Chris Mowry, Le vaccin contre le changement climatique ?, 2021

Dans un article à la gloire de la fusion nucléaire publié dans le magazine scientifique Pour la Science n°534 d’avril 2022 [1], on peut en conclusion lire ceci :

Non seulement l’industrie privée de la fusion s’appuie sur des années d’investissements publics dans des projets tels qu’ITER [réacteur expérimental en construction en Provence ; coût 44 milliards d’euros], mais elle bénéficie également de l’intérêt des gouvernements – c’est pourquoi le gouvernement britannique et le ministère américain de l’Énergie investissent également dans des entreprises comme Tokamak Energy, Commonwealth Fusion Systems et General Fusion. Chris Mowry [directeur général de General Fusion] pense que ces partenariats entre public et privé sont la voie à suivre – comme ils l’ont été pour les vaccins contre le Covid-19. Et, comme les vaccins, la fusion sera nécessaire dans le monde entier, d’autant plus que la consommation d’énergie va augmenter dans les pays à faible revenu. La mise au point des vaccins contre le Covid-19 a montré «ce que l’on peut réaliser si l’on dispose des ressources nécessaires, déclare Melanie Windridge [physicienne et communicatrice scientifique des plasmas britannique]. Si nous avions ce genre de mobilisation dans le domaine de l’énergie, ce qu’on pourrait réaliser serait incroyable ». Le monde a désespérément besoin de davantage de sources d’énergie propres et décarbonées. « C’est un défi existentiel, déclare Chris Mowry. La fusion est le vaccin contre le changement climatique. »

Traduit en bon français, cela veut dire que selon ses promoteurs la fusion nucléaire nous protègera (peut-être) des formes graves du changement climatique, mais n’empêchera pas la circulation du virus du capitalisme industriel dont la voracité énergétique est, entre autres dégradations, à l’origine du changement climatique. Lire la suite »

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Michel Tibon-Cornillot, La numérisation générale et son avatar biométrique, 2006

Jeudi 17 novembre, une vingtaine de personnes ont mené une action contre la biométrie au prestigieux lycée de la Vallée de Chevreuse, situé dans la technopole de Saclay, en région parisienne. A l’heure du déjeuner, les appareils biométriques situés dans la cantine scolaire ont été totalement détruits à coup de masse. C’est le développement et la diffusion de ces technologies qui sont contestés en actes pour la première fois en France. Deux étudiantes parisiennes de 22 et 24 ans et un jeune homme sans profession de 26 ans ont été interpellés et ont été jugés le 20 janvier 2006 au T.G.I d’Evry pour dégradation de biens en réunion. Voici le texte de l’intervention de Michel Tibon-cornillot :

 

Je désire présenter devant vous les motifs qui m’ont amené à témoigner en faveur des trois étudiantes et étudiants poursuivis. Cette démarche s’inscrit aussi dans le contexte actuel marqué par le développement rapide des machines et techniques biométriques, la faiblesse des débats publics liée à un vide juridique important et surtout par l’afflux massif d’investissements financiers et industriels.Lire la suite »

Boris Souvarine, Staline: pourquoi et comment, 1978

Certains intellectuels revendiquent un « léninisme écologique » – Frédéric Lordon et Andréas Malm, par exemple – « sans rien oublier des abominations qui sont venues avec » la dictature des Bolchéviques, mais sans nous dire comment ils comptent s’y prendre pour éviter de les reproduire. Il ne nous semble donc pas inutile de rappeler comment Staline a établit son pouvoir.

 

Il y a déjà bon nombre d’ouvrages sur Staline et son régime, plusieurs n’étant pas sans de réels mérites, mais aucun ne répond explicitement à la question que se pose tout lecteur attentif : pourquoi et comment Staline a-t-il pu s’imposer comme seul maître de l’Empire pseudo-soviétique, envers et contre les autres dirigeants du Parti unique et de l’État prétendu prolétarien, lesquels dirigeants le surclassaient à tous égards, de l’avis unanime ? Car à la mort de Lénine en 1924, presque personne ne connaissait même le nom de Staline, sauf dans les hautes sphères du Parti entre révolutionnaires professionnels. Dans le document connu sous le nom de « testament », Lénine désigne cinq de ses plus proches compagnons comme appelés à lui succéder : Trotski, Zinoviev, Kamenev, Boukharine et Piatakov. Cinq ans après, Staline les avait tous évincés de la direction des affaires. En attendant de les exterminer. Pourquoi et comment ? Lire la suite »

Radio : Jarrige, Amiech, Izoard, Contre le totalitarisme numérique, 2021

Une critique du numérique et de la société qu’il fait advenir d’un point de vue écologiste et libertaire. Un critique du capitalisme et de son accélération, du colonialisme et de l’extraction des métaux comme des données. L’industrie électronique analysée comme un programme extra-terrestre qui sacrifie la planète, la vie sociale et la liberté. Lire la suite »

Célia Izoard, Le totalitarisme numérique de la Chine menace toute la planète, 2021

Si la Chine est un régime totalitaire, ce n’est pas seulement parce que le numérique donne des moyens de contrôle supplémentaires au Parti dictatorial. Ces dispositifs électroniques sont aussi porteurs de leur propre logique de régulation sociale, qui s’étend à l’ensemble de la planète.

 

Il y a dix ans, la presse internationale a fait connaître au monde entier l’existence d’une vague de suicides d’ouvriers chez Foxconn, géant mondial de l’électronique implanté en Chine, dont les usines produisent la plupart du matériel informatique que nous utilisons (voir cet ouvrage). Le désespoir de ces jeunes surexploités dans des bagnes high-tech a jeté une lumière crue sur le coût humain de l’économie immatérielle célébrée par tous les dirigeants. Une telle information pourrait-elle, aujourd’hui, parvenir jusqu’à nous ? Difficilement.

C’est la conclusion à laquelle on arrive après avoir lu Dictature 2.0, quand la Chine surveille son peuple (et demain le monde), l’essai de Kai Strittmatter (aux éditions Tallandier), ancien correspondant du Süddeutsche Zeitung à Pékin. Lire la suite »

Lewis Mumford, Lettres à des Allemands, 1945

Peu de temps après la défaite de l’Allemagne, l’Office of War Information [Service de renseignement des armées américain ; NdT] me demanda d’écrire un bref ouvrage à l’adresse des Allemands, afin de leur donner une idée de la manière dont les Américains considèrent l’histoire du Nazisme et des crimes qui furent commis au nom de l’Allemagne. Cette tâche s’avérait ardue si je suivais à la lettre la directive que j’avais reçue et si je m’adressais à la masse anonyme des Allemands. Je ne pouvais m’imaginer un seul Allemand lisant trois pages de ce que j’avais à dire : la distance psychologique entre nous était trop grande.

C’est ce qui me poussa à adopter la forme d’une lettre, adressée soit à quelqu’un qui existait vraiment, soit à une chimère formée de personnes et d’amis que j’avais effectivement connus dans l’Allemagne d’avant la guerre. Cette méthode avait ses limites, surtout parce qu’elle me confinait à des gens de ma génération ; mais cette limite avait un certain avantage, en ceci qu’elle me permettait de traiter de faiblesses qui n’étaient pas à l’origine particulièrement national-socialistes. Il est important, tant pour les Allemands que pour les Américains, de réaliser à quelle profondeur plongent les racines du Nazisme allemand ; nous ne devons pas commettre l’erreur de penser une nouvelle fois que nous avons détruit l’arbre quand nous n’avons fait qu’en couper les branches et que le tronc demeure. Lire la suite »

Jacques Luzi, Au rendez-vous des mortels, 2019

Les éditions La Lenteur viennent de publier un ouvrage critique sur le transhumanisme. Ci-dessous la préface de l’auteur.

En France, l’ouvrage de référence sur (et contre) le transhumanisme est le Manifeste des chimpanzés du futur de Pièces et main d’œuvre (2017). Le présent livre n’en est pas une alternative, mais un complément. Il n’est pas une nouvelle enquête sur les acteurs du transhumanisme, leur influence financière et politique grandissante, mais plutôt une analyse des tenants et aboutissants philosophiques de leur projet. En premier lieu, il s’agit de mettre en évidence le caractère nécrophobe de la civilisation moderne: sa hantise et son déni de la mort.Lire la suite »

Orwell et Mumford, la mesure de l’homme, 2014

Le numéro 11 de Notes & Morceaux choisis, bulletin critique des sciences, des technologies et de la société industrielle vient de paraître aux éditions La Lenteur. Voici un extrait de l’éditorial qui présente son contenu.

La couverture du n°11
La couverture du n°11

Comme le précédent, ce numéro 11 de Notes & Morceaux choisis résulte pour une bonne part d’initiatives de nos lecteurs.

Pierre Bourlier, déjà auteur de deux ouvrages (De l’intérieur du désastre, éditions Sulliver, 2011, et un essai sur le roman d’Orwell, Au cœur de 1984, l’héroïsme anti-utopique, Verbigédition, 2002), avec son article “Notre communauté viscérale”, nous propose une interprétation originale et stimulante du 1984 de Georges Orwell, tournée vers l’analyse de ce qui fait et défait le sens commun (common sense) dans les collectivités humaines.

Ce roman de politique-fiction est de nos jours trop aisément réduit à la dénonciation de l’absurdité et de l’horreur des régimes totalitaires du milieu du XXe siècle. Pierre Bourlier restitue à cette œuvre son actualité en montrant que si la violence politique et le despotisme de ces régimes ont certes aujourd’hui disparu de la plupart des nations industrialisées, les résultats obtenus par les formes plus modernes de domination et d’aliénation marchande sont fondamentalement les mêmes: désœuvrement, démoralisation et déraison des masses, technologiquement suréquipées cette fois. En effet, le totalitarisme, tel que Hannah Arendt l’a définit, participe à un certain processus de totalisation du Pouvoir, par lequel celui-ci renforce son emprise et s’immisce dans tous les aspect de la vie sociale, que cela soit ou non perçu comme despotique. Avec ce roman, l’objectif d’Orwell était, selon notre auteur, moins de faire une peinture repoussante du totalitarisme (soviétique, plus particulièrement) que de mettre en lumière les ressorts qui aboutissent à l’effacement du sens commun dans la civilisation actuelle – et par contraste de faire apparaître les conditions qui lui permettent de se maintenir et de se perpétuer.

Ce que le Parti, dans 1984, obtenait par le dénuement matériel et la domination policière, la société industrielle l’obtient aujourd’hui par l’abondance marchande et l’abrutissement médiatique: la perte du sens commun, c’est-à-dire aussi bien la confiance en les capacités individuelles et collectives de modifier le cours des choses que la faculté d’imaginer une organisation sociale fondée sur autre chose que la séparation, la guerre de tous contre tous.

En complément à cette importante note, il nous a donc semblé judicieux d’ajouter deux morceaux choisis, “Techniques autoritaires et techniques démocratiques” (1963) et “L’héritage de l’homme” (1972) de Lewis Mumford dont Annie Gouilleux de Lyon nous a fort obligeamment proposé la traduction, ainsi que le texte “La filiation intellectuelle de Lewis Mumford”, ajouté à notre demande.

Comme Orwell, Mumford ne conçoit pas l’élaboration de la raison indépendamment du raffinement de la sensibilité, lesquelles ne peuvent s’épanouir conjointement que dans la mise en commun des expériences de chacun à travers des activités collectives et une vie sociale partagée. Là où Orwell en tant qu’écrivain se concentre sur les ressorts psychologiques et politiques, Mumford est plus enclin, de par son approche historique, à mettre au centre de son analyse la «Mégamachine», c’est-à-dire les hiérarchies, la bureaucratie, les grandes organisations sociales que sont l’Etat et l’Armée, puis l’entreprise industrielle moderne, de la simple usine jusqu’à la multinationale opérant à l’échelle du Marché mondialisé. Il veut ainsi mettre en lumière la contradiction au cœur de toute civilisation, à savoir qu’une organisation de plus en plus rationnelle et efficace de l’activité sociale tend à empiéter sur la liberté et l’autonomie des individus.

Au-delà de certains seuils, la rationalisation de la vie sociale en vue d’une plus grande efficacité administrative, technique et économique engendre de nouvelles forme d’oppression, en s’opposant au mouvement spontané de la vie, en réduisant l’autonomie de ses membres et en portant atteinte à la liberté des individus. Pour Mumford, la «Mégamachine» est l’organisation sociale dont le modèle est la machine, dont les éléments ont des rapports fixes et déterminés une fois pour toutes et dont l’action est calculable et prévisible, réduite à ses fonctions strictement matérielles: organisation de la production et de la distribution des biens et des services. Pour lui, le totalitarisme dépasse donc largement le cadre des seuls régimes nazis ou staliniens, et ses tendances sont encore à l’œuvre dans le «monde libre», les sociétés industrielles avancées.

Mumford est surtout conscient du fait que le rôle de la machine dans la civilisation n’a pas encore été véritablement appréhendé, tant son apparition et les bouleversements qu’elle a engendré ont été foudroyants. Cette histoire toute jeune des rapports entre l’homme et la machine porte à des excès de confiance et d’enthousiasme envers les sciences et les technologies au détriment d’une réflexion plus critique et historique, que lui entend mener, afin de montrer les limites à l’intérieur desquelles la connaissance scientifique et la machine peuvent véritablement participer à l’émancipation.

Bertrand Louart

 

Sommaire:

Editorial, par Bertrand Louart

Notre communauté viscérale, par Pierre Bourlier

La filiation intellectuelle de Lewis Mumford, par Annie Gouilleux

Techniques autoritaires et techniques démocratiques, par Lewis Mumford

L’héritage de l’homme, par Lewis Mumford

 Editeur:

Notes & Morceaux choisis n°11

Bulletin critique des sciences, des technologies et de la société industrielle

“Orwell et Mumford, la mesure de l’homme”

Ed. La Lenteur, 154 pages, 10 euros.

Editions La Lenteur