Adrien D., Le psychiatre technophile, 2021

chronique d’un pompier pyromane

 

Serge Tisseron a toujours été « convaincu des formidables possibilités engendrées par la révolution numérique » [1], c’est pour cela que depuis presque 30 ans, il défend leurs utilisations à l’usage des enfants, petits et grands, tout en mettant en garde sur les risques. Mais disons-le tout de suite, pour le psychiatre, l’analyse bénéfices/risques, unique prisme d’analyse du monde pour le technocrate, penche systématiquement pour les premiers. Lire la suite »

Radio: Le désastre du numérique à l’école, 2017

En septembre 2014, le gouvernement lance en grande pompe le Plan Numérique pour l’Ecole de la République présenté comme la solution miracle visant à rendre l’école plus juste, plus inclusive et plus efficace. Dans leur livre Le désastre de l’école numérique (éd. du Seuil, 2016), Karine Mauvilly et Philippe Bihouix dénoncent l’illusion techniciste du gouvernement, la stupidité d’une politique non seulement inefficace mais lourde d’effets pervers, sur les plans éducatifs, psycho-sociaux, environnementaux et sanitaires. Dans cette émission, nous entendrons, Karine Mauvilly et des membres des collectifs Écran total et de l’Appel de Beauchastel qui militent contre la numérisation de tous les aspects de nos vies.

Le désastre du numérique à l’école, 2017 (51mn)

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Racine de moins un, une émission de critique des sciences, des technologies et de la société industrielle sur Radio Zinzine.

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Écran total, Résister à la gestion et l’informatisation de nos vies, 2016

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Depuis 2011, un certain nombre d’éleveuses de brebis et d’éleveurs de chèvres désobéissent à la directive européenne qui les oblige à poser des puces électroniques à l’oreille de leurs bêtes. Ils refusent de gérer leur troupeau par ordinateur et de se conformer aux nécessités de la production industrielle, comme la traçabilité. Ils s’organisent entre collègues, voisins, amis, pour répondre collectivement aux contrôles qu’exerce l’administration sur leur travail, et faire face aux sanctions financières qui leur sont infligées en conséquence.

De 2011 à 2013, des assistantes sociales ont boycotté le rendu annuel de statistiques, qui sert autant à évaluer leur travail qu’à collecter plus de données confidentielles sur les « usagers ». Elles affirment l’inutilité de l’informatique dans la relation d’aide. Elles dénoncent un des objectifs de l’administration et ses managers : celui de faire entrer l’obligation de résultats dans leur métier. Elles refusent qu’à chaque situation singulière doivent répondre des actions standard en un temps limité.

Dans les années 2000, des directeurs d’école et des parents d’élèves se sont opposés à la collecte de données personnelles sur tous les enfants scolarisés via le logiciel Base-élèves. Fin 2015, des personnels de l’éducation nationale ont dénoncé publiquement l’informatisation de l’école, par l’Appel de Beauchastel. Ils refusent de résumer leur enseignement à une pédagogie assistée par ordinateur, destinée à occuper la jeunesse en attente d’entrer sur le marché du travail.

En 2013 est né un réseau, baptisé « Écran total », pour fédérer ce type de résistances. Il réunit des personnes de toute la France travaillant dans l’élevage, l’éducation, le travail social, la médecine, la boulangerie, le maraîchage, la menuiserie ou les métiers du livre… Mais aussi des gens au chômage, au RSA ou sans activité. En comparant nos situations, nous avons reconnu une même logique à l’œuvre : l’informatique et la gestion détruisent nos métiers et dégradent les relations sociales. Nous nous y opposons ensemble, et appelons toutes celles et ceux qui vivent la même chose à rejoindre Écran total. Lire la suite »

Serge Tisseron, acceptologue du numérique à Albi, 2015

gwen_tomahawk_anachroniqueMercredi 27 mai 2015, en début de soirée, à l’université d’Albi, le groupe Faut Pas Pucer a perturbé une conférence de Serge Tisseron, expert psychiatre de son état, qui s’intitulait Apprivoiser les écrans et grandir. Organisée par la MAIF (assureur militant), cette conférence visait à traiter les inquiétudes d’un public d’âge mûr vis-à-vis du tsunami numérique en cours.

Nous avons distribué 150 exemplaires du tract ci-dessous, car même les plus motivés d’entre nous n’envisageaient pas une seconde qu’il y ait 600 personnes pour assister à cette opération de comm’ gluante. Il a été distribué dans la salle dès le début, comme complément d’information aux papiers de la MAIF disponibles à l’entrée, pour donner un point d’appui à nos interventions et perturbations ultérieures.Lire la suite »

Olivier Rey, Nouveau dispositif dans la fabrique du dernier homme, 2012

« Les hommes et les femmes que je vois dans les lieux publics marchent comme des paniers vides. Ils semblent des noix creuses, ou des courants d’air. […] Tout se passe comme si l’on avait mis ses idées à la banque, retiré des bijoux aussitôt enfermés dans des coffres à serrures compliquées. Cette humanité ne se défend plus contre l’oubli puisque, ce qu’elle aurait pu oublier, elle en a simplement fait dépôt. Nous ne sommes plus ces trouvères qui portaient en eux tous les chants passés, à quoi bon, depuis que l’on inventa les bibliothèques ? Et cela n’est rien : l’écriture, l’imprimerie n’étaient encore qu’inventions enfantines auprès des mémoires modernes, des machines qui mettent la pensée sur un fil ou le chant, et les calculs. On n’a plus besoin de se souvenir du moment que les machines le font pour nous : comme ces ascenseurs où dix voyageurs appuient au hasard des boutons, pour commander désordonnément l’arrêt d’étages divers, et l’intelligence construite rétablit l’ordre des mouvements à exécuter, ne se trompe jamais. Ici l’erreur est impensable et donc repos nous est donné de cette complication du souvenir. Ici le progrès réside moins dans l’habileté du robot, que dans la démission de celui qui s’en sert. J’ai enfin acquis le droit à l’oubli. Mais ce progrès qui me prive d’une fonction peu à peu m’amène à en perdre l’organe. Plus l’ingéniosité de l’homme sera grande, plus l’homme sera démuni des outils physiologiques de l’ingéniosité. Ses esclaves de fer et de fil atteindront une perfection que l’homme de chair n’a jamais connue, tandis que celui-ci progressivement retournera vers l’amibe. Il va s’oublier. »

Louis Aragon, Blanche ou l’oubli

On connaît cette histoire de l’homme qui a prêté un chaudron à un ami et qui se plaint, après avoir récupéré son bien, d’y découvrir un trou. Pour sa défense, l’emprunteur déclare qu’il a rendu le chaudron intact, que par ailleurs le chaudron était déjà percé quand il l’a emprunté, et que de toute façon il n’a jamais emprunté de chaudron. Chacune de ces justifications, prise isolément, serait logiquement recevable. Mais leur empilement, destiné à mieux convaincre, devient incohérent. Or c’est précisément à un semblable empilement d’arguments que se trouve régulièrement confronté quiconque s’interroge sur l’opportunité d’une diffusion massive de telle ou telle innovation technique.Lire la suite »

San Francisco contre la Silicon Valley

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Depuis le mois de décembre 2013, des habitants de la ville de San Francisco (Californie, USA) manifestent contre les bus qui emmènent les « techies », ces employés des entreprises high-tech de la Silicon Valley, sur les lieux de leur travail.

Les autobus privés de Google, de Facebook, Genentech, Apple, Yahoo et d’autres sociétés sont un outil de travail, permettant de prolonger la journée de leurs employés : tous sont très confortables et proposent tout l’équipement pour travailler connecté pendant les longues heures de trajets dans une métropole où la circulation est difficile.

Pour les manifestants, ils sont le symbole de la gentrification de San Francisco. Celle-ci se fait d’abord au détriment du transport public, car ces autobus empruntent les lignes de bus publiques, s’arrêtent aux mêmes arrêts, ce qui a des effets d’engorgement sur le reste du réseau. Ensuite elle se traduit par l’accroissement des différences sociales, notamment à travers la hausse spectaculaire des loyers et la multiplication des expulsions (+25% en 2012) et les saisies, avec son lot de drames humains. Lire la suite »

Philippe Godard, Dans la jungle digitale, 2013

Désormais, il est vain de discuter de la possibilité ou non du passage de ce monde, de cette culture, de cette civilisation, vers un autre univers, dans lequel le digital tiendrait lieu de technologie fondamentale. Il ne sert à rien d’en discuter car nous vivons déjà l’âge digital. Pourtant, rien n’est joué : l’ère digitale ne fait que commencer ; tout se trouve encore en chantier – et il est plus facile d’arrêter un chantier que de déconstruire ce qui a été élevé ! Surtout : le nouvel édifice suit un plan d’ensemble qui fait du numérique non seulement l’outil fondamental de ce monde, mais aussi son idéologie ; or, cette idéologie ne réussit à s’imposer que par son absence. Lire la suite »

Philippe Godard, Echapper au «nouvel âge digital»?, 2013

Eric Schmidt, PDG de Google, et Jared Cohen, directeur de Google Ideas [1], ont publié le 23 avril 2013 : The New Digital Age. Reshaping the Future of People, Nations and Business (« Le Nouvel Âge digital. Refaçonner le futur des peuples, des nations et des affaires »).

Au 1er juin, leur ouvrage figure en tête des ventes Amazon outre-Atlantique dans les catégories « Computers and Technology – History », « Politics and Social Science – History and Theory », et est deuxième de la rubrique « Science and Math – Technology », derrière l’indéboulonnable biographie de Steve Jobs.

Pourtant, il ne s’agit pas d’un énième documentaire sur l’âge digital : nous voici face à un authentique ouvrage politique. Il serait folie de l’ignorer.Lire la suite »

Sans rêve et sans réalité

Quelques notes sur les écrans et l’éducation des enfants

Les écrans, qu’ils soient destinés à regarder la télévision, à consulter Internet, à jouer à toutes sortes de jeux, sur consoles ou sur ordinateurs, à faire les courses, à communiquer, à travailler, etc., sont de plus en plus présents dans le quotidien des gens. Les enfants et les adolescents n y échappent pas et représentent même une grande part de la population à adhérer activement à ces machineries.

Le rapport des enfants et des jeunes aux écrans pose déjà un certain nombre de problèmes au point qu’une institution comme la Caf (Caisse d’allocations familiales) se permet de donner régulièrement des conseils aux parents via ses prospectus gratuits envoyés aux familles.

Ce n’est là qu’un exemple parmi beaucoup d’autres; on peut lire tout d’abord dans Vies de famille, février 2012 qu’il ne s’agit pas «de diaboliser les écrans désormais omniprésents dans nos vies», «que ces outils ne sont pas nocifs en eux-mêmes, seul l’usage que l’on en fait peut devenir dangereux», que prendre conscience des dérives possibles nous aiderait à mieux utiliser les écrans et à ne pas les laisser nous accaparer, que les écrans «constituent de formidables ouvertures sur le monde, offrent de nouvelles méthodes d’apprentissage, enrichissent les relations sociales».Lire la suite »

Nicholas Carr, Est-ce que Google nous rend idiot ?, 2008

Il nous a semblé important de vous proposer à la lecture Is Google Making Us Stupid ?, l’article de Nicholas Carr, publié en juin 2008 dans la revue The Atlantic, et dont la traduction, réalisée par Penguin, Olivier et Don Rico, a été postée sur le FramaBlog en décembre. Dans cet article, Nicolas Carr, l’auteur de Big Switch et de Does IT matter ?, que l’on qualifie de Cassandre des nouvelles technologies, parce qu’il a souvent contribué à un discours critique sur leur impact, part d’un constat personnel sur l’impact qu’à internet sur sa capacité de concentration pour nous inviter à réfléchir à l’influence des technologies sur notre manière de penser et de percevoir le monde.

« Dave, arrête. Arrête, s’il te plaît. Arrête Dave. Vas-tu t’arrêter, Dave ? » Ainsi le super-ordinateur HAL suppliait l’implacable astronaute Dave Bowman dans une scène célèbre et singulièrement poignante à la fin du film de Stanley Kubrick 2001, l’odyssée de l’espace. Bowman, qui avait failli être envoyé à la mort, au fin fond de l’espace, par la machine détraquée, est en train de déconnecter calmement et froidement les circuits mémoires qui contrôlent son “cerveau” électronique. « Dave, mon esprit est en train de disparaître, dit HAL, désespérément. Je le sens. Je le sens. »

Moi aussi, je le sens. Ces dernières années, j’ai eu la désagréable impression que quelqu’un, ou quelque chose, bricolait mon cerveau, en reconnectait les circuits neuronaux, reprogrammait ma mémoire. Mon esprit ne disparaît pas, je n’irai pas jusque là, mais il est en train de changer. Je ne pense plus de la même façon qu’avant. C’est quand je lis que ça devient le plus flagrant. Auparavant, me plonger dans un livre ou dans un long article ne me posait aucun problème. Mon esprit était happé par la narration ou par la construction de l’argumentation, et je passais des heures à me laisser porter par de longs morceaux de prose. Ce n’est plus que rarement le cas. Désormais, ma concentration commence à s’effilocher au bout de deux ou trois pages. Je m’agite, je perds le fil, je cherche autre chose à faire. J’ai l’impression d’être toujours en train de forcer mon cerveau rétif à revenir au texte. La lecture profonde, qui était auparavant naturelle, est devenue une lutte.Lire la suite »