La reproduction des élites
Jusqu’au début des années 1950, il y a eu en France, comme sous d’autres noms dans la majorité des pays industrialisés, deux réseaux d’enseignement bien distincts :
— Le réseau primaire, réservé aux enfants des classes populaires, qui conduisait au certificat d’études primaires complété, éventuellement, par une ou deux années de cours en école primaire supérieure (enseignement général) ou en centre d’apprentissage (enseignement professionnel). On en sortait à l’âge de 13 ou 14 ans. Ceux qui avaient été le plus loin pouvaient espérer obtenir des emplois d’ouvriers qualifiés ou d’employés. Mais, globalement, ce réseau ne formait qu’à des emplois d’exécution.
— Le réseau secondaire supérieur réservé aux enfants de la bourgeoisie, qui conduisait au baccalauréat et aux études supérieures. On le quittait entre 20 et 25 ans. L’enseignement secondaire ne s’inscrivait pas alors dans la continuité du primaire. Il y avait un examen d’entrée en classe de sixième. Les lycées, situés en centre-ville, possédaient leur propre premier cycle appelé « petit lycée » et, pour certains, leurs propres classes élémentaires. Fréquenter ces classes constituait la meilleure garantie d’accéder au secondaire. Le passage par ce réseau débouchait, selon le cursus suivi, sur des professions libérales, des carrières intéressantes dans l’administration, des emplois d’encadrement et de direction dans l’industrie.
Le baccalauréat et la maîtrise du latin établissaient alors une frontière étanche entre l’homme du peuple et le bourgeois. L’enseignement des langues anciennes empêchait qu’un bon élève ayant acquis après les classes élémentaires un complément de formation technique ou générale puisse devenir aussi instruit et cultivé qu’un élève moyen ayant terminé le cycle secondaire : il instituait une véritable barrière de caste et c’était sa principale fonction. Quant à l’université, telle que la définissait le décret napoléonien de 1808, elle avait pour unique mission, jusqu’au milieu du XXe siècle, la reproduction des élites. On ne « parvenait », on ne devenait véritablement un bourgeois que si l’on réussissait à faire donner à ses enfants l’instruction secondaire qui ferait d’eux des bacheliers puis des étudiants.Lire la suite »