Xavier Noulhianne est éleveur et a écrit Le Ménage des champs – Chroniques d’un éleveur du XXIe siècle, Éditions du bout de la ville, 2016. Nous avons souhaité l’interviewer car ce qu’il documente, depuis sa propre expérience, des conditions de la production alimentaire aujourd’hui, décrit un système à proprement parler totalitaire (dont la formule « il n’y a qu’un seul éleveur en France : l’État », rend spectaculairement compte). Ses propos ne peuvent que nous interroger sur le territoire perdu en matière de maîtrise et d’autonomie, et sur la tâche à mener désormais pour reprendre possession, politiquement et matériellement, de ce rapport à l’alimentation, des conditions de sa production et des modalités de sa consommation.Lire la suite »
Étiquette : agroindustrie
Paul Kingsnorth, La vérité sur l’écofascisme, 2022
L’environnementalisme a été
détourné par les technocrates
Vous avez sans doute déjà entendu parler de la menace croissante que représente l’« éco fascisme ». Dans le cas contraire, cela ne tardera pas, car le nombre de personnes qui dénoncent ce nouveau danger pour la civilisation croît exponentiellement. Dans des publications de droite, de gauche, ou sans étiquette, vous pourrez lire de longs exposés sur les origines et les intentions de cet inquiétant mouvement qui semble s’enraciner dans le monde entier.
On pourrait assez aisément réunir tous ces essais et tous ces articles en un seul, et il semble parfois que ce soit déjà fait. La méthode est toujours la même et elle peut avantageusement s’appliquer à tout le spectre politique. Commencez par évoquer une « vague montante d’autoritarisme » dans le monde entier, telle qu’elle se manifeste dans le « populisme », le Brexit, Gorgia Meloni, Viktor Orbán, Justin Trudeau, Donald Trump, Joe Biden ou n’importe quel autre dirigeant qui vous déplaît. Analysez ensuite jusqu’à quel point on retrouve cet « autoritarisme montant » dans la défense de l’environnement, comme le prouvent Just Stop Oil, Extinction Rebellion, The Green New Deal, The Great Reset [1], Bill Gates, Greta Thunberg ou … inscrivez ici le nom de votre bête noire. Lire la suite »
Jean-Pierre Berlan, Lettre ouverte aux agriculteurs progressistes qui s’apprêtent à semer du maïs transgénique, 2006
Les semences conventionnelles de « variétés hybrides » de maïs coûtent environ 150 euros/ha. Les semences transgéniques coûtent sans doute plus cher à moins que, comme Innovateur chargé d’ouvrir la voie au Progrès, vous ne bénéficiiez de conditions spéciales qui, de toute façon, ne dureront pas.
Bref, le coût des semences à l’hectare représente l’équivalent de 15 à 18 voire même dans certains cas, 20 quintaux de production. Vous semez environ 15 kilogramme à l’hectare. Un quintal de semences « hybrides » de maïs coûte plus de 1 000 euros, alors que le quintal de maïs grain tourne autour de 9 euros.
Un quintal de semences de maïs « hybride » vaut donc 100 fois plus cher qu’un quintal de maïs grain. Si vous pouviez semer le grain récolté, vous économiseriez environ 150 euros par hectare. Ce serait autant de bénéfice en plus pour vous. Sur une centaine d’hectares, cela représente 15 000 euros. Je ne crois pas qu’il y ait de désaccord sur ces chiffres. Lire la suite »
Jean-Pierre Berlan, De la bannette au pain, 2019
De la bannette au pain est un Duologos mis en scène et en bouche par Jean-Pierre Berlan et François Palanque en 2019 avec le coup de main de Julien Pillet. Une joyeuse conférence-exposition-dégustation-discussion sur l’extraordinaire diversité et beauté des blés de pays.
Jean-Pierre Berlan est ingénieur-chercheur en agronomie et sciences économiques et François Palanque, acteur-chercheur en clowneries en tous genres.
Animés par « l’amour de la recherche, celui du travail et de l’émerveillement », nos deux experts-compères mènent une recherche permanente et enthousiaste, en résistance à la destruction galopante de la biodiversité. Lire la suite »
Remise des diplômes AgroParisTech, Appel à déserter, 2022
Huit jeunes ingénieur.es d’AgroParisTech ont appelé leurs camarades de promotion à déserter de leurs « jobs destructeurs » et à ouvrir « d’autre voies », lors de leur cérémonie de remise de diplôme, le 30 avril. Nous publions leur déclaration.
Les diplômé.es de 2022 sont aujourd’hui réuni.es une dernière fois après trois ou quatre années à AgroParisTech. Nous sommes plusieurs à ne pas vouloir faire mine d’être fières et méritantes d’obtenir ce diplôme à l’issue d’une formation qui pousse globalement à participer aux ravages sociaux et écologiques en cours. Nous ne nous considérons pas comme les « Talents d’une planète soutenable » [nouvelle devise d’AgroParisTech].
Nous ne voyons pas les ravages écologiques et sociaux comme des « enjeux » ou des « défis » auxquels nous devrions trouver des « solutions » en tant qu’ingénieures. Nous ne croyons pas que nous avons besoin de « toutes les agricultures ». Nous voyons plutôt que l’agro-industrie mène une guerre au vivant et à la paysannerie partout sur terre. Nous ne voyons pas les sciences et techniques comme neutres et apolitiques. Nous pensons que l’innovation technologique ou les start-up ne sauveront rien d’autre que le capitalisme. Nous ne croyons ni au développement durable, ni à la croissance verte. Ni à la « transition écologique », une expression qui sous-entend que la société pourra devenir soutenable sans qu’on se débarrasse de l’ordre social dominant.Lire la suite »
L’Atelier Paysan, Reprendre la terre aux machines, 2021
La clef à molette des champs
Loin de se limiter aux seules métropoles, le déferlement high-tech s’abat aussi sur les campagnes et les activités agricoles, transformant peu à peu les anciens paysans en simples opérateurs de machines. Pour contrer ce mouvement de fond, une coopérative d’autoconstruction de machines agricoles s’est monté il y a une dizaine d’années en Isère. L’Atelier paysan – c’est son nom – aujourd’hui installé à Renage, à trente kilomètres de Grenoble, connaît un petit succès et une croissance importante ces dernières années. Discussion avec deux de ses membres autour de la philosophie, des questionnements et des limites de cette structure
L’Atelier paysan est né presque en même temps que le Postillon : Il y a un peu plus de 10 ans. À l’époque Fabrice Clerc, qui travaille pour Adabio, une association pour le développement de l’agriculture biologique, rencontre Joseph Templier, paysan installé en Isère, à Saint-Blaise-du-Buis. Comment ça s’est passé ?
Fabrice Clerc : À l’époque Joseph avait une ferme en maraîchage bio sur laquelle il faisait de la culture en « planches permanentes », une méthode qu’il avait découverte lors d’un voyage en Allemagne, grâce à trois machines qu’il a conçues et autoconstruites : le vibroplanche, le cultibutte et la butteuse à planche.
Il était parti du constat que les machines agricoles conventionnelles entraînent un appauvrissement de la terre. Au delà de ça, on partageait également l’idée que ces machines engendrent une perte d’autonomie de la paysannerie : en amont tu ne choisis pas l’outil avec lequel tu travailles et en aval elles induisent une production standardisée que tu ne pourras pas écouler en vente directe et qui t’impose donc de te conformer aux impératifs de la filière. C’est une double contrainte terrible dans laquelle tu te retrouves coincé. Lire la suite »
Rohit Kumar, Soulèvement des paysans indiens, 2021
Questions les plus fréquemment posées
Devinder Sharma, expert en politique alimentaire et commerciale, répond à des questions de fond sur les raisons pour lesquelles les paysans manifestent aux frontières de Delhi depuis 50 jours [plus de 100 jours, à l’heure où nous publions cette traduction].
Alors même que le gouvernement central et ses acolytes dans les médias font des heures supplémentaires pour vanter les avantages des trois nouvelles lois agricoles auprès du public indien, les paysans qui manifestent aux portes de Delhi ont clairement fait savoir qu’ils ne reculeront pas tant que ces lois ne seront pas abrogées. Pris entre le feu croisé de la désinformation et des faits, l’Indien urbain moyen est quelque peu désorienté quant aux mérites et démérites de la protestation des paysans – qui a maintenant franchi le cap des 50 jours [plus de 100 jours, à l’heure où nous publions cette traduction].
S’il y a une chose qui est devenue de plus en plus évidente au cours des sept dernières semaines, c’est que les habitants des grandes villes indiennes vivent dans un univers très différent de celui de leurs homologues ruraux, et qu’ils ont du mal à comprendre pourquoi les fermiers qui campent aux portes de Delhi sont aussi déterminés qu’eux à obtenir ce qu’ils veulent. L’une des principales raisons de cette situation est qu’ils ne connaissent pas les « dessous » des manifestations.
Afin de dissiper une partie de cette confusion et de faire la lumière sur le contexte plus large de ce mouvement, j’ai parlé au journaliste, auteur et expert en politique alimentaire et commerciale, Devinder Sharma, qui a passé les deux dernières décennies à faire campagne pour l’égalité des revenus des paysans indiens, et je lui ai posé les cinq questions qui reviennent invariablement le plus souvent lorsque le sujet des protestations des agriculteurs est abordé. Lire la suite »
Paysans contre les normes, Destruction de l’élevage familial, 2021
« Le Collectif de paysan.ne.s contre les normes s’est créé en réaction au meurtre d’État de Jérome Laronze le 20 Mai 2017 à Sailly (71) à cause de ses positionnements contre les normes et l’administration. Le Collectif se voit comme un outil pour défier l’administration et l’organisation de l’industrialisation de la production agricole, destructrice du modèle paysan. L’objectif est de créer une force qui soit indépendante du piège cogestionnaire du syndicalisme, une force qui permettrait aux petits producteurs d’être enfin entendus. »
Ce que montre clairement les analyses et les actions de ce Collectif, c’est que le monde capitaliste actuel et les sociétés humaines qui en découlent, promeuvent, développent, privilégient certaines technologies, qui s’agrègent entre elles : manipulations génétiques, nanotechnologies, « augmentation » de l’humain (génétique, robotique, informatique), surveillance et numérisation de la société et des vies pour une société de plus en plus automatisée, centralisée et autoritaire, qui est présentée comme « innovante » et « meilleure ».
Les 9 et 10 janvier, dans le Puy de Dôme, ont eu lieu des rencontres du Collectif. Deux grands thèmes étaient abordés : où en sont les luttes contre l’industrialisation de la vie agricole ? quelle opposition formuler à la gestion sanitaire humaine actuelle au regard des expériences d’éleveurs et d’éleveuses ? Nous publions ici un texte qui était destiné à alimenter les débats de ces rencontres et que nous jugeons très intéressant. Lire la suite »
Radio: Atelier Paysan, La technoscience contre l’agriculture paysanne (épisode 3), 2019
Durant l’automne 2019, l’Atelier paysan, coopérative d’auto-construction de matériel agricole, a organisé une tournée de soirées-débats sur le thème « La technologie va-t-elle sauver l’agriculture ? La place de la machine dans l’autonomie paysanne » pour rencontrer localement les paysans et paysannes et prendre connaissance du poids et des impacts des machines, des robots, de l’informatique et des biotechnologies sur les vies des paysans et paysannes, sur l’environnement comme sur l’ensemble du modèle alimentaire. […]
Dans la série Racine de Moins Un, voici la troisième émission réalisée à partir de ces enregistrements (les deux précédentes) :
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Jean-Pierre Berlan – La technoscience contre l’agriculture paysanne
Le cas du maïs hybride : un mensonge historique des agronomes
L’affaire Terminator et la contestation des OGM ont révélé au grand public que les grands semenciers sont prêts à tout pour empêcher les agriculteurs d’utiliser le grain qu’ils récoltent. Mais pour Jean-Pierre Berlan, ancien économiste de l’INRA, cette confiscation du vivant à des fins de profit ne date pas d’hier.
Dans La Planète des clones, il montre que la grande innovation agronomique du XXe siècle, le maïs hybride, relève de la même logique : faire croire que les semences mises au point par des chercheurs sont plus productives que le grain récolté dans les champs. Ce livre se lit comme une enquête policière et démasque l’imposture du progrès le plus célébré de la science agronomique. Lire la suite »
Collectif, Covid-19 et les circuits du capital, 2020
Résumé
Dans cet article du Monthly Review publié à la fin du mois de mars 2020, les auteurs proposent une analyse de la pandémie avec les outils d’une géographie marxiste nourrie des apports de la political ecology. Une géographie absolue, mâtinée de culturalisme, accuse certaines zones, certains groupes, certaines pratiques (la consommation de viande de brousse ou d’animaux sauvage…) d’être à l’origine des pandémies. Une géographie relationnelle doit lui succéder. Celle-ci constate que ce qui transforme des circulations locales et bénignes de virus en pandémie menaçant en quelques semaines des milliards de personnes, ce sont les circuits globaux du capital. En suivant ceux-ci, on constate notamment que la maire adjointe de New York a précédemment travaillé chez JP Morgan. Or, cette entité financière a ces dernières années investi dans l’entreprise Smithfield, leader mondial de la production industrielle de porcs, et dans d’autres mégafermes près de Wuhan, cette concentration chassant de petits éleveurs de la filière porcs et les conduisant à partir plus loin grossir le nombre (20 000) des fermes d’élevage d’animaux sauvages en Chine. Si l’on prend en compte cette géographie relationnelle, la pandémie est-elle partie de New York ou de Wuhan ?
Dans les circuits globaux du capital, le terreau de l’apparition répétée et la diffusion massive de virus pathogènes, révélé par l’analyse systémique et relationnelle de l’écologie politique du capitalisme contemporain, est la radicalisation de ce qu’Anna Tsing a nommé le plantationocène : un mode d’habiter la Terre qui enrégimente les vivants en populations homogènes, dont la production (dans des espaces de monoculture et en cycle court) est séparée de la reproduction. C’est l’aliénation des vivants standardisés et coupés de leurs attachements écologiques complexes, sains, et privés de leur diversité. Dès lors, « une intervention réussie pour empêcher l’un des nombreux agents pathogènes, qui font la queue au bout du circuit agro-économique, de tuer un milliard de gens, implique nécessairement d’entrer en conflit global avec le capital et ses représentants locaux » et d’en finir avec cette mise au travail et cette aliénation généralisée des vivants. Lire la suite »