J.B.S. Haldane, Être de la bonne taille, 1926

Présentation du traducteur

La traduction dans la revue Conférence d’un texte traitant de biologie – même si ce texte a été écrit pour un large public, et a été publié dans une revue généraliste – demande quelques éclaircissements. Non que la biologie soit ici mal considérée (encore qu’il y aurait à dire sur la façon dont elle est généralement envisagée et pratiquée aujourd’hui) ; mais on sait que qui trop embrasse mal étreint et qu’un exercice fécond de la pensée suppose certains choix. Or, comme ses lecteurs le savent, Conférence ne s’inscrit pas dans le sillage de Nature ou Science.

Cela étant, ce n’est pas directement que nous sommes arrivés au texte du grand généticien britannique J.B.S. Haldane (1892-1964) ici proposé, mais par l’intermédiaire d’un homme singulier, Leopold Kohr. Kohr, en partie parce que ses idées contredisent le mondialisme et le sans-frontiérisme ambiants, en partie parce qu’il était un homme sans prétentions et ne se mettait jamais en avant, est demeuré peu connu, sinon dans des cercles restreints ; et quand son nom est évoqué, c’est souvent à travers l’influence qu’il a pu exercer sur l’économiste anglais Ernst Friedrich Schumacher, auteur en 1973 d’un essai à succès dont le titre est devenu un slogan : Small Is Beautiful. Cependant, comme Ivan Illich l’a souligné dans une conférence prononcée en hommage à Kohr, sa pensée va bien au-delà d’une simple apologie du petit.Lire la suite »

J.B.S. Haldane, On Being the Right Size, 1926

The most obvious differences between different animals are differences of size, but for some reason the zoologists have paid singularly little attention to them. In a large textbook of zoology before me I find no indication that the eagle is larger than the sparrow, or the hippopotamus bigger than the hare, though some grudging admissions are made in the case of the mouse and the whale. But yet it is easy to show that a hare could not be as large as a hippopotamus, or a whale as small as a herring. For every type of animal there is a most convenient size, and a large change in size inevitably carries with it a change of form.Lire la suite »

Alain Delaunay, Lamarck et la naissance de la biologie, 1994

Ce naturaliste, oublié, voire dénigré, a su rompre avec les théories qui ont précédé son œuvre ; celle-ci, fondatrice des sciences de la vie, a aussi été un élément constitutif des sciences de la Terre.

Pourquoi l’œuvre de Lamarck est-elle si mal connue et si peu appréciée ? Selon une hypothèse souvent avancée, Darwin et, plus encore, la postérité darwinienne auraient dévalué les travaux du naturaliste du Muséum pour valoriser le modèle de la sélection naturelle. Certes, dans ses écrits, Darwin est fort critique à l’égard de Lamarck, mais il n’attaque qu’un aspect de son œuvre : le mécanisme proposé pour la transformation des espèces. Comment ce seul point aurait-il pu faire oublier l’ensemble de l’œuvre ?

Portrait de Lamarck

Lamarck a été un savant reconnu par la communauté scientifique, et ses cours au Muséum étaient fréquentés par des étudiants de l’Europe entière. Si Cuvier a été responsable de malversations à l’encontre de son aîné, il reconnaissait publiquement la valeur de ses travaux en zoologie des invertébrés. Ne pouvant prouver que les hypothèses de Lamarck n’étaient pas fondées, Cuvier tenta de déprécier l’œuvre de Lamarck en l’assimilant à des théories antérieures erronées ou fantaisistes.

L’explication de l’oubli dans lequel est tombée l’œuvre de Lamarck tient sans doute davantage au champ de la philosophie qu’à celui des sciences : Lamarck appartient à une génération de penseurs français oubliés, que Napoléon, désespérantde les amener à soutenir le régime impérial, nommait, avec mépris, les « idéologues ». Puis la philosophie officielle qui naquit en France avec la Restauration les assimila aux héritiers des encyclopédistes, voyant en eux les penseurs de la Révolution française ; elle les jugea matérialistes et empiristes. Leurs œuvres furent vite oubliées. Les historiens de la philosophie les ont ignorés, leur préférant la tradition cartésienne. Lamarck a pâti de ce dénigrement.Lire la suite »

Bertrand Louart, L’autonomie du vivant, 2008

Brochure au format PDF

Présentation du projet « Autonomie du Vivant »

La biologie moderne postule – idée jamais analysée ni discutée – que les êtres vivants sont comme des machines. Contre toutes les évidences, d’abord sensibles, du contraire, cette approche machiniste s’est maintenue et a perdurée pour des raisons d’ordre scientifique mais aussi et surtout pour des motifs idéologiques. D’abord, l’être vivant machine est la condition incontournable de l’insertion du vivant dans le cadre réductionniste de la physique classique (qui aujourd’hui est pourtant abandonné par les physiciens eux-mêmes). Ensuite, l’être vivant machine contient la promesse de faire entrer le vivant dans toutes ses formes et manifestations, y compris humaines et sociales, dans les processus technico-bureaucratiques de production, de gestion et d’administration des choses propre à la société capitaliste et industrielle avancée.

La crise écologique et sociale actuelle, qui prend une dimension planétaire avec la mondialisation de l’économie et des technologies, n’a, pensons-nous, pas d’autre origine que cette volonté opiniâtre et obstinée de « se rendre comme maître et possesseur de la nature » (Descartes). Partout, le vivant est réduit à une chose, un objet, un système, en tous cas une abstraction à laquelle, par là même, est déniée ce qui justement distingue radicalement et irréductiblement les êtres vivants des objets inanimés et des machines ; à savoir leur activité autonome.

Or, l’idéal social qui a inspiré la civilisation libérale trouve son origine dans l’idéal de la science. Abusivement généralisé de la physique et érigé en modèle de scientificité pour les domaines où il n’a pas affaire à des objets inanimés, cet idéal vient à concevoir le monde en son ensemble comme un processus sans sujet, c’est-à-dire comme une immense accumulation d’automates, d’appareils, de processus, de choses et de marchandises.

Contre ces conceptions étriquées et mortifères, nous entendons réaffirmer que les êtres vivants ne sont pas des machines, et les êtres humains encore moins que les autres. Mais au-delà de ce constat négatif, en mettant en avant la notion dialectique d’autonomie du vivant, nous voulons tenter de comprendre l’être vivant dans ce qu’il a de spécifique, c’est-à-dire en tant que sujet à part entière, capable de faire lui-même sa propre histoire dans une certaine mesure. A travers la critique de la biologie moderne, ce sont les bases élémentaires de l’auto-organisation de la matière qu’il s’agit de comprendre, c’est le sujet à l’état natif, dans sa forme et ses manifestations les plus simples qui peuvent être élucidées.

A notre époque, dans tous les domaines de la culture et de la connaissance, le déni de l’existence du sujet est le paradigme obligé. La perte d’autonomie vis-à-vis du système industriel atteint les individus jusque dans leur vie quotidienne et engendre la dissolution des espaces de vie et d’activités communs. Toute idée d’émancipation sociale par l’auto-organisation collective et la réappropriation de la production des conditions de notre existence, est devenue littéralement inconcevable.

Une telle critique a donc d’importantes conséquences épistémologiques pour la biologie, mais elle a aussi et surtout d’importantes répercussions sociales et politiques. C’est l’articulation des unes avec les autres que nous entendons faire apercevoir dans un essai dont on trouvera ici une présentation sommaire. Cette plaquette est donc un appel à soutien pour cette recherche indépendante en même temps qu’un appel à souscription pour cet ouvrage à venir.

Bertrand Louart

est rédacteur de Notes & Morceaux Choisis,

bulletin critique des sciences, technologies et de la société industrielle ;

membre du groupe Oblomoff,

de réflexion et d’activité critique sur la recherche scientifique.

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Télécharger la brochure présentant le projet au format PDF:

L’Autonomie du Vivant

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André Pichot, Explication biochimique et explication biologique, 1983

Résumé

Cet exposé esquisse une étude de la capacité de la biochimie à expliquer la notion de vie et les processus vitaux, d’abord dans le cadre d’une conception classique, puis dans celui d’une conception où la vie est considérée comme le processus de totalisation de l’être par lui-même en une entité distincte de son milieu extérieur.

Summary

This paper outlines a study of the ability of the biochemistry to explain the notion of life and the vital processes, first by a conventional way, then by regarding the life as the totalizing process of the living that makes itself an individual distinct from its environment.

Définitions

Biochimie : Partie de la chimie qui traite des phénomènes vitaux.

Biologie : Science qui a pour objet l’étude des phénomènes communs à tous les êtres vivants, animaux et végétaux.

(Petit Robert – Edition 1972)

 Quant à nous, nous dirons que la biologie est l’étude de la vie et des êtres vivants en ce qu’ils ont de spécifique comparativement aux objets inanimés, et que la biochimie est l’analyse physico-chimique des dits êtres vivants. Celle-ci n’est donc qu’une méthode parmi d’autres, une façon d’approcher une biologie encore à faire.Lire la suite »

André Pichot, La notion de vie aujourd’hui, 1993

Que peut-on dire de la notion de vie dans la biologie moderne ? Apparemment, elle est ignorée. Aujourd’hui, plus que jamais, la biologie suit la recommandation de Cl. Bernard « la biologie doit être une science expérimentale et n’a donc pas à donner une définition de la vie ; ce serait là une définition a priori » et « la méthode qui consiste à définir et à tout déduire d’une définition peut convenir aux sciences de l’esprit, mais elle est contraire à l’esprit même des sciences expérimentales » ; en conséquence « il suffit que l’on s’entende sur le mot vie, pour l’employer » et « il est illusoire et chimérique, contraire à l’esprit même de la science d’en chercher une définition absolue ».

Suivant cette prescription, la biologie moderne ignore donc la notion de vie et se contente de l’analyse d’objets que le sens commun lui désigne comme vivants, analyse montrant qu’ils possèdent un certain nombre de caractères physico-chimiques identiques. La définition de la vie ‑ si elle est parfois évoquée ‑ est reportée à l’infini, comme but et fin ultimes de la biologie. Cette méthode, exclusivement analytique et expérimentale, a considérablement renforcé l’efficacité et la scientificité du travail du biologiste ; elle a cependant amené une « physicalisation » telle que l’on a parfois l’impression que, pour rendre scientifique la biologie, il a fallu nier toute spécificité à son objet.Lire la suite »

Bernard Brunhes, La dégradation de l’énergie dans l’être vivant, 1909

En 1944, Erwin Schrödinger publie son ouvrage Qu’est-ce que la vie ? où il tente d’expliquer les êtres vivants en tant que phénomènes physiques, notamment à l’aide de la thermodynamique. Pour expliquer la présence de « l’ordre » à l’intérieur des êtres vivants, il introduit à cette occasion l’idée que les organismes produisent une entropie négative, ou néguentropie, qui s’opposerait à la tendance naturelle au « désordre » que l’on observe dans d’autres systèmes.

Nous discuterons plus précisément ailleurs en quoi cette approche — toujours utilisée aujourd’hui par certains biologistes — est profondément erronée. En attendant, nous reproduisons ci-dessous le chapitre XIII du livre de Bernard Brunhes, La dégradation de l’énergie, paru en 1909, et qui montre en quoi les êtres vivants ne sont pas des phénomènes surnaturels et sont soumis, tout comme les autres phénomènes, au second principe de la thermodynamique. Ce chapitre constitue donc une réfutation de la notion de néguentropie plus de trente ans avant sont invention !

 

§ 1. — EXISTE-T-IL UNE THERMODYNAMIQUE SPÉCIALE À L’ÊTRE VIVANT ?

 

Robert Mayer avait su deviner que le principe de l’équivalence de la chaleur et du travail s’applique à la machine animale, la plus compliquée de toutes : ce sont ses réflexions sur l’origine du travail fourni par l’être vivant qui lui ont suggéré sa découverte immortelle. Par contre, les physiciens anglais qui ont apporté leur contribution à la thermodynamique, et particulièrement au second principe, se sont posé la question de savoir si l’être vivant obéissait à ce second principe. Thomson, dans le mémoire célèbre où il a, pour la première fois, déduit du principe de Carnot la « tendance universelle à la dissipation de l’énergie mécanique » dans le monde, déclare qu’elle n’est que proba­ble dans les phénomènes qui s’accomplissent dans les animaux et les végétaux. Joule exclut de ses raisonnements les « forces qui opèrent par l’intervention mystérieuse de la vie ». Plus tard, Helmholtz lui-même paraît avoir tout au moins envisagé l’hypothèse d’une restauration possible de l’énergie utilisable dans les êtres vivants.Lire la suite »