Dominique Pinsolle, Du ralentissement au déraillement, 2015

le développement du sabotage en France (1897-1914)

Résumé

Le sabotage, c’est repousser, arracher ou briser les crocs du capitalisme

Adopté par la CGT en 1897, le sabotage est au départ conçu comme une dégradation volontaire et clandestine de la qualité du travail, du matériel ou de la production elle-même, afin de nuire uniquement aux intérêts de l’employeur. Aux yeux de certains militants, il devient à partir de la grève des Postes de 1909, et plus encore après celle des cheminots de 1910, un mode d’action susceptible de paralyser le pays tout entier, avant d’occuper une place centrale dans les plans de « sabotage de la mobilisation » élaborés au sein des milieux anarchistes. Cet article vise à comprendre comment une pratique au départ marginale et cantonnée au lieu de production a pu constituer une menace d’ampleur nationale dans les années précédant le premier conflit mondial.

 

Si la pratique précède l’emploi du mot, le sabotage clairement désigné comme tel fait son apparition en France en 1897, lorsque la Confédération Générale du Travail, fondée deux ans plus tôt, l’adopte comme moyen d’action. Le terme « sabottage » [1] (sic), est alors nouveau ; son étymologie est obscure [2] et son orthographe n’est pas encore fixée. Il sert à désigner des pratiques très diverses, qui ont cependant comme point commun la dégradation volontaire et clandestine de la qualité du travail, du matériel ou de la production elle-même, afin de nuire uniquement aux intérêts de l’employeur [3]. Il ne s’agit donc ni d’une simple résurgence des bris de machines qui ont émaillé les débuts de l’industrialisation en Europe [4], ni d’un dérivé de la vague terroriste qui vient de s’achever en France par une répression suffisamment importante pour disqualifier la « propagande par le fait » telle qu’elle était pratiquée jusque-là [5].

Difficilement saisissable, tant sur le plan de la définition que l’on peut en donner que des sources permettant de l’étudier, le sabotage a, sauf exceptions, peu attiré l’attention des historiens en tant que tel [6]. Son caractère le plus souvent marginal l’a maintenu au rang d’épiphénomène presque négligeable, caractéristique d’une période primitive du mouvement ouvrier [7], resurgissant ponctuellement (hors période de guerre) en cas de fortes tensions sociales [8]. Le sabotage représente pourtant un mode d’action original et digne d’intérêt, qui se développe au cœur de la IIe Révolution industrielle. Au-delà des points de vue normatifs, il s’agit bien d’un instrument de lutte particulier, qui cristallise de manière disproportionnée les attentes de certains révolutionnaires et les craintes des autorités avant la Première Guerre mondiale, lorsque les projets de « sabotage de la mobilisation » semblent constituer un réel danger [9]. D’où la nécessité de saisir la spécificité et l’importance de ce moyen d’action, en étudiant la manière dont il a été théorisé et mis en pratique depuis son adoption officielle par la CGT en 1897 jusqu’au déclenchement du premier conflit mondial.

En effet, au cours de cette période, le sabotage passe du rang de pratique marginale cantonnée au lieu de travail à celui d’instrument de lutte susceptible d’entraver la mobilisation, voire de paralyser le pays tout entier. Aussi, il est nécessaire de revenir sur l’émergence de ce mode d’action dont l’apparente simplicité et la potentielle dangerosité suscitent autant d’enthousiasme que de réprobation morale, jusqu’à ce que les projets de « sabotage de la mobilisation » s’évanouissent avec l’Union sacrée. Pourquoi, en effet, le sabotage devient-il si important pour une frange des révolutionnaires français et si dangereux aux yeux de l’État entre 1897 et 1914 ? Comment en vient-il à dépasser le cadre du lieu de production pour devenir une arme susceptible de paralyser le pays dans son ensemble ? Nous verrons que le sabotage reste une pratique marginale (bien que très discutée) jusqu’à la grève des postiers de 1909. Cet instrument de lutte acquiert alors une nouvelle dimension, avant d’être pleinement intégré aux plans antimilitaristes suite à la mobilisation des cheminots de 1910-1911.

La diffusion d’un concept flou recouvrant des pratiques marginales (1897-1909)

L’adoption du sabotage par la CGT sous l’impulsion des syndicalistes révolutionnaires

Lorsque le IIIe Congrès de la CGT s’ouvre à Toulouse le 20 septembre 1897, Émile Pouget, un des principaux partisans de l’entrée des anarchistes dans les syndicats après la répression de la vague terroriste qu’a connue la France entre 1892 et 1894 [10], est bien décidé à faire adopter le sabotage comme moyen d’action. Son enthousiasme pour cet instrument de lutte date très probablement de son séjour à Londres, où il s’est exilé en 1894-1895 pour échapper à la répression du mouvement anarchiste en France [11]. En effet, le sabotage trouve en grande partie ses origines en Grande-Bretagne, notamment dans la pratique du « ca’canny » (ou « go canny »), expression écossaise désignant le fait de ne pas trop en faire, de « ne pas se fouler ». Le principe est simple : « A mauvaise paye, mauvais travail. » Les dockers de Glasgow l’ont adopté en 1889 et en ont démontré l’efficacité : n’ayant pas réussi à obtenir satisfaction par la grève, ils sont effectivement parvenus à leurs fins en s’efforçant de travailler aussi mal que les briseurs de grève embauchés pendant le conflit [12]. Inspiré, entre autres, par ce succès, Pouget voit dans le sabotage un mode d’action méritant un approfondissement théorique et une mise en œuvre systématique [13].

La question du sabotage est abordée dès le début du congrès de Toulouse, au sein de la « Commission du boycottage », à laquelle participe Pouget aux côtés de sept autres militants (dont Paul Delesalle, rapporteur) [14]. Ce qui est désigné par le terme « sabottage » est présenté comme un moyen de pallier aux limites du « boycottage », lui-même pratique complémentaire de la grève [15]. Le rapport lu par Delesalle (mais très probablement rédigé par Pouget [16]) présente le sabotage comme un nouveau moyen d’action à part entière, qui séduit par son apparente simplicité et son efficacité supposée. La tactique est adoptée à l’unanimité. Le rapport, quant à lui, est édité peu après sous forme d’une petite brochure de 17 pages tirée à 100 000 exemplaires [17], qui fait elle-même l’objet de plusieurs rééditions par la suite [18]. En 1898, lors du congrès de Rennes, le sabotage fait à nouveau l’objet d’une approbation unanime. Le consensus se brise cependant lors du congrès de Paris, en 1900, au cours duquel ce mode d’action obtient malgré tout une majorité des voix (117 pour, 76 contre, 2 votes blancs). Largement admis, il n’est ensuite plus discuté au sein des congrès de la CGT jusqu’à la guerre [19].

L’adoption du sabotage comme moyen de lutte intervient ainsi dans les toutes premières années de la Confédération, marquées par l’ « anarchisme syndicaliste » [20], à une époque où cette dernière souffre d’une « extrême fragilité » et incarne « un syndicalisme sûr de lui mais loin des masses » [21] (le nombre d’adhérents serait de 108 000 en 1902 [22]). En effet, ce n’est qu’à partir de l’élection de Pouget au poste de secrétaire-adjoint et de Victor Griffuelhes (venu du blanquisme) à celui de secrétaire général en 1901 que la CGT, qui absorbe la Fédération nationale des Bourses du travail l’année suivante, s’affirme véritablement [23]. Dominée par les syndicalistes révolutionnaires, la Confédération accorde par la suite une place importante au sabotage, conçu comme une forme d’action directe pouvant être mise en œuvre facilement et de manière très efficace par des « minorités conscientes » [24]. Ces dernières sont alors censées constituer les bataillons de la grève générale à venir, dont le principe est soutenu par l’organisation depuis son congrès constitutif. Cependant, l’adoption officielle du sabotage comme moyen de lutte ne signifie pas que ce dernier fasse l’objet d’une approbation générale au sein de la CGT, qui reste confrontée aux identités de métier [25] : ses adeptes font partie de la tendance révolutionnaire (majoritaire du fait de l’absence de représentation proportionnelle), que l’on trouve par exemple dans la fédération du Bâtiment (créée en son sein en 1907), tandis que celle des Mineurs (qui rallie la CGT en 1908) reste un bastion du réformisme [26].

Des pratiques diverses, ponctuelles et marginales, qui suscitent néanmoins l’inquiétude

Si le sabotage connaît un succès théorique rapide au sein de la CGT entre 1897 et 1900, ce n’est qu’à partir de 1903 que se multiplient les actes qualifiés de « sabotages » par la police : destructions de vitrines par des ouvriers coiffeurs et boulangers lors de la campagne contre les bureaux de placement en 1903 et 1904 [27], « badigeonnage » des devantures des boutiques de coiffeurs avec un produit caustique (vitriol ou potasse) organisé par la chambre syndicale ouvrière des coiffeurs de Paris pour obtenir des heures de fermeture moins tardives en 1906 [28], diverses dégradations ou destructions volontaires en zones rurales entre 1904 et 1909 (bûcherons du Cher, ouvriers agricoles de l’Hérault, résiniers des Landes…) [29]. Ça et là, des usines et des voies de chemin de fer font également l’objet de sabotages, comme aux établissements Amos (spécialisés dans la bonneterie) dans les Vosges en 1907, ou encore à Tulle la même année [30]. Plusieurs actes de même nature sont par ailleurs commis lors des grèves des terrassiers de Draveil en 1908 (démolition d’un élévateur de sablière, chalands coulés, wagonnets jetés à l’eau…) [31], des ardoisiers de Renazé en Mayenne (carrière inondée, tuyaux des pompes brisés…) [32], et des délaineurs de Mazamet, en 1909 (les fils téléphoniques reliant les usines aux bureaux de la ville sont notamment coupés [33]). Enfin, certains ports sont aussi touchés : l’introduction de corps étrangers (sable, verre, limaille de fer, boulon, ou écrous) immobilise les croiseurs Friant (à Cherbourg [34]) et Gloire (à Brest [35]) en 1908, puis le submersible Circé (à Toulon) en 1909 [36].

Mais l’énumération de ce type d’actes, soigneusement recensés par les services de police, ne doit pas masquer l’essentiel : le sabotage reste jusqu’en 1909 une pratique ponctuelle et marginale. La raison principale en est simple : comme le souligne Jacques Julliard, « de semblables méthodes répugnaient trop à une masse ouvrière encore proche dans bien des cas de l’artisanat et amoureuse du travail bien fait, pour avoir connu une diffusion notable » [37]. Malgré tout, la diffusion de ce moyen d’action inquiète, notamment lorsque se propagent des rumeurs de vente de pain [38] et de médicaments agrémentés de matières nocives en 1907 [39].

Socialistes, anarchistes et syndicalistes révolutionnaires divisés face à un mode d’action en pleine théorisation

Alors que Georges Sorel s’enthousiasme pour le caractère mobilisateur du mythe de la grève générale [40], que les troubles que connaît la France après la catastrophe de Courrières nourrissent les espoirs (finalement déçus) d’une grève générale imminente, et que la CGT confirme son orientation révolutionnaire lors de son congrès d’Amiens (en octobre 1906), les réactions que suscite la multiplication des actes de sabotage sont révélatrices des réticences, voire de l’aversion que ce mode d’action peut inspirer. L’Humanité se sent obligé de clarifier sa position le 8 avril 1907 (quelques jours après que Pouget a défendu le « sabotage moralisateur » dans Le Matin [41]). La tâche est confiée à Paul Lafargue, pour qui le sabotage ouvrier est une impasse, même si à ses yeux les premiers et véritables saboteurs sont les patrons, qui sont accusés de saboter leur propre production en diminuant à tout prix leurs dépenses pour augmenter leurs profits [42]. Un mois plus tard, c’est au tour de Jaurès de se prononcer, cette fois à l’assemblée, sur la question. Sa condamnation du sabotage est ferme [43], sans que la propagande en faveur de ce mode d’action l’inquiète, car, selon lui, le sabotage « répugne à la valeur technique de l’ouvrier » [44].

Si le sabotage suscite des réactions hostiles chez les socialistes, il divise également les anarchistes. Certains s’y opposent pour des raisons morales, comme Jean Grave (fondateur des Temps Nouveaux en 1895) [45] ou Michel Antoine (dit Levieux) [46]. D’autres, comme Libertad, le refusent car ils le jugent inefficace [47]. À l’inverse, les partisans du sabotage ne cessent de répéter qu’il s’agit d’un moyen d’action ne répondant qu’au sabotage patronal, et qui sert, au final, le consommateur. C’est le point de vue défendu notamment par le typographe Sieurin [48], le secrétaire général de la CGT Victor Griffuelhes (dont la conception restrictive du sabotage [49] est partagée par Sorel [50]), le secrétaire adjoint de la Confédération (aux côtés de Pouget) Georges Yvetot [51], ou encore l’ouvrier coiffeur Charles Desplanques (qui accède au poste de secrétaire adjoint de la CGT en 1908) [52].

Au cours de la période 1897-1909, le sabotage fait donc l’objet de multiples débats, mais il n’est finalement que rarement pratiqué. Les discussions portent avant tout sur son caractère moral, sans que son efficacité puisse être véritablement confirmée par l’expérience. A partir de 1909, la place occupée par le sabotage dans le discours révolutionnaire change, de même que l’ampleur de sa mise en application.

L’application du sabotage aux réseaux de télécommunications : un tournant pratique et théorique (1909-1910)

La multiplication des actes de sabotage lors de la grève des Postes

Il faut attendre les grèves des Postes de mars et mai 1909 pour que le sabotage soit pratiqué à une large échelle et constitue une réelle menace aux yeux des autorités. Au discours de la CGT, alors en pleine crise suite aux événements sanglants de l’année 1908 [53], vient s’ajouter l’apologie du sabotage par La Guerre sociale, le journal fondé par le socialiste antimilitariste et insurrectionnaliste Gustave Hervé en 1906 [54]. Désormais, cet instrument de lutte n’est plus seulement considéré comme une forme d’action directe parmi d’autres cantonnée au lieu de travail, mais comme un mode d’action susceptible d’être mis au service de projets révolutionnaires de grande ampleur.

En 1909, le mécontentement des agents des Postes trouve en grande partie son origine dans la modification des règles d’avancement [55]. La grève est votée le 13 mars. La menace que représente le recours au sabotage préoccupe immédiatement le gouvernement et la presse [56]. Dès le 19 mars, Louis Barthou, ministre des Travaux publics, annonce à la Chambre que des lignes télégraphiques ont été sabotées par les grévistes, ce que dément le syndicat des ouvriers des lignes. Le ministre prévient :

« Si des ouvriers se sont livrés à de pareils actes, ils ont commis des actes de sabotage, ce qui est un véritable crime national. » [57]

La grève prend fin le 23 mars, sans que l’affaire soit élucidée. Les postiers et télégraphistes, eux, ont pris conscience du pouvoir que leur confère la maîtrise d’un réseau indispensable pour tout le pays. Comme le souligne Alexandre Desrousseaux (dit Bracke) dans L’Humanité, le 20 mars :

« Plus encore que la grève des chemins de fer, la grève des postes et télégraphes a sa répercussion sur toute la vie nationale. Elle frappe l’État capitaliste dans son fonctionnement même. […] Le prolétariat peut se rendre compte de la force que lui donnerait la possession de l’outillage des communications postales, téléphoniques et télégraphiques, lorsqu’il les prendrait en main à son usage […] pour une lutte générale, à l’heure décisive, en vue de son émancipation. » [58]

Suite à plusieurs révocations prononcées entre le 30 avril et le 9 mai, les postiers cessent à nouveau le travail le 12 mai [59]. Une semaine plus tard, la CGT (qui compte alors 300 000 membres environ sur les 6 millions de salariés de l’industrie en France [60]) appelle (en vain) à la grève générale [61]. Lors de cette seconde grève, beaucoup moins suivie et populaire que la précédente [62], les sabotages se multiplient : 30 mètres de câbles sont enlevés à Paris le 15 mai, 20 fils sont coupés sur la ligne de Bordeaux le 16, plusieurs câbles sont sectionnés ou reliés entre eux dans les égouts à Paris les 18 et 19, puis en Meurthe-et-Moselle, dans le Calvados et dans l’Eure le 21 [63]… On ne sait rien, ou presque, des saboteurs, qui échappent la plupart du temps à la police. Un exemple permet cependant d’avoir une idée de la manière dont les militants procèdent. Le 16 mai, un saboteur de 36 ans, marié, sans enfant, est arrêté par des agents préposés à la surveillance des lignes télégraphiques, alors qu’il était en train de monter à un poteau sur la ligne Paris-Saint-Germain, entre les gares du Pecq et du Vésinet, au Nord-Ouest de Paris. Interrogé, il explique à la police qu’après le grand meeting tenu à la salle du Tivoli-Vauxhall, l’ordre lui a été donné de se mettre à la disposition d’un autre ouvrier des lignes, qui lui a donné rendez-vous place de la Nation. Une fois sur place, une automobile l’a amené jusqu’au lieu où le sabotage devait être commis. Au moment de l’arrestation, l’automobile démarre et part à toute vitesse sans que la police puisse déterminer le nombre de passagers [64].

Le rôle déterminant de La Guerre Sociale

Loin d’être uniquement spontanés, les actes de sabotage qui se multiplient lors de la grève des Postes sont aussi liés à une campagne retentissante menée par La Guerre sociale. Le journal de Gustave Hervé ne cesse de préconiser ce mode d’action et publie de nombreux conseils pratiques pour faciliter le travail des saboteurs [65]. Malgré l’intransigeance du gouvernement (800 postiers sont révoqués) et l’échec de la grève (qui se termine le 20 mai) [66], les sabotages continuent. À la fin du mois de mai, deux individus sont arrêtés dans le Jura alors qu’ils étaient en train de s’attaquer à un poteau télégraphique. On trouve sur eux un document intitulé « Instruction secrète pour le sabotage des lignes téléphoniques et télégraphiques », signé par une mystérieuse « Organisation » [67]. La police est convaincue, à raison semble-t-il, que derrière cette dernière se cache (de manière peu discrète) l’équipe de La Guerre sociale, « grossie de quelques unités révolutionnaires » [68]. Le journal d’Hervé s’amuse par la suite à alimenter la fiction d’une organisation qui coordonnerait les sabotages [69], recense toutes les coupures de fils et ne cesse de faire l’apologie de « Mam’zelle Cisaille ». Même s’il semble évident que les actes commis sont au moins en partie le fait de militants extérieurs à la grève [70], il est cependant impossible de prouver formellement que les sabotages sont directement liés au journal et à ses sections (au nombre de 2 000 en mai 1909 [71]). Les 23 perquisitions opérées en juin ne donnent d’ailleurs aucun résultat [72]. Quoi qu’il en soit, la circulaire confidentielle retrouvée par la police révèle à la fois une connaissance technique très précise des réseaux télégraphique et téléphonique, ainsi qu’un souci, constant depuis l’adoption du sabotage par la CGT, d’éviter de provoquer des accidents potentiellement mortels.

Les sabotages de lignes télégraphiques et téléphoniques se poursuivent jusqu’à la mi-juillet, les actes recensés étant quasi-quotidiens au moins jusqu’à la mi-juin [73]. S’il est impossible d’en connaître le nombre exact, on en compte plus de 250 [74]. Les techniques utilisées correspondent aux conseils pratiques contenus dans le document signé « l’Organisation » : fils coupés, câbles enlevés sur d’importantes longueurs pour ralentir les réparations (jusqu’à 38 mètres, dans les égouts de la rue de Flandre à Paris, le 18 mai), fils reliés entre eux, poteaux sciés [75]… Aux yeux des adeptes du sabotage, cette tactique semble payer : après la chute du gouvernement Clemenceau le 20 juillet, le ministère Briand, avec Alexandre Millerand aux Postes et Télégraphes, commence la réintégration de la plupart des postiers révoqués, qui se poursuit jusqu’en 1914 [76].

Un nouvel engouement pour le sabotage

La grève des Postes constitue donc une rupture dans l’évolution de ce mode d’action, dans la mesure où ce dernier apparaît comme un moyen de paralyser le pays, et plus seulement comme une arme permettant de lutter contre l’employeur. Si le nouveau secrétaire général de la CGT (depuis juillet 1909), Léon Jouhaux, défend le sabotage de manière assez vague lors d’une conférence à Angers six mois après la fin de la grève [77], l’anarchiste Sébastien Faure et l’électricien Émile Pataud s’inspirent de l’action des postiers pour attirer l’attention des ouvriers sur la vulnérabilité du réseau électrique. Leur conférence, prononcée en décembre 1909 [78], fait également écho à la grève des électriciens de mars 1907, qui a plongé Paris dans le noir [79] et a valu à Pataud le surnom de « Roi de l’ombre » [80] :

« On le voit : dans ce gigantesque outillage qui va de la mine fournissant le combustible nécessaire à l’alimentation des chaudières, jusqu’à la distribution à domicile, tout se tient, tout forme un tout d’une puissance énorme en même temps que d’une extrême délicatesse. On conçoit sans peine qu’un accident, une fausse manœuvre, un oubli, un geste trop précipité ou trop lent, un rien, et à plus forte raison une intention de sabotage suffisent à entraver, paralyser, suivant le cas, à arrêter durant un laps de temps plus ou moins long tout le service électrique. » [81]

Cette nouvelle conception du sabotage transparaît également dans l’ouvrage que Pouget consacre à la question en 1910, sobrement intitulé Le Sabotage [82]. Pouget, qui s’est retiré de la vie syndicale, vient de publier avec Pataud, en 1909, un livre de politique-fiction décrivant la France au lendemain d’une grève générale révolutionnaire couronnée de succès, qui a nécessité le recours au sabotage (notamment chez les électriciens-gaziers) [83]. Le Sabotage, quant à lui, constitue une première synthèse des actions menées depuis 1897, à un moment où ce moyen d’action vient d’acquérir une nouvelle dimension avec les grèves de mars et mai 1909. Après être revenu sur l’adoption de ce mode d’action par la CGT, puis justifié son emploi dans certaines conditions (notamment sans porter atteinte au public), Pouget souligne l’extension de son champ d’application après la grève des Postes :

« Jusqu’ici nous n’avons envisagé le sabotage que comme un moyen de défense utilisé par le producteur contre le patron. Il peut, en outre, devenir un moyen de défense du public contre l’État ou les grandes compagnies. » [84]

Dans cette optique, le sabotage devient « dans la guerre sociale ce que sont les guérillas dans les guerres nationales » [85], et le « ralentissement du travail », qui était à l’origine du « ca’canny », est ramené à une « forme instinctive et primaire du sabotage » [86]. On perçoit nettement dans l’ouvrage de Pouget l’attention plus importante accordée à la question des réseaux, notamment de transport. L’auteur cite en particulier A. Renault, employé de Bureau de l’Ouest-État qui vient d’être révoqué après avoir fait paraître une brochure (tirée à 10 000 exemplaires [87]) prônant le sabotage pour « empêcher la circulation des trains » en cas de grève (sans provoquer cependant de « destruction imbécile »)[88]. Reprenant un argument déjà développé par le secrétaire de la Fédération de l’Alimentation Amédée Bousquet [89], Renault estime qu’il s’agit d’une des « précautions indispensables » pour éviter que les « jaunes » et les soldats remettent en marche le matériel abandonné par les grévistes. Le livre de Pouget revient ainsi sur la genèse du sabotage tout en annonçant de nouvelles perspectives pour ce mode d’action toujours aussi décrié [90].

La grève des Postes fait donc prendre conscience à une minorité de syndicalistes révolutionnaires et d’anarchistes regroupés autour de la CGT et (surtout) de La Guerre sociale, que le sabotage peut être autre chose qu’un simple complément à la grève limité au lieu de travail. Appliqué aux réseaux de télécommunications, le sabotage s’avère effectivement un moyen relativement simple, peu risqué et efficace pour, sinon paralyser, du moins perturber les communications à l’échelle nationale. À partir de 1909-1910, il n’est donc plus seulement question de freiner la production pour nuire aux intérêts de l’employeur, mais bien d’utiliser ce mode d’action dans une perspective beaucoup plus large. Cette évolution, dont témoigne le livre de Pouget, se confirme peu de temps après la publication de celui-ci, lorsque les cheminots se mettent en grève au mois d’octobre 1910.

L’accession du sabotage au rang d’arme susceptible de paralyser le pays et de faire échouer la mobilisation (1910-1914)

Une forme de représailles après l’échec de la grève des cheminots

La célèbre grève des chemins de fer d’octobre 1910 [91] constitue une étape essentielle dans le développement du sabotage en France. Le Syndicat national des travailleurs des chemins de fer (affilié à la CGT), qui s’est rapproché de la Fédération des Syndicats de Mécaniciens et Chauffeurs en avril 1910, est alors de plus en plus influencé par les doctrines révolutionnaires. Face à la tendance réformiste, ces dernières ont gagné en audience depuis 1908, particulièrement sur le réseau du Nord [92]. En réaction à la « vie chère », à la dégradation des conditions de travail et à la question des retraites, la mobilisation semble inévitable [93]. La grève « pour la thune » (la pièce de 5 francs incarnant le salaire minimum quotidien réclamé) commence le 8 octobre. Le 11, la grève générale est décidée par la minorité révolutionnaire du Syndicat national, en l’absence de nombreux réformistes (dont le secrétaire général du Syndicat national, Marcel Bidegaray), alors à Toulouse pour participer au congrès de la CGT. Cette dernière préfère d’ailleurs rester en retrait, à partir du moment où les socialistes apportent un soutien actif au mouvement [94].

Avant même le début de la grève, des actes de sabotage sont commis [95]. L’« Organisation de combat » apparue l’année précédente revient sur le devant de la scène. Malgré l’absence de preuves formelles [96], le lien avec l’équipe de La Guerre sociale apparaît à nouveau évident, dans la mesure où le journal publie le 15 octobre un communiqué de l’ « Organisation » revendiquant les actes de sabotage commis depuis le début du mouvement, et annonçant qu’elle est prête à continuer à sévir si besoin après la fin du conflit en guise de représailles [97]. Le gouvernement, de son côté, a anticipé la possibilité d’un conflit depuis plusieurs mois [98]. Les troupes sont déployées et, dès le 11 octobre, Aristide Briand, qui a succédé à Georges Clemenceau à la présidence du Conseil en juillet 1909, ordonne la mobilisation des cheminots [99]. Une semaine plus tard, ces derniers doivent se résoudre à reprendre le travail. Cependant, les actes de sabotage ne disparaissent pas et sont utilisés, comme lors de la grève des Postes, pour forcer le gouvernement à réintégrer les quelque 3 000 agents révoqués [100]. Alors que des fils téléphoniques et télégraphiques sont coupés quotidiennement, Briand provoque une vive polémique à la Chambre, le 29 octobre : revenant sur ce que Paul Leroy-Beaulieu vient de qualifier d’événements « les plus graves et les plus inquiétants que l’on ait vus depuis 1871 » [101], il assure que le gouvernement aurait été prêt à « recourir à l’illégalité » pour préserver la « défense nationale » [102], ce qui lui vaut d’être immédiatement traité à gauche de « dictateur » [103].

Une vague de sabotages sans précédent dont l’impact reste limité

C’est donc dans un contexte de très forte tension que La Guerre sociale poursuit inlassablement sa campagne en faveur de « Mam’zelle Cisaille » [104]. S’ils sont globalement de même nature que ceux commis en 1909, les actes de sabotage sont beaucoup plus nombreux que lors de la grève des Postes : d’octobre 1910 à juin 1911, la police en dénombre 2908, dont plus de 90% sont des coupures de fils télégraphiques ou téléphoniques [105]. Le reste englobe des poteaux sciés ou arrachés, divers types de fils détériorés, des tentatives de déraillement (73 au total), des dégradations de rails, des attentats à la dynamite, des pétards placés sur voies ferrées, des pierres jetées sur les trains, des coups de feu…

Si la grève des cheminots a été particulièrement suivie dans le Nord et sur le réseau Ouest-État, c’est sur le Paris-Orléans (où la mobilisation est pourtant la plus faible) que le nombre d’actes de sabotage pour 100 grévistes est le plus important (près de 25, contre 6,5 pour le Nord [106]). Le passage à l’acte dépend avant tout de la radicalité de quelques militants, qui ne font d’ailleurs pas forcément partie des grévistes [107]. L’influence exercée par La Guerre sociale semble alors déterminante, ce qui alimente la thèse du complot défendue par le gouvernement [108], qui renoue ainsi avec l’idée d’une conspiration d’extrême gauche menaçant la République, apparue avec les événements du 1er mai 1906 [109]. L’inquiétude des autorités est d’autant plus grande que les petits groupes ou les individus pratiquant le sabotage sont très difficiles à surveiller et à appréhender, tandis que le sabotage lui-même est absent du Code pénal et ne constitue donc pas un crime ou un délit particulier [110]. Les brigades de police mobile ne procèdent ainsi qu’à 93 arrestations entre octobre et mai 1911 [111]. Le 18 juin, Le Matin se désole de l’impunité avec laquelle ces actes sont commis : une douzaine de condamnations seulement a pu être prononcée et « parmi cette douzaine de condamnés comptons-nous six gamins que l’on peut supposer avoir agi sans trop de discernement » [112].

Malgré l’importance du nombre d’actes commis, l’impact de cette vague de sabotages doit être relativisée. Comme l’explique L’Éclair, le 21 juin 1911, les « fils coupés sur nos lignes comportent moins de risques d’accidents qu’on ne pourrait le croire. » Les sabotages sont en effet commis « presque toujours sur les mêmes points » (ce qui facilite la surveillance) et sont découverts « presque tout de suite ». Quant au risque d’accident causé par les sabotages de fils, il « n’existe guère […] que pour les fils avertissant, par une sonnerie, les gardes barrières des lignes de seconde importance du prochain passage des trains. » [113] Le chef de gare de Joinville explique par ailleurs que les trains trouvant un signal à l’arrêt (suite à une coupure de fil) « stoppent et là se bornent, heureusement, les conséquences de ces sabotages. » [114] Cependant, le 29 juin 1911, le déraillement d’un train circulant sur la ligne Le Havre-Paris, choque profondément l’opinion, malgré l’absence de victime [115]. L’« Attentat du Pont de l’Arche » (dont l’auteur n’est pas retrouvé [116]) est unanimement condamné, y compris par l’« Organisation de combat » et La Guerre sociale [117]. Cependant, l’événement nourrit le discours de ceux qui, comme les auteurs du rapport parlementaire consacré au sabotage en 1911, voient dans ce mode d’action un « retour à la sauvagerie des premiers âges » [118]. Les coupures de fils, quant à elles, se raréfient par la suite [119], parallèlement au virage à droite que Gustave Hervé, mis en difficulté au sein du mouvement libertaire, commence alors à effectuer [120].

Par son ampleur et sa radicalité, et malgré son échec à court terme, la grève des cheminots d’octobre 1910 constitue bien, comme l’a démontré François Caron, une rupture sur le plan de l’histoire des chemins de fer et de l’histoire syndicale. Même l’historien américain Peter N. Stearns, pourtant convaincu du faible degré de radicalité du mouvement ouvrier français, y voit une exception, tout en soulignant à juste titre que le sabotage reste défendu par une faible minorité [121]. Dans le sillage des grèves des Postes, la vague de sabotages qui accompagne la mobilisation des cheminots et la suit contribue à donner une nouvelle dimension à ce mode d’action, qui est par la suite de plus en plus intégré aux plans antimilitaristes développés avant tout dans les milieux anarchistes.

Des plans de « sabotage de la mobilisation » qui restent lettre morte

Même si les révolutionnaires de La Guerre sociale n’attendent pas la grève des chemins de fer pour envisager d’utiliser le sabotage dans une perspective antimilitariste [122], c’est véritablement après la vague de sabotage ayant suivi la grève des cheminots que ce moyen d’action est pleinement intégré aux plans de résistance à la mobilisation. La Fédération Révolutionnaire Communiste (FRC), organisation libertaire créée en novembre 1910 par des adversaires des hervéistes [123], préconise dès le mois de mai 1911 l’utilisation des méthodes employées lors des grèves de 1909 et de 1910 pour empêcher l’entrée en guerre [124]. Ce plan de « sabotage de la mobilisation » est précisé en août [125] : outre la coupure des fils télégraphiques et la destruction des appareils de TSF de la Tour Eiffel, il est désormais question de recours aux explosifs pour faire sauter des voies de chemin de fer, l’Hôtel des Postes, le Bureau central du télégraphe, le Palais présidentiel, les ministères de la Guerre, de l’Intérieur et des Finances, tout en empêchant le départ des aéroplanes, et ce immédiatement après la déclaration de guerre [126]. L’heure n’est plus à la simple dégradation du matériel telle qu’elle était jusque-là préconisée par la CGT et même La Guerre sociale, et le « ca’canny » semble bien loin… Comme le souligne Jean-Jacques Becker :

« Il y a donc une différence de niveau très sensible entre les anarchistes agissant en tant que syndicalistes et se contentant de directives violentes mais générales et les anarchistes agissant en tant que tels et entrant dans les détails des préparatifs. » [127]

Au sein de la CGT, la situation est plus ambiguë. D’un côté, la Confédération prend ses distances avec l’hervéisme à partir de 1909-1910 [128] (avant que Gustave Hervé lui-même renonce définitivement à l’antipatriotisme et à l’insurrection après sa sortie de prison en juillet 1912 [129]). De l’autre, elle s’engage dans une campagne antimilitariste accrue à partir de 1911-1912, qui fait resurgir la question du sabotage et nourrit un ultime débat à ce sujet en septembre-octobre 1913, opposant notamment Jaurès à Yvetot [130]. Cependant, ce sont désormais les anarchistes, au sein de la Confédération ou en dehors, qui font la propagande la plus active en faveur du sabotage. Fait révélateur, c’est la Fédération Communiste Anarchiste (nouveau nom de la FRC depuis juillet 1912) qui édite clandestinement au printemps 1913 une brochure « synthétisant l’expérience du défunt blanquisme, de la Commune de Paris, de la révolution russe de 1905 et du sabotage ouvrier des années 1909-1911 » [131].

Ce document de 36 pages bien connu [132], intitulé En cas de guerre mais bientôt surnommé « brochure rouge » du fait de la couleur de sa couverture, est tiré à 2 000 exemplaires. S’il s’agit toujours de couper les fils télégraphiques et téléphoniques, il faut aussi s’attaquer aux signaux (alors que la circulaire confidentielle de 1909 précisait qu’il ne fallait pas y toucher pour éviter « des catastrophes de chemin de fer »), et faire sauter les rails, les viaducs et les ponts. La brochure souligne également la nécessité de s’armer et de connaître précisément l’emploi des explosifs et des poisons [133]. Le souci d’éviter les destructions et de ne risquer la vie de personne, qui caractérisait le sabotage jusque-là, a disparu. La frontière avec le terrorisme est donc de plus en plus floue, même si le fait d’envisager le recours aux explosifs ou la suppression physique de certains individus n’a pas pour but de provoquer un effet psychologique sans commune mesure avec les moyens employés, ni d’utiliser un quelconque climat de terreur comme un « levier » susceptible de faire basculer le pays dans une situation révolutionnaire [134]. L’objectif reste avant tout d’entraver, voire de paralyser la mobilisation. Quoi qu’il en soit, le « sabotage de la mobilisation » s’avère être finalement une expression désignant un plan mêlant des actes de diverses natures, qui n’ont plus que quelques traits communs avec le sabotage tel qu’il a été théorisé et mis en pratique jusqu’à la grève des chemins de fer de 1910. Malgré le caractère « peu réalisable » [135] de certains conseils et la marginalité des thèses qui y sont défendues, la « brochure rouge » inquiète les autorités. Ce n’est qu’après l’assassinat de Jaurès que le ministre de l’Intérieur fait savoir que le Carnet B, susceptible de servir à arrêter les militants suspectés de vouloir entraver la mobilisation, ne sera finalement pas utilisé [136]. Le 4 août, le ralliement de la CGT à l’Union sacrée fait disparaître toute perspective de « sabotage de la mobilisation » à grande échelle. Quant aux anarchistes, ils rejoignent leur corps « à quelques exceptions près » [137]. Le sabotage, abandonné par ceux qui avaient été ses principaux promoteurs, cesse en quelques jours de constituer une menace de grande ampleur, et disparaît en même temps que le spectre de la grève générale.

Entre 1897 et 1914, le sabotage s’avère donc être autant un mode d’action à part entière qu’un principe générant des pratiques très diverses. Conçu au départ comme un moyen efficace de nuire discrètement aux intérêts du patron, il est progressivement appliqué à des situations très différentes, jusqu’à toucher les réseaux de télécommunications et de transport et acquérir ainsi une dimension subversive inédite. Les deux grandes vagues de sabotage, celle de mars-mai 1909 et, surtout, celle d’octobre 1910-juillet 1911, font de ce mode d’action une forme à peine atténuée de terrorisme aux yeux des autorités, qui y voient une véritable menace à l’échelle nationale.

L’accession du sabotage au rang de « crime national » est avant tout due au fait que cet instrument de lutte fait l’objet d’une théorisation et d’une mise en pratique par des révolutionnaires acquis à la théorie de la grève générale, qui caractérise le syndicalisme révolutionnaire français à cette époque. Autrement dit, si le sabotage dépasse le cadre strict du lieu de travail pour toucher les grands réseaux de télécommunications et de transport, c’est parce qu’il est considéré par les partisans de la grève générale comme une sorte de panacée à l’heure où la France est devenue dépendante de ces grands réseaux. Se développent ainsi tout un imaginaire révolutionnaire autour du sabotage, ainsi que de nombreux fantasmes plus ou moins conspirationnistes du côté du gouvernement, qui sont en net décalage par rapport à la réalité des faits. Car si le sabotage inquiète autant qu’il enthousiasme, il n’en reste pas moins, tout au long de la période, un mode d’action défendu par une petite minorité, et dont l’importance n’a jamais été à la hauteur des rêves d’insurrection généralisée de ses plus fervents partisans.

Mais l’impact relativement limité du sabotage n’enlève rien à son caractère fascinant pour ceux qui le préconisent. Cela est probablement dû aux potentialités subversives qui sont associées à cette pratique nécessitant peu d’hommes et semblant permettre de déstabiliser un pays tout entier. Peu importe que, dans les faits, un certain nombre de contraintes, à la fois matérielles et morales, réduisent les conséquences du sabotage à une série de blocages et de dérangements temporaires. Même si le « grain de sable » ne suffit pas à enrayer totalement la machine, l’idée qu’un système puisse être paralysé par l’action clandestine de quelques individus a profondément marqué les esprits avant 1914. Paradoxalement ce n’est pas contre la guerre mais pendant les guerres que le sabotage connaît par la suite une certaine fortune, notamment au cours de la Seconde Guerre mondiale. Mais son application militaire n’efface pas sa dimension sociale et subversive, qui resurgit régulièrement lors de conflits sociaux particulièrement durs ou dans des théories insurrectionnelles suscitant depuis quelques années un nouvel intérêt [138].

Dominique Pinsolle,
historien à l’Université Bordeaux Montaigne.

 

Article publié dans la revue Histoire, économie & société, 2015/4

 

Sous la direction de Nicolas Patin et Dominique Pinsolle,
Déstabiliser l’État en s’attaquant aux flux.
Des révoltes antifiscales au sabotage,
XVIIe-XXe siècles
,
L’Arbre bleu, novembre 2020.

 


[1] Archives nationales [désormais AN], F/7/13065, « IIIe Congrès de la Confédération générale du Travail tenu à Toulouse du 20 au 25 septembre 1897, Rapport de la commission du boycottage », s.d.

[2] Le terme dériverait le plus probablement du verbe « saboter » qui, dans le langage populaire du début du XIXe siècle, désigne le fait de travailler volontairement mal (Olivier Kourchid, « Les sens du frein et du freinage : techniques, métaphores, rapports sociaux », dans Freinage, Contrôle, Régulation. Des sciences et techniques aux sciences sociales, dir. Olivier Kourchid et Jean-Claude Rabier, Paris, L’Harmattan, 2004, p. 13-39, ici p. 22.)

[3] Afin de ne pas s’éloigner de la conception qu’en avaient les contemporains, la définition du sabotage que nous retenons ici est volontairement plus restrictive que celle retenue par Pierre Dubois dans Le Sabotage dans l’industrie, Paris, Calmann-Lévy, 1976, p. 10.

[4] Stéphane Sirot, La Grève en France. Une histoire sociale (XIXe-XXe siècle), Paris, Odile Jacob, 2002, p. 167. Inversement, « le luddisme ne peut se réduire au sabotage ou au bris de machine » (Vincent Bourdeau, François Jarrige et Julien Vincent, Les Luddites. Bris de machines, économie politique et histoire, Maisons-Alfort, Ère, p. 10). François Jarrige note par ailleurs que, contrairement aux briseurs de machines, « le syndicalisme révolutionnaire qui prône le “sabotage” respecte l’outil de travail. » (François Jarrige, Au temps des « tueuses de bras ». Les bris de machines à l’aube de l’ère industrielle, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2009, p. 336).

[5] Vivien Bouhey, Les Anarchistes contre la République. Contribution à l’histoire des réseaux sous la Troisième République (1880-1914), Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2008, p. 419.

[6] Outre le travail sociologique déjà cité de Pierre Dubois, mentionnons cependant le livre important de Geoff Brown : Sabotage. A Study in Industrial Conflict, Nottingham, Spokesman books, 1977.

[7] Maxime Leroy affirme ainsi en 1913 : « Le sabotage est une survivance, ce n’est pas une force d’avenir. » (La Coutume ouvrière, t. 2, Paris, M. Giard et É. Brière, 1913, p. 631).

[8] Stéphane Sirot voit dans le sabotage « un élément singulier se produisant dans des situations de blocage du dialogue, dans des moments de crise aux différends âpres où l’existence quotidienne est en jeu. » (La Grève en France, op. cit., p. 168). Sophie Béroud et René Mouriaux, quant à eux, ont analysé le sabotage comme une forme de « contre-violence » exercée dans certaines circonstances extrêmes par les dominés (« Violence et sabotage dans les grèves en France », dans Christian Larose et. al., Cellatex : quand l’acide a coulé, Montreuil, VO éditions/Paris, Syllepse, 2001, p. 139-164).

[9] Jean-Jacques Becker, Le Carnet B. Les Pouvoirs publics et l’antimilitarisme avant la guerre de 1914, Paris, Editions Klincksieck, 1973, particulièrement p. 47-69 et 75-81 ; Paul B. Miller, From Revolutionaries to Citizens. Antimilitarism in France, 1870-1914, Durham/London, Duke University Press, 2002, particulièrement p. 150-161.

[10] Jean Maitron, Le Mouvement anarchiste en France, t. 1 : Des origines à 1914, Paris, Gallimard, 1992, p. 272-273.

[11] Constance Bantman, « The Militant Go-between : Émile Pouget’s Transnational Propaganda (1880-1914) », Labour History Review, 74 (3), December 2009, p. 274-287.

[12] Geoff Brown, Sabotage, op. cit., p. 5.

[13] Constance Bantman, The French Anarchists in London, 1880-1914 : Exile and Transnationalism in the First Globalisation, Liverpool, Liverpool University Press, 2013, p. 161-162 ; Constance Bantman, « From Trade Unionism to Syndicalisme Révolutionnaire to Syndicalism : the British Origins of French Syndicalism », dans Constance Bantman, David Berry (ed.), New Perspectives on Anarchism, Labour and Syndicalism : the Individual, the National and the Transnational, Newcastle, Cambridge Scholars Publishing, 2010, p. 126-141, ici p. 131-134.

[14] AN, F/7/13065, « IIIe Congrès de la Confédération générale du Travail tenu à Toulouse du 20 au 25 septembre 1897, Rapport de la commission du boycottage », doc. cit.

[15] Le « boycottage » est également une pratique venue d’outre-manche : le terme « boycott » est apparu en 1880 en Irlande, lors de la rébellion de paysans contre l’homme chargé de leur éviction, le militaire anglais Charles Cunningham Boycott (Olivier Esteves, Une histoire populaire du boycott, t. 1, Paris, L’Harmattan, 2006, p. 21).

[16] Miguel Chueca, « Émile Pouget, du Père Peinard au meneur syndicaliste », dans Émile Pouget, L’Action directe et autres écrits syndicalistes (1903-1910). Textes rassemblés et présentés par Miguel Chueca, Marseille, Agone, 2010, p. 21.

[17] Ibid., p. 108, note II. La brochure a pour titre Boycottage et Sabottage. Rapport de la Commission du Boycottage au Congrès Corporatif tenu à Toulouse en Septembre 1897 (Paris, Imprimerie C. Favier, s.d.). La dernière page du document précise que les exemplaires doivent être directement commandés auprès de Pouget, qui est censé se charger de la préparation d’une seconde brochure « sur les moyens d’appliquer le Sabottage » (AN, F/7/13065).

[18] AN, F/7/13065, « Principaux actes de sabotage commis depuis environ deux années », 10 juin 1909.

[19] Émile Pouget, Le Sabotage, Paris, Marcel Rivière, 1910, p. 10-21.

[20] Jean Maitron, Le Mouvement anarchiste en France, op. cit., p. 300.

[21] Michel Dreyfus, Histoire de la CGT : cent ans de syndicalisme en France, Bruxelles, Complexe, 1995, p. 37.

[22] Ibid., p. 63.

[23] Ibid., p. 37-43.

[24] Ibid., p. 47.

[25] Stéphane Sirot, Le Syndicalisme, la Politique et la Grève : France et Europe, XIXe-XXe siècles, Nancy, Arbre bleu, 2011, p. 302.

[26] Michel Dreyfus, Histoire de la CGT, op. cit., p. 48.

[27] AN, F/7/13065, « Principaux actes de sabotage commis depuis environ deux années », doc. cit. ; AN, F/7/14606, « Le Sabotage », partie III : « Principaux actes de sabotage commis depuis l’année 1903 », p. 14, s.d.

[28] AN, F/7/13065, « Principaux actes de sabotage commis depuis environ deux années », doc. cit. Le mouvement est, selon Pouget, un succès (Le Sabotage, op. cit., p. 35).

[29] AN, F/7/13065, « Principaux actes de sabotage commis depuis environ deux années », doc. cit.

[30] Ibid.

[31] Ibid.; AN, F/7/13065, M/1363, « Le sabotage dans la maçonnerie », 3 avril 1908.

[32] AN, F/7/13065, « Principaux actes de sabotage commis depuis environ deux années », doc. cit. ; AN, F/7/13065, Le Préfet de la Mayenne au Président du Conseil, Ministre de l’Intérieur, 10 décembre 1908.

[33] AN, F/7/13065, « Principaux actes de sabotage commis depuis environ deux années », doc. cit. ; AN, F/7/13065, Rapport sur la grève des ouvriers délaineurs de Mazamet, 23 février 1909.

[34] AN, F/7/13065, Les Temps Nouveaux, 16 février 1908.

[35] AN, F/7/13065, « Rapport au sujet du sabotage à bord du croiseur-cuirassé Gloire », 28 décembre 1908.

[36] AN, F/7/13065, « Principaux actes de sabotage commis depuis environ deux années », doc. cit.

[37] Jacques Julliard, Autonomie ouvrière : études sur le syndicalisme d’action directe, Paris, Gallimard-Seuil, 1988, p. 51.

[38] AN, F/7/13065, « Principaux actes de sabotage commis depuis environ deux années », doc. cit. ; AN, F/7/13065, Note manuscrite intitulée « Le Sabotage », février 1906.

[39] AN, F/7/13065, Charles Desplanques, « Sabotage », Les Temps Nouveaux, 11 mai 1907.

[40] Ses Réflexions sur la violence paraissent en 1906 dans Le Mouvement socialiste.

[41] Émile Pouget, « Le sabotage moralisateur », Le Matin, 2 avril 1907.

[42] Paul Lafargue, « Le sabotage », L’Humanité, 8 avril 1907.

[43] Voir à ce sujet : Alain Boscus, « Jean Jaurès et le syndicalisme », dans Michel Pigenet et Pierre Robin (dir.), Regards sur le syndicalisme révolutionnaire : Victor, Émile, Georges, Fernand et les autres…, Actes du colloque tenu à Nérac le 25 et 26 novembre 2006, Nérac, Éditions d’Albret, 2007, p. 71-103.

[44] Cité dans L’Humanité, 12 mai 1907.

[45] Voir Les Temps nouveaux, 9 février 1901, cité dans Jean Maitron, Le Mouvement anarchiste en France, op.cit., p. 303.

[46] Voir Levieux, « Le sabotage », L’Anarchie, 28 février 1908.

[47] Voir L’Anarchie, 16 janvier 1908.

[48] AN, F/7/13065, D. Sieurin, « Sabotage », La Voix du Peuple, 10 décembre 1905.

[49] Voir le résumé d’une conférence à ce sujet dans AN, F/7/13065, Le commissaire de police au directeur de la Sûreté générale, Sotteville-Lès-Rouen, 24 janvier 1909.

[50] Henri Dubief (éd.), Le syndicalisme révolutionnaire. Textes choisis et présentés par Henri Dubief, Paris, Armand Colin, 1969, p. 190-191.

[51] Voir sa conception du sabotage « intelligent » dans Georges Yvetot, ABC syndicaliste, Paris, L’Émancipatrice, 1908.

[52] Voir AN, F/7/13065, Charles Desplanques, « Le sabotage », Les Temps Nouveaux, 14 mars 1908.

[53] Michel Dreyfus, Histoire de la CGT, op. cit., p. 63-64.

[54] Sur cette figure centrale des partisans du sabotage, voir Gilles Heuré, Gustave Hervé : itinéraire d’un provocateur, de l’antipatriotisme au pétainisme, Paris, La Découverte, 1997.

[55] Jeanne Siwek-Pouydesseau, Le Syndicalisme des fonctionnaires jusqu’à la guerre froide, 1848-1948, Lille, Presses universitaires de Lille, 1989, p. 91.

[56] Voir, par exemple, Le Matin, 14 mars 1909.

[57] Cité dans Le Matin, 20 mars 1909.

[58] Bracke, « La Grève des Postes », L’Humanité, 20 mars 1909.

[59] Frédéric Pacoud, La Naissance du syndicalisme postal, Les Cahiers pour l’histoire de La Poste, nº9, Paris, Comité d’histoire de La Poste, 2008, p. 98-99.

[60] Michel Dreyfus, Histoire de la CGT, op. cit., p. 63.

[61] AN, F/90/20550, « Les grèves de mars et mai 1909 », s.d.

[62] Frédéric Pacoud, op. cit., p. 98-99 ; Jeanne Siwek-Pouydesseau, Le Syndicalisme des fonctionnaires jusqu’à la guerre froide, op. cit., p. 91-94.

[63] AN, F/7/13065, « Le sabotage des lignes téléphoniques et télégraphiques », 11 juin 1909.

[64] AN, F/90/20550, La Petite République, 17 mai 1909.

[65] Voir, notamment, AN, F/7/13065, « Le sabotage expliqué à un imbécile », La Guerre sociale, 18 mai 1909.

[66] Frédéric Pacoud, op. cit., p. 98-99.

[67] AN, F/7/13065, AN, BB/18/2407 et AN, F/7/13325, « Circulaire confidentielle. Instruction secrète pour le sabotage des lignes télégraphiques et téléphoniques », s.d. Les trois documents sont identiques, mais seul le dernier est une photographie de l’original.

[68] AN/F/7/13065, « La lutte contre le sabotage. Application possible de la loi du 18 décembre 1893 », s.d., p. 8. Sur l’ « Organisation de combat » comme élément d’une « association de malfaiteurs », voir les pages 4 à 11, ainsi que AN, F/7/14606, « Le Sabotage », p. 7. Jean-Jacques Becker estime que l’ « Organisation de combat », « [d]irigée par G. Hervé » et regroupant « ses compagnons habituels, comme pendant longtemps son principal lieutenant, Almereyda », « se situe aux frontières indécises du socialisme plus ou moins indépendant, de l’anarchisme intellectuel, du journalisme “engagé”, et de l’aventure sans idéologie trop définie, sans omettre les représentants directs ou indirects des Renseignements Généraux » (Jean-Jacques Becker, Le Carnet B, op. cit., p. 62, note 5).

[69] Guillaume Davranche, Trop jeunes pour mourir. Ouvriers et révolutionnaires face à la guerre (1909-1914), Montreuil/Paris, L’insomniaque/Libertalia, 2014, p. 65-66. Je remercie ici l’auteur pour les fructueux échanges que nous avons eus à ce sujet.

[70] AN, F/7/13065, « Au sujet de l’organisation des sabotages », 18 octobre 1910.

[71] Gilles Heuré, Gustave Hervé, op. cit., p. 165.

[72] AN, F/7/13065, L’Intransigeant, 11 juin 1909.

[73] AN, F/7/13065, « Le sabotage des lignes télégraphiques et téléphoniques », doc. cit. ; AN, F/7/13065, « Sabotages. Mai 1909 à 1910 », s.d. ; AN, F/7/13065, « P.T.T. Faits de sabotage relevés depuis le 12 juin 1909 », s.d.

[74] Ce chiffre correspond à l’addition des cas recensés dans les rapports de police. Le nombre réel est en réalité plus élevé, dans la mesure où les cas multiples mentionnés sans précision (du type : « plusieurs fils coupés ») ont été comptabilisés pour un seul acte. (AN, F/7/13065, « Le sabotage des lignes télégraphiques et téléphoniques », doc. cit. ; AN, F/7/13065, « P.T.T. Faits de sabotage relevés depuis le 12 juin 1909 », doc. cit.)

[75] AN, F/7/13065, « Le sabotage des lignes télégraphiques et téléphoniques », doc. cit.

[76] Jeanne Siwek-Pouydesseau, Le Syndicalisme des fonctionnaires jusqu’à la guerre froide, op.cit., p. 92. Entre-temps, l’arrêt Winkell (7 août 1909), du nom d’un postier gréviste révoqué, établit que le droit de grève est incompatible avec les nécessités du service public.

[77] AN, F/7/13065, Le préfet de Maine et Loire au Président du Conseil, 26 novembre 1909.

[78] AN, F/7/13065, L’Éclair, 2 décembre 1909.

[79] Voir à ce sujet Stéphane Sirot, « Un siècle de coupures de courant dans les grèves des électriciens. De la centralité à la marginalisation (XXe-XXIe siècles) », dans Le Syndicalisme, la Politique et la Grève, op. cit., p. 269-281.

[80] Id., « Émile Pataud, figure de proue du syndicalisme d’action directe de la Belle Époque », dans Le Syndicalisme, la Politique et la Grève, op. cit., p. 207-217.

[81] Le texte de la conférence est publié dans La Guerre sociale (AN, F/7/13065, Sébastien Faure et Émile Pataud, « Sabotons ! L’industrie électrique au service de la révolution », La Guerre sociale, 8 décembre 1909).

[82] L’ouvrage est édité pour la première fois en tant que 13e volume de la « Bibliothèque du Mouvement prolétarien », publiée par les éditions Marcel Rivière à Paris. La première édition n’est pas datée, mais Pouget évoque la grève des Postes, se réfère à des événements survenus jusqu’en août 1910, mais ne mentionne pas la grande grève des chemins de fer qui éclate en octobre 1910. Le texte semble donc avoir été écrit au plus tôt au cours de l’été 1910, sans que l’on connaisse le délai entre la rédaction et la publication. D’où notre choix de mentionner plus haut comme date possible 1910. La Bibliothèque Nationale de France, quant à elle, estime que l’ouvrage a été publié « vers 1910 ».

[83] Émile Pataud et Émile Pouget, Comment nous ferons la révolution, Paris, Tallandier, 1909. Dans une adresse aux lecteurs, les auteurs se plaignent du « sabotage » dont a fait l’objet le titre, qui devait être Comment nous avons fait la révolution.

[84] Émile Pouget, Le Sabotage, op. cit., p. 54.

[85] Ibid., p. 32.

[86] Ibid., p. 33.

[87] AN, F/7/ 13923, « La grève des chemins de fer d’octobre 1910 », s.d.

[88] A. Renault, Le Syndicalisme dans les chemins de fer, préface de Victor Griffuelhes, Paris, Éditions du groupe Paris-St-Lazare-Batignolles, 1910, p. 25.

[89] Amédée Bousquet, « Il faut sabotter [sic] ! », La Voix du Peuple, 21 mai 1905.

[90] En réponse à Pouget, le philosophe Georges Guy-Grand publie notamment une brochure elle aussi intitulée Le Sabotage, dans laquelle il reproche à la CGT de ne jamais voir « plus loin que la guerre » (Georges Guy-Grand, Le Sabotage, Paris, Union pour la Vérité, 1910, p. 18).

[91] Voir notamment François Caron, « La grève des cheminots de 1910. Une tentative d’approche », dans Conjoncture économique, structures sociales : hommage à Ernest Labrousse, Paris, École Pratique des Hautes Études-Mouton, 1974, p. 201-219.

[92] Ibid., p. 204.

[93] Ibid., p. 203.

[94] Ibid., p. 206 ; Georges Ribeill, Le Personnel des compagnies de chemins de fer, t. 1 : Des origines à 1914, Paris, Développement et Aménagement, 1980, p. 510.

[95] AN, F/7/13065, « Sabotage maladroit », La Guerre sociale, 28 septembre 1910.

[96] Évoquant les sabotages commis pendant et après la grève des chemins de fer, le rapport cité plus haut reconnaît : « Que tous ces crimes aient été commis, par des affiliés à l’Organisation de combat ou des amis de La Guerre sociale, il est difficile de le démontrer, car les saboteurs, agissant isolément et utilisant parfois des voitures automobiles, sont très rarement pris sur le fait. » (AN, F/7/13065, « La lutte contre le sabotage », doc. cit., p. 10).

[97] AN, F/7/13065, « L’organisation de combat reprend la parole. Communiqué officiel transmis par fils non coupés », La Guerre sociale, 15 octobre 1910. Pour Gilles Heuré, La Guerre sociale est bien une « agence de sabotage » se situant au centre d’une « toile d’araignée explosive » en 1910-1911 (Gilles Heuré, Gustave Hervé, op. cit., p. 115 et 165-167).

[98] Georges Ribeill, « La police et les syndicats de cheminots (1890-1914) », dans Maintien de l’ordre et polices en France et en Europe au XIXe siècle, Société de la Révolution de 1848 et des Révolutions du XIXe siècle, Paris, Créaphis, 1987, p. 383-395, ici p. 393.

[99] Ibid., p. 394.

[100] A la fin de 1915, on compte un peu moins d’un millier d’agents réintégrés (Christian Chevandier, Cheminots en grève, ou la construction d’une identité (1848-2001), Paris, Maisonneuve et Larose, 2002, p. 89).

[101] Paul Leroy-Beaulieu, « L’Éventualité, un jour ou l’autre, d’une révolution syndicaliste », L’Économiste français, 22 octobre 1910, cité dans François Caron, « La grève des cheminots d’octobre 1910 », art. cit., p. 201.

[102] Cité dans Le Matin, 30 octobre 1910.

[103] Le 30 octobre, L’Humanité titre, en « une » : « Paroles de dictateur ».

[104] Voir, notamment, AN, F/7/13065, « L’ère du sabotage est ouverte », La Guerre sociale, 2 novembre 1910.

[105] AN, F/7/13065, « Actes de sabotages commis sur les voies ferrées d’octobre 1910 au 25 juin 1911 », s.d.. Le tableau récapitulatif présenté en première page de ce document est reproduit dans Vivien Bouhey, Les Anarchistes contre la République, op. cit., p. 420.

[106] Georges Ribeill, Le Personnel des compagnies de chemins de fer, op. cit., p. 512.

[107] L’« Organisation de combat » revendique les sabotages et assure que « les cheminots n’ont rien à voir dans cette affaire » (AN, F/7/13065, La Guerre sociale, 15 octobre 1910). Cependant, un rapport de police affirme, preuve à l’appui, que « des cheminots eux-mêmes se rendirent coupables de ces actes criminels. » (AN, F/7/13923, « La Confédération Générale du Travail, le Parti Socialiste Unifié et le Parti Révolutionnaire. Leur rôle dans la grève des Chemins de fer d’octobre 1910 », p. 16).

[108] François Caron, « La grève des cheminots d’octobre 1910 », art. cit., p. 202 ; Guillaume Davranche, Trop jeunes pour mourir, op. cit., p. 114-125.

[109] Frédéric Monier, Le Complot dans la République. Stratégies du secret, de Boulanger à la Cagoule, Paris, La Découverte, 1998, p. 78-86.

[110] Le gouvernement tente, en vain, de faire adopter un projet de loi réprimant spécifiquement le sabotage en décembre 1910, puis en juin 1911 (AN, F/7/13325, Les Débats, 18 juillet 1911).

[111] AN, F/7/13325, « État des arrestations opérées pour actes de sabotage par les Brigades de Police mobile du 1er octobre 1910 au 31 mai 1910 », 17 juin 1911. Le document ne précise que le nom et l’âge des personnes arrêtées : elles ont entre 11 et 56 ans, en moyenne 31 ans, et la moitié d’entre elles a moins de 31 ans.

[112] AN, F/7/13065, « La multiplication des sabotages et les saboteurs introuvables », Le Matin, 18 juin 1911.

[113] AN, F/7/13325, « Mam’zelle Cisaille et les chemins de fer. Quels risques d’accidents représentent les sabotages de fils », L’Éclair, 21 juin 1911.

[114] AN, F/7/13325, « Contre les saboteurs », Le Matin, 22 juillet 1911.

[115] Le 16 juillet 1911, l’illustration de « une » du supplément littéraire du Petit Parisien représente quatre individus s’attaquant à des rails, surplombés, au premier plan, par la Mort armée de sa faux, attendant l’accident inévitable du train qui arrive. Le titre (« L’attentat du Pont de l’Arche »), est accompagné de la légende suivante : « Les saboteurs, que réprouve la corporation des cheminots, sont les criminels pourvoyeurs de la Mort. »

[116] L’ouvrier terrassier arrêté après le déraillement bénéficie d’un non-lieu après deux mois de détention et est remis en liberté le 24 septembre 1911 (AN, F/7/13065, La Bataille syndicaliste, 25 septembre 1911).

[117] AN, F/7/13065, La Guerre Sociale, 5 juillet 1911.

[118] AN, F/7/13065, « Rapport parlementaire sur le projet de loi relatif à la répression du sabotage », 4 juillet 1911, p. 5.

[119] Le nombre d’actes de sabotage commis sur les voies ferrées, selon la police, passe de 4175 (dont 3415 coupures de fils télégraphiques ou téléphoniques) en 1911 à 329 en 1912, puis 127 du 1er janvier au 18 juin 1913 (AN, F/7/13332, « État numérique des sabotages commis sur les voies ferrées d’octobre 1910 au 18 juin 1913 », juin 1913).

[120] Guillaume Davranche, Trop jeunes pour mourir, op. cit., p. 129-136.

[121] Peter N. Stearns, Revolutionary Syndicalism and French Labor : a Cause Without Rebels, New Brunswick N.J., Rtugers University Press, 1971, p. 70.

[122] Voir, par exemple, AN, F/7/13065, La Guerre sociale, 24 mars 1909.

[123] Guillaume Davranche, Trop jeunes pour mourir, op. cit., p. 125-128.

[124] Ibid., p. 171. Voir également AN, F/7/14606, « Les projets de sabotage de la mobilisation », s.d.

[125] AN, F/7/14606, M/5910, « L’Organisation révolutionnaire de combat. Nouveau plan de sabotage en cas de mobilisation », 19 août 1911.

[126] Ibid. Sur ce plan voir également Annie Kriegel et Jean-Jacques Becker, 1914. La guerre et le mouvement ouvrier français, Paris, Armand Colin, 1964, p. 17, Jean Maitron, Le Mouvement anarchiste en France, op. cit., p. 127, Jean-Jacques Becker, Le Carnet B, op. cit., p. 63-64, et Vivien Bouhey, Les Anarchistes contre la République, op. cit., p. 429.

[127] Jean-Jacques Becker, Le Carnet B, op. cit., p. 64.

[128] Michel Dreyfus, Histoire de la CGT, op. cit., p. 73.

[129] Jean-Jacques Becker, « Antimilitarisme et antipatriotisme en France avant 1914 : le cas de Gustave Hervé », dans Enjeux et Puissances. Hommages à Jean-Baptiste Duroselle, Paris, Publications de la Sorbonne, 1986, p. 101-113, ici p. 108-109.

[130] Paul B. Miller, From Revolutionaries to Citizens. Antimilitarism in France, 1870-1914, Durham and London, Duke University Press, 2002, p. 150-154.

[131] Guillaume Davranche, Trop jeunes pour mourir, op. cit., p. 346. Sur ce document, voir les pages 344 à 347.

[132] Voir Annie Kriegel et Jean-Jacques Becker, 1914. La guerre et le mouvement ouvrier français , op. cit., p. 18-19, Jean-Jacques Becker, Le Carnet B, op. cit., p. 75-81, et Paul B. Miller, From Revolutionaries to Citizens, op. cit., p. 151-152.

[133] AN, F/7/13348, « Document de propagande anarchiste, trouvé par un sous-officier sur la voie publique aux environs de Bergerac », 7 mars 1914.

[134] Nous renvoyons ici à la définition du terrorisme développée par Gilles Ferragu dans son Histoire du terrorisme (Paris, Perrin, 2014).

[135] Jean-Jacques Becker, Le Carnet B., op. cit., p. 80. Des doutes sont également exprimés parmi les anarchistes eux-mêmes (voir AN, F/7/14606, M.968.U., « Anarchistes. Réunion de l’Union parisienne », 20 juillet 1914).

[136] Annie Kriegel et Jean-Jacques Becker, 1914. La Guerre et le mouvement ouvrier français, op. cit., p. 121.

[137] Jean Maitron, Le Mouvement anarchiste en France, t. 2 : De 1914 à nos jours, Paris, Gallimard, 1992, p. 9.

[138] Voir notamment le succès du livre du « Comité invisible » L’Insurrection qui vient (La Fabrique, 2007), suivi de A nos amis (La Fabrique, 2014).

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