débats et représentations du tournant du siècle
Tout au long du XIXe siècle, science, modernité et progrès avaient suscité des représentations à peu près substituables. La science, qui ouvrait l’horizon sans limite d’une accumulation continue des savoirs, devait être, dans cette mesure même, garante du perfectionnement moral de l’homme et, partant, du progrès de la civilisation. L’archétypique Esquisse d’un tableau historique des progrès de l’esprit humain s’était employé à établir cette équivalence entre le domaine du savoir et les catégories éthiques et politiques. Les figures du discours circulaient aisément des sciences à la démocratie, des connaissances expérimentales à la morale ou à la société.
Au tournant du siècle cependant, les deux grandes sources du discours progressiste produit depuis les Lumières étaient en voie de tarissement. D’une part, l’inspiration historienne était proche de l’épuisement. Il n’était pas de vraie postérité à ceux que Renouvier dénommait les « penseurs appliqués à l’histoire universelle » dans la lignée des Condorcet, Saint-Simon, Hegel, Comte ou Spencer dont « la maxime que tout est bien, ou que tout va au bien, est le postulat secret, quand ce n’est pas la thèse à démontrer » [1]. D’autre part, la source scientifique, qui prétendait associer progrès social, moral et cognitif, si elle continuait d’avoir des adeptes, subissait une profonde remise en question.
L’évolution du langage en témoigne. A la fin du siècle, la topique de la crise avait fleuri dans les discours identifiés comme les principaux vecteurs de la pensée décadentiste. Cet usage rhétorique n’est pas pour surprendre. Le discours de la décadence, faisant appel aux moments historiques critiques, de la chute de l’Empire romain aux prévisions de l’effondrement final, s’est toujours nourri de cette « sémantique des catastrophes » que Wolf Lepenies a décrite comme propre à l’Occident moderne [2]. Que la perception de crise envahisse «la science», ses pratiques et ses représentations, était plus déconcertant, car en nécessaire contradiction avec l’idéal-type progressiste de l’avancement des savoirs. La crise ne fut-elle qu’une figure du discours puisée dans le passé et reproduite une fois de plus à l’identique ou fut-elle de ces « énoncés transversaux qui donnent une unité forte à un temps » [3] ? En faveur de cette dernière hypothèse, on peut constater que la notion de crise de la science circula d’une catégorie de discours à l’autre et suscita des représentations divergentes. Elle s’inscrivit dans le temps long, celui des figurations du progrès de la science, en même temps que dans le temps court du moment critique, depuis le tournant du siècle jusqu’au début des années 1910, période qui est aussi celle des désillusions de la révolution dreyfusienne et des déceptions intellectuelles qui les accompagnent. Elle associa le public amateur de débats à succès sur l’avenir de la science et quelques milieux philosophiques et scientifiques qui formulaient une pensée critique du progrès à la lumière de leur perception des bouleversements de la science contemporaine. Elle contribua enfin à remodeler le paysage intellectuel, en provoquant réappropriations et détournements de sens multiples, dont le progrès était le principal enjeu.
Des stéréotypes en miroir
Les énoncés qui donnent une forte cohérence aux représentations de la science à la fin du XIXe siècle tiennent beaucoup à la reconstruction a posteriori d’images stéréotypées. Nombre d’entre elles, sur un mode réactif, exprimèrent les pesanteurs qui avaient pu, au cours des deux dernières décennies du siècle, accompagner les certitudes tyranniques d’une science réifiée ayant fait régner sans partage le dogmatisme positiviste. Cette doxa y apparaissait rétrospectivement d’autant plus insupportable qu’elle était rapportée au bilan déjà tiré de la faillite qu’elle avait provoquée. Que cette perception négative d’une science stérilisante émane des pensées que l’on catalogue usuellement comme anti-progressistes n’est pas pour surprendre. Ainsi du tableau dressé, en 1913, par Paul Claudel :
« Que l’on se rappelle ces tristes années 1880, l’époque du plein épanouissement de la littérature naturaliste. Jamais le joug de la matière ne parut mieux affermi… Renan régnait […] J’acceptais l’hypothèse moniste et mécaniste dans toute sa rigueur, je croyais que tout était soumis aux “lois” et que ce monde était un enchaînement dur d’effets et de causes que la science allait arriver après-demain à débrouiller parfaitement. Tout cela me semblait d’ailleurs fort triste et fort ennuyeux. » [4]
Péguy se fit aussi le brillant procureur de ces années de plomb. Quant à Léon Daudet, il évoquait avec sa virulence habituelle le souvenir du carcan qui avait contraint ses études de médecine, de 1885 à 1892 :
« Il y avait un premier dogme scientifique, qui était celui de l’Évolution. On en mettait partout. L’Évolution était la tarte à la crème de la biologie, de la psychologie, de la philosophie, de la médecine. » [5]
Pour ces penseurs militants qui plaçaient l’âme en sautoir, porter un discours critique contre la science revenait à stigmatiser un « matérialisme » qui avait toujours été perçu comme oppressif.
Chez ceux qui avaient, au contraire, partagé l’optimisme progressiste et espéré de la science d’universelles réponses, les présupposés étaient différents. Le stéréotype qu’ils établirent pour caractériser la science du tournant du siècle fut pourtant aussi celui du déclin, de l’incertitude et des doutes. On ne contestait pas ici les prétentions scientifiques, mais on pressentait leur échec et l’on subissait une déception à la mesure des promesses non tenues par la science. Artisan des jeunes sciences sociales, Célestin Bougie soulignait par exemple, avec le recul, que depuis les années 1900, on n’attendait plus du progrès des sciences
« ce que beaucoup avaient paru en attendre au beau temps de l’évolutionnisme et du positivisme : un système aux lignes nettement arrêtées, un ensemble fortement lié de théories s’appliquant au réel et l’expliquant tout entier. La grande espérance de Taine (une gerbe lumineuse de lois universelles d’où les vérités particulières descendraient en nappes ; la prétention de déduire le monde d’une loi) était décidément abandonnée. » [6]
Le thème de la faillite de la science, autrefois si peu pensable, était ainsi devenu un lieu commun. Les « pontifes » de la science eux-mêmes s’adonnaient à ces remises en cause. Renan, qui entendait, par ses Pensées de 1848 sur l’avenir de la science, « organiser scientifiquement l’humanité », selon le programme annoncé en sous-titre, reconnaissait quarante ans plus tard que c’était sous le coup « d’une forte encéphalite » : « la destinée de l’homme est devenue plus obscure que jamais », convenait-il en préface deux ans avant sa mort [7]. Son apologie d’une science pour la science, réduite à une activité gratuite, n’était pas sans corroborer cette tentation à l’abdication. Marcellin Berthelot qui, naguère encore, affirmait le monde devenu sans mystère, témoignait, même par la dénégation, qu’à l’égard du progrès une distance critique ou ironique était désormais indispensable. « Je serai dupe jusqu’au bout de ce désir de progrès, que vous reléguez si sagement parmi les illusions », écrivait-il à Renan [8]. Renouvier sentait lui aussi s’affaiblir la confiance qui l’avait antérieurement animé quand il renonçait en 1896, dans sa Philosophie analytique de l’histoire, à la réalisation des espérances nées de « l’esprit optimiste du XVIIIe siècle » dont il dénonçait l’aveuglement, et concluait dans ses Derniers entretiens : « la vraie banqueroute est celle du progrès »°[9].
Ainsi les représentations, mettant en place rétrospectivement des cohérences fortes là où pouvait régner la nuance ou coexister des systèmes antagonistes, favorisèrent la perception d’un moment critique : le moment de la crise, du basculement d’un état de la science à un autre. Ces récits reconstruits, qui pouvaient tenir de l’illusion rétrospective, coïncidaient cependant avec des discours contemporains de cet état de crise, exprimés à la fois dans des milieux extérieurs à la science professionnelle et dans des milieux scientifiques.
Une critique externe : la faillite de la science
Comme l’a remarqué Julien Freund, « la science », sous sa désignation générique, promise à une loi d’accumulation des connaissances orientée par la flèche du progrès, semblait ne pas pouvoir être en butte aux attaques qui avaient couramment atteint bien des secteurs intellectuels où elles traquaient des ferments de décadence depuis le milieu du siècle [10]. Les mises en cause se firent pourtant entendre avec récurrence dans les années 1890, et touchèrent par diffusion des publics élargis. Les disciplines scientifiques furent accusées d’atteindre leurs limites et d’avoir failli dans leur mission de rendre l’univers accessible et transparent.
Ces critiques connurent un réel retentissement, comme en témoigne le surgissement de débats qui prenaient forme autour de motifs intellectuels prétextes. Un mot emblématique libérait une avalanche de discours. Tel fut par exemple « l’ignorabimus » tant commenté du physiologiste de l’Université de Berlin, Du Bois-Reymond, lors du congrès des naturalistes de Leipzig de 1872. Cette formule qui, portant sur l’avenir de la connaissance de la nature, évoquait les énigmes irréductibles de l’univers et l’écart entre la science et le réel, devint dans les années 1890 une topique dont nombre d’articles sur la science dans la Revue scientifique, la Revue générale des sciences ou la catholique Revue des questions scientifiques, se firent l’écho. Telle fut aussi la fameuse controverse sur la banqueroute de la science, ouverte en janvier 1895 par un article rien moins que fracassant du directeur de la Revue des deux mondes, Ferdinand Brunetière, de retour d’une visite rendue au Pape. Plaidoyer politique et catholique classique [11], qui s’inscrivait dans le courant séculaire opposant, au nom de la religion et de la science, de traditionalistes académiciens aux tenants de la République scientiste, ce texte eut une postérité inattendue à cause de la fortune que connut la formule qu’il lançait, « la faillite de la science ». Brunetière se plaçait sur le terrain des représentations en affirmant que la science avait « perdu son prestige » et que tout son « crédit » vacillait [12]. Le débat était dans l’air. Il provoqua des réponses en cascade et devint un lieu commun – une « métaphore retentissante » [13] selon Brunetière – à propos duquel beaucoup, une décennie plus tard encore, continuaient de prendre parti. La date devint immédiatement symbolique : 1895 ouvrait l’ère fin de siècle des doutes sur la science. Cette représentation fut durable : en 1936, Georges Friedmann faisait encore de cette controverse le point de départ de la « crise du progrès » dont il analysait l’épanouissement [14].
Ce que ce registre critique battait en brèche, c’était l’ensemble du système progressiste établi par Condorcet dans son Esquisse…, dont les présupposés ont été bien mis en valeur par Jürgen Habermas [15] : l’interprétation du progrès comme un processus cumulatif et mécanique ; la possibilité de dissiper comme des illusions les formes de pensée non constituées en sciences ; l’affirmation non récusable que les sciences déterminent le perfectionnement moral de l’homme ; l’efficacité sociale du savoir. Chacun de ces thèmes fournit l’occasion d’une méthodique contre-attaque.
Certes, le brûlot de Brunetière s’inscrivait dans des interprétations plurielles, telles la réaction cléricale à la domination intellectuelle du positivisme républicain ou la crispation catholique devant les succès de l’anthropologie darwinienne, véhiculés par ses vulgarisateurs. Il est cependant révélateur que l’académicien employait dans l’argumentaire de la controverse des procédés rhétoriques qu’Hirschman a identifiés comme étant ceux du discours réactionnaire, adoptés à des fins polémiques pour démystifier les idées progressistes. Il ne s’agissait pas d’attaquer de front l’objectif à atteindre, mais de critiquer les moyens déployés et les résultats obtenus. Lui-même critique du progrès, ce discours accusait l’adversaire de provoquer la décadence. Le procédé de l’effet pervers, selon lequel les mesures destinées à améliorer l’ordre en place ne parviennent qu’à aggraver la situation que l’on cherche à corriger [16], était à cette fin utilisé par Brunetière. Non seulement la science n’avait pas tenu ses promesses, mais elle avait fait régresser l’horizon du progrès. Les sciences physiques ou naturelles avaient promis d’éliminer partout le mystère et elles n’avaient fait que le rendre plus profond [17] :
« Le progrès qu’on avait cru faire, avec Taine et sur ses traces, en “soudant – selon son expression – les sciences morales aux sciences naturelles” n’a pas été du tout un progrès, mais au contraire un recul. » [18]
Les sciences philologiques ou l’orientalisme n’avaient pas davantage rempli leurs engagements, mais produisaient même des effets directement contraires à la fin recherchée : bien loin d’avoir expulsé de l’histoire du christianisme l’irrationnel et le merveilleux, la science les y avait réintégrés. Le système d’opposition entre lumière et obscurité cher à Condorcet rejouait ici, mais de manière systématiquement inverse. On constatait que l’éclaircissement des origines, obsession intellectuelle du XIXe siècle, était en passe d’échouer : les énigmes de l’univers, selon la formule établie par Haeckel pour les récuser, persistaient et toute la science réunie ne permettait d’en rien connaître. « L’inconnaissable nous entoure, il nous enveloppe, il nous étreint » [19]. Georges Sorel affirmait de son côté que sa génération était pénétrée d’un sentiment d’ignorance, alors que celle de ses pères avait éprouvé le sentiment du rétrécissement de l’inconnu. L’idée d’un progrès continu semblait cette fois profondément mise en cause.
Inapte à le réaliser, la science était accusée de jouer même contre le progrès. Toutes les tentatives de « placer la moralité sous la dépendance du savoir », associant le progrès de la civilisation à celui des connaissances, avaient abouti selon Brunetière à un recul, ainsi qu’en témoignait l’idéologie délétère du darwinisme social selon laquelle les lois naturelles régissent la société : « Si nous demandions au darwinisme des leçons de conduite, il ne nous en donnerait que d’abominables » [20]. La science s’avérait impuissante à dégager des normes imposables à l’action en société. La dénonciation touchait les usurpateurs matérialistes qui, depuis Darwin et ses épigones, de David Friedrich Strauss à Haeckel, avaient détourné la science à de mauvaises fins. Dans la forme traditionnelle d’un texte de la conservatrice Revue des Deux Mondes, destiné au public cultivé, rhétorique et argumentaire confortaient ainsi la thématique annoncée dans les imprécations proférées par Nietzsche, dans la seconde Considération inactuelle :
« Présomptueux Européen du XIXe siècle, tu perds la tête ! Ton savoir ne parachève pas la nature, il ne fait que tuer ta nature propre. Mesure ta grandeur comme homme de science à ta petitesse comme homme d’action. Il est vrai que tu montes au ciel sur les lumineux rayons de ton savoir, mais tu descends aussi vers le chaos par le même chemin. Ta manière de progresser, c’est-à-dire l’escalade scientifique, est ta fatalité ; la terre ferme s’évanouit à ta vue dans un brouillard incertain ; ta vie ne trouve plus de points d’appui, plus que des fils d’araignée, que déchire chaque nouveau progrès de ta connaissance. » [21]
Une révolte contre le type de modernité que produisait la science voyait le jour.
Une philosophie de savants pour les savants
Avant d’examiner ce que fut la critique du progressisme scientifique, il est nécessaire de cerner les milieux qui s’en firent les propagateurs. La circulation des concepts entre disciplines fut en effet favorisée par la constitution de nouveaux milieux intellectuels qui se développaient à la confluence de la science et de la philosophie. La contamination des genres fut érigée en règle. Le psychologue Henri Piéron pouvait constater en rendant compte de La valeur de la science en 1905 que « M. Poincaré est certainement un de nos plus grands philosophes contemporains, et je dirai même que c’est un de nos derniers grands métaphysiciens » [22]. Les scientifiques pouvaient devenir philosophes ; la réciproque était tout aussi vraie. « Toute philosophie est devenue, plus ou moins, une philosophie des sciences » soulignait en 1908 Dominique Parodi : « la prétention même chez certains de nos philosophes à contester ou à restreindre la part de la science et de la connaissance pure implique l’examen constant des données scientifiques » [23]. La pensée contemporaine se donnait volontiers, soit comme le prolongement de la science, soit comme sa critique.
Dans la plus pure tradition cousinienne de la philosophie du XIXe siècle, dominait le caractère « littéraire » de la philosophie universitaire, exercée par des philosophes nourris aux humanités, mal informés des sciences et éloignés des laboratoires, malgré l’enseignement qu’ils dispensaient sur les sciences positives et leurs méthodes [24]. Au début du XXe siècle et dans le contexte de la crise, la rencontre entre science et philosophie, traditionnelle avant le XVIIIe siècle, se renouvela aux frontières des deux domaines. Emile Meyerson formula en 1908, dans Identité et réalité, le terme d’épistémologie pour désigner cette rencontre. Des scientifiques d’origine se firent une place dans l’enseignement supérieur de la philosophie (Gaston Milhaud, Edouard Le Roy, Emile Meyerson, Paul Tannery), des philosophes se mirent à l’école des mathématiques. Louis Couturat consacra sa thèse à l’infini mathématique, Léon Brunschvicg, aux étapes de la pensée mathématique, André Lalande, à l’idée d’évolution dans la méthode des sciences physiques et morales, qu’il réédita sous le titre « Les illusions évolutionnistes ». Frédéric Rauh fréquenta le laboratoire du physicien Bouasse à Toulouse, « combatif entre tous » selon Bougie et fit campagne pour la scientifisation des études philosophiques. Les sommités scientifiques, Henri Poincaré, Pierre Duhem, entrèrent en philosophie.
La Revue de métaphysique et de morale et ses différents satellites, dont la Société française de philosophie et les congrès internationaux de philosophie à partir de 1900, constituèrent autour de Xavier Léon et de sa jeune équipe un des terrains privilégiés de ce renouveau [25]. La Revue de métaphysique fit de la rencontre entre science et philosophie la clé de voûte de son programme : Poincaré, Tannery, Milhaud, Le Roy, Couturat, Lechalas, Delbeuf, Russell y étaient des auteurs très sollicités. Maximilien Winter, mathématicien philosophe, y était chargé du supplément bibliographique. Ces différents milieux correspondaient à une transformation des pratiques, dans un sens collectif, de l’activité philosophique à la fin du siècle. Ils étaient irrigués par des réseaux : le réseau intellectuel de la Revue de métaphysique (Léon, Couturat, Brunschvicg, Halévy, Lalande, Boutroux) ; des réseaux personnels, comme celui, familial et universitaire, composé des Boutroux, des Poincaré et des Tannery ; des réseaux internationaux forgés par les congrès, autour de Boutroux, Couturat, Bergson, William James ou Georg Cantor. Ils trouvèrent comme cadre d’expression un genre éditorial proliférant, les collections de littérature sur la science : la « Bibliothèque de philosophie scientifique » fondée en 1902 par Gustave Le Bon chez Flammarion, destinée à un large public, inaugura sa section « Sciences physiques et naturelles » avec La science et l’hypothèse d’Henri Poincaré puis de multiples titres de réflexion sur le progrès et l’avenir de la science, portés par la vogue des thèses conventionnalistes. La « Bibliothèque scientifique internationale » chez Alcan ou la collection des « Classiques de la science », créée par Ostwald en 1889, et en voie de traduction, assuraient aussi ce succès public. Ainsi la notion de crise ne touchait pas seulement les contenus, mais put affecter les pratiques et se traduire dans la définition des disciplines. Il existait au tournant du siècle des lieux légitimes pour tenir discours sur la science.
Une critique interne
La critique du progrès qui s’exprimait de l’intérieur des milieux scientifiques passait par plusieurs types d’énonciation. Le discours scientifique attestait l’appropriation et l’acclimatation de thématiques décadentistes [26] : elles étaient appliquées au fonctionnement des disciplines et aux pratiques savantes. Ainsi l’idée d’un capital limité de ressources scientifiques qui peut parvenir à épuisement profilait le thème de la fin du progrès. Le canonique « Langlois- Seignobos », manuel d’introduction qui allait éduquer des générations d’historiens, n’en exprimait-il pas la quintessence en 1898 ? « L’histoire dispose d’un stock de documents limités ; les progrès de la science historique sont limités par là même » [27] : quand tous les documents seront connus et auront été traités scientifiquement, l’œuvre de l’érudition sera terminée. Pour les périodes anciennes, caractérisées par la rareté des documents, les deux historiens positivistes prévoyaient déjà que, dans « une ou deux générations au plus », il faudrait s’arrêter : les sources se tarissaient, la discipline s’épuisait.
« L’histoire ne réalisera donc pas le rêve qui, au XIXe siècle, a inspiré aux romantiques tant d’enthousiasme pour les études historiques : elle ne percera pas le mystère des origines des sociétés ; et, faute de documents, le commencement de l’évolution de l’humanité restera toujours obscur. »
Le thème de l’achèvement du progrès par exhaustion du stock de savoir rejoignait celui qu’exprimait la controverse sur la banqueroute de la science : l’impossibilité de répondre aux questions des origines.
Un thème proche, mais inverse, fournit une autre variation décadentiste récurrente dans le discours scientifique : « l’épuisement intellectuel des civilisations » – selon la formule de l’historien Guglielmo Ferrero, élève de Lombroso – causé non plus par la raréfaction, mais par l’excessive prolifération des savoirs [28]. L’argument était double et s’opposait à la conception progressiste d’un processus cumulatif où les ajouts successifs réalisent le progrès. D’une part, le grand nombre était source de médiocrité. La quantité inédite des connaissances produites depuis un siècle épuisait le capital créatif des individus, comme celui des civilisations assimilées à des organismes. La vérité s’était diluée dans « la richesse des idées dont notre esprit est meublé, le grand nombre des théories de tout genre qui ont été créées sur toutes les questions » [29].
A cette expression correspond un trope qui a circulé dans bien des disciplines, celui de « l’économie de pensée » qui faisait du travail scientifique une épargne progressive de dépense intellectuelle. Il avait été d’abord théorisé en physique, par Avenarius, puis Ernst Mach, dans une célèbre conférence de 1882 sur « la nature économique de la recherche physique » : l’expérience devait être complétée par des abstractions et des symboles, qui simplifieraient et économiseraient le travail de la pensée, pour la recherche d’une efficacité de l’action [30]. Ce thème physicien très spécifique fut dévoyé de sa signification première pour connaître une étonnante fortune dans le domaine de la rationalisation du travail intellectuel, où l’on stigmatisait la déperdition des énergies en relation avec la prolifération des savoirs [31].
Le deuxième versant de l’argument opposait d’autre part, à l’excès contemporain, les vertus d’une pensée antique aussi essentielle qu’elle était exceptionnelle. En matière politique, souligne Ferrero, penseur de la décadence romaine, les cent dernières années ont suscité « un véritable musée de théories ingénieuses. Cependant notre siècle n’a pas produit un seul ouvrage qui, par la richesse et la précision d’observations, puisse se comparer au Politicon d’Aristote » [32]. Cette thématique, développée pour qualifier l’ensemble de l’activité intellectuelle, s’est trouvée réacclimatée dans le discours scientifique. Duhem s’en rapprochait par exemple quand il pensait la thermodynamique, grand œuvre des physiciens du XIXe siècle, comme un retour aux grandes lignes esquissées par la Physique d’Aristote.
« L’esprit humain a employé trois siècles et des milliers de savants à se frayer une route vers la science véritable du monde matériel. La direction de cette route a changé bien souvent et, aujourd’hui, nous constatons avec étonnement qu’elle se forme sur elle-même et nous ramène au point de départ. » [33]
Ainsi la pratique intellectuelle était couramment passée au crible d’une analyse de crise. Le thème du fonctionnement critique de la science s’alimenta aux représentations dominantes affectant une discipline parmi toutes les autres, la physique. La représentation d’une crise de la physique tendait à s’élargir aux dimensions d’une crise de la science. Le fonctionnement des disciplines elles-mêmes était rapporté aux nouveaux modèles d’intelligibilité que façonnait la physique. Or celle-ci était montrée, dans la première décennie du siècle, en proie à une totale déstabilisation. Dans La valeur de la science, en 1905, Poincaré comparait la physique à un champ de ruines dévasté par la débâcle générale des principes [34]. De fait, renonciation du second principe de la thermodynamique, la formulation de cette discipline nouvelle sous sa forme statistique, la fondation de la théorie atomique moderne, les débuts de la théorie de la relativité, semblaient avoir ébranlé tous les fondements [35].
« Ces principes sur lesquels nous avons tout bâti vont-ils s’écrouler à leur tour ? Depuis quelque temps, on peut se le demander. En m’entendant parler ainsi, vous pensez sans doute au radium, ce grand révolutionnaire des temps présents ; et en effet, je vais y revenir tout à l’heure, mais il y a autre chose ; ce n’est pas seulement la conservation de l’énergie qui est en cause ; tous les autres principes sont également en danger. » [36]
Et Poincaré d’énoncer des crises successives et multiples, ayant affecté le principe de Carnot sur l’irréversibilité des phénomènes, le mouvement brownien, le principe de Newton de l’égalité de l’action et de la réaction ou encore le principe de Lavoisier sur la conservation des masses.
Les témoignages abondent pour montrer combien cette période de bouleversements, où les vérités les mieux assurées étaient remises en question et où les nouvelles découvertes donnaient le sentiment de ne devoir jamais se coordonner entre elles, a suscité des perceptions inquiètes ou catastrophistes chez ceux qui y prenaient part intellectuellement. Georges Sorel décrivait, dans un article de novembre 1905 consacré aux « préoccupations métaphysiques des physiciens modernes », réédité en 1907 dans les Cahiers de la quinzaine, les anxiétés métaphysiques des géomètres (c’est-à-dire des mathématiciens), chaque fois qu’ils abordaient des problèmes de physique mathématique et se posaient la question des rapports existant entre la science et la réalité.
« Dans toutes les branches du savoir, il serait possible de relever des tendances analogues vers la réflexion métaphysique et certaines anxiétés semblables à celles qui agitent l’esprit des géomètres. » [37]
La sémantique laissait entrevoir une perception existentielle de la crise. Celle-ci trouvait des prolongements, quand on évoquait, sur le même mode, le suicide en 1906 de Ludwig Boltzmann, professeur de physique théorique à Vienne dont les travaux avaient révolutionné les conceptions de la théorie cinétique des gaz et de la thermodynamique [38].
Les représentations de l’état critique déclinaient un argumentaire dont le premier élément était la déploration de l’âge d’or perdu d’une physique unitaire dont l’édifice avait été autrefois assis sur un solide fondement : la mécanique. Abel Rey, dans sa thèse de 1907 sur la Théorie de la physique chez les physiciens contemporains, rappelait que jusqu’au début du XXe siècle, la dynamique ayant été ramenée à la statique [39], « la mécanique rationnelle établissait donc les conditions nécessaires et suffisantes de l’explication physique » [40]. Les bouleversements qui remettaient en cause la mécanique aboutissaient à la formulation d’une autre proposition critique : Poincaré pouvait dès 1902 intituler « La fin de la matière » le chapitre final de La science et V hypothèse et y affirmer que « l’une des découvertes les plus étonnantes de la physique moderne, c’est que la matière n’existe pas » [41]. La formule « la matière disparaît » fut ainsi promise à la plus grande vulgarisation [42]. Elle servit aussi de point central à la cristallisation des doutes et des conflits entre physiciens contemporains, partagés entre « mécanistes » et « non-mécanistes » : ceux-ci, derrière Ernst Mach ou Wilhelm Ostwald, identifiaient la crise avec les formes périmées du concept scientifique de matière et en appelaient à l’édification d’un nouveau système.
Mutabilité et instabilité : la fin des certitudes
La mise en scène de la crise accompagnait une mutation des représentations communes des processus de marche en avant des savoirs. Si la « crise de la science » traduisait une « crise du progrès », c’était notamment par son insertion dans la temporalité. Le thème du remplacement inéluctable de l’être par le devenir, que Renan avait annoncé aux philosophes dans L’avenir de la science [43], était en effet très présent dans les discours que les savants tenaient sur leur objet. L’inscription de la science dans le temps et le changement était devenue, dans le discours commun, sa caractéristique essentielle. Il s’agissait là d’une mutation majeure. Naguère encore, les théorèmes de la mécanique affirmaient les propriétés immuables de la matière. L’affirmation scientiste allait de pair avec l’assurance d’une éternité des lois de la nature, propre à fournir à chacun des certitudes pérennes. Désormais, elle devait se résoudre à la prise en compte du changement et de la mutabilité.
« Nos sciences […] changent de figure avec le temps ; […] les représentations que nous nous en faisons et les conséquences pratiques que nous en déduisons se développent sans cesse. » [44]
Berthelot constatait le chemin parcouru depuis le début du XIXe siècle, où l’on avait cru pouvoir constituer les sciences de la nature dans des formules définitives : « C’était une illusion qui s’est évanouie : toutes nos théories ont été modifiées » [45]. La science est-elle condamnée à ne faire jamais qu’un travail de Pénélope ? interrogeait Poincaré [46]. Certes ces représentations nouvelles pouvaient toujours s’intégrer dans la vision progressiste classique que la pensée scientiste avait déployée tout au long du siècle. La notion de changement était par exemple utilisée comme ressource polémique à rencontre de la représentation antagoniste, celle qu’opposaient les défenseurs de la religion. Berthelot attribuait ainsi aux « obscurantistes » la conception des dogmes immuables, tandis qu’il gratifiait les scientifiques d’une temporalité accordée à la nature humaine. Célestin Bougie n’était pas loin de cette analyse, quand il opposait, à « l’infatuation du prêtre, organe infaillible et invariable de la pensée divine », « la modestie du savant, qui cherche à se rendre utile aux hommes par la recherche pénible des faits et leur interprétation, modifiée sans cesse en vertu d’une évolution progressive » [47].
Mais cette inscription de la science dans le changement semblait avoir surtout engendré des doutes propres à mettre en cause le progressisme qui l’accompagnait classiquement. Ces représentations critiques puisaient des ressources argumentaires dans des réservoirs de métaphores aux sources scientifiques. L’évolution constituait une référence privilégiée. A la fin du siècle, avec son acceptation désormais généralisée [48], le paradigme évolutionniste avait envahi les représentations progressistes. A contrario, toutes les critiques qu’il avait cristallisées furent volontiers transférées sur le progrès. Pour ceux qui restaient irréductiblement hostiles aux théories darwiniennes, comme Léon Daudet, la disqualification de l’évolution emportait avec elle celle du progrès, « l’un portant l’autre, comme l’aveugle et le paralytique » [49]. Cette association n’était pas seulement présente chez ceux dont les consciences avaient été heurtées par la rupture mentale évolutionniste. Elle figurait aussi dans le bilan synthétique et mesuré qu’établit Dominique Parodi de la situation de la philosophie française :
« Si les concepts de la science paraissent présenter un point d’appui moins ferme qu’autrefois, c’est non seulement parce que la critique révèle le caractère approximatif et incomplet de la connaissance de la nature, mais aussi parce que la pensée moderne est dominée par l’idée d’évolution et qu’elle montre par là toute réalité dans un perpétuel devenir. » [50]
Le succès de l’évolution avait en outre accrédité l’idée que l’homme se développe de manière matérialiste, sans but et au hasard dans une échelle évolutionniste. Le biologiste Yves Delage, professeur à la Sorbonne, admettait par exemple qu’il s’était converti aux idées évolutionnistes pour des motifs philosophiques : selon lui, quoi qu’il adviendrait des théories darwiniennes dans le futur, leur principal titre de gloire serait d’avoir expliqué l’adaptation du vivant par l’action de facteurs naturels, sans recourir à une interprétation divine ou à des hypothèses finalistes ou métaphysiques. Les évolutionnistes montraient les espèces diverses et discontinues à travers l’espace et ne cherchaient plus à les relier par des modifications graduelles et continues [51]. En outre, l’idée de multiplicité et de discontinuité était de plus en plus relayée par différentes disciplines, jusqu’aux sciences sociales où Durkheim rejetait dans ses premiers livres l’idée d’une succession nécessaire des divers types sociaux.
Les mutations de la structure de la matière et le mouvement brownien faisaient surgir le désordre et le multiple derrière l’apparence d’un ordre simple. L’imprévisibilité se substituait au déterminisme, l’instabilité à l’anticipation. Là encore, les représentations issues du champ scientifique contaminaient d’autres domaines. Les remises en cause physiciennes, qui redéfinissaient les caractéristiques du mouvement, semblaient ébranler les conceptions progressistes d’un monde en marche dont le mouvement aurait constitué la loi-d’airain. La crise, Poincaré l’affirmait, n’était pas une crise interne à la physique, mais une interprétation philosophique du fait que le mécanisme n’était plus et ne pouvait plus être la philosophie adaptée aux nouveaux développements de la physique [52]. Les mutations de celle-ci poussaient les physiciens à reconnaître que le langage des sciences physiques était incapable de fournir une explication au monde hors de son passage par l’expérience. Même à l’ère nouvelle succédant à la mécanique, soulignait Georges Sorel :
« Dans la science achevée a disparu tout ce qui a servi à la faire ; l’esprit des mathématiciens est plus satisfait, mais les lois fondamentales semblent dépendre d’heureux hasards ; la thermodynamique est arrivée au même but que la mécanique rationnelle ; le lien qui la rattachait à la réalité devient obscur. » [53]
Le philosophe Emile Boutroux avait ouvert la première brèche en critiquant l’idée de loi naturelle, qu’il déclarait contingente, et en rapportant les théories scientifiques à des constructions artificielles [54]. La pratique scientifique ne paraissait plus pouvoir prétendre atteindre la réalité, son contenu ne devait plus qu’être descriptif ou symbolique. Dans ces constructions, la « science » devenait l’assemblage de catégories diverses de réalités, en processus perpétuel d’élaboration, soumise aux approximations successives d’un langage susceptible de rendre compte de la nature. Le langage n’avait plus pour objet ce que la nature est, mais ce que l’homme pense qu’elle est, en fonction de ses besoins de pratique et d’action [55]. Il exprimait donc la science la plus « commode », la plus « avantageuse » selon les termes de Poincaré [56]. Ils furent nombreux, tels Poincaré, Bouasse, Duhem, Milhaud, à afficher leur conviction, plus ou moins nuancée, du caractère approximatif, hypothétique, conventionnel des théories. Pour Edouard Le Roy, le fait scientifique était construit par le savant, qui le définissait рar convention [57]. Poincaré soutenait cependant qu’il ne fallait pas confondre liberté et arbitraire, et dénonçait le nominalisme de Le Roy qui en arrivait selon lui jusqu’à se demander :
« Si le savant n’est pas dupe de ses définitions et si le monde qu’il croit découvrir n’est pas tout simplement créé par son caprice. » [58]
Ces élaborations conceptuelles qui touchaient, par la littérature à succès émanant des confins des sciences et de la philosophie, les « gens du monde et lycéens » qu’évoquait Poincaré, diffusaient donc les représentations d’une science productrice d’incertitude. Comme en rendait compte un rapport sur le congrès de philosophie tenu en 1900, c’était la foi des Galilée et des Descartes dans le déterminisme qui avait fondé la physique moderne. Désormais, à défaut de la conviction intime que tout phénomène a sa cause scientifiquement assignable :
« Le savant s’arrêterait sans cesse dans sa recherche […] il se découragerait au milieu d’efforts dont il prévoierait l’inévitable impuissance, la réalité du but poursuivi étant pour lui essentiellement problématique. » [59]
La possibilité de penser le progrès passait au crible de ces doutes.
Progrès ou décadence ? Les réponses de l’histoire des sciences
La notion de crise, qui touchait à tous les débats brûlants des épistémologues – continuité ou discontinuité, déterminisme ou hasard, causalités ou lois scientifiques – intégrait donc la temporalité dans la réflexion sur les sciences. La perception du changement radical et de la fin de la prévisibilité affectait à la fois les lois de la nature et le déroulement historique : « L’histoire et la science nous obligent à de perpétuels recommencements » [60]. Avec la faillite de la physique mécaniste, la question de la loi scientifique, comme relation nécessaire entre l’état présent du monde et son état immédiatement postérieur, c’est-à-dire de la possibilité du progrès, était posée de manière nouvelle par les scientifiques. Ceux-ci accomplissaient couramment le saut conceptuel qui leur permettait d’universaliser, hors du champ scientifique, le fonctionnement du monde physique. Pour le mathématicien Jules Tannery, par exemple, les dernières découvertes rapportaient au pur mouvement tous les phénomènes physiques et chimiques, et « même ceux de la vie et de la pensée ».
« La pénible route, où les générations meurent et se succèdent, n’aboutit point, elle se perd dans l’infini; aucun soleil ne se lèvera pour dissiper l’obscurité qui est au fond des choses et n’éclairera le divin et idéal sommet d’où l’on voudrait tout voir dans une pleine lumière. Il n’y a pas d’explication. Il n’y a que des faits qui, sans doute, semblent connexes, mais qui peut-être ne sont pas contenus les uns dans les autres ; ils se suivent, mais rien ne prouve qu’ils s’engendrent. » [61]
Si la science ne disposait plus de son pouvoir prédictif, l’histoire n’était pas épargnée par la perception de crise. Poincaré, qui s’était affirmé le défenseur des théories de la continuité au début du siècle, formulait des doutes avant sa mort en 1912, en tirant par exemple les conséquences de la théorie des quanta de Planck :
« Le monde ne varierait plus d’une manière continue et comme par degrés insensibles ; il varierait par bonds. […] On ne pourrait plus dire alors : Natura non facit saltus, elle ne ferait que cela au contraire. Ce ne serait plus seulement la matière qui serait réduite en atomes, ce serait l’histoire même du monde ; que dis-je, ce serait le temps lui-même, car deux instants, compris dans un même intervalle entre deux sauts, ne seraient plus discernables, puisqu’ils correspondraient au même état du monde. » [62]
« Le progrès est si rapide aujourd’hui, les points de vue changent si brusquement » constatait Paul Tannery [63], qu’il n’existe plus d’assises solides hors l’histoire. Il y eut bien coïncidence chronologique entre les réactions à la sensation de crise et les efforts de Paul Tannery de 1900 à 1904, puis de George Sarton au début des années 1910, pour organiser intellectuellement une nouvelle discipline, l’histoire des sciences, nouveau lieu de réflexion sur le progrès. Ils affirmaient tous deux vouloir moins promouvoir un domaine d’activité qu’un point de vue [64] sur le progrès de l’humanité. Leurs efforts furent tout autant institutionnels.
C’est, là encore, une démarche de rapprochement de la science et des humanités qui animait Paul Tannery, né en 1843, frère aîné de Jules Tannery. Polytechnicien, ingénieur des manufactures de tabac, Paul Tannery était un spécialiste érudit de la science grecque, co-éditeur avec Charles Adam des œuvres complètes de Descartes et auteur d’une considérable production en histoire et en philosophie des sciences. Avant que son effort ne soit brisé par sa mort en 1904, Tannery fut le principal organisateur de la discipline, dans deux directions : il fit campagne pour l’enseignement de l’histoire des sciences dans l’enseignement secondaire et universitaire [65] ; il fut aussi l’actif organisateur des congrès d’histoire des sciences, d’abord sous la forme de sections de congrès établis d’histoire et de philosophie, malgré les résistances qu’y opposèrent les représentants des disciplines constituées [66]. Ces efforts rencontrèrent une conjonction d’intérêts manifestés pour l’histoire des sciences. Henri Berr y fit une place essentielle dans la Revue de synthèse historique, qui vit le jour en 1900, tandis qu’une nouvelle revue internationale au destin prestigieux, Isis, apparut en 1913 à l’initiative du jeune chimiste belge George Sarton, avec l’appui des principaux scientifiques philosophes des années 1905-1912, Poincaré, Ramsay, Ostwald ou Milhaud.
L’histoire des sciences, telle qu’elle fut conçue au début du siècle, proposait une appréhension critique de la notion de progrès, à partir de deux références. La discipline se situait en rapport critique avec le concept comtiste de succession des étapes positivistes. Dans le sixième volume du Cours de philosophie positive, Comte, prônant l’étude des sociétés au point de vue dynamique, faisait une histoire du développement intellectuel de l’humanité dans laquelle l’étude de l’évolution scientifique tenait une large part et dont le déploiement devait permettre l’explication du temps présent. Selon l’ordre historique, génétique ou dogmatique, il s’agissait de présenter les connaissances ordonnées de la science faite, selon l’expression d’Annie Petit. Dans l’état positif, l’esprit humain renonçait à chercher l’origine et la destination de l’univers, et à connaître les causes intimes des phénomènes, « pour s’attacher uniquement à découvrir, par l’usage bien combiné du raisonnement et de l’observation, leurs lois effectives, c’est-à-dire leurs relations invariables de succession et de similitude » [67].
Spencer constituait la deuxième référence de l’histoire des sciences. Dans son chapitre sur « la loi de la découverte des lois », consacré au progrès des sciences par leur entraide mutuelle, le philosophe anglais avait montré comment se succédaient les découvertes scientifiques, commandant à un édifice fondé sur l’enchaînement de l’ensemble des sciences. Si Tannery souscrivit à la tradition progressiste comtienne, c’était au prix de la recréation de l’idée de progrès, à la lumière de la critique qu’il faisait subir à la loi des trois états, qu’il déchiffrait dans le développement intellectuel de l’enfant aussi bien que dans l’évolution des connaissances. Tannery rejetait le terme même de loi : il ne saurait s’agir selon lui de scientificité.
« L’histoire nous apprend bien que ces conceptions [qui servent de base à la religion et à la philosophie] ne sont nullement immuables et qu’elles se transforment d’elles-mêmes par une évolution interne. Mais elle ne nous apprend point ce qu’elles deviendront en fait dans l’avenir, et peut- être que bien longtemps avant qu’elles se rapprochent (si jamais elle doivent le faire) des formes que leur a assignées Auguste Comte dans l’avenir, peut-être l’état positif lui- même (c’est-à-dire la conception de la science par les savants) aura-t-il subi une transformation aussi profonde et aussi radicale. » [68]
Tannery reprochait à Comte d’être resté en dehors des nouvelles idées scientifiques de son temps ou de ne les avoir nullement appréciées à leur valeur, notamment en ayant été réfractaire à l’idée d’évolution [69]. Il reformulait ici un des chevaux de bataille de la philosophie française de ce début de siècle : son articulation à la temporalité de la conjoncture scientifique. Il n’était pas de progrès philosophique qui ne saurait s’inscrire dans la connaissance scientifique de son temps. L’échec de la candidature de Tannery au Collège de France, au profit de la candidature du positiviste orthodoxe Wyrouboff, se joua partiellement sur ce terrain, en traduisant la résistance scientiste à l’objection de la mutabilité que prônait la nouvelle histoire des sciences [70]. Tannery renonçait aussi à trouver dans la science ce développement continu que les évolutionnistes y cherchaient [71].
Dans cette même perspective, le physicien Berthelot prônait l’histoire des sciences comme remède à la « conception absurde que la science d’aujourd’hui était une sorte de dogme fermé, fini, achevé, sans lacune et sans incertitudes fondamentales » [72]. A force d’éliminer les parties les moins construites de l’édifice, on avait fini par en oublier l’existence : il y aurait un profit philosophique à ne pas s’en tenir à la science officielle et à en revoir perpétuellement les origines.
George Sarton assignait quant à lui à l’histoire des sciences le mot d’ordre de comprendre le progrès de la « pensée humaine normale ». Les innovations de sa méthode consistaient à donner toute son importance à l’étude des « œuvres médiocres » à côté des œuvres géniales. Une « œuvre médiocre » était l’aboutissement naturel, normal et en quelque sorte prévu, d’une lente évolution. L’œuvre géniale, au contraire, était toujours inattendue : elle se rapportait à la découverte que l’on ne peut expliquer et qui paraît miraculeuse. Sarton récusait ainsi une histoire strictement chronologique et proposait de postdater les œuvres de génie : on ne pouvait prendre en compte une idée désincarnée que lorsqu’elle s’accompagnait d’une pratique scientifique et d’une épaisseur sociale. Il datait ainsi le mendélisme, non de la découverte de 1865, mais de 1900, moment de la réception effective des thèses de Mendel [73]. Sarton prônait un constant retour des savants aux sources historiques, contre le cliché que la science s’épure d’elle-même à mesure qu’elle progresse : le progrès scientifique ne procédait pas par élagage successif des échafaudages devenus inutiles ni des idées reconnues fausses et stériles. Il notait par exemple la réapparition périodique des idées hippocratiques ou le retour, chez Emile Belot, de la cosmogonie de Descartes que la critique de Newton semblait avoir à jamais anéantie. Le progrès même de la science faisait redevenir utiles et fécondes des théories et des méthodes tombées en désuétude.
Pour l’historien de la science, en charge de « la synthèse de tous les efforts dispersés », le génie humain ne s’allume ni ne s’éteint brusquement :
« Car il voit le flambeau de la lumière se transmettre d’une science à l’autre, ou d’un peuple à l’autre. Il aperçoit mieux que personne la continuité de la science dans l’espace et dans le temps, et est ainsi mieux à même d’estimer les progrès de l’humanité. » [74]
L’histoire des sciences selon Sarton devenait ainsi tout autre chose que la somme des histoires de chaque science. L’organisation de cette nouvelle discipline, qui s’institutionalisait et s’insérait dans des milieux intellectuels en plein essor, participait ainsi au renouvellement critique des conceptions du progrès scientifique.
Dominique Parodi constatait en 1908 que les notions d’explication, d’intelligibilité, de vérité, venaient de subir une crise profonde :
« C’est de la science posititive, autant que la métaphysique, que l’on médit et que l’on se défie volontiers aujourd’hui ; les synthèses purement philosophiques et les théories fondées sur la science sont soumises également à la plus sévère critique ; la notion de vérité, absolue et universelle, semble parfois ébranlée. » [75]
Cette analyse « crisologique » du climat cognitif du tournant du siècle faisait écho à des représentations qui trouvaient audience dans des publics élargis. Le thème de la faillite de la science faisait recette, suscitant des controverses, essaimant dans la presse, alimentant des clichés qui se retrouvaient jusque dans la littérature. L’association optimiste entre progrès scientifique et progrès moral et social en était-elle pour autant fondamentalement remise en cause ? Le discours de crise n’était-il pas aussi un biais qui rendait possible un nouveau mode d’appropriation du discours scientifique ? Comme l’а enseigné la sociologie des sciences, de multiples opérations de traduction dans le façonnement du contexte d’une science profondément immergée dans la culture, et d’opérations de distinction dans la construction d’une science autonome, entrent ici en jeu [76]. La circulation des métaphores, la réappropriation du vocabulaire en sont un des aspects. Tandis que la réflexion sur le progrès était envahie de tropes ayant cours dans le champ scientifique, les savants faisaient part, dans des discours répertoriés comme philosophiques, de leurs « doutes » et de leurs « inquiétudes ». Tel était peut-être le propre de la perception de crise, que de chevaucher les registres les plus hétérogènes, du cognitif à l’existentiel.
La mesure d’un tournant intellectuel est malaisée. Quels furent les effets de retour sur la réalité de ces représentations, qui touchaient l’appréciation du présent, de l’avenir et du passé ? Le progrès avait été le présupposé absolu de la culture savante. La « faillite de la science » pouvait s’avérer une prédiction auto-réalisatrice. La crise révélait que subsistaient des parcelles d’inconnaissable, qui resteraient inaccessibles à un savoir cumulatif. Elle mettait aussi en valeur l’instabilité et le hasard, au lieu de l’unité et de la nécessité progressiste. Le passé constitua une référence de choix pour évaluer le moment critique. On cherchait les origines par d’autres voies. L’histoire, et particulièrement celle des sciences, fut ainsi remise au premier plan. Elle n’était plus développement de l’ordre à la manière comtienne, ni succession d’étapes, de phases ou de civilisations, dans la tradition du XIXe siècle, mais réflexion sur la continuité et l’insertion des savoirs dans l’épaisseur sociale. Malgré la crise, le progrès demeurait pensable.
Anne Rasmussen,
historienne, directrice d’études à l’EHESS.
Thématiques de recherche : Histoire sociale et culturelle des pratiques savantes, XIXe-XXe siècles.
Article publié dans la revue Mil neuf cent n°14,
“Progrès et décadence”, 1996.
[1] Charles Renouvier, « Schopenhauer et la métaphysique du pessimisme », L’Année philosophique, III, 1892, rééd. in Philosophie, France, XIXe siècle, Paris, Librairie générale française, 1994, p. 784-785.
[2] Wolf Lepenies, La fin de l’utopie et le retour de la mélancolie. Regards sur les intellectuels d’un vieux continent, Paris, Collège de France, chaire européenne, 21 février 1992.
[3] Alain Boureau, « Propositions pour une histoire restreinte des mentalités », Annales E.S.C., 6, 1989, p. 1497.
[4] Paul Claudel, « Ma conversion » (1913), in Contacts et circonstances, Œuvres en prose, Paris, Gallimard, 1989, p. 1009.
[5] Léon Daudet, « Le stupide XIXe siècle 1789-1919 » (1922), in Souvenirs et polémiques, Paris, R. Laffont, 1992, p. 121.
[6] Célestin Bougie, Les maîtres de la philosophie universitaire en France, Paris, Maloine, 1938, p. 27-28.
[7] Préface à L’avenir de la science. Pensées de 1848, Paris, Calmann-Lévy, 15e éd. s.d., p. VIII-IX ; sur l’évolution de Renan, cf. Georges Friedmann, La crise du progrès. Esquisse d’histoire des idées 1895-1935, Paris, Gallimard, 1936, p. 43-44.
[8] Correspondance E. Renan-M. Berthelot 1847-1892, Paris, Calmann-Lévy, 1898.
[9] Philosophie analytique de l’histoire, Paris, E. Leroux, 1896- 1897, t. III, p. 662 sq. et t. IV, p. 726 sq. ; Derniers entretiens, Paris, A. Colin, 1904, p. 57.
[10] Cf. Julien Freund, La décadence, Paris, Sirey, 1984, p. 319.
[11] Ferdinand Brunetière, « Après une visite au Vatican », Revue des deux mondes, 1er janvier 1895, p. 97-118. Pour une analyse politique de cette controverse, cf. Harry W. Paul, « The debate over the bankruptcy of science in 1895 », French Historical Studies, V, 1968, p. 299-327.
[12] Brunetière, art. cit., p. 103 et 105.
[13] Ibidem, p. 98.
[14] Friedmann, op. cit.
[15] Théorie de l’agir communicationnel, Paris, Fayard, 1987, t. 1, p. 161-171 ; cf. Yves Jeanneret, Ecrire la science, Paris PUF, 1994, p. 48-51.
[16] Albert O. Hirschman, Deux siècles de rhétorique réactionnaire, Paris, Fayard, 1991, p. 79.
[17] Cf. Eugène Goblet d’Alviella, A propos d’une récente controverse sur la banqueroute de la science, Bruxelles, Weissen- bruch, 1895, p. 5.
[18] Brunetière, art. cit., p. 104.
[19] Ibidem, p. 99.
[20] Ibidem, p. 194.
[21] « De l’utilité et des inconvénients de l’histoire pour la vie », Œuvres complètes, II, 1, Paris, Gallimard, 1990, p. 151, cité par Jean El Gammal, « Miroirs du XIXe siècle. Représentation et retrospection », (Re)Penser le XIXe siècle, Revue d’histoire du XIXe siècle, 13, 1996, p. 18.
[22] Henri Piéron, « La valeur de la science, de Poincaré », Revue scientifique, 15, 7 octobre 1905, p. 464.
[23] Dominique Parodi, La philosophie contemporaine en France (1908), Paris, Alcan, 1925, p. 460.
[24] Célestin Bougie, op. cit., p. 27. Cf. Jean-Louis Fabiáni, Les philosophes de la République, Paris, Minuit, 1988.
[25] Cf. « La fondation de la Revue », n° spécial du centenaire, Revue de métaphysique et de morale, 1-2, 1993.
[26] Pour une typologie de ces énoncés, cf. dans ce numéro l’article de Pierre-André Taguieff.
[27] Charles-Victor Langlois et Charles Seignobos, Introduction aux études historiques (1898), Paris, Kimé, 1992, préface de M. Rebérioux, p. 253.
[28] Guglielmo Ferrero, « L’épuisement intellectuel des civilisations », Nouvelle Revue, 104, 1897, p. 712-730.
[29] Ferrero, art. cit., p. 717.
[30] Ernst Mach, « Die okonomische Natur des physikalischen Forschung », in Id., Popularwissenschaftliche Vorlesungen, Leipzig, Barth, 1896 ; cf. Léo Freuler, « Les tendances majeures de la philosophie autour de 1900 », in Marco Panza et Jean-Claude Pont (dir.), Les savants et l’épistémologie vers la fin du XIXe siècle, Paris, A. Blanchard, 1995, p. 7-8.
[31] Cf. Anne Rasmussen, L’Internationale scientifique 1890-1914, Thèse de doctorat, Paris, EHESS, 1995, chap. IV et V.
[32] Ferrero, art. cit., p. 715.
[33] Pierre Duhem, « L’évolution des théories physiques », Revue des questions scientifiques, 41, 1896, p. 463-499.
[34] Henri Poincaré, La valeur de la science (1905), Paris, Flammarion, 1970, p. 141.
[35] Cf. Dominique Lecourt, Une crise et son enjeu. Essai sur la position de Lénine en philosophie, Paris, Maspero, 1973, p. 8 sq.
[36] Poincaré, op. cit., p. 129.
[37] Georges Sorel, « Les préoccupations métaphysiques des physiciens modernes », Cahiers de la quinzaine, 8e série, 16e cahier, 1907 (1re éd. dans la Revue de métaphysique et de morale, novembre 1905).
[38] Cf. Françoise Balibar, Einstein 1905. De l’éther aux quanta, Paris, PUF, 1992, p. 93.
[39] Ce dont Auguste Comte déduisait l’irrévocabilité de l’unité de la physique. Cf. Lecourt, op. cit., p. 84 sq.
[40] Abel Rey, La théorie de la physique chez les physiciens contemporains, Paris, Alcan, 1907, p. 28-29.
[41] Henri Poincaré, La Science et l’hypothèse (1902), Paris, Flammarion, 1968.
[42] La formule de Louis Houllevigue dans L’évolution des sciences (1908) fut reprise ensuite par Lénine. Cf. Lecourt, op. cit., p. 91.
[43] Œuvres complètes, Paris, Calmann-Lévy, vol. III, 1947- 1961, p. 874.
[44] Marcellin Berthelot, « Le rôle de la science dans les progrès des sociétés modernes », Revue scientifique, 21, 22 mai 1897, p. 642.
[45] Marcellin Berthelot, Science et libre-pensée, Paris, Calmann-Lévy, 1905, p. 226.
[46] Poincaré, La valeur de la science, op. cit., p. 146-147.
[47] Bougie, op. cit., p. 25.
[48] Yvette Conry, L’introduction du darwinisme en France au XIXe siècle, Paris, Vrin, 1974 ; Yvette Conry (dir.), De Darwin au darwinisme : science et idéologie, Paris, Vrin, 1983.
[49] Léon Daudet, Le stupide XIXe siècle, op. cit., p. 1301.
[50] Parodi, op. cit., p. 19.
[51] Ibidem, p. 467.
[52] A.F. Schmid, Une philosophie de savant. Henri Poincaré et la logique mathématique, Paris, Maspero, 1978, p. 70.
[53] Sorel, art. cit., p. 39.
[54] Emile Boutroux, De la contingence des lois de la nature, Paris, Alcan, 1874 ; Id., De l’idée de loi naturelle, Paris, Alcan, 1894.
[55] Cf. Freuler, art. cit., p. 9.
[56] Poincaré, La Science et l’hypothèse, op. cit., p. 24.
[57] Edouard Le Roy, « La science positive et les philosophies de la liberté », in Bibliothèque du congrès international de philosophie de 1900. Tome 1 : Philosophie générale et métaphysique, Paris, A. Colin, 1900.
[58] Poincaré, La Science et l’hypothèse, op. cit., p. 3 ; Sorel, art. cit., p. 31 ; Cf. Ernest Coumet, « Ecrits épistémologiques de Georges Sorel (1905) : H. Poincaré, P. Duhem, E. Le Roy », Cahiers Georges Sorel, 6, 1988, p. 5-51.
[59] Georges Lechalas, « Les confins de la science et de la philosophie », Revue des questions scientifiques, XIX, janvier 1901, p. 505.
[60] George Sarton, «La bibliographie dans l’histoire de la science », Revue générale des sciences, 4, 29 février 1912, p. 132.
[61] Jules Tannery, Science et philosophie, Paris, Alcan, rééd., 1924, p. 5.
[62] Henri Poincaré, « Les conceptions nouvelles de la matière », in Henri Bergson et al., Le matérialisme actuel (1913), Paris, Flammarion, 1926, p. 67.
[63] Paul Tannery, « De l’histoire générale des sciences », Revue de synthèse, VIII, 1904, p. 6.
[64] George Sarton, « Le but d’Isis », Isis, I, 1913, p. 3.
[65] Ernest Coumet, «Paul Tannery : l’organisation de l’enseignement de l’histoire des sciences », Revue de synthèse, 101-102, janvier- juin 1981, p. 88-123; Annie Petit, « L’héritage du positivisme dans la création de la chaire d’histoire générale des sciences au Collège de France », Revue d’histoire des sciences, XLVIII, 4, 1998, p. 521-556.
[66] Section du congrès d’histoire comparée en 1900, du congrès des sciences historiques de 1903, puis du congrès de philosophie en 1904.
[67] Philosophie première. Cours de philosophie positive, Paris, Hermann, 1975, 2 juillet 1830.
[68] Paul Tannery, « Auguste Comte et l’histoire des sciences », in Mémoires scientifiques publiés par J.L. Heiberg et H.G. Zeuthen, t. X, Toulouse, Privât, Paris, Gauthier-Villars, 1930, p. 210.
[69] Paul Tannery cité par Jules Tannery, Liste des travaux de Paul Tannery précédée de notices nécrologiques, Bordeaux, G. Gounouilhou, 1908, p. 6.
[70] Lettre de Paul Tannery à Gustaf Enestrom, 23 mars 1904, in Paul Tannery, Mémoires scientifiques publiés par J.L. Heïberg et H.G. Zeuthen, t. XIV, Correspondance, Toulouse, Privât, Paris, Gauthier- Villars, 1937, p. 415.
[71] Cf. A. Rivaud, « Paul Tannery, historien de la science antique », Revue de métaphysique et de morale, mars 1913.
[72] Intervention de Daniel Berthelot, « Congrès d’histoire des sciences. L’histoire aux congrès de 1900 », Revue de synthèse historique, 1, 1900, p. 206.
[73] George Sarton , « La chronologie de l’histoire de la science », Revue générale des sciences, 9, 15 mai 1912, p. 342.
[74] Sarton, « Le but d’Isis », art. cit., p. 3.
[75] Parodi, op. cit., p. 18.
[76] Cf. Steven Shapin, « Discipline and Bounding : The History and Sociology of Science as Seen Through the Externalism Debate », History of Science, 30, 1992, p. 334-369 ; Michel Callon (dir.), La science et ses réseaux. Genèse et circulation des faits scientifiques, Paris, La Découverte, 1989.