Jean-Baptiste Fressoz, Une histoire matérielle de la lumière, 2020

L’histoire chimique de la bougie fut l’un des grand succès de la carrière de Michael Faraday. Ses leçons de 1845 à la Royal Institution sont un chef d’œuvre de vulgarisation : l’objet le plus commun lui permettait d’aborder les états de la matière, la capillarité, l’attraction, la combustion, la respiration et bien d’autres choses encore. « Toutes les lois de l’univers » écrivait Faraday « se manifestent dans la combustion d’une bougie » [1]. On pourrait ajouter que nombre de phénomènes historiques s’y révèlent également.

Timbre commémoratif des 10 ans de Tchernobyl, Ukraine

La bougie éclaire beaucoup d’a priori sur les techniques que l’on considère importantes à une époque donnée [2]. Pour dix livres sur le gaz d’éclairage au début du XIXe siècle ou cent articles sur l’électricité au début du suivant, on n’en trouvera pas un seul traitant de la lampe à huile ou de la bougie aux mêmes époques [3]. C’est qu’entre temps ces dernières sont devenues l’emblème de la désuétude. Il y a peu, les écologistes étaient encore accusés de vouloir « retourner à l’époque de la bougie ». L’histoire de la lumière présentée dans ce chapitre est matérielle au sens où elle s’intéresse autant aux dispositifs qu’aux matières combustibles qui les alimentent. Il en ressort un tableau bien différent de celui brossé par les historiens de l’éclairage et de l’énergie où se succèdent dans un ordre classique la bougie et la lampe à huile, puis le gaz d’éclairage et enfin la modernité électrique. Lire la suite »

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François Jarrige, Pétrole, 2021

L’or noir entre nuisances, dégâts et transitions

Depuis que la « transition » s’est imposée au cœur des imaginaires contemporains, les grands groupes pétroliers sont de plus en plus présentés comme des acteurs majeurs du processus. Certains éditorialistes n’hésitent pas à proclamer que « La transition écologique passera en grande partie par les compagnies pétrolières » [1]. Celles-ci investissent en effet massivement dans les énergies dites « renouvelables » comme le solaire et l’éolien, et s’apprêtent à devenir des fournisseurs majeurs d’électricité prétendument décarbonée. La « transition » est même devenue un élément essentiel de leur communication auprès des autorités et du public. Ainsi, parmi de multiples annonces, le groupe Total a indiqué en septembre 2020 qu’il transformait sa raffinerie de Grandpuits en une « plateforme zéro pétrole de biocarburants et bioplastiques ». Alors que les compagnies pétrolières apparaissaient de plus en plus, au début du XXIe siècle, comme responsables des crises écologiques en poussant sans cesse à accroître les consommations, cette vaste opération de green washing vise à les propulser en acteurs décisifs et incontournables de la réorientation de nos systèmes énergétiques et de la transition à venir. Lire la suite »

François Jarrige, Charbon, 2021

Généalogie d’une obsession

Les discours et politiques dites de transition prétendent réduire la consommation de charbon minéral, cette substance solide qui a soutenu la croissance industrielle du monde depuis deux siècles et généré une grande partie du CO2 rejeté dans l’atmosphère. En septembre 2020, le président chinois Xi Jinping prononçait ainsi un discours remarqué à l’Assemblée générale de l’ONU dans lequel il annonçait que son pays atteindrait la neutralité carbone d’ici 2060. Pour cela, la production et la consommation de charbon devaient diminuer drastiquement, alors que la part de l’éolien, du solaire, et du nucléaire devait croitre grâce à des investissements gigantesques. Si certains ont vu dans ces annonces un grand basculement annonçant la possibilité d’un développement économique et d’une politique de puissance non fondés sur les énergies fossiles, beaucoup d’autres soulignent le caractère irréaliste de ces annonces et promesses alors que le pays continue d’ouvrir d’immenses centrales à charbon [1]. Lire la suite »

Radio: Jean-Baptiste Fressoz, Les utopies atomiques dans l’invention de la transition énergétique, 2022

Conférence de Jean-Baptiste Fressoz, historien des sciences, des techniques et de l’environnement et chercheur au CNRS, sur le thème « la transition énergétique : de l’utopie atomique au déni climatique ». Intervention dans le cadre du Café des Sciences de l’École des Ponts ParisTech, le 5 octobre 2022.

Cette conférence résume deux articles que notre historien a publié ces derniers temps :

Pour une histoire des symbioses énergétiques et matérielles, janvier 2021.

La « transition énergétique », de l’utopie atomique au déni climatique, USA 1945-1980, juin 2022.

Articles réunis en brochure intitulée L’invention de la « transition énergétique » (60 pages, format A5) avec les illustrations que projette et explique Jean-Baptiste Fressoz lors de sa conférence.

Le problème de la « transition énergétique »
est qu’elle projette un passé qui n’existe pas
sur un futur pour le moins fantomatique.

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Racine de moins un
Une émission
de critique des sciences, des technologies
et de la société industrielle.

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Émission Racine de Moins Un n°82,
diffusée sur Radio Zinzine en janvier 2023. Lire la suite »

François Jarrige, Sobriété énergétique, un nouvel oxymore ?, 2020

En consultation publique jusqu’au 19 février 2020, la Programmation pluriannuelle de l’énergie et la Stratégie nationale bas-carbone doivent fixer le cap énergétique de la France pour atteindre la neutralité carbone à l’horizon 2050. Pour y parvenir, on évoque depuis la loi de 2015 la sobriété énergétique, une expression qui risque fort de rejoindre la longue liste des oxymores (tels développement durable ou croissance verte) si on ne prend pas conscience collectivement de la nécessité d’une redéfinition profonde des modes de vie et du système capitaliste dominant. Lire la suite »

Chris Mowry, Le vaccin contre le changement climatique ?, 2021

Dans un article à la gloire de la fusion nucléaire publié dans le magazine scientifique Pour la Science n°534 d’avril 2022 [1], on peut en conclusion lire ceci :

Non seulement l’industrie privée de la fusion s’appuie sur des années d’investissements publics dans des projets tels qu’ITER [réacteur expérimental en construction en Provence ; coût 44 milliards d’euros], mais elle bénéficie également de l’intérêt des gouvernements – c’est pourquoi le gouvernement britannique et le ministère américain de l’Énergie investissent également dans des entreprises comme Tokamak Energy, Commonwealth Fusion Systems et General Fusion. Chris Mowry [directeur général de General Fusion] pense que ces partenariats entre public et privé sont la voie à suivre – comme ils l’ont été pour les vaccins contre le Covid-19. Et, comme les vaccins, la fusion sera nécessaire dans le monde entier, d’autant plus que la consommation d’énergie va augmenter dans les pays à faible revenu. La mise au point des vaccins contre le Covid-19 a montré «ce que l’on peut réaliser si l’on dispose des ressources nécessaires, déclare Melanie Windridge [physicienne et communicatrice scientifique des plasmas britannique]. Si nous avions ce genre de mobilisation dans le domaine de l’énergie, ce qu’on pourrait réaliser serait incroyable ». Le monde a désespérément besoin de davantage de sources d’énergie propres et décarbonées. « C’est un défi existentiel, déclare Chris Mowry. La fusion est le vaccin contre le changement climatique. »

Traduit en bon français, cela veut dire que selon ses promoteurs la fusion nucléaire nous protègera (peut-être) des formes graves du changement climatique, mais n’empêchera pas la circulation du virus du capitalisme industriel dont la voracité énergétique est, entre autres dégradations, à l’origine du changement climatique. Lire la suite »

Jean-Baptiste Fressoz, La « transition énergétique », de l’utopie atomique au déni climatique, 2022

USA, 1945-1980

Résumé

Le climato-scepticisme et les stratégies de production d’ignorance des compagnies pétrolières ont déjà fait l’objet d’importants travaux. Cet article contribue à cette question mais en décalant le regard. Il s’intéresse moins au climatoscepticisme qu’à une forme plus subtile, plus acceptable et donc beaucoup plus générale de déni du problème climatique : la futurologie de « la transition énergétique », au sein de laquelle l’histoire, un certain type d’histoire de l’énergie, a joué un rôle fondamental. La force de conviction de la transition tient de son caractère ambigu, ambidextre, à cheval entre histoire et prospective, dans cette manière de projeter un passé imaginaire pour annoncer un futur qui pourrait l’être tout autant. Lire la suite »

Jean-Baptiste Fressoz, Pour une histoire des symbioses énergétiques et matérielles, 2021

Avec l’urgence climatique, l’expression « transition énergétique » a acquis un tel prestige que les historiens en sont venus à l’employer pour décrire toutes sortes de processus, y compris ceux qui furent, à rigoureusement parler, des additions énergétiques. Le problème de la « transition énergétique » est qu’elle projette un passé qui n’existe pas sur un futur pour le moins fantomatique. Cet article propose une nouvelle façon d’aborder l’histoire de l’énergie en tant que dynamique d’accumulation symbiotique.

 

Ces dernières années ont vu paraître de nombreux ouvrages portant sur l’histoire de l’énergie. On peut se réjouir de ce renouveau d’intérêt, on peut aussi regretter que ces ouvrages se soient placés sous la bannière de la « transition ». Avec l’urgence climatique, ce mot a acquis un tel prestige, une telle centralité, que les historiens en sont venus à l’employer pour décrire toutes sortes de processus, y compris ceux qui furent, à rigoureusement parler, des additions énergétiques [1].

La révolution industrielle est ainsi présentée comme une « transition » du bois vers le charbon, comme le passage d’une « économie organique » à une « économie minérale ». On peut lire dans un ouvrage de référence récent que le pétrole et l’électricité au XXe siècle furent des « transitions énergétiques » – alors que l’électricité accroît la consommation de houille et que le pétrole ne la réduit pas forcément [2]. La vision « phasiste » du monde matériel est si profondément ancrée que des historiens opposent un XIXe siècle du charbon à un XXe siècle du pétrole – et en tirent des conclusions hasardeuses sur l’histoire et la nature du pouvoir [3]. La prodigieuse lenteur de l’actuelle « transition énergétique » n’a pas non plus annulé les présomptions sur celles qui sont supposées avoir eu lieu par le passé [4]. Lire la suite »

Michel Claessens, ITER : une dérive systémique, 2022

Comme tous les grands projets technologiques, le réacteur expérimental de fusion nucléaire ITER a atteint son point de non retour : trop d’argent a déjà été investi pour arrêter le projet, les difficultés se multiplient et nécessitent de plus en plus d’argent pour simplement pouvoir continuer. Dans ces conditions, la direction, prise entre ces injonctions contradictoires, cherche à renforcer son emprise sur « l’image » et gratte des bouts de chandelle sur la sécurité… Voici le témoignage de l’ancien directeur de la communication d’ITER Organization.

[Résumé par Celia Izoard, « Stress, peur, pression : le difficile quotidien des salariés du réacteur nucléaire ITER », site Reporterre, 2 mars 2022.]

 

Mesdames et Messieurs les députés européens, chers collègues,

Je vous remercie de m’avoir invité aujourd’hui comme lanceur d’alerte. Nous avons vu des photos impressionnantes du chantier ITER. Elles reflètent le meilleur de la science et de la technologie. On prépare l’énergie du futur.

La réalité du projet est très différente.

Aujourd’hui, les collègues que je rencontre à Cadarache et à Barcelone me parlent, en tête-à-tête, d’un stress insupportable et d’une peur omniprésente – peur de perdre son emploi, d’être déplacé ou de devoir exécuter un ordre contraire à l’intérêt du projet, peur aussi de parler et d’être reconnu. Il y a, dans ce projet de pointe, une « omerta », une loi du silence scientifique. Lire la suite »

Michel Claessens, ITER: a systemic drift, 2022

Like all major technological projects, the experimental nuclear fusion reactor ITER has reached its point of no return: too much money has already been invested to stop the project, difficulties are multiplying and more and more money is needed to simply continue. In these conditions, the management, caught between these contradictory injunctions, seeks to reinforce its hold on « image » and scrape by on safety… Here is the testimony of the former director of communication of the ITER Organization.

 

Ladies and Gentlemen Members of the European Parliament, Dear colleagues,

Thank you for inviting me today as a whistleblower. We have seen beautiful photos of the ITER worksite. They show the best of science and technology. We are preparing the energy of the future.

The reality of the project is very different.

Today, the colleagues I meet in Cadarache and Barcelona talk to me, face-to-face, about unbearable stress and pervasive fear – fear of being displaced, fear of losing their job or fear to have to execute a decision against the interest of the project. They are afraid to speak and be recognized. There is, in this cutting-edge project, an “omerta”, a law of scientific silence. Lire la suite »