Dwight Macdonald, La Bombe, 1945

Le matin du 6 août 1945, à 9h15, un avion américain a largué une bombe sur la ville japonaise d’Hiroshima. D’une puissance de 20 000 tonnes de TNT, cette bombe à elle seule a détruit en un clin d’œil les deux tiers de la ville et probablement tué ses 343 000 habitants. Sans aucun avertissement. Cet acte épouvantable nous rabaisse, nous, les « défenseurs de la civilisation », au même niveau que les monstres de Majdanek. Et nous, le peuple américain, ne sommes pas moins, ni plus, responsables de ces horreurs qu’eux, le peuple allemand.

Cette responsabilité ne fait pas de doute mais il y a pourtant beaucoup plus à dire. La bombe atomique est un événement tel qu’elle fait passer au second plan la victoire alliée sur l’Allemagne et le Japon. Lire la suite »

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Dwight Macdonald, The Bomb, 1945

At 9:15 on the morning of August 6, 1945, an American plane dropped a single bomb on the Japanese city of Hiroshima. Exploding with the force of 20,000 tons of TNT, the bomb destroyed in a twinkling two-thirds of the city, including, presumably, most of the 343,000 human beings who lived there. No warning whatsoever was given. This atrocious action places “us”, the defenders of civilization, on a moral level with “them”, the beasts of Maidanek. And “we”, the American people, are just as much and as little responsible for this horror as “they”, the German people.

So much is obvious. But more must be said. For the “atomic” bomb renders anticlimactical even the ending of the greatest war in history. Lire la suite »

Jean-Marc Mandosio, Heidegger ou comment ne pas penser la technique, 2014

Derrière le jargon heideggérien, ses questionnements parsemés de citations poétiques et ses étymologies fantaisistes, il n’y a pas grand-chose de sérieux ni de consistant.

 

On discute depuis des années du degré d’adhésion de Martin Heidegger au nazisme (fut-il un peu, beaucoup, passionnément nazi ?), comme si l’évaluation de sa pensée dépendait exclusivement de la réponse à cette question. Mais il y a bien d’autres aspects embarrassants dans son œuvre, qui suffiraient à justifier que l’inclusion de ce personnage dans le canon des grands penseurs soit reconsidérée. Le problème principal est évidemment que la philosophie d’Heidegger est faite en grande partie de jeux de langage et se révèle d’une extrême pauvreté : derrière le jargon heideggérien, ses questionnements parsemés de citations poétiques et ses étymologies fantaisistes faisant dériver l’allemand du grec, il n’y a pas grand-chose de sérieux ni de consistant. Lire la suite »

Hisashi Tôhara, Évocation de la bombe atomique, 1946

Après son décès, et grâce à son épouse Mieko Tôhara, nous pouvons aujourd’hui découvrir ce texte, traduit du japonais par Rose-Marie Makino et publié en juillet 2011.

Il y a tout juste un an, Hiroshima a été frappée par le malheur le plus épouvantable, le plus dramatique jamais expérimenté par l’humanité.

C’était le 6 août 1945, la vingtième année de l’ère Shôwa.

Il y a un an de cela. Au cours de cette année, c’est incroyable comme le monde a pu changer et s’agiter.

Avec cette bombe atomique, le grand Japon a tremblé sur ses bases avant de s’effondrer. Un pays de première grandeur au monde a été placé sous la botte de la huitième armée des États-Unis. Le support que jusqu’alors nous considérions avec confiance comme une base solide était si fragile qu’il s’est brisé d’un seul coup. Le Japon, pays de nos ancêtres dont nous sommes si fiers, le Japon dont il n’existe aucun pays comparable au monde, a perdu le combat.Lire la suite »

Paul Tibbets, J’ai lancé la bombe atomique sur Hiroshima, 1965

Battu sur terre et sur mer, le Japon poursuit quand même la lutte [c’est faux, le Japon à cherché à capituler plusieurs mois auparavant; NdE]. Le 6 août 1945, un quadrimoteur américain apparaît au-dessus du Japon. Il emporte vers Hiroshima l’arme terrible qui va bouleverser le monde. Le Général Paul Tibbets, commandant de la super-forteresse volante qui bombarda Hiroshima, raconte pour la première fois les détails de sa mission.

Jusqu’en février 1943, je fus stationné en Afrique du Nord où je dirigeais un groupe de bombardiers B-17. C’est là qu’un beau jour je fus convoqué chez le général Doolittle :

« Le général Arnold me demande mon meilleur spécialiste en bombardement. Puisque vous avez terminé votre tour d’opérations, c’est vous que j’enverrai. Préparez-vous à rentrer immédiatement. »

De retour aux États-Unis, je fus affecté aux essais et à la mise au point définitive du nouveau bombardier B-29, celui que nous allions appeler la « super-forteresse volante ». Je pus ainsi étudier à fond ce type d’appareil, d’autant que je possédais, en plus de ma formation strictement militaire, un bagage technique assez considérable. C’est à cette époque, alors que je me trouvais au Nouveau-Mexique, que j’eus une première indication de la mission capitale qui allait bientôt m’échoir.Lire la suite »

Bertrand Louart, Lettre ouverte à Emmanuelle Charpentier, 2015

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Il y a trois ans, les scientifiques Emmanuelle Charpentier (France) et Jennifer Doudna (USA) ont découvert une molécule capable de remplacer facilement des séquences d’ADN, y compris sur les cellules reproductrices. Avec l’enzyme CRISPR-Cas9, modifier l’ADN de n’importe quel être vivant devient presque aussi simple qu’un copier-coller.

En avril 2015, un groupe de chercheurs chinois annonce avoir réalisé des essais sur des embryons humains, dans le but de réparer le gène responsable d’une maladie sanguine héréditaire. Cependant, les résultats se sont avérés peu concluants. Sur 86 embryons, l’enzyme CRISPR-Cas9 n’aurait permis de remplacer le gène défaillant que dans quelques cas, et des mutations inattendues se sont produites. C’est pour cela que cette expérience a été arrêtée.Lire la suite »

Teilhard de Chardin, Quelques réflexions sur le retentissement spirituel de la bombe atomique, 1946

Nous proposons à nos lecteurs un texte sur la bombe atomique du Père jésuite et paléontologue Teilhard de Chardin (1881-1955), qui aurait pu tout aussi bien s’intituler comment j’ai appris à aimer la bombe et ne plus m’en faire… En effet, c’est là un des textes de l’époque à la gloire de la Bombe probablement le plus stupéfiant de tous. A le lire, on croirait ce personnage tout droit descendu de l’île volante de Laputa (cf. Jonathan Swift, Les voyages de Gulliver, 1726) : tout occupé à chanter la gloire de la science et de la toute-puissance qu’elle confère à « l’homme », il en oublie que le Manhattan Project était avant tout un projet militaire initié dans le contexte d’une guerre des plus meurtrières et destructrices qui ait jamais été, et que la course aux armements et la guerre froide – qui en septembre 1946 était déjà des évidences – promettaient des dévastations encore plus considérables.

Tous les poncifs du scientisme et du progressisme le plus vulgaire y passent : on exalte « les nouveaux pouvoirs de l’homme » – quels hommes ? les militaires et les chefs d’État avec un pouvoir de domination maintenant illimité ? ; la Bombe n’est que la suite de la conquête du feu – tout le monde peut bricoler une Bombe dans son garage, c’est bien connu ! ; cette arme absolue va tuer la guerre et réconcilier les peuples – tout comme les précédents perfectionnements de l’armement, n’est-ce pas ? ; ce progrès en annonce d’autres qui nous rendent « comme maîtres et possesseurs » de la création en totalité – on voit encore aujourd’hui comment les puissances industrielles continuent à ravager le monde sur cette base ; etc.Lire la suite »

Paul Tibbets, La bombe atomique et le pilote, 2002

Ci-dessous un entretien avec Paul Warfield Tibbets (23 février 1915 – 1er novembre 2007) en 2002, le pilote de l’Enola Gay, l’avion qui largué la bombe sur Hiroshima, le 6 août 1945, réalisé par Studs Terkell, grand journaliste de gauche américain et auteur de nombreux livres d’histoire orale de son pays. Les réponses de Tibbets sont d’un cynisme absolu ; il ne regrette rien et continue de trouver son acte à la fois valeureux et même « beau ». Face à un tel discours, on ne peut pas voir autre chose dans le nucléaire, qu’il soit civil ou militaire, que la négation de toute humanité.

 

Studs Terkel : Nous voici tous deux assis chez Paul Tibbets à Columbus, dans l’Ohio. C’est ici que ce général à la retraite âgé de 89 ans vit depuis plusieurs années.

Paul Tibbets : Eh, je ne peux pas vous laisser dire une telle chose. Je n’ai que 87 ans, et pas 89.

Studs Terkel : D’accord. J’en ai moi-même 90, et suis donc votre aîné de trois ans. Nous venons de partager un excellent repas, vous, moi et votre compagne. J’ai remarqué que, tandis que nous étions assis au restaurant, les gens passaient et n’avaient aucune idée de qui vous étiez. Vous avez pourtant autrefois piloté un avion, l’Enola Gay qui, dans la matinée du dimanche 6 août 1945, a largué une bombe sur la ville de Hiroshima, au Japon. Il s’agissait d’une bombe atomique, la toute première du genre. Cet événement a changé le monde, et c’était vous qui étiez aux commandes de cet avion.

Paul Tibbets : Oui, tout à fait.Lire la suite »

Tracts largués sur le Japon suite à Hiroshima, 1945

Le 8 août 1945, des tracts imprimés sur de petites feuilles de papier sont largués sur le Japon. Ils demandent à la population japonaise de faire pression sur le gouvernement japonais pour arrêter la guerre, sinon d’autres bombes atomiques seront employées.
On peut légitimement se poser la question de savoir quels sont les imbéciles ou les cyniques à l’origine de cette initiative. Quoi qu’il en soit, ces tracts son une sorte d’aboutissement de la doctrine du « bombardement stratégique », élaboré durant les années 1920 et particulièrement mis en œuvre durant la Seconde guerre mondiale :

« les idées essentielles : disloquer les industries clés de l’ennemi et en particulier l’armement, les transports et les centres de communications, et provoquer dans la population ennemie des réactions suffisamment fortes pour qu’elle impose la paix à son gouvernement ; les crétins qui les élaborent ont pourtant vu l’inverse se produire à Londres [durant la Première guerre mondiale] »

Roger Godement, Science, technologie, armement, 1997.

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Roger Belbéoch, Le Commissariat à l’Énergie Atomique, 1996

Sa raison d’être, la bombe, son alibi, la recherche

A propos de la reprise des essais nucléaires français, il y a eu dans la presse de nombreuses libertés vis à vis des faits historiques concernant les places respectives de la recherche militaire et civile au Commissariat à l’Énergie Atomique (CEA) : l’erreur la plus commune est d’inverser les rôles respectifs du militaire et du civil dans les motivations du CEA.

Le CEA est généralement présenté comme un organisme ayant été créé en octobre 1945 pour développer tous les aspects pacifiques de l’énergie nucléaire (à l’époque on disait « énergie atomique »). Sa création était en fin de compte l’accomplissement administratif des déclarations enthousiastes des scientifiques français : l’avenir ne pouvait être que radieux avec cette énergie « inépuisable », « quasi-gratuite », sans danger, déclarations qui suivirent la destruction totale d’Hiroshima et Nagasaki les 6 et 9 août 1945. L’orientation militaire du CEA ouvertement affirmée dans les années 50 est apparue alors comme une dérive perverse des buts assignés au CEA à sa création. Cela donna lieu à de vives protestations pour exiger le retour vers « l’atome pour la paix ».Lire la suite »