Gabrielle Hecht, Uranium & Rayonnement, 2016

Gabrielle Hecht,
Uranium africain.
Une histoire globale,
Seuil, Paris, 2016.

 

Comment et dans quelles conditions le continent africain a-t-il contribué au développement de l’industrie nucléaire mondiale ? Alors que le Congo, le Gabon, Madagascar, le Niger, l’Afrique du Sud et la Namibie ont fourni jusqu’à 50 % de l’uranium importé par les pays occidentaux pendant la guerre froide, comment se fait-il que l’activité nucléaire de ces pays n’ait pas été reconnue comme telle ? À partir d’une enquête sur l’extraction et la transformation de l’uranium, première étape de la chaîne de production nucléaire, l’historienne américaine des sciences et des techniques Gabrielle Hecht saisit les dynamiques de mise en invisibilité des acteurs africains du « monde nucléaire », ainsi que leurs effets en termes de santé au travail et de santé environnementale. Lire la suite »

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Claude Alvares, Science, 1992

Le Dictionnaire du développement,
un guide de la connaissance comme pouvoir

 

Je suis né dans une culture qui continue à exercer une plus grande influence et un plus grand pouvoir sur les comportements que la science moderne ne le fait, ou ne le fera jamais. Si ceci est bien compris, alors cette notice nécrologique ne paraîtra ni scandaleuse ni calomniatrice. Toute culture enjoint ses membres à faire preuve de respect à l’égard de certaines entités. La science moderne ne trouve pas sa place dans notre panthéon.

Loin de là. De ce côté-ci de Suez, en fait, la science moderne apparaît comme une marque de dentifrice importée. Elle contient des promesses raffinées, beaucoup de douceur et de charme. On peut l’utiliser, on l’utilise souvent (souvent inutilement), mais on peut s’en passer à tout moment, précisément parce qu’elle n’a pas encore beaucoup de rapport avec la vie. Lire la suite »

Claude Alvares, Science, 1992

The Development Dictionary,
A Guide to Knowledge As Power

 

I was born into a culture that continues to exercise greater influence and power over behaviour than modern science does, or will ever do. If that were properly understood, then this obituary would not appear either scandalous or scurrilous. Every culture enjoins its members to maintain respect for certain entities. Modern science does not find a place in our pantheon.

Far from it. From this side of Suez, in fact, modern science appears akin to an imported brand of toothpaste. It contains elaborate promises and much sweetness and glamour. It can be used, is often used (many times pointlessly), yet can be dispensed with at any time precisely because it is still largely irrelevant to life. Lire la suite »

Claude Alvares, Ciencia, 1992

Diccionario del desarrollo,
Una guía del conocimiento como poder

 

Nací en una cultura que continúa ej erciendo una influencia y un poder sobre el comportamiento, mayores que la que logra o logrará nunca la ciencia moderna. Si eso fuese adecuadamente entendido, entonces este obituario no parecería escandaloso ni insolente. Cada cultura impone a sus miembros respeto por ciertas entidades. La ciencia moderna no tiene lugar en nuestro panteón.

Lejos de eso. Desde este lado de Suez, en efecto, la ciencia moderna se asemeja a una marca importada de pasta dental. Contiene elaboradas promesas y mucha dulzura y atractivo. Puede usarse y es usada con frecuencia (muchas veces sin ton ni son); aún así, puede dispensarse de ella en cualquier momento, precisamente porque es aún, en gran medida, irrelevante para la vida.
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Philippe Oberlé, Half-Earth : sanctuariser la moitié de la Terre, 2021

un projet utopique, écofasciste et technocratique

Dans son livre Half-Earth : Our Planet’s Fight for Life [Demi-Terre : le combat de notre planète pour la vie] paru en 2016, le célèbre biologiste Edward Osborne Wilson détaille son plan de sauvetage pour la biosphère. Sa recette ? Sanctuariser au moins la moitié de la planète et utiliser l’innovation technologique pour extraire l’espèce humaine de son milieu naturel. Cette dernière évoluerait alors dans une bulle hors-sol entièrement déconnectée du reste du vivant. Wilson cite quelques-uns des ingrédients de sa solution miracle : création d’un « réseau mondial de réserves naturelles inviolables couvrant [au minimum] la moitié de la surface terrestre » ; biologie synthétique pour optimiser la production de nourriture ; organismes et cultures vivrières génétiquement modifiés ; fermes verticales ; « création de vie artificielle et d’un esprit artificiel » ; installation de milliers de caméras dans les réserves pour des visites virtuelles ; numérisation des relations humaines et des relations humains-nature ; inventorier la totalité de la biosphère grâce à l’intelligence artificielle et aux machines ; et bien d’autres choses effrayantes mais symptomatiques du virus technoscientiste.

Avec son curriculum vitae à rallonge et son discours d’une arrogance extrême, Edward Osborne Wilson apparaît comme un digne représentant de la vermine technocratique. Professeur à Harvard, père fondateur de la sociobiologie et de la biogéographie, inventeur du terme « biodiversité », récipiendaire de deux prix Pullitzer dont un pour son livre On Human Nature [Sur la nature humaine], et membre de l’Académie états-unienne des Arts et des Sciences, Wilson a été élu en 1995 par le Time Magazine comme l’un des vingt-cinq États-Uniens les plus influents. En 2005, la revue Foreign Policy le comptait parmi les cent intellectuels les plus importants [1]. Autre preuve de sa consécration par la culture dominante, E.O. Wilson a donné son nom à une fondation œuvrant pour la biodiversité. Lire la suite »

C. Bonneuil et J.B. Fressoz, Capitalocène, 2017

une histoire conjointe du système terre et des systèmes-monde

Si, selon le mot de Frederic Jameson [Jameson, 2003], il est plus facile « d’imaginer la fin du monde que celle du capitalisme », c’est que ce dernier est devenu coextensif à la Terre.

Les trois derniers siècles se caractérisent par une accumulation extraordinaire de capital : en dépit de guerres destructrices, ce dernier s’est accru d’un facteur 134 entre 1700 et 2008 [Piketty, 2013] [1]. Cette dynamique d’accumulation du capital a sécrété une « seconde nature » faite de routes, de plantations, de chemins de fer, de mines, de pipelines, de forages, de centrales électriques, de marchés à terme et de porte-conteneurs, de places financières et de banques structurant les flux de matière, d’énergie, de marchandises et de capitaux à l’échelle du globe. Bien plus qu’un « anthropos » indifférencié et considéré sous l’angle principalement démographique, c’est cette technostructure orientée vers le profit qui a fait basculer le système terre dans « l’Anthropocène ». Le changement de régime géologique est le fait de « l’âge du capital » [Hobsbawm, 1968] bien plus que le fait de « l’âge de l’homme » dont nous rebattent les récits dominants. Lire la suite »

Arturo Escobar, L’invention du développement, 1999

Un des nombreux changements survenus dans la période postérieure à la Seconde Guerre mondiale a été la « découverte » de la pauvreté de masse en Asie, en Afrique et en Amérique latine. Passée relativement inaperçue et apparemment logique, cette découverte allait servir de fondement à une importante restructuration de la culture et de l’économie politique à l’échelle mondiale. Le discours guerrier a investi le domaine social et un nouveau terrain géographique : le tiers monde. La lutte contre le fascisme a été mise de côté tandis que la « guerre contre la pauvreté » a commencé à occuper une grande place. Des faits éloquents ont été invoqués pour justifier cette nouvelle guerre, comme l’écrit Harold Wilson dans The War on World Poverty [La Guerre contre la pauvreté mondiale, 1953]), :

« Plus de [1,5 milliard] de personnes, soit environ deux tiers de la population mondiale, vivent une situation de faim aiguë, ce qui signifie qu’elles sont en proie à des maladies de la nutrition identifiables. Cette faim est à la fois la cause et la résultante de la pauvreté, des conditions sordides et de la misère que ces gens connaissent. »

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Arturo Escobar, The Invention of Development, 1999

Development was – and continues to be for the most part – a top-down, ethnocentric, and technocratic approach that treats people and cultures as abstract concepts, statistical figures to be moved up and down in the charts of “progress”. … It comes as no surprise that development became a force so destructive to third world cultures, ironically in the name of people’s interests.

 

One of the many changes that occurred in the early post-World War II period was the “discovery” of mass poverty in Asia, Africa, and Latin America. Relatively inconspicuous and seemingly logical, this discovery was to provide the anchor for an important restructuring of global culture and political economy. The discourse of war was displaced onto the social domain and to a new geographic terrain: the third world. Left behind was the struggle against fascism as the “war on poverty” in the third world began to occupy a prominent place. Eloquent facts were adduced to justify this new war: “Over [1.5 billion] people, something like two-thirds of the world population”, Harold Wilson noted in The War on World Poverty, “are living in conditions of acute hunger, defined in terms of identifiable nutritional disease. This hunger is at the same time the cause and effect of poverty, squalor, and misery in which they live”. Lire la suite »

Otto Ullrich, Technologie, 1992

Le Dictionnaire du développement,
un guide de la connaissance comme pouvoir

 

Le célèbre discours de Harry S. Truman du 20 janvier 1949 peut être considérée comme la proclamation officielle de la fin de l’ère coloniale. Il a annoncé un plan de croissance économique et de prospérité pour le monde entier, incluant explicitement les « zones sous-développées ».

« Nous devons nous lancer dans un nouveau programme audacieux pour mettre les bénéfices de nos avancées scientifiques et de nos progrès industriels au service de l’amélioration et de la croissance des zones sous-développées. […] Le vieil impérialisme – l’exploitation pour le profit de la métropole – n’a pas sa place dans nos plans […] Une production accrue est la clé de la prospérité et de la paix. Et la clé d’une production accrue est une application plus large et plus vigoureuse des connaissances scientifiques et techniques modernes. » [1]

Une plus grande prospérité exige une augmentation de la production, et une production accrue nécessite une technologie scientifique – depuis lors ce message a été repris dans d’innombrables déclarations des élites politiques de l’Ouest et de l’Est. John F. Kennedy, par exemple, a demandé avec insistance au Congrès, le 14 mars 1961, d’être conscient de sa tâche historique et d’autoriser les moyens financiers nécessaires à l’Alliance pour le progrès :

« Dans toute l’Amérique latine, des millions de personnes luttent pour se libérer des liens de la pauvreté, de la faim et de l’ignorance. Au Nord et à l’Est, ils voient l’abondance que peut apporter la science moderne. Ils savent que les outils du progrès sont à leur portée. » [2]

Avec l’ère du développement, la science et la technologie ont occupées le devant de la scène. Elles étaient considérées comme la raison de la supériorité du Nord et la garantie de la promesse de développement du Sud. En tant que « clé de la prospérité », elles devaient ouvrir la voie à l’abondance matérielle et, en tant qu’ « outils de progrès », conduire les nations du monde vers les hautes terres ensoleillées de l’avenir. Il n’est pas étonnant que pendant des décennies, de nombreuses conférences dans le monde entier, et en particulier aux Nations unies, se soient focalisées, dans un esprit d’espérance quasi religieuse, sur les « puissantes forces de la science et de la technologie ». Lire la suite »

Otto Ullrich, Technology, 1992

The Development Dictionary,
A Guide to Knowledge As Power

 

Harry S. Truman’s famous statement of 20 January 1949 can be regarded as the official proclamation of the end of the colonial age. He announced a plan for economic growth and prosperity for the entire world, explicitly including the “underdeveloped areas”.

“We must embark on a bold new program for making the benefits of our scientific advances and industrial progress available for the improvement and growth of underdeveloped areas. … The old imperialism – exploitation for foreign profit – has no place in our plans.… Greater production is the key to prosperity and peace. And the key to greater production is a wider and more vigorous application of modern scientific and technical knowledge.” [1]

Greater prosperity calls for increased production, and more production requires scientific technology – this message has been proclaimed ever since in countless statements by the political elites of both West and East. John F. Kennedy, for example, emphatically challenged Congress on 14 March 1961, to be conscious of its historical task and authorize the financial means necessary for the Alliance for Progress:

“Throughout Latin America millions of people are struggling to free themselves from the bonds of poverty and hunger and ignorance. To the North and East they see the abundance which modern science can bring. They know the tools of progress are within their reach.” [2]

With the age of development, science and technology took over the leading role altogether. They were regarded as the reason for the superiority of the North and the guarantee of the promise of development. As the “key to prosperity” they were to open up the realm of material surplus and, as the “tools of progress”, to lead the countries of the world towards the sunny uplands of the future. No wonder that for decades numerous conferences all over the world, and particularly in the United Nations, focused, in a spirit of near religious hopefulness, on the “mighty forces of science and technology”. Lire la suite »