Radio: François Jarrige, L’idéologie du progrès technique, 2022

François Jarrige, professeur d’histoire à l’Université de Bourgogne, spécialiste de l’industrialisation. Il est l’auteur notamment de Technocritiques, du refus des machines à la contestation des technosciences [2014], La Découverte, 2016.

Voiture électrique, 5G, avion à hydrogène, capture du CO2, énergies renouvelables : pour beaucoup, et particulièrement les dirigeants, le progrès technique nous sauvera du péril climatique sans remettre en cause la croissance économique. D’où cette question : le progrès technique est-il une idéologie ?

Suivie d’une brève présentation de son dernier ouvrage On arrête (parfois) le progrès. Histoire et décroissance, publié aux éditions L’Échappée en octobre 2022.

Interview réalisée par Maxime Thuillez du site Greenletter Club, le 1er février 2022.

Voir aussi : Et si on arrêtait le progrès ?, Les Idées Larges, documentaire ARTE, le 13 avril 2022

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Racine de moins un
Une émission
de critique des sciences, des technologies
et de la société industrielle.

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Émission Racine de Moins Un n°80,
diffusée sur Radio Zinzine en octobre 2022. Lire la suite »

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François Jarrige, Amish et lampes à huiles, 2020

Macron piégé par le technosolutionnisme

Dans un discours prononcé le 15 septembre 2020 devant les investisseurs de la French Tech, le président Macron a balayé la demande de moratoire sur le déploiement de la 5G, renvoyée au « modèle Amish » et au retour à la lampe à huile. Choisissant l’humour, les Amis de la Terre se sont renommés pour l’occasion les « Amish de la Terre » en organisant devant l’Élysée une manifestation éclairée à la bougie. Au-delà de l’anecdote quelque peu dérisoire alors que tant de drames et de catastrophes se jouent partout, l’évènement est pourtant révélateur du contexte intellectuel, social et politique dans lequel nous sommes et des impasses dans lesquels s’enferme le pouvoir en s’en remettant toujours plus entre les mains d’un technosolutionnisme hors-sol. Lire la suite »

Mathieu Quet, L’investissement corporel dans l’économie des promesses, 2014

Les utopies de la transformation technologique de l’homme ont aujourd’hui le vent en poupe et semblent toujours plus près de se réaliser1. Quasiment aucun jour ne se passe sans l’annonce d’une innovation venant alimenter les fantasmes d’un corps machinisé et amélioré : vivre avec un cœur artificiel, voir avec sa langue, contrôler la motricité de ses prothèses grâce à une interface neurale, maîtriser chimiquement ses propres états mentaux… Les événements ne cessent de surgir dans l’actualité, qui nourrissent les rêves d’un grand soir technologique, où l’homme et la machine fusionneraient de façon définitive. Les progrès dans des domaines aussi variés que la thérapie génique, l’interface homme-machine, la procréation assistée, les neurosciences, les cellules souches, les nanotechnologies, contribuent sans cesse à accréditer l’idée d’une modification radicale de la nature humaine. Un certain nombre d’individus et de groupes n’ont pas manqué l’occasion de se saisir de ces événements pour pronostiquer la transformation radicale de l’humain. Ils font alors feu de tout bois pour alimenter une multitude de technoprophéties, des plus joyeuses aux plus sombres, des plus crédibles aux plus farfelues. Lire la suite »

Francis Chateauraynaud, Des prises sur le futur, 2012

Regard analytique sur l’activité visionnaire

En l’an 2010, Frank Fenner, microbiologiste historique de l’Université nationale australienne, n’a nul besoin d’invoquer les cycles du calendrier Maya pour annoncer la disparition de l’Humanité d’ici une centaine d’années [1]. Selon lui, « l’espèce humaine va s’éteindre » car elle est incapable de surmonter son « explosion démographique » et la consommation « débridée » qu’elle implique. Faire machine arrière est impossible car « il est déjà trop tard ».

Face à une telle prédiction, il y a plusieurs interprétations en concurrence : on peut évidemment qualifier cette annonce de prophétie de malheur et la discréditer d’autant plus facilement que peu de survivants en éprouveront la validité ; on peut aussi la considérer sous l’angle de l’heuristique de la peur (Hans Jonas) et l’entendre comme un type d’injonction paradoxale, aujourd’hui banalisée, visant à faire craindre le pire pour obtenir un réveil des consciences, Fenner rejoignant ainsi les adeptes du catastrophisme éclairé [Dupuy, 2002] ; il est également possible de la poser comme la borne haute d’un espace de conjectures au centre duquel figure une pluralité de scénarios élaborés à partir de modèles compatibles avec le raisonnement scientifique, dès lors que les paramètres sont réalistes et discutables. Si le scepticisme est de mise quant à la possibilité de fonder toute vision du futur de grande ampleur, il y a moyen de se placer en amont en examinant les modalités de l’activité visionnaire. Lire la suite »

Marc Angenot, Malaise dans l’idée de Progrès, 1989

En l’an 1889

Résumé

Un échantillonnage des publications de 1889 sert de corpus à une étude des thématisations du Progrès. Opposé aux paradigmes de l’Évolution et de la Décadence, le Progrès se révèle un idéologème à « géométrie variable », écartelé entre un idéalisme volontariste et un déterminisme conservateur perdant tout contenu scientifique en passant du triomphalisme anticlérical au catastrophisme moralisateur, bon pour la métaphore et la politique.

 

Dans le présent article, je vais chercher à analyser systématiquement la manière dont le progrès se trouve, tout au long de l’année 1889, un siècle après la Révolution, thématisé dans les différents secteurs discursifs et selon les idéologies qui s’affrontent. De l’ensemble des inventaires pratiqués dans un échantillonnage raisonné des publications de cette année-là, résultent les éléments d’une vision du monde dominante à cette époque-là.

Le projet d’une analyse du discours social s’appuie sur l’hypothèse d’une intertextualité généralisée ; en prenant pour fil conducteur le mot progrès, on rencontrera d’emblée d’autres termes chargés de valeurs, d’affinités, de récits implicites dont il faudrait pouvoir suivre le parcours discursif et les avatars sémantiques. Le grand discours triomphaliste sur le Progrès fatal et continu sur la convergence harmonieuse des progrès scientifiques et des progrès sociaux est en train de se dégrader pour n’être plus bientôt qu’un thème d’apparat pour comices agricoles. Même les éditorialistes républicains hésitent en 1889 à entonner le péan progressiste sans nuances ni réserves. Lire la suite »

Michel Callon, L’innovation technologique et ses mythes, 1994

« Innovez, innovez, c’est la loi et les prophètes ! » : ainsi pourrait être paraphrasée la célèbre apostrophe lancée par Marx aux entrepreneurs anglais du XIXe siècle. Une idée fixe chasse l’autre : la passion de l’innovation remplace l’obsession de l’accumulation. Mais le jeu des indignations et des exaltations, lui, n’a pas changé.

 

L’innovation technologique – tout comme en son temps l’accumulation capitaliste – est prise dans une tourmente de discours qui oscillent entre l’enthousiasme et la dénonciation. Là on célèbre ses vertus pour y voir un des ressorts de la puissance économique et du bien être social. Ailleurs on la rend responsable de l’augmentation du chômage (en substituant la machine à l’homme ne supprime-t-elle pas des emplois ?) et on l’accuse de contribuer à la fabrication d’un monde artificiel, déshumanisé, encombré d’objets à l’utilité douteuse.

Si le débat souvent manichéen dans lequel nous sommes plongés, possède une telle force et une telle permanence, c’est qu’il se nourrit de toute une mythologie (mythe : image simplifiée et souvent illusoire que des groupes humains élaborent ou acceptent au sujet d’un individu ou d’un fait et qui joue un rôle déterminant dans leur comportement ou leur appréciation). Celle-ci contribue à faire de l’innovation technologique un phénomène imprévisible qui échappe à la volonté collective et sur lequel nous n’aurions que peu de prise. Parcourir à grand pas cette mythologie – qui compose ce que l’on pourrait appeler le modèle classique de l’innovation –, en démonter les mécanismes et dans le même mouvement, s’appuyer sur les travaux existants pour s’en libérer, tel est l’objectif de ce court essai qui par souci de simplicité se concentre sur trois mythes centraux : le mythe des origines, celui de la séparation du social et du technique et enfin celui de l’improvisation romantique (pour une présentation systématique du modèle classique de l’innovation voir : [Akrich, 1993] et [Mustar, 1993]). Lire la suite »

Il n’y a pas de «continuité pédagogique»: éteignez les tablettes!, 2020

Confinement oblige, l’Éducation nationale invite à la « continuité pédagogique », possible grâce au numérique. Or, selon les auteurs de cette tribune, « la pédagogie virtuelle n’existe pas », et « seuls les élèves éveillés, enfermés avec des parents désœuvrés au fort niveau d’études vont bénéficier d’une pédagogie efficace : l’instruction en famille ».

 

Alors que le pays se claquemure et bascule dans la vie virtuelle, l’Éducation nationale invite à la « continuité pédagogique ». En clair, comme dans tous les secteurs, accélération de la numérisation : plateformes, tablettes, webcams, classe virtuelle, espaces numériques de travail, WhatsApp, Pearltrees, etc.

Cela dans un contexte où vont simultanément augmenter l’isolement et la promiscuité, où ont toutes les chances de se multiplier incompréhensions, conflits, angoisses et dépressions. Lire la suite »

Jean-Baptiste Fressoz, La médecine et le « tribunal du public » au XVIIIe siècle, 2015

Résumé

Cet article étudie la figure du « tribunal du public » dans le champ médical du XVIIIe siècle. En se centrant sur la controverse de l’inoculation variolique, il montre que le « public » possède des fonctions multiples : établir les réputations médicales, produire et certifier des faits et juger les innovations. En annonçant l’entrée dans une ère nouvelle de réflexivité technologique et en promouvant l’heuristique des controverses sociotechniques, la littérature contemporaine sur la démocratie technique réactive, à deux siècles d’écart, présente la vision d’une sphère publique dont la fonction critique s’étendrait aux sciences et aux techniques. Lire la suite »

Matthieu Amiech, Comme le nez au milieu de la figure, 2019

Un complexe militaro-industriel « caché » au cœur de notre région

Il y a trois ans, le journaliste lillois Tomjo proposait un tableau percutant du capitalisme de sa région, sous le titre Au nord de l’économie. Matthieu Amiech, habitant du Tarn-et-Garonne, engagé dans diverses luttes contre l’informatisation de la société, propose ici la première mouture d’une réponse à ce texte : il ébauche un Sud-Ouest de l’économie, en présentant l’atout-maître de la région Occitanie, le complexe militaro-industriel toulousain, qui alimente et se nourrit de tout un secteur d’innovation technologique extrêmement dynamique. Autant pour nos idéaux d’égalité sociale et de liberté, autant pour la fameuse convivencia occitane… Lire la suite »

Quentin Hardy et Pierre de Jouvancourt, Y a-t-il un « danger écologique » ?, 2019

Disqualifier l’écologie et réhabiliter le progrès par l’innovation dans le champ médiatique français (2005-2017)

 

Résumé

2018 restera probablement perçue comme une année de césure dans la réception médiatique et populaire du changement climatique : certaines questions écologiques ont alors bénéficié d’un écho plus important et relativement plus rigoureux au regard des enjeux qu’elles soulèvent – même si d’immenses problèmes politiques subsistent. Dans la séquence précédente, à partir du début du siècle et jusqu’à très récemment, une grande confusion a régné autour de l’écologie, que ce soit dans l’opinion publique ou dans une partie du monde académique et journalistique. Une plongée dans les discours de plusieurs « intellectuels » médiatiques influents colportant avec obstination un discours de disqualification de l’écologie est instructive. Cette analyse permet d’aider à comprendre pourquoi ces enjeux ont été si longtemps relégués à l’arrière-plan et de montrer la forte valorisation chez ces auteurs d’une société fondée sur le principe de l’innovation infinie et de la disruption technologique. Lire la suite »