Michel Barrillon, Procès en réhabilitation de l’idée de nature 1, 2018

Ébauche, 1er partie

I. Pour en finir avec Gaïa

« Nous ne défendons pas la nature,
nous sommes la nature qui se défend. »

Slogan des zadistes.

Abolir la nature, disent-ils

« Ça offense l’ego humain de voir la nature si indifférente à notre sort. La nature se fiche de ceux qui vivent ou qui meurent. Elle refuse de se laisser dompter. Elle fait ce qu’elle veut. C’est comme si les gens ne comptaient pas. Elle ne nous reconnaît pas le droit d’être là. Ça exaspère les gens. Ils ne peuvent pas supporter d’être ignorés. C’est insultant. » [1]

Ces propos que Bill Watterson prête à son personnage expriment parfaitement l’espèce de « malentendu fondamental » [2] qui trouble les rapports entre les Occidentaux et la nature depuis des lustres. Convaincus de s’en être « arrachés », les modernes entreprirent de la soumettre au joug de la Technoscience et finirent par croire qu’ils l’avaient terrassée, qu’ils s’en étaient définitivement émancipés, jusqu’à ce que la nature s’avise de manifester avec toujours plus de véhémence sa rétivité farouche : la nature n’est pas simplement indomptable de manière rédhibitoire, elle est aussi indispensable, vitale, et c’est bien là ce qui navre ceux qui entendent l’ignorer superbement. Lire la suite »

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Sébastien Dutreuil, L’hypothèse Gaïa : pourquoi s’y intéresser ?, 2012

même si l’on pense que la Terre n’est pas un organisme

Résumé

L’hypothèse Gaïa est généralement présentée comme une analogie vague entre la Terre et un organisme. On s’empresse de la discréditer en faisant remarquer qu’elle est partie liée aux mouvements New Age et en rappelant la critique théorique de Dawkins (1982) qui montre que la Terre, ne se reproduisant pas et ne pouvant dès lors être soumise au processus de sélection naturelle, ne peut être comparée à un organisme. Une clarification de l’explanandum me permet de montrer que l’analogie ne joue qu’un rôle limité (heuristique et non théorique) et que la critique de Dawkins n’atteint qu’une des trois questions que soulève l’hypothèse Gaïa. Je mentionne ensuite les avancées théoriques et empiriques qui ont eu lieu depuis 1982 puis m’attache à montrer la nécessité qu’il y aurait à ce que la philosophie de la biologie s’intéresse en détail à certaines questions posées par cette hypothèse, aussi bien que les bénéfices que la philosophie de la biologie pourrait retirer de cet exercice. Lire la suite »

Sébastien Dutreuil, James Lovelock, Gaïa et la pollution, 2017

L’hypothèse Gaïa a été élaborée par James Lovelock dans les années 1960, et en collaboration avec Lynn Margulis dans les années 1970. En multipliant très tôt les genres de publication – articles de revues scientifiques prestigieuses comme Nature, livres à destination du grand public et des scientifiques, presse généraliste, revues d’écologie politique – et en mêlant différents registres discursifs dans chacune de ces publications – Gaïa étant tantôt abordée comme un programme de recherche scientifique tantôt comme une philosophie de la nature –, Lovelock a contribué à singulièrement brouiller les repères sur le statut de Gaïa. Tandis que certains scientifiques l’ont considérée tantôt comme une hypothèse qu’il faudrait confronter directement aux faits empiriques, tantôt comme une théorie qu’il s’agirait d’élaborer à l’aide de modèles mathématiques et computationnels, d’autres ont abordé Gaïa comme un programme de recherche très large comprenant des revendications méthodologiques et ontologiques pour les sciences de la Terre et de l’environnement. Les philosophes et acteurs des mouvements environnementalistes l’ont lue comme une philosophie de la nature, visant à nous dire ce dont le monde est fait, à reconfigurer des concepts centraux comme ceux de vie, de nature et d’environnement, et à offrir une conception de la nature alternative à celle de la modernité. Lire la suite »

Bertrand Louart, James Lovelock et l’hypothèse Gaïa, 2002

L’hypothèse Gaïa aurait été l’occasion d’un renouvellement de la méthode scientifique et d’une réflexion plus unitaire pour l’écologie politique. Mais James Lovelock (1919-2022), avec sa vision étroitement cybernétique de la vie, l’utilise au contraire pour promouvoir les intérêts du despotisme industriel.

 

« Il est d’ailleurs impossible de prévoir, dès maintenant, tous les emplois bienfaisants de l’énergie atomique. Le biologiste Julian Huxley proposait, l’autre jour à New York, le bombardement de la banquise arctique. L’énorme chaleur dégagée ferait fondre les glaces et le climat de l’hémisphère Nord s’en trouverait adouci. Frédéric Joliot-Curie pense que d’autres bombes atomiques, non moins pacifiques, pourraient être utilisées pour modifier les conditions météorologiques, pour créer des nuages, pour faire pleuvoir. Cela se traduirait par une amélioration du rendement agricole et du rendement hydroélectrique. Que le monde fasse confiance aux physiciens, l’ère atomique commence seulement. » [1]

Le Monde, 20 décembre 1945.

« Et lorsque la Terre sera usée,
l’Humanité déménagera dans les étoiles ! »

Flaubert, Bouvard et Pécuchet, 1880.

 

Nota Bene : Nous nous référons dans ce qui suit aux trois ouvrages de James Lovelock traduits en français :

  • La Terre est un être vivant, l’hypothèse Gaïa, 1979 ; éd. Flammarion, coll. Champs, 1993 ;
  • Les âges de Gaïa, 1988 ; éd. Odile Jacob, coll. Opus, 1997 ;
  • Gaïa. Une médecine pour la planète, 1991 ; éd. Sang de la Terre, 2001 ;
  • La revanche de Gaïa, pourquoi la Terre riposte-t-elle ?, 2006 ; éd. Flammarion, coll. Nouvelle Bibliothèque Scientifique, 2007. [non commenté dans cet article]

Ils seront désignés respectivement dans la suite par les abréviations Hypothèse, Âges et Médecine.

 

Le scientifique britannique James Lovelock (26 juillet 1919 – 26 juillet 2022) a formulé l’hypothèse Gaïa, selon laquelle la biosphère serait un être vivant à part entière, en travaillant pour la NASA sur le programme des sondes martiennes Viking vers la fin des années 1960. Son travail consistait à réfléchir aux moyens qui permettraient à la sonde, une fois sur Mars, de détecter la présence d’êtres vivants, notamment des micro-organismes.

Ses recherches l’ont amené, avant même que les sondes aient quitté la Terre, à conclure à l’absence de vie sur Mars, simplement en comparant les atmosphères de ces deux planètes [2]. En effet, l’atmosphère martienne est en équilibre chimique : aucune réaction ne peut s’y produire spontanément, le dioxyde de carbone (CO2) est le gaz dominant (97%). Tandis que sur Terre, l’atmosphère est en déséquilibre chimique notable : les gaz très réactifs comme l’azote (N2) et l’oxygène (O2) en sont les principaux constituants (respectivement 79% et 21%). C’est donc que sur Terre il y a « quelque chose » qui produit et maintient ce déséquilibre – qui permet toutes sortes de réactions chimiques –, alors que sur Mars il n’y a rien qui empêche l’atmosphère d’atteindre un équilibre où plus aucune réaction n’est possible. Lire la suite »