Groupe Libeludd, Mouvement des retraites, 2010

Des millions de personnes dans la rue. Des appels à la grève illimitée. Des ports bloqués depuis deux semaines. Des raffineries en grève annonçant une prochaine pénurie de carburant. Des milliers de lycéens qui bloquent leurs lycées. Le ras-le-bol se généralise et le mouvement contre la réforme des retraites prend de l’importance. Partout se diffuse le sentiment que quelque chose est en train de se jouer.

Ce mouvement, nous en faisons partie, et nous sommes solidaires des personnes en lutte, contre la réforme des retraites, et contre l’exploitation en général. Il est légitime que des personnes qui ont travaillé toutes leur vie refusent de rempiler pour deux années supplémentaires. Ce refus est d’autant plus justifié qu’un partage des richesses détenues par quelques-uns pourraient permettre à tous d’avoir une vie et une retraite décentes. Lire la suite »

M. Amiech et J. Mattern, Remarques laborieuses sur la société du travail mort-vivant, 2008

Lors des premières phases de l’industrialisation, une profonde inquiétude hantait les observateurs de l’activité humaine. Avec le déclin de l’artisanat et de la petite propriété, beaucoup craignaient de voir disparaître certaines qualités humaines essentielles, comme la maîtrise technique et le raffinement esthétique, mais aussi le sens de l’effort et de la responsabilité.

Tocqueville pensait que la modernité « démocratique » portait les « artisans à faire très rapidement beaucoup de choses imparfaites, et le consommateur à se contenter de ces choses » [1]. D’autres, réputés plus radicaux, mirent en évidence le renforcement des rapports hiérarchiques découlant de la confiscation du savoir-faire au profit des ingénieurs et de la réduction de l’activité productive à un simple travail d’exécution. En France, les critiques du machinisme et de l’organisation scientifique du travail trouvèrent leur point d’orgue dans l’entre-deux-guerres, avec les « scènes de la vie future » [2] rapportées par certains essayistes de retour des États-Unis. Écrasant le travailleur dans l’usine, puis l’abaissant en dehors par toute sa quincaillerie et ses promesses de bonheur facile, le « Progrès » dans sa globalité y était habillé de couleurs cauchemardesques. Lire la suite »

Célia Izoard, Lettre aux ingénieurs du véhicule autonome, 2020

A l’occasion de la publication de Merci de changer de métier, Lettres aux humains qui robotisent le monde (éditions de la dernière lettre, 2020), de la chercheuse et journaliste Célia Izoard, nous publions la lettre qui ouvre ce recueil. Une adresse qui interroge la responsabilité du développement et du déploiement technique sur la société et qui va bien au-delà des enjeux du seul véhicule autonome.

 

Salut à vous,

Voilà plusieurs années que vous êtes lancés sur l’un des plus gros projets industriels de la décennie, celui de faire rouler des voitures, des bus et des camions sans conducteur. Plus besoin d’humain derrière le volant, ces véhicules issus de la fusion entre la voiture, l’ordinateur et le robot arrivent d’un coup d’appli et se conduisent tout seuls, équipés de centaines de capteurs – caméras pour reproduire la vision en 3D de la route ou suivre le marquage au sol, lidars [1] et radars longue portée pour détecter les objets environnants – reliés à un ordinateur central traitant des dizaines de gigaoctets par minute. Aujourd’hui, vous mettez tout ce qui fait de vous des gens vivants et en mouvement au service de ce projet là. Votre énergie, votre talent, votre temps, tout ceci vous sert à perfectionner des capteurs, à éduquer des algorithmes pour que le système ne confonde pas la feuille morte avec l’enfant qui joue. Lire la suite »

Philippe Bihouix, Le mythe de la technologie salvatrice, 2017

Les coûts écologiques de la technique (déchets, pollution) sont rendus invisibles par la délocalisation de la production industrielle. Ils devraient nous inciter à promouvoir une technologie sobre et résiliente.

 

À l’exception – notable – des climato-négationnistes et de quelques « écologistes » sceptiques [1], rares sont ceux qui se risquent à contester l’état peu affriolant de notre planète. Il faut en effet déployer des trésors d’ingéniosité pour occulter l’évidence. Très localement, la situation a pu s’améliorer – la pollution de l’air dans certaines villes européennes est moindre qu’à la fin du XIXe siècle ou pendant le grand smog londonien de 1952. Mais sur les paramètres globaux, comment nier les forêts tropicales dévastées, le blanchiment des coraux, l’effondrement des populations d’animaux sauvages, l’accumulation de polluants sous toutes les latitudes, l’érosion ou la dégradation des terres arables, l’urbanisation galopante ? Sans faire le tour de la Terre, tout individu âgé de plus de 40 ans se souvient qu’il fallait nettoyer le pare-brise des voitures à la belle saison. Où sont donc passés les insectes ? Lire la suite »

François Jarrige, Promesses robotiques et liquidation du politique, 2017

Depuis les années 1970, les robots envahissent les mondes du travail, les ateliers, les usines comme les foyers et les champs. Lors du dernier Salon de l’agriculture, organisé à Paris en 2016, ils étaient célébrés comme des auxiliaires indispensables pour sauver une agriculture en crise : outre les robots de traite et d’alimentation introduits depuis déjà longtemps, d’autres sont annoncés pour semer, désherber, pulvériser, alors que la robotisation s’accélère dans les usines, qui automatisent de plus en plus de tâches. Lire la suite »

Matthieu Amiech, Notre libre-arbitre est aspiré par Internet, 2019

L’essayiste et éditeur Matthieu Amiech, membre du Groupe MARCUSE (Mouvement autonome de réflexion critique à l’usage des survivants de l’économie), revient sur les dangers de l’informatisation de notre société, problème politique majeur, selon lui.

Le Groupe MARCUSE – en référence à Herbert Marcuse – vient de rééditer La Liberté dans le coma (éd. La Lenteur), six ans après la première version. Cette nouvelle édition comporte une préface conséquente et des tribunes. Dans cet ouvrage, le collectif critique les conséquences de l’informatisation croissante de nos vies. Il s’agit pour eux d’un problème politique majeur.

« La vie privée n’est pas mise en danger par les “dérives” d’internet, elle est déjà en lambeaux, mise à sac par les assauts répétés de la société moderne au nom de la prospérité économique et de l’impératif d’élévation du niveau de vie. La surveillance, mercantile ou policière, résulte du choix collectif d’un mode de vie irresponsable. Elle est inévitable tant que les individus accepteront que des organisations géantes administrent leur existence. »

Membre du collectif et co-fondateur des éditions La Lenteur, Matthieu Amiech revient avec nous sur les enjeux du numérique. Lire la suite »

Radio: Écran Total à Radio Zinzine, 2018

Le collectif Écran Total tente d’organiser la résistance à la gestion et à l’informatisation de nos vies. Tous les ans, fin octobre, il organise une rencontre nationale de quelques jours dans un lieu à chaque fois différent. Toutes les personnes qui participent où sont intéressées par la démarche d’Écran Total y sont conviées. Une réunion publique permet également de présenter le collectif aux personnes habitant la région.

Les 6e rencontres du se sont tenues en octobre 2018 dans les Hautes-Alpes, à Savournon, petit village pas loin de Serres (voir aussi l’émission Écran Total à Petit Terus). Des membres de ce collectif sont ensuite passés dans les studios de Radio Zinzine. Dans la première moitié de cette émission, ils présentent l’histoire du collectif, ses activités et ses analyses. Dans la seconde moitié, Matthieu raconte et commente l’action que ce collectif a menée avec des Gilets jaunes au Forum de la robotique agricole de Toulouse le 18 décembre 2018.

Si vous habitez la région PACA et désirez être informé des activités ou rejoindre le collectif Écran Total, écrivez à Tranbert de Radio Zinzine, 04 300 Limans !

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Racine de moins un
Une émission
de critique des sciences, des technologies
et de la société industrielle.
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Émission Racine de Moins Un n°56,
diffusée sur Radio Zinzine en octobre 2019.

 

John von Neumann, Pourrons-nous survivre à la technologie ?, 1955

En 1955, deux ans avant de crever d’un cancer des os, l’abominable scientifique John von Neumann (1903-1957), écrivit un article pour la revue Fortune, intitulé “Pourrons-nous survivre à la technologie ?”. C’était poser la question à l’un des pires ennemis de l’humanité que le Livre Noir de la Science ait connu, et l’un des mieux à même d’y répondre.

Son collègue Richard Feynman, précurseur des nanotechnologies, l’évoquait ainsi, à propos des beaux jours passés ensemble à Los Alamos alors qu’ils participaient au projet Manhattan, à la réalisation de la bombe atomique :

« Et puis, j’ai connu von Neumann, le célèbre mathématicien. […] Je dois à von Neumann d’avoir compris que nous n’avons pas à nous sentir responsables du monde dans lequel nous vivons. Depuis lors, je n’ai cessé de me sentir “socialement irresponsable”, et je me suis toujours bien porté. Cette irresponsabilité active qui est la mienne est née de ces conseils que von Neumann me donnait lors de nos promenades. »

Que John von Neumann, juif hongrois né Janos Lajos Neumann en 1903, naturalisé américain en 1937, ait combattu l’Allemagne nazie et l’Union soviétique sur le front militaro-scientifique, cela va de soi. Il fit ce que faisaient ses collègues, dans tous les camps ; quitte à en changer quand on ne leur donnait plus les moyens de leurs passionnantes recherches. Von Neumann y apporta cependant un génie démoniaque et une insouciance allègre, de l’ordre de l’instinct de mort tel que décrit par Freud dans Malaise dans la civilisation. Ce n’est pas rien que d’être considéré à la fois comme « le père » de la bombe H, de la « théorie des jeux », de l’architecture des ordinateurs et même, de la « singularité technologique ». C’est-à-dire de cette théorie du développement exponentiel des technologies et du dépassement de l’homme par les « machines intelligentes ». Lire la suite »

John von Neumann, Can We Survive Technology?, 1955

For the kind of explosiveness that man will be able to contrive by 1980, the globe is dangerously small, its political units dangerously unstable.

 

« The great globe itself » is in a rapidly maturing crisis — a crisis attributable to the fact that the environment in which technological progress must occur has become both undersized and underorganized. To define the crisis with any accuracy, and to explore possibilities of dealing with it, we must not only look at relevant facts, but also engage in some speculation. The process will illuminate some potential technological developments of the next quarter-century.

In the first half of this century the accelerating industrial revolution encountered an absolute limitation — not on technological progress as such but on an essential safety factor. This safety factor, which had permitted the industrial revolution to roll on from the mid-eighteenth to the early twentieth century, was essentially a matter of geographical and political Lebensraum: an ever broader geographical scope for technological activities, combined with an ever broader political integration of the world. Within this expanding framework it was possible to accommodate the major tensions created by technological progress.Lire la suite »

Groupe Oblomoff, Le Monde en pièces, vol. 2, 2019

Les éditions La Lenteur ont publié Le Monde en pièces, pour une critique de la gestion, volume 2: Informatiser. Ci-dessous une brève présentation.

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Cet ouvrage est une lointaine répercussion d’un séminaire, intitulé “Critique de la gestion”, qui s’est tenu entre 2009 et 2012 dans des locaux du CNRS, à Paris. La première année, dédiée au thème de la quantification, a donné lieu à un premier volume, justement intitulé Le Monde en pièces. Pour une critique de la gestion, volume I: Quantifier (La Lenteur, 2012).

Le présent volume, le deuxième de la série, est construit sur le même principe, c’est-à-dire des articles tirés des interventions qui ont eu lieu lors de ce séminaire. Lire la suite »