De l’environnement à l’autonomie de l’Uttaranchal
Résumé
Bien que le mouvement Chipko ait pratiquement disparu de sa région d’origine, il reste l’un des exemples les plus fréquemment mis en avant d’un mouvement environnemental et/ou d’un mouvement de femmes dans le Sud. Un nombre restreint mais croissant de commentateurs critiquent aujourd’hui une grande partie des théories néo-populistes sur Chipko, et cet article donne un aperçu de ces critiques. Il approfondit ensuite le débat en se référant à un mouvement plus récent dans les montagnes en faveur de l’autonomie régionale. Ce faisant, l’auteure soutient qu’il est possible de faire un exposé plus plausible des problématiques liées au genre, à l’environnement et aux rapports à l’État dans la région de l’Uttaranchal, et ainsi d’illustrer les faiblesses courantes des interprétations néo-populistes de Chipko et d’autres mouvements sociaux dans le Sud.
Introduction
Le mouvement Chipko de la région d’Uttaranchal en Inde [1] est l’un des mouvements les plus fréquemment cités dans la littérature contemporaine sur les mobilisations sociales et/ou environnementales dans le Sud. Rangan et Garb [1996] suggèrent qu’il a acquis un statut d’icône, et il est certainement considéré par beaucoup comme un exemple inspirant d’action locale contre les incursions aliénantes et destructrices de l’État moderne et du développement économique [Redclift, 1987 ; Weber, 1987 ; Ekins, 1992 ; Bandyopadhyay, 1992 ; Escobar, 1995]. Cependant, au cours des cinq dernières années, un nombre restreint mais croissant d’auteurs ont commencé à critiquer les interprétations néo-populistes très en vogue et largement diffusées du ou des mouvements Chipko. Ces critiques se concentrent sur des objections théoriques et empiriques à certaines représentations écoféministes et écocentriques des mobilisations [Jackson, 1993a], et sur l’attention insuffisante accordée au contexte politique et/ou économique des protestations Chipko [Mitra, 1993 ; Aryal, 1994 ; Rangan, 1996]. De plus, il reste très peu de choses du mouvement Chipko dans sa région d’origine, si ce n’est sa mémoire – un déclin qui est rarement analysé dans ces récits néo-populistes, et qui n’est parfois même pas évident lorsque « le mouvement Chipko » est invoqué avec désinvolture comme un exemple de mouvement environnemental et/ou de femmes dans le Sud.
Cet article donnera un aperçu de ces critiques, mais il ira aussi plus loin en analysant un mouvement social plus récent dans la région des montagnes, à savoir la demande de créer (à laquelle l’État central a accédé très récemment) une Province autonome de l’Uttaranchal au sein de l’Union fédérale de l’Inde [2]. Je soutiens qu’en examinant les continuités et les différences entre les manifestations Chipko des années 1970-80 (et leur image largement fabriquée) et la mobilisation pour l’autonomie régionale des années 1990, il est possible d’illustrer certaines faiblesses d’une grande partie des théories néo-populistes sur Chipko, et donc d’avoir une idée plus plausible et sensible des problématiques liées au genre, à l’environnement et aux rapports avec le gouvernement dans l’Uttaranchal Himalaya.
L’article commencera par un bref historique des manifestations Chipko et du mouvement pour l’autonomie régionale avant de se tourner vers l’une des auteures néo-populistes les plus prolifiques et les plus lue sur le mouvement Chipko, Vandana Shiva. La perspective écoféministe et « anti-développement » du récit de Shiva sera reconsidéré à la lumière du mouvement pour l’autonomie régionale de l’Uttaranchal, avec une référence particulière à l’évolution des relations entre l’État et la société, aux intérêts des femmes et aux questions environnementales. L’article s’appuiera également sur l’analyse du ou des mouvements Chipko par Ramachandra Guha et se demandera si sa vision du « paysan contre l’État » dans les montagnes peut encore être considérée comme pertinente. L’article reflète un malaise plus large à l’égard de certains aspects de la théorisation néo-populiste des mouvements sociaux dans le Sud, questions qui seront abordées plus en détail dans les conclusions.
Le(s) mouvement(s) Chipko
Les forêts de l’Uttaranchal Himalaya sont depuis longtemps au cœur de la subsistance des populations vivant dans les montagnes [3]. Par le passé, la plupart des ménages dépendaient d’un ensemble diversifié d’activités économiques, mais traditionnellement, les deux éléments les plus importants étaient la migration et l’agroforesterie. Ces activités sont encore présentes aujourd’hui, bien que la migration et d’autres formes de travail rémunéré tendent maintenant à prédominer [Whittaker, 1984 ; Bora, 1987, 1996]. Les pentes raides de l’Himalaya moyen n’offrent pas de riches récoltes agricoles, et les forêts fournissent des apports essentiels d’engrais (sous forme de paillis de feuilles), de pâturage, de fourrage, de combustible et une foule d’autres produits forestiers non ligneux, tels que des herbes médicinales, des fibres et des denrées alimentaires [Nand et Kumar, 1989]. Dans cette situation, les empiètements aliénants et souvent profondément irresponsables de la foresterie coloniale dans la région ont été vivement ressentis et ont provoqué une résistance importante [Pant, 1922 ; Guha, 1989].
Après l’indépendance, peu de choses ont changé, car l’office des forêts de la Province a continué à négliger les intérêts et les besoins des populations locales, malgré la forte dépendance de ces dernières vis-à-vis des forêts. On a beaucoup écrit sur l’érosion continue des droits des villageois sur les forêts [Guha, 1989], sur la priorité donné par l’office des forêts aux plantations de pin chir (Pinus roxburghii) au détriment d’arbres beaucoup plus fructueux pour l’agroforesterie locale [Singh, 1993], et sur la persistance d’une politique et de pratiques forestières post-coloniales [Rawat, 1993]. Mais en plus de ces « problèmes de subsistance », il existe une autre série de griefs qui concernent la place des Uttaranchalis dans l’exploitation commerciale des forêts, qui ont tendance à être moins bien analysées. Par exemple, l’office des forêts et les entrepreneurs privés qui ont remporté les enchères forestières ont préféré employer des Népalais et d’autres migrants plus « dociles » [biddable] que la main d’œuvre locale [Tucker, 1993]. L’office des forêts a également facturé aux petites entreprises locales des prix plus élevés pour les matières premières qu’aux grandes industries des plaines [Das et Negi, 1983], et peu d’efforts ont été faits pour mettre en place une filière de transformation du bois ou des produits du bois, qui auraient créé des emplois dans les montagnes et ajouté de la valeur aux « exportations » de la région [Rangan, 1996].
Ces questions de subsistance et d’économie locale ont attiré une attention soutenue sur l’impact environnemental de la politique de plus en plus invasive de l’office des forêts dans les montagnes (qui s’est considérablement étendue et accélérée après l’énorme programme de construction de routes stratégiques qui a suivi la guerre indochinoise de 1962) et ses pratiques, dont beaucoup ont été jugées écologiquement destructrices [Mishra et Tripathi, 1978 ; Guha, 1989]. Ces convictions ont été fortement renforcées par une série d’inondations désastreuses dans la région au début des années 1970 [Pathak, 1994].
Telle était la situation dans laquelle opérait le Dasholi Gram Swarajya Sangh (DGSS), une petite coopérative industrielle à forte connotation gandhienne, basée à Gopeshwar. Ses membres, sous la direction de Chandi Prasad Bhatt, géraient une unité de production de térébenthine, fabriquaient des outils agricoles et organisaient des manifestations contre la vente d’alcool, l’intouchabilité et le système des entrepreneurs forestiers [Guha, 1989]. En 1973, la DGSS est entrée en conflit avec l’office des forêts au sujet de la fourniture d’une centaine d’arbres à une grande société sportive des plaines, Symonds, alors qu’elle venait de se voir refuser quelques arbres de la même forêt. La DGSS a décidé d’empêcher les activités de Symonds en s’interposant entre les bûcherons et les arbres s’il le fallait, donnant ainsi naissance au célèbre nom du mouvement – Chipko signifie en hindi « coller » ou « s’accrocher », bien qu’il soit généralement traduit par « étreindre », ce qui est plus rassurant. Après avoir réussi à empêcher des coupes dans la forêt de Mandal, Chandi Prasad Bhatt et les autres ont pris la décision d’alerter les villageois de Phata-Rampur, à quelque 80 km de là, sur le fait que les forêts autour d’eux étaient désormais menacées par la même entreprise, et ont proposé de les aider à les défendre. Ainsi, en dépassant leurs intérêts locaux immédiats pour embrasser une perspective géographique et chronologique plus large, Chipko se pose d’emblée comme un mouvement social significatif ayant des implications régionales.
Au cours de la décennie suivante, toute une série de manifestations Chipko ont eu lieu, bien qu’il faille noter que la tâche d’établir ne serait-ce qu’une simple histoire du ou des mouvements est compliquée par les récits différents et parfois contradictoires rédigés par les principales figures impliquées dans Chipko, ainsi que par une foule de commentateurs « extérieurs ». Certains postmodernistes pourraient affirmer qu’il y a de la place pour tous ces récits sur le(s) mouvement(s) Chipko, et je serais certainement d’accord avec l’idée que tenter de faire une « histoire objective » de Chipko n’est ni possible ni souhaitable.
Cela dit, je pense que nous pouvons privilégier certains récits par rapport à d’autres et qu’un tel engagement peut et doit être pris sur la base d’une responsabilité éthique à l’égard de nos sujets de recherche [4]. Je n’entrerai pas (une fois de plus) ici dans le détail des manifestations Chipko, même si d’autres éléments apparaîtront plus loin. Ce que je soutiens, c’est que nous devons développer une vision plus complexe que celle qui a été généralement popularisée, dans laquelle, à différents moments et en différents lieux, les questions commerciales aussi bien que les problèmes de « subsistance » étaient en jeu.
Les protestations Chipko différaient selon les circonstances et les conditions spécifiques aux communautés et individus des montagnes. Ainsi, la lutte décrite ci-dessus, dans le village de Mandal, était clairement centrée sur l’accès aux matières premières pour une utilisation industrielle à petite échelle. Mandal est situé sur la route, à quelques kilomètres seulement de Gopeshwar, et la ville plus importante de Chamoli est également relativement proche, ce qui facilite le transport et la vente de marchandises. En revanche, dans le village de Reni, théâtre en 1974 d’un incident retentissant au cours duquel les femmes ont joué un rôle particulièrement important dans la protection de leurs forêts contre les entrepreneurs, ces possibilités industrielles étaient beaucoup plus limitées. Reni est un village isolé, proche de la frontière indo-tibétaine et situé à une certaine distance d’une route de mauvaise qualité. Ici, les villageois, et en particulier les femmes, compte tenu de la division du travail entre les sexes dans laquelle elles sont responsables de la grande majorité des travaux en relation avec les forêts, protégeaient une ressource de subsistance majeure. Peu d’analystes du mouvement Chipko semblent prêts à reconnaître cette multiplicité d’intérêts aux fondements du mouvement, ou le fait qu’en plus d’être géographiquement diversifiés, ces intérêts peuvent évoluer dans le temps, comme nous le verrons plus loin dans l’analyse des événements de Doongri-Paintoli.
Les origines de Chipko au sein de la DGSS et le large soutien que le(s) mouvement(s) a (ont) reçu au début/milieu des années 1970 montrent clairement que ces protestations étaient le produit de sérieuses inquiétudes de nombreux hommes et femmes des montagnes, à savoir que la gestion des forêts par l’administration n’offrait que peu de retombées pour les populations de cette région déjà économiquement marginalisée, et qu’en outre, elle détériorait les bases écologiques dont ces populations dépendaient. Ces deux questions se combinent pour former une seule et même préoccupation : gagner sa vie grâce à un ensemble d’activités, notamment l’agroforesterie villageoise, le travail rémunéré dans les montagnes et le travail rémunéré en dehors des montagnes, dans les plaines. Pour les différents individus, familles et villages, l’importance relative et les combinaisons possibles de ces stratégies ont varié et continuent de varier en fonction d’une série de circonstances sur lesquelles ils ont plus ou moins de contrôle. Cependant, dans un certain nombre de récits populistes sur le « Chipko », les exigences économiques du ou des mouvements sont minimisées (voire récusées) au profit de la conscience écologique du mouvement en général. Ces récits ont eu une grande influence et, à la fin des années 1970 et dans les années 1980, les perceptions nationales et internationales de Chipko ont été de plus en plus dominées par cette perspective strictement environnementale (voir ci-dessous). Shamser Singh Bist, un activiste des montagnes, a estimé que :
« L’acte final de trahison a eu lieu lorsqu’un mouvement potentiellement radical pour l’autodétermination et l’autogestion de nos ressources s’est transformé en un mouvement purement conservationniste. » [cité dans Mitra, 1993, p. 36]
Saxena [1992] suggère que Chipko est mort avec l’imposition du moratoire en 1981, une interdiction de 15 ans sur les coupes de bois au-dessus de 1 000 mètres dans la région qui a été instaurée directement à la suite des agitations Chipko [5]. Cette législation a été très mal accueillie par de nombreux habitants des montagnes car, selon eux, l’office des forêts continuait à abattre des arbres alors que les populations locales étaient encore plus exclues de la forêt. L’opposition à la législation dans l’Uttaranchal a même donné lieu en 1988-89 à un Ped Katao Andolan – un mouvement pour la coupe des arbres – parce que l’on prétendait que cette loi bloquait quelque 4 500 projets de développement dans tout le Garhwal et le Kumaon.
Il est intéressant de noter que de nombreux dirigeants associés à ce mouvement étaient impliqués dans un parti politique régional naissant qui revendiquait la création d’une Province autonome des montagnes, et c’est ce mouvement beaucoup moins connu que nous allons maintenant aborder.
Le mouvement pour l’Uttaranchal
Tout au long de l’histoire de l’indépendance de l’Inde, des revendications ont été formulées pour que la région de l’Uttaranchal soit reconnue comme une Province à part entière au sein de l’Union fédérale de l’Inde. Elles étaient principalement fondées sur la différence géographique entre la région et le reste de l’Uttar Pradesh (entre les montagnes et les plaines), sur sa séparation historique pendant la période précoloniale et une grande partie de la période coloniale, et sur un discours post-indépendance de colonialisme intérieur, principalement en ce qui concerne les forêts. Pendant la plus grande partie de cette période, ces revendications ont été portées avant tout par les élites urbaines et ont reçu peu de soutien de la part de la majorité des habitants des montagnes [Bhatkoti, 1987], bien qu’au début des années 1980, il semble que l’idée ait commencé à recevoir un soutien plus large, même si l’on ne peut toujours pas dire que la question ait bénéficié d’un soutien populaire engagé [Mawdsley, 1997].
Puis, en juillet 1994, la question d’une Province autonome des montagnes a soudainement et de manière inattendue, explosé en un mouvement de masse. Des confrontations importantes avec l’appareil d’État s’ensuivirent, parfois pacifiques, parfois violentes, et il s’ensuivit une période d’intenses bouleversements. La cause immédiate de l’agitation était l’adoption par la Province de l’Uttar Pradesh d’une loi concernant des places réservées dans l’emploi public et l’éducation dans le but d’encourager une discrimination positive pour ce que l’on appelle les « autres classes arriérées » [Other Backward Classes, OBC]. Il s’agit de la vaste masse des castes agricoles et artisanales « moyennes » qui, selon les estimations, représentent quelque 52 % de la population indienne. Cette législation fait suite à la mise en œuvre par l’État central des propositions de la Commission Mandal en 1989 [6], ce qui a eu d’énormes répercussions sur le paysage politique de l’Inde. Au places réservées de 15 % pour les castes répertoriées (les anciens intouchables) et aux places réservées de 7,5 % pour les tribus répertoriées [7], s’est ajoutée 27 % de places réservées pour les autres groupes ethniques. Cela a porté le quota total de places réservées à un peu moins de 50 %, le (très malmené) plafond fixé par la Cour suprême, ce qui laisse (théoriquement) 50 % pour la concurrence ouverte et les castes supérieures [8].
Alors que le pourcentage de Brahmanes et de Rajputs [9] dans l’ensemble de l’Inde est estimé à environ 11 %, dans l’Uttaranchal, pour diverses raisons historiques, ces hautes castes représentent près de 85 % de la population. Ainsi, du fait de la composition inhabituelle des castes dans les montagnes de l’Uttaranchal, la politique de discrimination positive des OBC aurait exclu un pourcentage considérable de la population de deux voies importantes de mobilité économique et sociale (l’éducation et les postes de fonctionnaires) dans un environnement économique déjà très contraint. Le gouvernement de la Province d’Uttar Pradesh n’en a pas tenu compte et la législation a été largement considérée comme la « goutte d’eau qui a fait déborder le vase » de ce qui était perçu comme des décennies de négligence et d’exploitation.
Au cours des premières semaines de l’agitation de masse, deux thèmes essentiels sont apparus, qui ont permis de passer d’une lutte contre les places réservées à la revendication d’une administration autonome [Mawdsley, 1996]. Ces thèmes portaient sur les questions étroitement liées du développement et de la politique. Bien que l’on continue à affirmer que la région est soumise à un colonialisme interne de la part de l’administration de la Province de l’Uttar Pradesh (ce qui s’exprime dans les journaux, lors de réunions et de discussions), il est généralement admis que la région a commencé à recevoir davantage de fonds de « développement » de la part du gouvernement central et de la Province au cours des deux dernières décennies. Le principal grief exprimé aujourd’hui est que la marginalisation économique et développementale de la région des montagnes est due au fait que les planificateurs vivant dans les plaines, dans la lointaine capitale de la Province, Lucknow, sont incapables (et peu désireux) de comprendre les besoins de développement de la population, de l’environnement et de l’économie de la région des montagnes. En d’autres termes, le « retard » de la région est de plus en plus souvent interprété non pas comme le résultat d’une exploitation pure et simple et/ou d’une négligence, mais comme une incapacité plus profonde des planificateurs habitant dans les plaines à développer « correctement » les montagnes.
La dimension politique de cet argument repose sur le fait que la région ne représente que 4 % de la population de la Province et qu’elle est donc d’une importance négligeable pour la politique de l’Uttar Pradesh. Pour beaucoup, une administration autonome des montagnes est la solution à cette absence de voix politique – vitale dans une économie politique qui continue à être fortement dominée par un « État développementaliste ». Le sentiment général est qu’une Province autonome, plus petite, serait plus responsable et plus attentive aux besoins et aux demandes des populations locales, et qu’elles seraient mieux représentées à la (nouvelle) échelle de la Province et au niveau national. Surtout, le développement des montagnes serait planifié et administré par les habitants des montagnes [10].
Malgré leurs nombreuses différences, les manifestations de Chipko et le mouvement pour l’autonomie de la région ont clairement trouvé leur origine dans des problèmes semblables ou qui se recoupent. Il s’agit notamment d’un manque de contrôle sur les ressources locales (à la fois en termes de droits « traditionnels » d’accès aux ressources forestières et en termes d’opportunités commerciales modernes), de la concurrence entre les besoins nationaux et les besoins locaux, des préoccupations environnementales et des critiques locales quant à l’administration et la planification du développement. Cependant, ces convergences n’apparaissent pas à la lecture de nombreux récits néo-populistes des protestations Chipko, qui offrent un ensemble très disparate d’analyses de l’environnement, du développement et souvent des relations hommes-femmes dans les montagnes.
La section suivante explorera cette divergence en analysant le récit de Vandana Shiva sur les manifestations Chipko.
De l’environnement à l’autonomie régionale
Les femmes contre les hommes ?
Vandana Shiva a écrit sur le mouvement Chipko dans un certain nombre de livres et d’articles (notamment Shiva [1988, 1992] ; Mies et Shiva [1993] ; et Shiva et Bandyopadhyay [1986, 1987]). Son analyse se situe clairement dans une perspective néo-populiste, mais elle tire sa force théorique principalement de l’écoféminisme. L’écoféminisme se caractérise par une grande diversité de points de vue [WGSG, 1997], mais la plupart de ses partisans soutiennent qu’il offre une alternative radicale en matière de développement, axée sur la diversité, l’éducation, le holisme [11] et la justice sociale et environnementale [Mies et Shiva, 1993]. Certaines écoféministes soutiennent qu’il existe une convergence essentielle [essential congruity] entre les femmes et la nature en raison de la capacité biologique des femmes à porter la vie et de leur objectivation commune et de leur domination par les systèmes patriarcaux d’exploitation et de contrôle. Plutôt que de résister à la dichotomie nature/culture, femme/homme, comme les féministes « traditionnelles » ont cherché à le faire, les écoféministes se félicitent de cette convergence supposée. Shiva affirme que :
« Les femmes et la nature sont intimement liées, et leur domination et leur libération sont également liées. Les mouvements féministes et écologistes ne font donc qu’un et sont avant tout des contre-tendances au mal-développement patriarcal. » [Shiva, 1988 : 47]
Shiva affirme qu’en Uttaranchal, comme ailleurs en Inde, la gestion des forêts indigènes a traditionnellement été le domaine des femmes, à la fois dans la division du travail et dans le domaine de la connaissance. Les femmes, dit-elle, incarnent la prakriti, ou principe féminin, qui cherche à nourrir et à maintenir l’harmonie et la diversité des forêts naturelles en tant que source de vie, et qui s’oppose fortement aux sciences masculinistes qui dominent les discours modernes sur le développement [Shiva, 1988] [12]. La sylviculture commerciale, introduite par les colonisateurs et perpétuée par l’État indien, est analysée comme un exemple frappant de ce réductionnisme et de cette violence. Selon elle, les hommes de la région ont également été colonisés par ce système – sur le plan cognitif, économique et politique. Ce sont les femmes paysannes qui ont fait l’expérience profonde et concrète de la destruction des forêts et qui se sont donc levées pour remettre en question les valeurs réductionnistes de l’usine et du marché en faisant revivre « l’ancienne conception indienne de la culture forestière ». Ici, les communautés forestières autonomes sont considérées comme la plus haute expression de l’évolution de la société et de la civilisation, une vision qui s’oppose vivement à l’image d’un « monde moderne » vicié, violent et gaspilleur [Nanda, 1991]. Shiva affirme que :
« Les femmes du Garhwal [la moitié occidentale de l’Uttaranchal] ont commencé à protéger leurs forêts de l’exploitation commerciale, même au prix de leur vie, en lançant le célèbre mouvement Chipko, embrassant les arbres vivants comme leurs protecteurs. » [Shiva, 1988 : 67]. [Shiva, 1988 : 67]
Elle suggère que les femmes n’ont pas seulement combattu les entrepreneurs extérieurs et l’office des forêts dans leur lutte pour se réapproprier le principe féminin dans l’utilisation et la gestion des forêts, mais qu’elles ont également résisté aux instincts commerciaux de leurs propres concitoyens. Chipko est ainsi présenté comme un mouvement avant tout écologique et féministe par lequel les femmes des montagnes ont cherché à rétablir une relation harmonieuse « traditionnelle » avec la nature. Le lien avec la DGSS et d’autres coopératives, que Shiva tourne en dérision parce qu’elles répondent à des préoccupations essentiellement masculines, est décrit comme une alliance temporaire au début du mouvement. Peu de temps après, suggère-t-elle :
« Une nouvelle séparation s’est opérée entre les intérêts masculins locaux pour une activité commerciale fondée sur les produits forestiers et les intérêts des femmes du pays pour une activité de subsistance reposant sur la protection de la forêt. » [Shiva, 1988 : 71]
Mais il y a un certain nombre d’objections empiriques à ce récit. Tout d’abord, bien que les femmes aient joué un rôle absolument central dans les manifestations Chipko, Sunderlal Bahuguna, Chandi Prasad Bhatt, Dhum Singh Negi et les nombreux autres hommes qui y ont participé n’étaient pas toujours ou uniquement leurs « élèves et disciples », comme l’affirme Shiva [1988 : 67]. Les hommes étaient véritablement engagés dans les différents courants du mouvement Chipko et ont contribué de manière significative à leur force organisationnelle et idéologique. Bien que le désir de rétablir l’équilibre et d’attirer l’attention du public sur un grand nombre de femmes qui n’ont pas été nommées mais qui ont participé au mouvement soit tout à fait louable, Shiva ne fait ne fait que reprendre pour son compte le procédé de ceux qu’elle critique : elle exclut les hommes de l’histoire. Shiva minimise également le rôle joué par d’autres personnes dans le mouvement Chipko, notamment des gauchistes et des étudiants, qui n’entraient pas dans le cadre de la protestation écoféministe. Par exemple, comme beaucoup d’autres personnes soucieuses de conforter l’image romantique du mouvement Chipko, à savoir des femmes étreignant des arbres dans les forêts de l’Himalaya, elle mentionne rarement les manifestations organisées dans les villes, telles que les protestations cruciales qui ont perturbé les ventes aux enchères des forêts.
L’utilisation de l’hindouisme par Shiva en relation avec le genre et l’environnement peut également être questionnée. Shiva utilise les principes de shakti (énergie primordiale féminine) et de prakriti (sa manifestation dans la nature) comme les principales conceptions spécifiquement « indiennes » (qu’elle confond souvent curieusement avec les seules conceptions hindoues) de la nature et de la culture, et donc la connaissance de l’environnement. Elle suggère que dans « l’Inde traditionnelle », le pouvoir et la fertilité au niveau cosmologique et quotidien étaient dévolus aux femmes, qui étaient vénérées en conséquence [Shiva, 1988], mais qu’ils ont ensuite été remplacés par le patriarcat du colonialisme, du développement et de la science. Mais dans la tradition hindoue (en particulier dans les textes brahmaniques des hautes castes sur lesquels Shiva s’appuie), la shakti des femmes est une « raison » majeure de leur subordination aux hommes, et non de leur vénération, et certainement pas de leur libération. La shakti a un côté positif, en particulier sous sa forme « latente », mais elle n’est pas indépendante du contexte, et il est erroné de considérer la shakti ou la prakriti comme une source de pouvoir sans équivoque, puis de construire sur cette base une idéologie de la culture de la nature et des relations entre les femmes et les hommes dans l’Himalaya. C’est la peur qu’ont les hommes de la shakti (qui se traduit souvent par l’énergie sexuelle des femmes) [13] qui est à l’origine du célèbre dicton de Manu :
« Dans l’enfance, une femme doit être sous le contrôle de son père, dans la jeunesse sous celui de son mari, et lorsque son mari est mort, sous celui de ses fils. » [Les lois de Manu : 5.147 ; Doniger et Smith, 1991].
Il est clair qu’une critique de l’interprétation du mouvement Chipko par Shiva recoupe également les débats plus larges sur l’écoféminisme. A des degrés divers, les différentes perspectives écoféministes ont été critiquées sur plusieurs fronts, notamment pour leur essentialisation des femmes en tant que catégorie universelle et biologiquement déterminée, et leur tendance à romancer le passé [Nanda, 1991 ; Eckersley, 1992 ; Jackson, 1993b ; Levin, 1994] – deux critiques qui s’appliquent à l’analyse de Shiva sur le mouvement Chipko. Il existe très peu de preuves historiques de l’image idéalisée de l’environnement « traditionnel » ou des relations entre les hommes et les femmes que Shiva présente dans son appel à revenir à un passé plus harmonieux [Greenberg et al, 1997]. En effet, comme le soulignent Kelkar et Nathan [1991], la civilisation indienne dominante (dont Shiva fait l’apologie) s’est établie précisément en défrichant les forêts pour y implanter des cultures, alors que dans le même temps, les femmes devenaient de plus en plus subordonnées aux hommes par le biais du développement de la société de castes.
Shiva fait remarquer à juste titre que ce sont les femmes qui supportent souvent de manière disproportionnée les coûts personnels, économiques et sociaux de la détérioration de l’environnement, et c’est certainement le cas dans l’Uttaranchal. Mais comme le note Agarwal [1992], cela ne se traduit pas nécessairement par une lecture essentialiste des intérêts, des connaissances ou de l’action des femmes en matière d’environnement, dans laquelle la réciprocité primitive [primal mutuality] des femmes et de la nature est automatiquement privilégiée. Si une « pratique écologique saine » entre en conflit avec les besoins et les responsabilités d’une femme des montagnes, comme dans le cas d’une pénurie de bois de chauffage, il est probable qu’elle donne la priorité à cette dernière, surtout si l’on considère le lourd fardeau imposé à de nombreuses femmes par l’émigration des hommes. Même cet argument présuppose l’idée que, si elles étaient en mesure de le faire, les femmes ont toujours et partout à la fois les connaissances et le désir de préserver l’environnement. S’il a été démontré que cela était vrai pour certaines femmes et communautés dans le monde, les connaissances et les « affinités » écologiques des femmes ne sont pas automatiques, mais dépendent de l’histoire et de la culture. Dans le Jharkhand, par exemple, Jewitt [1996] a constaté que dans une société adivasi (littéralement « aborigène », peuple indigène du nord-est de l’Inde) les hommes étaient souvent les principaux détenteurs des connaissances environnementales ; dans ce cas, les écoféministes pourraient-ils soutenir que les femmes ont une relation encore plus pure avec l’environnement ?
Les décisions des femmes sont à la fois limitées et rendues possibles par une série de relations sociales et de genre qui se chevauchent et parfois se entrent en rivalité, ainsi que par les limites et les possibilités offertes par l’environnement local tel qu’il est façonné par les facteurs locaux et les structures et événements régionaux/nationaux. Elles doivent prendre des décisions et des mesures sur la base d’une série de conditions qui diffèrent pour chaque femme dans l’espace et dans le temps. Il peut s’agir de leur âge, de leur santé, de leur situation matrimoniale, de leur éducation, de leurs craintes et de leurs aspirations, du fait qu’elles se trouvent dans leur village natal ou matrimonial, du fait qu’elles et/ou leur ménage ont accès à d’autres sources de revenus, et ainsi de suite. Réduire les décisions des femmes à un ensemble de caractéristiques biologiquement déterminées dévalorise leur pouvoir, ne reconnaît pas qu’elles peuvent également « s’aligner » sur d’autres identités (caste et classe, pour n’en citer que deux) et minimise le fait qu’elles sont situées dans certains lieux qui à la fois imposent et offrent un ensemble spécifique de contraintes et d’opportunités, comme dans le cas des différences entre les villages de Mandal et de Reni.
Cela n’est nulle part plus clairement illustré qu’à Doongri-Paintoli, site d’un incident Chipko très célèbre en 1980, au cours duquel les femmes ont défié leurs propres hommes ainsi que les entrepreneurs mandatés par l’office des forêts. Il y avait en effet un conflit d’intérêts entre les hommes et les femmes du village, car les femmes voulaient préserver la forêt voisine (dont la perte leur aurait causé des difficultés considérables), tandis que les hommes étaient plus enclins à accepter la compensation de l’office des forêts (sur laquelle ils auraient eu plus de contrôle). Mais les femmes se sont battues pour empêcher le défrichement complet de leur forêt dans le cadre d’une stratégie de subsistance fonctionnelle, et non en raison d’un désir de conserver ou de revenir à une vie villageoise « traditionnelle » immaculée. Les commentaires de Gayatri Devi, qui a participé à la lutte depuis le début et qui est aujourd’hui profondément déçue par l’absence de développement dans le village, le montrent clairement. Elle a déclaré :
« Nous aurions pu sacrifier davantage [de forêt] si on nous avait assuré une route vers le village, une école, un système d’approvisionnement en eau et un centre de santé primaire. » [Mitra, 1993 : 50]
Mitra lui a demandé « Qu’avez-vous retiré de Chipko ? », et je citerai la réponse complète de Gayatri Devi :
« Je ne sais pas. Nous avons agi pour sauver nos arbres. Nous ne nous sommes jamais accrochés à un arbre, mais lorsque je suis allée à Delhi, on m’a dit que notre andolan [mouvement] était très important. C’était peut-être le cas, mais nous n’avons jamais rien obtenu. La route menant à notre village n’a pas encore été construite et l’eau reste un problème. Nos enfants ne peuvent pas étudier au-delà du lycée s’ils n’ont pas les moyens de se rendre dans une ville et d’y rester. Les filles ne peuvent tout simplement pas le faire. Aujourd’hui, elles me disent qu’à cause de Chipko, la route ne peut pas être construite parce que de nos jours tout est orienté vers paryavaran [l’environnement]. Chipko ne nous a rien donné. Nous ne pouvons même pas nous procurer du bois pour construire une maison parce que les gardes forestiers nous en empêchent. Nos droits nous ont été arrachés. » [Mitra, 1993 : 51]
Cette question des intérêts spécifiques des genres dans les montagnes peut être approfondie en se référant au rôle joué par les femmes dans le mouvement de l’Uttaranchal. Les femmes, en tant que « communauté politique », sont fermement implantées dans les structures sociales et politiques traditionnelles [14], et un certain nombre de femmes politiques et de dirigeantes sont fortement impliquées dans le mouvement. On peut donc se demander si les femmes poursuivent des revendications spécifiquement liées au genre dans le cadre de l’agitation en faveur d’une Province autonome des montagnes, parallèlement ou en opposition aux principaux objectifs du mouvement ? En bref, il existe en effet une dimension de la mobilisation qui, bien qu’elle ne concerne pas exclusivement les femmes, a été particulièrement importante pour obtenir le soutien de certaines d’entre elles, à savoir les manifestations contre l’alcool qui ont accompagné cette agitation. De nombreuses femmes des montagnes souffrent des conséquences économiques et personnelles de la consommation d’alcool des membres masculins de leur famille, et il existe une longue tradition de protestation contre la vente d’alcool dans l’Uttaranchal [Pathak, 1985]. Dans certaines parties du mouvement, ce thème est important et concerne principalement les femmes. Par exemple, lors d’un rassemblement contre l’alcool à Pithoragarh, une éminente travailleuse sarvodaya s’est inspirée d’une vision explicitement gandhienne d’un Uttaranchal sans alcool. « Sinon, demandait-elle, quel est l’intérêt d’une Province autonome pour les femmes ? » [15].
Mais la grande majorité des femmes avec lesquelles je me suis entretenue considéraient que le principal avantage d’une Province autonome était la création de nouveaux emplois (ou la mise en disponibilité des emplois existants) pour leurs pères, leurs frères, leurs maris et leurs fils (et parfois, ont dit certaines, pour elles-mêmes). Les hommes et les femmes considèrent qu’un revenu sûr, provenant de préférence d’un poste de fonctionnaire, est de plus en plus essentiel afin de survivre dans les montagnes. Une femme du village de Mandal – le site de la première et célèbre confrontation – m’a dit que :
« Aujourd’hui, c’est comme ça : si vous avez un emploi, vous pouvez manger. Si vous n’avez pas de travail, vous n’avez rien. Les cochons sauvages détruisent les récoltes dans les champs ; les femmes travaillent dur dans les champs mais ne gagnent rien. » [16]
Toute hyperbole mise à part, il y a un vrai message ici, ainsi que dans beaucoup d’autres déclarations et discussions que j’ai entendues. Il est évident que certaines femmes ont des aspirations nouvelles qui ne sont pas centrées sur le village ou les obligations agricoles traditionnelles (et donc aussi sur les forêts), mais sur les villes et l’emploi (pour elles-mêmes et, plus fréquemment, pour leurs maris et leurs fils) à l’intérieur et à l’extérieur de la région. La déclaration suivante est tirée d’un entretien réalisé en septembre 1994 avec Gangotri Devi, une femme âgée du village de Mandal :
« Elle [sa jeune compagne] a passé son baccalauréat et ne sait pas comment travailler dans les champs parce qu’elle est toujours avec ses livres et ses stylos. Mais nous sommes toujours dans les champs. Après la création d’une Province autonome, certains garçons et certaines filles trouveront du travail… Tous les gens descendent dans la rue [pour protester] afin d’obtenir un emploi – comme cette fille et ce garçon [ils pointent du doigt] – ils pourront alors nous nourrir ainsi que leurs enfants. Il n’y a rien de bon dans ce Garhwal – peu de production agricole et aucune opportunité d’emploi. Tous les garçons instruits traînent dans les rues. »
Il ne s’agit pas de nier que de nombreuses femmes sont particulièrement attentives aux questions agro-environnementales dans les montagnes, mais elles les relient également à la recherche d’autres moyens de subsistance dans l’Uttaranchal, y compris l’exploitation commerciale des forêts – ce que Shiva a tendance à ne pas admettre. Les questions de genre sont au cœur de toute analyse des forêts et de la résistance dans l’Uttaranchal, mais de nombreuses femmes reconnaissent que l’arène de leurs luttes et de leurs perspectives s’étend bien au-delà du village et de la forêt voisine, à la région, à la Province et même à la nation.
Dans cette dernière partie, je vais maintenant évoquer cette question de l’échelle à travers la relation entre « les paysans et l’État » et l’analyse de Chipko par Ramachandra Guha.
Des paysans contre l’État ?
Dans The Unquiet Woods [Les Forêts Intranquilles, 1989, non traduit en français], Ramachandra Guha présente une analyse sociologique sophistiquée de la continuité et du changement dans les mouvements populaires contre les administrations précoloniale et postcoloniale de l’Uttaranchal. Tout en replaçant Chipko dans son contexte culturel et historique, Guha est l’un des rares auteurs à analyser les géographies spatio-temporelles fluctuantes des manifestations Chipko. Il étudie les différentes philosophies environnementales présentes dans le mouvement, les divers types de protestations déployés, les relations hommes-femmes dans les montagnes, ainsi que les objectifs et les résultats de Chipko. Dans la lignée d’E.P. Thompson, Guha aborde la relation entre les paysans et l’administration dans l’Uttaranchal sous l’angle de l’économie morale, et suggère que les villageois considéraient Chipko comme une lutte pour l’accès a une subsistance de base que les institutions et les politiques du gouvernement entravaient. Bien que la foi de Guha dans les économies morales paysannes comme base de la régénération et de la gestion forestières contemporaines soit discutable [Jewitt et Corbridge, 1997], il fournit peut-être l’étude historique la plus complète des mouvements sociaux dans l’Uttaranchal à ce jour. Mais je voudrais suggérer que le modèle de résistance présenté par Guha, celui du « paysan contre l’État », ne tient pas debout en dehors de la lutte pour les forêts et que, pour les années 1990, il n’est plus suffisant pour seulement comprendre les tensions autour des forêts entre les populations des montagnes et l’administration locale [17]. Cela a également une double incidence : le déclin du pouvoir de mobilisation de Chipko et l’intérêt grandissant pour la revendication d’une Province autonome.
Les montagnes de l’Uttaranchal constituent un environnement décourageant pour l’application de la loi, et ce n’est qu’après l’expansion du réseau routier en 1962 que la pénétration du gouvernement et de ses auxiliaires (administratifs, développementaux et disciplinaires) a pu s’accélérer de manière significative dans les montagnes. Cette « compression spatio-temporelle » s’est accompagnée de changements socioculturels et économiques immenses et complexes. Dans les années 1970-1980, le gouvernement avait, sous une forme ou une autre, pénétré de nombreux aspects de la vie quotidienne, bien que de manière très inégale en termes de profondeur et d’étendue. L’un des effets a été qu’il est devenu plus difficile et plus risqué pour les villageois de s’opposer ouvertement à l’administration, par exemple en ignorant les lois forestières.
Guha affirme que les mouvements paysans tels que Chipko sont « défensifs, cherchant à échapper aux tentacules de l’économie commerciale et à l’État centralisateur » [Guha, 1989, p. 196]. Mais si cela a pu être vrai dans une certaine mesure dans les années 1970, je pense que c’est trop unidimensionnel pour englober toute la variété et la profondeur des relations entre les « paysans » et l’administration développementiste ou l’économie commerciale dans les années 1990. Le mouvement pour l’autonomie régionale de l’Uttaranchal démontre que et la manipulation du pouvoir du gouvernement, le clientélisme au sein du gouvernement et la captation des ressources du gouvernement font désormais partie intégrante du jeu entre la résistance et la domination dans cette province. Si le gouvernement peut être présenté comme un agent d’oppression en ce qui concerne les forêts, il est aussi une source d’opportunités par ailleurs. Celles-ci ne se limitent pas à l’emploi et à l’éducation, bien que ces deux éléments soient de plus en plus importants dans une région périphérique où la population augmente et où l’économie est de plus en plus concurrentielle. Au contraire, à mesure que les habitants des montagnes sont devenus plus informés et plus politisés, ils ont cherché à obtenir plus de pouvoir et une voix plus forte dans les processus de planification et d’administration du développement, ainsi qu’un meilleur accès aux fonds de développement – dont le principal bailleur est, bien entendu, le gouvernement. L’objectif de la lutte pour l’autonomie régionale de l’Uttaranchal était la captation, et non le rejet, de du gouvernement et donc du pouvoir de l’État.
La politisation croissante de l’État et de la société civile en Inde depuis le milieu des années 1960 a été récemment intensifiée, entre autres, par l’expansion du système des places réservées dans l’emploi public et l’éducation en 1989 et, après 1991, par la poussée vers la libéralisation de l’économie. Kohli [1990] soutient qu’un État très interventionniste, qui tente de gérer une économie pauvre, est devenu l’objet d’une concurrence politique intense. Ces changements prennent la forme d’une relation moderne entre le gouvernement et la société dans l’Uttaranchal qui est plus complexe que « le paysan contre l’État ». Le mouvement en faveur de l’autonomie régionale témoigne de la volatilité croissante de l’électorat et d’une volonté et d’une capacité accrues de s’organiser autour d’identités particulières afin de faire valoir leurs revendications au niveau de la Province et au niveau national. La confrontation avec le gouvernement n’a pas disparu, comme l’ont montré les événements de 1994-95, pas plus que la résistance clandestine, mais elle vise désormais de plus en plus à s’approprier le pouvoir politique et administratif plutôt qu’à s’y opposer directement. Cela suggère, comme le savent de nombreux Uttaranchalis – mais que de nombreux « post-développeurs » sont moins disposés à admettre – que les politiques locales ne peuvent être appliquées sans dialogue et doivent être appréhendées en relation avec les influences politiques, économiques et culturelles régionales, nationales et d’autres, supra-locales.
Conclusions
« Chipko » est devenu une métaphore de la résistance environnementale subalterne en ce sens que ce mouvement populaire a été chargé de significations et d’associations qui vont bien au-delà, voire qui n’ont que peu de rapport avec les moments, les lieux et les circonstances spécifiques des mobilisations qu’il a susccité. Il y aurait beaucoup à dire à propos de l’argument selon lequel ce qui est important dans cette affaire, plus que la « vérité historique », c’est le fait que « Chipko » a été une source d’inspiration pour les activistes en Inde et ailleurs afin de lutter contre l’injustice sociale et environnementale. Mais comme je l’ai montré dans cet article, les représentations écocentriques et/ou écoféministes de Chipko qui ont fini par dominer la représentation populaire du mouvement ont joué un rôle mineur mais non négligeable dans l’échec du mouvement à réaliser les changements souhaités par de nombreuses personnes dans les montagnes.
Le mouvement Chipko s’est constitué en premier lieu comme une lutte économique : ses militants, hommes et femmes, étant parfaitement conscient que la préservation des forêts était une condition indispensable pour maintenir les perspectives de développement qu’ils cherchaient à réaliser, dans le cadre des contraintes géographiques des montagnes. Les préoccupations environnementales n’étaient pas absentes, mais un environnement préservé était considéré comme une condition fonctionnelle pour une économie locale solide. Dans ce contexte, différentes « stratégies de subsistance » ont été élaborées à différents moments, dans différents lieux et par différentes personnes, comme nous l’avons vu lors des manifestations à Mandal, Reni et Doongri-Paintoli.
Ironiquement (étant donné leurs sympathies relativistes), de nombreux auteurs néopopulistes ont construit des récits plutôt universalistes du mouvement (écologique, écoféministe et/ou anti-développement) qui sapent ou ignorent la complexité de Chipko, et qui dépendent d’un localisme culturel, économique et politique qui ne reflète tout simplement pas la réalité de la vie des hommes et des femmes dans l’Uttaranchal. Nous sommes injustes à l’égard de la grande majorité des femmes et des hommes si nous pensons qu’ils veulent revenir à un passé traditionnel idéalisé qui n’a vraisemblablement jamais existé. Ce n’était pas le message des manifestations Chipko dans les années 1970, et ce n’est certainement pas celui des revendications en faveur de l’autonomie régionale aujourd’hui.
Certaines de ces critiques renvoient à un ensemble plus général de préoccupations concernant un certain nombre de caractéristiques et de tendances communes à la plupart des écrits néopopulistes sur les mobilisations sociales dans le Sud. L’une d’entre elles est la tendance à considérer les communautés « locales » comme plutôt statiques et repliées sur elles-mêmes [Collins, 1997]. Cette image sous-tend les notions de « villageois traditionnels », dont les moyens de subsistance dépendent intimement de l’environnement local, et dont les modes de vie sont construits et n’ont de sens qu’à travers leur environnement immédiat. Mais cela ne permet qu’une connaissance très partielle de la vie des gens dans les montagnes, et ne reflète pas leur familiarité et leur engagement avec toute une série d’influences qui vont au-delà du local. L’évolution qui mène des manifestations Chipko à la mobilisation pour l’autonomie régionale souligne le fait qu’il est erroné de s’appuyer sur des récits anecdotiques et réductionnistes mettant en avant ce qui est « local », tels qu’ils sont présentés dans une grande partie de la théorie néo-populiste, pour comprendre les diverses stratégies de subsistance, la construction de l’identité et les perspectives de la grande majorité des hommes et des femmes des montagnes.
Emma Mawdsley,
Department of Geography,
University of Durham.
The Journal of Peasant Studies, vol. 25, n°4, juillet 1998.
Tradution de l’angalais par Jacques Hardeau, avril 2023.
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[1] La partie himalayenne de la Province d’Uttar Pradesh (voir carte). La région est également connue sous le nom d’Uttarakhand. Il existe de petites différences sémantiques, mais le Bharatiya Janata Party (BJP, récemment élu au gouvernement central en Inde) utilise Uttaranchal. Je préfère le nom moins politiquement approprié d’Uttarakhand, mais maintenant que le BJP a créé une nouvelle Province d’Uttaranchal (voir note 9), il semble judicieux d’adopter cette dénomination.
[2] L’Inde est une république fédérale composée de vingt-huit États autonomes ou Provinces et huit territoires de l’Union, eux-mêmes divisés en districts et tehsils. Chaque Province est une démocratie parlementaire inspirée du système de Westminster (Angleterre) qui a sa propre administration et peut voter ses propres lois dans un certain nombre de domaines définis par la Constitution indienne. À l’inverse des Provinces, les territoires de l’Union relèvent directement du gouvernement central national, l’État. A l’échelle locale, les zones rurales relèvent du système des panchayats (conseils de village) et les zones urbaines des municipalités. [NdT]
[3] A l’exception de quelques petits groupes tribaux tibéto-mongoles, la grande majorité de la population de l’Uttaranchal appartient à la majorité hindoue et aryenne de l’Inde du Nord. Le groupe linguistique pahari est étroitement lié à l’hindi, qui est également largement parlé dans cette région [Berreman, 1963].
[4] Cette brève esquisse est basée sur 15 mois de travail sur le terrain dans l’Uttaranchal et sur des entretiens avec certains des principaux artisans du mouvement, notamment Chandi Prasad Bhatt, Sunderlal Bahuguna, Dhum Singh Negi, Shamsher Singh Bist, des femmes du village de Mandal et de nombreux autres villageois qui avaient (ou non) participé aux manifestations de Chipko dans les années 1970 et 1980. J’ai également eu accès aux archives des journaux locaux en hindi et à d’autres documents en hindi, ainsi qu’à un grand nombre de récits en anglais.
[5] Elle s’inscrivait également dans le cadre des idées réactionnaires et très contestées du projet de loi sur les forêts de 1981 [Fernandes et Kulkarni, 1983 ; Pathak, 1994].
[6] Les différentes Provinces ont adopté la législation selon leur propre calendrier. Dans l’Uttar Pradesh, elle a été adoptée suite à l’élection d’un gouvernement de « moyenne/basse caste » en 1993.
[7] Les Scheduled Castes, ou castes répertoriées, constituent la partie la plus défavorisée de la société indienne avec les Scheduled Tribes, les tribus répertoriées. Ces populations, qui pratiquent des activités jugées impures par la tradition brahmanique (équarrissage, tannerie, vidange) et qui peuvent être aussi journaliers agricoles ou gens de ménage, sont victimes de ségrégation sociale, professionnelle et religieuse. [NdT]
[8] L’attribution des places réservées est une question extrêmement complexe, dont nous ne donnons ici qu’un aperçu extrêmement simplifié. Pour plus de détails, voir Galanter [1978, 1984] et Beteille [1992].
[9] Rajputs : « fils de prince » de raja, prince, et putra, fils. [NdT]
[10] Le gouvernement central a annoncé en avril 1998 la création de la Province d’Uttaranchal, avec le Vananchal et le Chhatisgarh.
[11] Le holisme est un mode de pensée qui appréhende les phénomènes comme totalité, ne pouvant être expliqués à partir de ses seuls composants. Le holisme s’oppose au réductionnisme qui cherche à expliquer un phénomène en le divisant en parties. [NdT]
[12] En se référant à un « principe féminin », comme le note Jackson [1993b], Shiva tente à juste titre d’éviter l’écueil du déterminisme biologique. Elle peut ainsi inclure certains hommes, comme Sunderlal Bahuguna qui, dit-elle, en écoutant les voix discrètes des femmes, a conservé la capacité d’articuler les principes féminins-écologiques de Chipko. Mais après avoir fait la distinction entre « femme » et « principe féminin », elle continue à les brouiller à plusieurs reprises par la suite.
[13] Pour un exposé psychanalytique de la peur masculine de la femme sexualisée en Inde, voir Kakar (1978). Pour une critique fascinante de Kakar, voir Kurtz [1992].
[14] Cela était plus qu’évident lorsque l’on observait les marches, les rassemblements et les réunions dans les villages et les villes, que l’on parlait avec des hommes et des femmes, que l’on lisait les articles de journaux et que l’on observait simplement le mouvement et que l’on y participait.
[15] Entretien du 22 décembre 1994.
[16] Entretien du 21 septembre 1994.
[17] Une question importante, que nous n’avons tout simplement pas la place d’aborder dans cet article, est celle de la manière dont ces arguments se manifestent par rapport à la division fédérale, en d’autres termes entre le pouvoir de la Province de l’Uttar Pradesh et le pouvoir de l’État central.