Après l’interview de Yannick Ogor qui présentait son ouvrage Le Paysan impossible, voici – dans la série Racine de Moins Un, émission de critique des sciences, des technologies et de la société industrielle – une interview en deux parties de Xavier Noulhianne qui présente son livre Le Ménage des champs. Tous deux publiés par les éditions du Bout de la Ville.
Ci-dessous la présentation de l’ouvrage par l’éditeur:
Il est devenu banal de voir des ouvrages fustigeant « les dérives du productivisme » pour vendre les bienfaits d’une agriculture fonctionnant selon les principes de la science écologique. Ces livres, tous écrits par des spécialistes aux mains blanches, partagent la même condescendance, quand ce n’est pas du mépris, pour les agriculteurs. Ces derniers y sont décrits comme de stupides producteurs incapables de saisir la réalité des nuisances dont ils seraient la cause ; seule une petite minorité d’entre eux agirait pour le futur, héros purs, hors du temps et hors du monde. Dans ce livre, Xavier Noulhianne change le regard que nous portons habituellement sur le monde agricole.
Au début du XVIIe siècle, Olivier de Serres écrivit ce qui est considéré aujourd’hui comme le premier traité général d’agronomie moderne : Le Théâtre d’agriculture et mesnage des champs. L’expression « ménage des champs » qualifiait ce qui n’était encore que l’économie domestique, l’ordre et la dépense de la maison des champs. Xavier Noulhianne a choisi d’emprunter cette expression désuète mais générale pour tenter une analyse de la totalité agricole actuelle. Il reconstitue une image cohérente d’un monde dont la représentation a été consciencieusement morcelée par le travail bureaucratique depuis soixante ans. Cela ne l’empêche pas – paradoxe incompréhensible pour la pensée scientifique actuelle – de développer un point de vue singulier puisant dans les épisodes de sa vie, la théorie critique et l’Histoire.
Il nous raconte sa vie d’éleveur de chèvres et de brebis à la manière d’un dissident russe pris dans les mailles du système bureaucratique. Il en décortique chaque aspect : de la formation à l’installation agricole, de la certification des produits à l’identification et à la sélection des animaux. Il remonte le fil de l’histoire pour comprendre la mise au pas des paysans et la mise en ordre des champs : « C’est l’État qui nourrit, ce ne sont plus les paysans ». Il décrit la réalité qui attend la vague des « nouveaux paysans » qui fuient les mégalopoles à la recherche d’un air plus respirable ailleurs. Si l’air peut y être plus frais, ils retrouvent à la campagne un monde aussi étouffant que celui qu’ils voulaient quitter. La « cage de fer », cette condition faite aux humains dans le capitalisme moderne – comme la nommait Max Weber au début du siècle dernier – ne s’arrête pas au bout de la ville: elle s’est faite, aussi, cage de vert. Xavier Noulhianne nous aide à la briser de l’intérieur.
Avec ce livre, il nous montre qu’il est possible de faire une critique de la société à partir de l’analyse de son organisation agricole. Ce qu’il nous apprend ici de l’agriculture vaut en réalité pour tous les pans de l’économie réglementés et structurés par la bureaucratie. C’est-à-dire pour toute l’économie sans exception. Ainsi, son texte mérite d’être lu, non seulement comme la chronique d’une installation agricole, mais aussi comme le portrait d’une société à un moment spécifique de son histoire. Xavier Noulhianne tend un miroir, non pas aux seuls agriculteurs, mais à tous.
Les éditions du bout de la ville, 2016.
Bonne écoute,
Tranbert.
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Xavier Noulhianne, Le Ménage des champs, chronique d’un éleveur au XXIe siècle, 2016 (260 pages, 12 euros).
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Première partie :
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Deuxième partie :
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