Radio: Aurore Stephant, Ruée minière au XXIe siècle, 2022

Aurore Stephant ingénieure et géologue minier, spécialiste des activités minières et de leurs impacts humains, sanitaires, sociaux et environnementaux, membre de l’association SystExt (Systèmes extractifs et Environnements), donne une conférence sur le thème « Ruée minière au XXIe siècle : jusqu’où les limites seront-elles repoussées ? ».

Le monde fait face à une demande croissante en ressources minérales dans tous les secteurs, en particulier ceux de la construction, du transport, de la défense, de l’approvisionnement en énergie ou encore des technologies de l’information et de la communication. Si la mine a servi toutes les révolutions industrielles, il est désormais attendu qu’elle soit plus que jamais sollicitée pour l’avènement de la Révolution 4.0, celle de la « dématérialisation », des énergies « propres » et des technologies « vertes ». Ce modèle de développement repose sur l’intensification de l’industrie minière, qui est l’une des activités les plus prédatrices et dangereuses. Le secteur est ainsi le plus important producteur industriel de déchets solides, liquides et gazeux, ou encore responsable du plus grand nombre de conflits socio-environnementaux. Dans un contexte de diminution des teneurs et de raréfaction des gisements facilement exploitables, il en résulte une augmentation exponentielle de la consommation d’eau et d’énergie, ainsi que des impacts environnementaux et sociaux. Jusqu’où toutes ces limites seront-elles repoussées pour répondre à une consommation de métaux démesurée ?

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Racine de moins un
Une émission
de critique des sciences, des technologies
et de la société industrielle.

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Émission Racine de Moins Un n°83,
diffusée sur Radio Zinzine en février 2023.

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16 novembre 2021

Les ravages ignorés de l’activité minière

 

Déchets dans les eaux, dégâts en Europe, pollution… Dans un rapport impressionnant qui paraît ce mardi, l’association SystExt démontre que les « mines durables » sont un mensonge et que les techniques minières sont « de plus en plus prédatrices et dangereuses ». Aurore Stephant, ingénieure géologue minier, l’explique à Reporterre.

C’est un état des lieux saisissant. Dans un rapport volumineux ultradocumenté publié ce 16 novembre, les géologues miniers et les ingénieurs de l’association SystExt s’attaquent à certains aspects méconnus de l’extraction minière. Ce panorama des « controverses minières » permet de comprendre pourquoi cette industrie cumule le triste record d’être la première productrice de déchets toxiques et la responsable du plus grand nombre de conflits socio-environnementaux à l’échelle du globe. Il montre aussi qu’on ne pourra pas lutter contre le réchauffement climatique par des technologies qui accroissent notre « dépendance minérale ». Impacts des mines, pollution, pertes en vies humaines… Aurore Stephant, ingénieure géologue minier au sein de SystExt, révèle les conclusions de ce rapport.

Reporterre : Dans le rapport « Controverses minières » qui sort mardi 16 novembre, quelles « contre-vérités » sur les mines révélez-vous ?

Aurore Stephant : Lors du dernier congrès de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), qui a réuni des États et des agences gouvernementales du monde entier, nos équipes ont constaté une chose étonnante : certains représentants des gouvernements croyaient qu’aucun site minier ne rejetait aujourd’hui ses déchets directement dans les fleuves ou la mer. Ils pensaient cette pratique révolue ou interdite. Pour eux, les résidus miniers sont systématiquement stockés dans des barrages, des digues – qui posent elles-mêmes de gros problèmes, mais passons. Or, non seulement cette pratique aux conséquences dramatiques existe bel et bien, mais elle est répandue et tout à fait légale ! Des dizaines d’opérateurs jugent plus simple de bazarder chaque année en pleine nature des millions de tonnes de boues acides et/ou fortement concentrées en métaux toxiques. Sur le site de Grasberg, en Indonésie (première mine d’or et troisième mine de cuivre au monde, en volumes produits), l’entreprise Freeport déverse chaque année 87,6 millions de tonnes de résidus chargés en plomb et en arsenic dans le fleuve Ajkwa.

Nous nous attaquons à d’autres idées reçues : la croyance que les impacts de l’industrie minière seraient bien plus importants dans les pays en voie de développement que dans les pays développés. On pense que si les mines polluent et sacrifient des vies humaines, c’est parce qu’elles se situent dans des pays où la réglementation est peu exigeante. C’est faux.

D’une part, l’exploitation minière demeure le secteur d’emploi le plus dangereux si l’on tient compte du nombre de personnes exposées au risque, y compris aux États-Unis et en Europe. D’autre part, les méthodes d’extraction et de traitement sont les mêmes partout. Que l’on soit aux États-Unis, au Pérou ou en République démocratique du Congo (RDC), pour extraire 10 kg de cuivre, il faudra broyer et réduire en poudre 1 tonne de roche, puis la traiter aux xanthates (hydrocarbures). En quelques années, vous aurez obtenu un lac de résidus toxiques qui resteront dangereux entre 5 000 à 10 000 ans et qu’il faudra confiner tant bien que mal. Vous aurez nécessairement des fonderies, qui dégageront du dioxyde de soufre, et donc amplifieront les pluies acides et la pollution de l’air.

Reporterre : Pourquoi vous a-t-il paru urgent « d’en finir avec certaines contre-vérités sur les mines et les filières minérales » ?

Aurore Stephant : Nous constatons avec nos équipes que le niveau général de connaissance sur le fonctionnement réel des mines et des industries métallurgiques est très faible, à la fois dans le grand public, mais aussi chez les responsables politiques et institutionnels. C’est déjà très préoccupant, étant donné que toutes les marchandises qui nous entourent contiennent des métaux, depuis les pigments présents sur les emballages, le dioxyde de titane dans les dentifrices, jusqu’à la soixantaine de métaux différents dans un smartphone.

Mine de cuivre de Palabora, Afrique du Sud.

À gauche : représentation imagée de la quantité de cuivre métal produite par la mine jusqu’à environ 2007 (© Dillon Marsh – dillonmarsh.com).

À droite : Vue satellitaire de la mine et mise en évidence de l’emprise en surface des déchets miniers (Création SystExt, septembre 2021).

C’est d’autant plus grave que l’accélération de la numérisation, l’industrialisation des pays du Sud et la transition énergétique telle qu’elle est promue aujourd’hui (par exemple les véhicules électriques) risquent d’induire une multiplication par au moins trois de la production de métaux dans le monde ces prochaines décennies. Cela signifie produire dans les seules trente-cinq prochaines années plus de métaux qu’il n’en a été extrait dans toute l’histoire de l’humanité. Impensable !

Sur cette industrie qui risque d’être l’un des enjeux majeurs — et des problèmes majeurs — du XXIe siècle, tout se passe comme si nous étions directement passés de la non-information à la désinformation. Jusqu’à la fin des années 2000, les mines n’existaient quasiment pas dans l’espace public. Maintenant que l’on commence à s’y intéresser, les filières minérales sont recouvertes de discours-écrans qui en masquent le fonctionnement et les impacts réels. Une foule d’éléments de langage à connotation positive sont apparus dans les rapports pour justifier l’accroissement de ce secteur : « mine durable », « meilleures pratiques », « techniques révolutionnaires », etc. Nous voulions faire comprendre ce qu’elles recouvrent.

Par exemple, quand on passe en revue les « techniques révolutionnaires » vantées par les opérateurs, on constate que les pratiques récentes sont encore plus destructrices et moins maîtrisées que les précédentes. Ainsi, le « foudroyage par blocs », qui consiste à dynamiter massivement le sous-sol, provoque des séismes et des effondrements incontrôlables. La « lixiviation en tas », elle, vise à se débarrasser tout bonnement de l’usine de traitement du site minier en traitant chimiquement la roche en plein air, à grande échelle. On déverse directement des millions de litres d’agent extractif sur la montagne de roches broyées dont on veut extraire les minéraux. Cela revient à asperger une colline de 200 mètres de haut de cyanure ou d’acide sulfurique. Ces « techniques révolutionnaires » servent à exploiter des gisements à très faible teneur avec des coûts très bas.

Reporterre : Pourquoi faites-vous très peu de recommandations dans ce rapport pour améliorer cet état des lieux ?

Aurore Stephant : Il nous aurait fallu des milliers de pages pour formuler des propositions précises : le champ est immense, les filières minérales sont diverses et chacune se caractérise par des dizaines d’étapes de production, du forage au raffinage des métaux. Nous nous limitons à deux recommandations urgentes. L’une est, évidemment, l’interdiction du déversement volontaire de déchets miniers dans les milieux aquatiques. L’autre est l’interdiction de toute exploration ou exploitation minière des grands fonds marins.

Le 12 octobre dernier, Emmanuel Macron s’est prononcé en faveur de leur exploration, qualifiée de « levier extraordinaire de compréhension du vivant, peut-être d’accès à certains métaux rares ». Des centaines de rapports scientifiques montrent déjà qu’il est impossible de mener ne serait-ce que de l’exploration à 2 ou 3 kilomètres de profondeur sans causer de dommages graves et irréversibles : intoxication des planctons et des espèces marines par la mise en solution des métaux présents, perturbation lumineuse et sonore, etc. Ici, la « compréhension du vivant » est incompatible avec l’activité minière : nous détruirions ces milieux avant même de les connaître. C’est pourquoi nous argumentons en faveur d’une interdiction pure et simple, et non pour un moratoire qui laisserait cette possibilité ouverte. Nous avons de bonnes raisons de craindre que l’explosion de la demande en métaux dans les années à venir ne laisse pas indemnes les ultimes barrières morales que nos sociétés tentent de se fixer.

Enfin, au-delà de l’amélioration des pratiques, il faut bien voir qu’en l’état, l’industrie minérale ne peut qu’augmenter ses impacts : en exploitant des gisements dont la concentration minérale est de plus en plus faible, nous utilisons de plus en plus d’énergie et générons des volumes de déchets toxiques de plus en plus ingérables, quelles que soient les techniques utilisées. La seule issue ne peut être que de limiter les volumes extraits.

Reporterre : Des politiques de recyclage ambitieuses pourraient-elles réduire ces problèmes ?

Aurore Stephant : Oui, c’est incontournable. Les métaux recyclés seraient largement compétitifs par rapport aux métaux issus de l’extraction si les opérateurs miniers payaient le coût social et environnemental de leur activité, qui est exorbitant. Mais le recyclage est quasiment impossible quand les métaux sont utilisés de manière dispersive, comme dans l’électronique. Et il ne suffirait pas à satisfaire la demande, qui est exponentielle. Il faut donc changer notre rapport aux matières premières minérales, et cela doit passer par une transformation radicale du mode de vie des pays dits « développés ».

Entretien réalisé par Celia Izoard pour Reporterre, le 16 novembre 2021.

 


25 juillet 2022

Métaux rares : « On ment aux jeunes générations »

 

Notre modèle de croissance repose entièrement sur l’exploitation du métal. Mais les mines s’épuisent et polluent toujours plus… Entretien avec Aurore Stéphant, ingénieure géologue minier déterminée à faire tomber les mythes de la transition.

 

Le 30 juin 2022, Emmanuel Macron a créé la surprise en annonçant vouloir interdire l’exploitation minière en haute mer. Une victoire pour les militants écologistes, qui appellent à un moratoire sur l’exploitation minière des abysses depuis plusieurs années, inquiets de la ruée vers les gisements des fonds marins.

Mais si les ressources minières des fonds marins suscitent tant de convoitises, c’est que l’industrie minière sur terre est déjà sous haute tension. À 36 ans, Aurore Stéphant, ingénieure géologue minier, a passé quinze ans à visiter des mines, rencontrer des ouvriers, des riverains, des dirigeants. Elle fait partie de SystExt, une association qui œuvre « pour la réinvention de nos rapports aux matières premières minérales. » En janvier dernier, elle s’est fait connaître du grand public grâce à une interview-fleuve (3h) sur Thinkerview, devenue une des vidéos les plus regardées de la chaîne. Nous l’avons rencontrée à l’occasion d’USI 2022, qui rassemblait les 27 et 28 juin des spécialistes de renommée internationale en sciences, technologie et philosophie. Avec une rigueur scientifique à toute épreuve et des convictions qu’elle ne cherche pas à dissimuler, elle nous raconte la face cachée de l’industrie minière. Une alerte sur l’état des gisements, la pollution que l’extraction génère et la folle expansion de notre consommation qui nous emmène droit dans le mur… Entretien.

ADN : Depuis les années 2000, l’extraction de métal s’emballe à travers le monde. Quels sont les chiffres ?

Aurore Stéphant : C’est simple, depuis le début de l’extraction minière, on n’a jamais cessé d’exploiter plus que les années précédentes. On a augmenté les quantités produites tout en diversifiant les substances utilisées. Et depuis le milieu du XXème siècle, la croissance est exponentielle sur quasiment toutes les matières premières minérales. L’historien Jean-Baptiste Fressoz a ainsi montré qu’entre 2002 et 2015, on a extrait un tiers de tout ce qui avait été extrait depuis 1900. Et les tendances de croissance se poursuivent voire s’accélèrent encore pour les années à venir.

ADN : Pourquoi a-t-on autant besoin de métal ?

Aurore Stéphant : Tout est basé sur le métal. Prenez le secteur de la construction, par exemple : c’est 25% de l’aluminium mondial. On a besoin de métal dans les bâtiments, les bateaux, les voitures ou les trottinettes, pour les infrastructures énergétiques, pour les câbles qui conduisent l’électricité, pour les pylônes métalliques…

Certains métaux sont indispensables à la construction des infrastructures et aux transports, ce sont essentiellement : le fer (pour l’acier), l’aluminium, le cuivre, le plomb et le zinc. Il y a ensuite tous ceux que l’on utilise dans le secteur de l’énergie. Par exemple, pour le nucléaire, on sait que l’on a besoin d’uranium, mais ce que l’on sait moins, c’est que l’on a aussi besoin de thorium, d’hafnium, de béryllium, de zirconium, de baryum, de bore, ou encore de tungstène. Et ça, c’est seulement pour la partie « énergétique », mais vous avez vu la taille d’une centrale nucléaire ? Il faudrait encore prendre en compte les bâtiments, les structures métalliques, les machines…

Il y a aussi des dizaines d’usages du métal au quotidien que l’on ne voit pas. Dans les engrais, il y a de l’azote, du phosphore et du potassium. Le phosphore et le potassium proviennent des mines de phosphate et de potasse. Il y a les canettes en aluminium, la vaisselle, les pièces de monnaie, les ampoules… et même le shampooing antipelliculaire, où on trouve du sulfure de sélénium ! Dans les teintures pour cheveux il y a du cobalt, du plomb et du bismuth. Dans un papier de magazine, il y a au moins une vingtaine de métaux et de minéraux… La liste des usages des métaux est encore longue. Et tout cela sans même parler de numérique, d’énergies dites « renouvelables » ou d’intelligence artificielle, qui font exploser la demande métallique. Vous voyez : on a créé un monde matériellement fondé sur les métaux.

ADN : Quelles sont les activités qui, demain, accéléreront le plus la demande métallique ?

Aurore Stéphant : Deux secteurs seront à l’origine de la plus grande partie de l’accélération de la demande. Tout d’abord, le secteur de l’électronique, du numérique et plus généralement des technologies de l’information et de la communication (serveurs, antennes relais…). Ensuite, le domaine de l’énergie et tout particulièrement les énergies « renouvelables » ainsi que les véhicules électriques.

On a créé un modèle de développement fondé sur les métaux, en partant du principe qu’on allait pouvoir toujours croître en se reposant sur eux. Sauf que ce modèle a des externalités environnementales et humaines déjà très élevées, qui ne vont faire qu’augmenter.

ADN : Qu’est-ce qui vous fait dire que les externalités vont augmenter ?

Aurore Stéphant : Les teneurs d’exploitation des métaux diminuent sans cesse. La teneur d’exploitation, c’est la quantité de métal que l’on peut retirer par rapport à la quantité de roche qu’il faut extraire puis rejeter. A part cinq métaux qui sont disponibles en abondance (aluminium, fer, magnésium, titane et manganèse), tous les autres présentent de faibles teneurs d’exploitation. Dans un gisement de fer, il y a entre 30 et 60% de fer. Le plomb, c’est 1 à 12% (1%, cela signifie donc que pour 1 kilo de plomb, on jette 99 kilos de roche). Le cuivre, c’est 0,2 à 3%, le lithium, 0,05 à 0,15%… Ensuite, il y a des métaux dont on entend peu parler : l’indium pour les écrans plats, le gallium pour les semi-conducteurs… on est à quelques dizaines de grammes par tonne. Tout en bas de l’échelle, il y a les métaux précieux tels que l’or et le platine, pour lesquels les teneurs d’exploitation sont de l’ordre du gramme par tonne. Et plus on avance dans le temps, plus ces teneurs diminuent.

On creuse toujours plus profond et sur des surfaces de plus en plus grandes, pour aller chercher des quantités de plus en plus faibles dans des minerais de plus en plus complexes. Et ce faisant, on augmente l’emprise de la mine et ses impacts, avec des processus de traitement du minerai de plus en plus longs, laborieux et polluants. C’est documenté depuis les années 1990, on savait que les impacts des filières minérales augmenteraient massivement.

ADN : Il faut donc freiner de toute urgence l’exploitation minière ?

Aurore Stéphant : Oui. On est allés beaucoup trop loin. Les impacts de la mine sont dramatiques voire irréversibles, et on manque encore d’outils et de méthodes pour les limiter. Or, les prévisions actuelles annoncent l’augmentation massive de la production métallique. SystExt constate qu’on n’arrive déjà pas à gérer les problèmes aujourd’hui, et il faudrait encore accélérer ? C’est non.

Pour sortir des énergies fossiles, on a principalement misé sur les énergies renouvelables, mais pour cela, l’exploitation minière devra être intensifiée… On tourne en rond. On savait qu’on allait devoir se passer des énergies fossiles, et on a essayé de faire croire aux gens qu’on allait résoudre le problème avec des métaux. C’est faux.

ADN : Vous parlez d’impacts dramatiques de la mine ; quels sont-ils ?

Aurore Stéphant : La principale victime de la mine, c’est l’eau. La mine génère des quantités considérables d’eau contaminée, dans les aquifères (qu’on appelle communément les nappes) et les cours d’eau. Les sols et l’air sont également régulièrement pollués. À titre d’exemple, les fonderies de métaux sont connues pour émettre des quantités importantes de dioxyde de soufre et de métaux. En résumé, le secteur minier est le secteur industriel à l’origine de la plus grande quantité de déchets solides, liquides et gazeux.

L’industrie minière est aussi le secteur qui est à l’origine du plus de conflits sociaux et environnementaux. De façon plus générale, le secteur extractif est à l’origine du plus de violations de droits humains, tous secteurs d’activité confondus. L’industrie minérale est un des principaux consommateurs mondiaux d’énergie primaire, à hauteur de 8 % de la consommation mondiale, et serait à l’origine de 4 à 7% des émissions de gaz à effet de serre à l’échelle internationale. La mine de lignite (charbon pauvre) d’Hambach, en Allemagne, est par exemple connue pour être la première source de gaz à effet de serre en Europe.

ADN : Comment faire pour arrêter le carnage ?

Aurore Stéphant : La priorité n°1, et j’insiste sur le fait qu’il n’y a pas d’autre possibilité, c’est de diminuer drastiquement la consommation métallique dans tous les secteurs. Là où le métal n’est pas indispensable, on n’en met plus. On arrête le gaspillage métallique, qui est absolument insupportable à constater quand on connaît les impacts de la mine.

Après, il y a le recyclage. C’est nécessaire, il faut le promouvoir, il faut construire des usines de recyclage en France et ailleurs… Mais c’est vraiment le dernier recours. C’est seulement après avoir créé des dispositifs qui durent le plus longtemps possible, après avoir mis en place la possibilité de réparer.

Aujourd’hui encore, systématiquement, quand vous apportez n’importe quel appareil électroménager ou numérique dans un magasin en disant qu’une seule pièce est défaillante, on vous explique en long, en large et en travers qu’il faut tout renvoyer pour acheter du neuf. Ce gaspillage métallique est inadmissible au vu des efforts nécessaires pour récupérer les métaux. Il faut réutiliser, réutiliser, réutiliser.

ADN : Et la numérisation de la société, l’intelligence artificielle, le métavers, toutes ces activités qui nécessitent une quantité faramineuse de métaux ?

Aurore Stéphant : J’ai de la peine pour les jeunes générations, parce qu’on leur ment. On leur fait croire qu’elles peuvent vivre dans un monde virtuel, hyper numérisé et sans externalités. C’est complètement faux. Elles le vivent aujourd’hui, mais c’est extrêmement ponctuel. Les externalités du numérique sont un drame humain et environnemental, et ça ne peut pas durer. Il faut arrêter de croire que c’est ça, l’avenir. C’est tout sauf l’avenir : c’est la destruction assurée. Plus vous verrez d’écrans, plus vous verrez d’appareils numériques et d’objets connectés ou automatisés, plus vous verrez de datacenters… plus il y aura d’amoncellements de déchets miniers et d’eaux contaminées cachés derrière. C’est inévitable.

Il faut arrêter de se voiler la face. Il n’y a pas de dématérialisation, il y a une matérialité du numérique, avec des impacts majeurs. Qu’on ne veuille pas voir le problème, je peux l’entendre, mais il existe. Et il est grave, tout autant que les émissions de gaz à effet de serre et le changement climatique. On n’a pas d’autre choix que de modifier profondément notre façon de faire, en réduisant considérablement la quantité de métal qu’on utilise. Cela signifie sortir des schémas de numérisation et de « transition énergétique » tels qu’ils sont promus aujourd’hui…

ADN : En parlant de transition énergétique, l’Union Européenne vient d’annoncer la fin du véhicule thermique pour 2035, ce qui signifie un bond du véhicule électrique… est-ce une bonne ou une mauvaise nouvelle ?

Aurore Stéphant : SystExt ne remet pas en cause l’intérêt d’utiliser un petit véhicule électrique léger dans une zone urbaine, surtout si c’est une voiture partagée. Ce qui pose problème, c’est de remplacer tout le parc automobile par des véhicules électriques, y compris les gros véhicules lourds de type SUV !

Le problème vient de la promotion de la mobilité individuelle, c’est-à-dire de bien plus loin que l’électrification. Il est naïf de croire qu’on peut tous avoir une voiture pour transporter deux tonnes sur des dizaines de kilomètres chaque jour, pour un poids individuel de 50 à 150 kilos. C’était déjà très impactant d’utiliser des millions de tonnes de métaux dans le parc automobile, avant même de le transformer pour diminuer notre dépendance aux hydrocarbures. La « transition énergétique », parce qu’elle est conditionnée sur une augmentation massive de la production métallique, va faire exploser les scores.

ADN : Dé-numérisation, dés-électrification… En route vers la décroissance ?

Aurore Stéphant : Et pourquoi pas ? Aujourd’hui, on n’ose pas parler de décroissance. Mais si la décroissance nous permettait de mieux vivre que nos grands-parents ? Ce n’est pas un gros mot. Selon moi, la décroissance, c’est simplement regarder en face la façon dont les générations précédentes ont vécu, avec une industrie agroalimentaire qui pollue, une industrie chimique qui pollue, une industrie minière qui pollue, des émissions de gaz à effet de serre, de l’air pollué, de l’eau polluée – et dire : « on veut vivre mieux que ça. ». S’il faut passer par la décroissance pour sortir de ce modèle, très bien !

Entretien réalisé par Servane Duquénois pour l’ADN, le 25 juillet 2022.

 


Mars 2018

Mauvaises mines

Combattre l’industrie minière en France et dans le monde

 

L’association SystExt (Systèmes extractifs et Environnements),
a participé à la rédaction de l’ouvrage :

Mathieu Brier et Naïké Desquesnes,
Mauvaises mines
Combattre l’industrie minière en France et dans le monde,
éditions de la Dernière lettre, mars 2018.

Argent dans la Sarthe, antimoine en Vendée, or dans la Creuse, tungstène en Ariège… le sous-sol français recèlerait bien des trésors. Depuis quelques années, de nombreux permis exclusifs de recherche (PER) sont octroyés à quelques aventuriers de l’industrie minière. Objectif affiché : fournir en métaux le monde de demain, ses grands projets d’infrastructures, son marché de l’armement, sa « croissance verte » faite d’une multitude d’objets high-tech, de voitures électriques et de parcs éoliens.

Non sans humour, les huit courts chapitres de cet ouvrage documenté dévoilent les menaces du « renouveau minier » français, les pollutions qu’il implique, ses faux-semblants écologiques et ses tentatives d’échapper au débat public. Du Pays basque à la Bretagne en passant par la Guyane, les résistances et les propositions d’alternatives se multiplient. Ce livre est un appel à les rejoindre.

Publié au printemps 2018.
152 pages – 11 x 18 cm – 8 euros
ISBN 9782748903621

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