Herbert Marcuse, Le règne de la liberté et le règne de la nécessité, 1969

Une nouvelle interprétation

J’étais très heureux d’entendre mon ami Norman Birnbaum parler ce matin des concepts utopiques et de la manière dont ces concepts prétendument utopiques se sont incarnés dans la réalité, ou du moins ont été sur le point de le faire lors des évènements de mai et de juin en France.

Je suis tout aussi heureux et honoré de m’adresser à vous aujourd’hui en présence d’Ernst Bloch, dont l’ouvrage L’Esprit de l’utopie, publié il y a plus de quarante ans, a influencé au moins ma génération et montré comment des concepts utopiques réalistes peuvent être proches de l’action, proches de la pratique. Lire la suite »

Herbert Marcuse, The Realm of Freedom and the Realm of Necessity, 1969

A Reconsideration

I was very happy to hear that my friend Norman Birnbaum in his paper this morning spoke of utopian concepts and of the way in which allegedly utopian concepts were translated into reality, or were at least in the process of being translated into reality by the events of and June in France.

I am equally happy and honored to talk to you in the presence of Ernst Bloch whose work Geist der Utopie, published more than forty years ago, has influenced at my generation, and licks shown how realistic utopian concepts can be, lose to action, how close to practice. Lire la suite »

Ivan Illich, La pauvreté planifiée, 1969

Ivan Illich a été l’un des premiers à émettre de sérieuses critiques au sujet des politiques occidentales d’aide au développement des pays du Tiers Monde. Ce texte, extrait du dernier chapitre “La pauvreté planifiée” de l’ouvrage Libérer l’avenir (éd. Seuil, 1971 ; traduction de l’ouvrage publié en 1969 sous le titre Celebration of Awareness) a été rédigé suite au rapport Pearson publié en 1968, préconisant d’allouer un taux de 1% du PNB américain en Aide publique au développement.

 

Dans leur bienveillance, les nations riches entendent aujourd’hui passer aux nations pauvres la camisole de force du développement, avec ses embouteillages et ses emprisonnements dans les hôpitaux ou dans les salles de classe… Au nom du développement, l’opinion internationale approuve cette action. Les riches, les scolarisés, les anciens de ce monde essaient de partager leurs douteux avantages en convainquant le Tiers-Monde d’adopter leurs solutions préemballées ! Lire la suite »

Georges Canguilhem, Qu’est-ce qu’une idéologie scientifique?, 1969

I.

Qu’est-ce qu’une idéologie scientifique ? Cette question me semble posée par la pratique de l’histoire des sciences, et c’est une question dont la solution importerait pour la théorie de l’histoire des sciences. En effet, n’importe-t-il pas avant tout de savoir de quoi l’histoire des sciences prétend se faire l’histoire ? Il est apparemment facile de répondre que l’histoire des sciences fait l’histoire de ces formes de la culture que sont les sciences. Encore est-il nécessaire d’indiquer précisément quels critères permettront de décider que telle pratique ou telle discipline qui se donne, à telle époque de l’histoire générale, pour science mérite ou non ce titre, car il s’agit bien d’un titre c’est-à-dire d’une revendication de dignité.. Et par suite, il est inévitable que soit posée la question de savoir si l’histoire de ce qui est science authentique doit exclure, ou tolérer, ou bien revendiquer et inclure aussi l’histoire des rapports d’éviction de l’inauthentique par l’authentique. C’est à dessein que nous disons éviction, c’est-à-dire dépossession juridique d’un bien acquis de bonne foi. Il y a longtemps qu’on a cessé de mettre, comme le faisait Voltaire, les superstitions et les fausses sciences sur le compte de machinations et de fourberies cyniquement inventées par des derviches astucieux et perpétuées par des nourrices ignorantes 1. Lire la suite »

Georges Canguilhem, What Is a Scientific Ideology?, 1969

I.

What is a scientific ideology? This is a question that arises, or so it seems to me, in the practice of the history of science, and its answer may be of importance for the theory of that subject. Perhaps the first question to ask is what it is that the history of science claims to be the history of. An easy answer is that the history of science is the history of a certain cultural form called “science”. One must then specify precisely what criteria make it -possible to decide whether or not, at any given time, a particular practice or discipline merits the name science. And it is precisely a question of merit, for “science” is a kind of title, a dignity not to be bestowed lightly. Hence another question becomes inevitable: Should the history of science exclude or, on the contrary, should it tolerate or even include the history of the banishment of inauthentic knowledge from the realm of authentic science? I use the word banishment quite intentionally, for what is at stake is nothing less than the legal withdrawal of legitimately acquired privileges. We have long since ceased to believe as Voltaire believed, that superstitions and false beliefs were invented by cynical dervishes and foisted upon the innocent by ignorant nursemaids 1.Lire la suite »

Jean-Marc Lévy-Leblond, La science n’est pas neutre, 1969

En janvier 1969, Jean-Marc Lévy-Leblond recevait le prix scientifique J. Thibaud de l’Académie de Lyon. Il en profita pour se livrer dans son adresse de remerciements à une ébauche d’analyse critique et autocritique de la pratique scientifique en général et de la sienne en particulier, tirant la leçon des années passées et surtout de l’impact sur lui de mai 1968. Ce texte d’abord publié dans les Temps modernes (n° 288, juillet 1970, p. 131), fut repris dans de nombreux périodiques et plusieurs livres – il ne faisait qu’exprimer des idées arrivées à maturité simultanément un peu partout et largement développées dans le livre d’Alain Jaubert et Jean-Marc Lévy-Leblond, [Auto]critique de la science, éd. du Seuil, 1973. 

Adresse a l’Académie des sciences, arts et belles lettres de Lyon à l’occasion de la remise du prix Thibaud

C’est avec beaucoup de satisfaction que je reçois aujourd’hui le prix Thibaud décerné par votre Académie. Et j’éprouve à pouvoir vous remercier de vive voix un plaisir tout particulier, dont j’espère vous faire comprendre ici la nature. C’est qu’en effet ce prix m’est utile et précieux pour plusieurs raisons. En particulier, il m’a fourni l’occasion d’approfondir un certain nombre de questions quant à ma situation de chercheur, de scientifique, ainsi que la possibilité d’exposer aujourd’hui quelques unes de mes conclusions.Lire la suite »