre un quatrième moment lié la dérégulation économique. Même si les financements publics restent importants, les stimuli qui orientent la trajectoire des savoirs viennent désormais des grandes filières de développement techno-industrielles et de leurs business models. On le voit notamment quand on observe le succès des grandes firmes américaines fondées sur le numérique (Facebook, Apple, Amazon…) et qui ne se sont pas développées en lien direct avec l’État.
Propos recueillis par Hélène Frouard.
Après un double parcours de physicien et d’historien, Dominique Pestre s’est spécialisé en histoire des sciences. Il est aujourd’hui directeur d’étude à l’École des hautes études en sciences sociales.
Il a notamment publié en 2006 une Introduction aux science studies (La Découverte, coll. « Repères ») et a dirigé en 2015 les trois volumes de l’Histoire des sciences et des savoirs (Seuil).
Entretien publié dans le magazine Sciences Humaines,
Grands Dossiers n°48 – novembre 2017.
[1] Étant donné l’ampleur des questions abordées dans ce texte, la bibliographie est réduite à quelques textes de référence dans lesquels des bibliographies plus précises pourront être trouvées.
[2] Pour une bibliographie sur cette section, je renvoie à D. Pestre, Introduction aux Science Studies, Paris, La Découverte, 2006 et Science, Society and the Political, 2007, rapport à trouver sur <http://ec.europa.eu/research/science-society>; entrer « library » et sélectionner les documents : ‘scientific advice and governance’.
[3] Pour cette section, les références de base sont dans D. Pestre, Introduction aux Science Studies, Paris, La Découverte, 2006 et “The Historical Heritage of the 19th and 20th Centuries: Techno-science, Markets and Regulations in a Long-term Perspective”, History and Technology, 23 (4), December 2007, p. 407–420, et dans J.-B. Fressoz, La fin du monde par la science. Innovations, risques, régulations, de l’inoculation à la machine à vapeur (1750-1850), thèse de doctorat d’histoire, EHESS, 2009.
[4] S. Shapin, The Scientific Revolution, Chicago, The University of Chicago Press, 1996 ; R. Halleux, Le savoir de la main, Paris, Armand Colin, 2009.
[5] A. Funkenstein, Théologie et imagination scientifique du Moyen Âge au XVIIe siècle, Paris, PUF, 1995 ; S. Shapin & S. Schaffer, Léviathan et la pompe à air. Hobbes et Boyle entre science et politique, Paris, Éditions La Découverte, 1993 (1985) ; B. Latour, Nous n’avons jamais été modernes. Essai d’anthropologie symétrique, Paris, La Découverte, 1991.
[6] M. Foucault, Sécurité, Territoire, Population. Cours au Collège de France, 1977-78, Paris, Hautes Études-Gallimard-Le Seuil, 2004 et Naissance de la biopolitique. Cours au Collège de France, 1978-79, Paris, Hautes Études-Gallimard-Le Seuil, 2004 ; J.-B. Fressoz, La fin du monde par la science. Innovations, risques, régulations, de l’inoculation à la machine à vapeur (1750-1850), thèse de doctorat d’histoire, EHESS, 2009.
[7] D. Pestre, Science, argent et politique, un essai d’interprétation, Paris, INRA, 2003 ; T. Mitchell, Rule of Experts: Egypt, Techno-Politics, Modernity, Berkeley, University of California Press, 2002.
[8] M. Foucault, Sécurité, Territoire, Population. Cours au Collège de France, 1977-78, Paris, Hautes Études-Gallimard-Le Seuil, 2004 et Naissance de la biopolitique. Cours au Collège de France, 1978-79, Paris, Hautes Études-Gallimard-Le Seuil, 2004 sont ici les références premières.
[9] Pour ce paragraphe et le suivant, J.-B. Fressoz, La fin du monde par la science. Innovations, risques, régulations, de l’inoculation à la machine à vapeur (1750-1850), thèse de doctorat d’histoire, EHESS, 2009 et le numéro spécial de History & Technology, 23 (4), décembre 2007.
[10] M. Biagioli, “Patent Republic: Representing Inventions, Constructing Rights and Authors”, Social Research, 73(4), Winter 2006, p. 1129-1172 ; G. Galvez-Behar, La République des inventeurs. Propriété et organisation de l’innovation en France (1791-1922), Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2008. La citation sur la justice est de Giovanni Levi dans B. Latour & P. Gagliardi (dir.), Les atmosphères de la politique, Paris, Les empêcheurs de penser en rond, 2006, p. 229.
[11] Pour cette thèse et la suivante, voir A. Dahan & D. Pestre (dir.), Les sciences pour la guerre 1940-1960, Paris, Éditions de l’EHESS, 2004.
[12] B. Balogh, Chain Reaction: Expert Debate and Public Participation in American Nuclear Power, 1945-1975, Cambridge, Cambridge University Press, 1991, p. 21 sqq.
[13] D. Pestre, « Les physiciens dans les sociétés occidentales de l’après-guerre. Une mutation des pratiques techniques et des comportements sociaux et culturels », Revue d’histoire moderne et contemporaine, 39-1, janvier-mars 1992, p. 56-72.
[14] D. Pestre, “Academic and Industrial Research in Physics between the last two Wars : the French – American Contrast”, in F. Bevilacqua (ed.), Actes de la première conférence EPS, History of physics in Europe in the 19th and 20th centuries, Bologne, Societa Italiana di Fisica, 1993, p. 29-50.
[15] F. Jacq, Pratiques scientifiques, formes d’organisation et représentations de la science dans la France de l’après-guerre : la « politique de la science » comme énoncé collectif (1944-1962), thèse de doctorat de socio-économie de l’innovation, EHESS-ENSMP, 1996.
[16] D. Pestre & F. Jacq, « Une recomposition de la recherche académique et industrielle en France dans l’après-guerre, 1945-1970. Nouvelles pratiques, formes d’organisation et conceptions politiques », Sociologie du travail, n° 3, juillet-septembre 1996, p. 263-277.
[17] D. Pestre, Louis Néel, le magnétisme et Grenoble, Paris, CNRS (numéro spécial des Cahiers pour l’histoire du CNRS), 1990 et D. Pestre, « La création d’un nouvel univers physicien, Yves Rocard et le laboratoire de physique de l’École Normale Supérieure, 1938-1960 », in J.-F. Sirinelli (dir.), Le Livre du Bicentenaire de l’École Normale Supérieure, Paris, PUF, 1994, p. 405-422.
[18] D. Edgerton, “Science in the United Kingdom: A Study in the Nationalization of Science”, in J. Krige & D. Pestre (eds.), Science in the Twentieth Century, Newark, Harwood Academic Publishers, p. 759-776, 1997.
[19] V. Duclert & A. Chatriot (dir.), Le gouvernement de la recherche. Histoire d’un engagement politique, de Pierre Mendès France au général de Gaulle (1953-1969), Paris, La Découverte, 2006.
[20] D. Pestre, « Concevoir la “force de frappe” française. État, scientifiques, ingénieurs, entreprises et ressources nationales (1956-1965) », in P. Fridenson et P. Griset (dir.), La France et les hautes technologies, Paris, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, à paraître.
[21] C. Bonneuil & F. Thomas, Gènes, pouvoirs et profits. Recherche publique et régimes de production des savoirs de Mendel aux OGM, Paris, FPH/Quae, 2009.
[22] D. Pestre, Louis Néel, le magnétisme et Grenoble, Paris, CNRS (numéro spécial des Cahiers pour l’histoire du CNRS), 1990.
[23] S. Topçu, Agir dans un monde nucléaire. Critique et gestion de la critique dans l’histoire de l’énergie nucléaire en France (1968-2006), thèse de doctorat d’histoire, EHESS, 2010.
[24] Les thèses 6, 7 et 8 sont plus longuement développées dans D. Pestre « Des sciences et de productions techniques depuis trente ans. Chronique d’une mutation », Le Débat, n° 160, mai-août 2010, p. 115-131.
[25] Sur ces mutations, on lira R. Castel, La montée des incertitudes. Travail, protections, statut de l’individu, Paris, Le Seuil, 2008 ; C. Dejours, Souffrance en France. La banalisation de l’injustice sociale, Paris, Le Seuil, 1998 ; F. Dupuy, La fatigue des élites, le capitalisme et les cadres, Paris, Le Seuil, 2005 ; A. Ehrenberg, La Fatigue d’être soi. Dépression et société, Paris, Odile Jacob, 2000 ; R. Sennett, La culture du nouveau capitalisme, Paris, Albin Michel, 2006.
[26] W. Brown, Edgework: Essays on Knowledge and Politics, Princeton, Princeton University Press, 2005 et I. Bruno, À vos marques®, prêts cherchez ! La stratégie européenne de Lisbonne, vers un marché de la recherche, Broissieux, Éditions du Croquant, 2008. D. Pestre, “Understanding the forms of government in today’s liberal societies. An introduction”, Minerva, 47, 2009, p. 243-260.
[27] J. Agar, “What happened in the sixties?”, British Journal for the History of Science, 41 (4), 2008, p. 567-600, pour un article de synthèse sur cette question. Ajouter L. Winner, La baleine et le réacteur. À la recherche de limites au temps de la haute technologie, Paris, Descartes & Cie, 2002 [1986].
[28] D. Pestre, “Challenges for the Democratic Management of Technoscience: Governance, Participation and the Political Today”, Science as Culture, 17 (2), 2008, p. 101-119.
[29] Pour cette section, des analyses plus détaillées sont dans D. Pestre, Science, argent et politique, un essai d’interprétation, Paris, INRA, 2003.
[30] P. Le Masson, B. Weil, A. Hatchuel, Les processus d’innovation. Conceptions innovantes et croissance des entreprises, Paris, Hermès-Lavoisier, 2006.
[31] R. Posner, « The law and economics of intellectual property », Daedalus, Spring 2002, p. 5-12 ; D. Pestre, Science, argent et politique, un essai d’interprétation, Paris, INRA, 2003.
[32] D. Pestre, Science, Society and the Political, 2007, rapport à trouver sur http://ec.europa.eu/research/science-society; entrer « library » et sélectionner les documents : ‘scientific advice and governance’.
[33] P. Forman, “The Primacy of Science in Modernity, of Technology in Postmodernity, and of Ideology in the History of Technology”, History and Technology, 23 (1/2), 2007, p. 1-152 ; N. Rose, The Politics of Life Itself. Biomedicine, Power, and Subjectivity in the Twenty-First Century, Princeton, Princeton University Press, 2007 ; P. Rabinow & N. Rose, « Thoughts On the Concept of Biopower Today », http://www.molsci.org/research/publications_pdf/Rose_Rabinow_Biopower_Today.pdf, 2003.
[34] H. Guillemot, La modélisation du climat en France des années 1970 aux années 2000, thèse de doctorat d’histoire, EHESS, 2007 ; P. Galison, Image and Logic. A Material Culture of Microphysics, Chicago, The University of Chicago Press, 1997 ; A. Dahan & D. Pestre (dir.), Les sciences pour la guerre 1940-1960, Paris, Éditions de l’EHESS, 2004.
[35] D. Demeritt, “The Construction of Global Warming and the Politics of Science”, Annals of the Association of American Geographers, 91(2), 2001, p. 307-337.
[36] C’est tout l’enjeu des attaques menées contre le GIEC depuis novembre 2009 : miner la confiance du public dans les données qu’il a produites et qui indiquent un réchauffement important.
[37] F. Hayek, La route de la servitude, Paris, PUF, 2005 [1944].
[38] D. Pestre, “Understanding the forms of government in today’s liberal societies. An Introduction”, Minerva, 47, 2009, p. 243-260.
[39] P. Moreau-Defarges, « Gouvernance », Le Débat, n° 115, mai-août 2001, p. 165-172.
[40] D. Pestre, “Challenges for the Democratic Management of Technoscience: Governance, Participation and the Political Today”, Science as Culture, 17 (2), 2008, p. 101-119 ; L. Boltanski, De la critique. Précis de sociologie de l’émancipation, Paris, Gallimard, 2010.
[41] Sur la place des comités d’éthique dans l’organisation des marchés des produits bio-technologiques, voir M. Tallacchini, “Governing by values. EU ethics: soft tool, hard effects”, Minerva, 47, 2009, p. 281-306.
[42] F. Pierru, Hippocrate malade de ses réformes, Paris, Raisons d’Agir – Broissieux, Éditions du Croquant, 2007.
[43] P. Mallein, « Usage des TIC et signaux faibles du changement social », //www.ideas-laboratory.com/IMG/pdf/TIC_et_Paradoxes_philippe_Mallein.pdf, 2008 ; C. Licoppe, « Pragmatique de la notification », Tracés. Revue de Sciences Humaines, 16, 2009, p. 77-98.
[44] Les détails pour cette section sont dans D. Pestre, “Challenges for the Democratic Management of Technoscience: Governance, Participation and the Political Today”, Science as Culture, 17 (2), 2008, p. 101-119.