Philip Ball, L’esprit de Dieu ?, 2021

Les raisons de la déification
de Stephen Hawking

 

Une nouvelle biographie soutient que le célèbre physicien a fait son autopromotion sans vergogne et que sa réputation a été surfaite.

 

Dans l’une de ses conférences Reith de 2016, Stephen Hawking (1942-2018) a dit une chose étrange. « Les gens ont cherché des mini trous noirs… mais n’en ont jusqu’à présent pas trouvé », a-t-il entonné avec son synthétiseur vocal. « C’est dommage, car s’ils en avaient trouvé, j’aurais obtenu un prix Nobel ». Le public de la Royal Institution de Londres (dont je faisais partie) a ri. Mais j’ai été frappé par le fait qu’il était inhabituel pour un scientifique de déclarer publiquement que son travail méritait un prix Nobel. Ce n’était pas un commentaire en l’air. Quelques minutes plus tard, Hawking a décrit comment de mini trous noirs – dont il avait prédit la signature au début des années 1970 – pourraient encore être observés dans le Grand collisionneur de hadrons (LHC) du CERN, à Genève. « Je pourrais donc avoir un prix Nobel après tout », a-t-il ajouté, sous les rires.

La plupart des gens ont sans doute vu là un exemple du fameux esprit de Hawking. Mais en réalité, cette anecdote donne un aperçu du caractère insaisissable du physicien : il se vante sans vergogne, jusqu’à l’arrogance, et ne se soucie pas de ce que les autres peuvent penser.

La biographie de Charles Seife [traduction française à paraître aux éditions Dunod en septembre 2021], écrivain scientifique chevronné, n’hésite pas à explorer les aspects les moins attrayants de Hawking. Cela aurait dû être fait depuis longtemps, non pas tant parce que Hawking a besoin d’être taillé en pièces, mais parce qu’il a besoin d’être réhumanisé. La fascination du public pour le grand homme coincé dans un fauteuil roulant – de plus en plus paralysé par la sclérose latérale amyotrophique (SLA, ou maladie du motoneurone) depuis le début de l’âge adulte – était inévitable, même si son esprit s’élevait à travers le temps et l’espace. La remarquable ténacité du physicien, ainsi que son éminence scientifique incontestée, faisaient partie de l’attraction. Mais Hawking était vénéré pour son intelligence presque surhumaine. L’existence même de ce mythe est un problème préoccupant pour notre attitude à l’égard de la science et du handicap, car Hawking a été dépouillé de sa personnalité et transformé en icône.

Le cours de sa vie se prête à la légende. Enfant prodige d’Oxford, il venait de commencer ses travaux fondamentaux sur la théorie de la gravitation lorsque sa maladresse croissante a conduit, en 1963, à un diagnostic de SLA. N’ayant plus que quelques années à vivre, il continue à travailler dans un fauteuil roulant avec l’aide de brillants assistants qui comprennent son élocution de plus en plus difficile. En 1985, une trachéotomie qui lui sauve la vie le laisse incapable de parler ; à la fin, il ne peut activer son synthétiseur vocal qu’en contractant les muscles de sa joue. Son élève Andrew Strominger a attesté qu’alors que 20 ans avant sa mort, sa vitesse d’élocution était mesurée en mots par minute, « elle est ensuite passée à quelques minutes par mot, puis, vous savez, elle est devenue de plus en plus lente jusqu’à s’arrêter ».

Au cours des deux premières décennies de sa carrière, Hawking a produit des travaux remarquables sur les « singularités » – lorsque la matière s’effondre sous l’effet de sa propre gravité pour atteindre (comme le veut la relativité générale d’Einstein) un point infiniment dense. C’est ce qui est censé se produire lorsque des étoiles massives brûlent et deviennent des trous noirs. Mais Hawking, en collaboration avec Roger Penrose (qui a effectivement reçu le prix Nobel l’année dernière), a également montré comment les mathématiques de l’effondrement pouvaient (à l’inverse) décrire l’expansion de l’univers dans le Big Bang.

De la fin des années 1960 à la fin des années 1970, Hawking a été à l’avant-garde d’un regain d’intérêt plus large pour la relativité générale. Son plus grand triomphe survient en 1974, lorsqu’il démontre que les trous noirs ne sont pas entièrement noirs. Il a prédit qu’ils émettent des radiations juste à l’extérieur de l’ « horizon des événements » – la limite de l’espace au-delà de laquelle leur gravité est trop forte, même pour que la lumière puisse s’échapper. En conséquence, il a postulé que les trous noirs perdent lentement leur énergie et « s’évaporent » : ils ne sont pas les objets éternels que l’on croyait.

Cette idée est née d’une union approximative entre la relativité générale et la mécanique quantique. C’était un lien entre la physique de l’immensément grand et de l’infiniment petit. Mais la durée de vie limitée des trous noirs a créé un paradoxe. Lorsqu’un objet tombe dans un trou noir, la relativité générale affirme que les « informations » qu’il contient dans la disposition de ses atomes (pensez, par exemple, à un disque dur qui s’évapore) sont perdues pour l’univers. Mais si les trous noirs s’évaporent, que deviennent ces informations ? La mécanique quantique insiste sur le fait qu’elle n’est jamais totalement perdue, même si elle peut être dispersée au-delà de toute récupération. Hawking a longtemps cru que les trous noirs effaçaient l’information pour toujours. Mais on pense aujourd’hui, en grande partie grâce à Don Page, un étudiant de Hawking, qu’elle peut être récupérée. Les travaux de Hawking sur ce « paradoxe de l’information » ont créé un lien fertile entre la relativité, la théorie quantique, la thermodynamique et la théorie de l’information, qui donne encore lieu à de nouvelles idées.

Le pari biographique original de Seife consiste à inverser la chronologie, en commençant par la mort de Hawking et en terminant par sa naissance. Cela fonctionne mieux qu’on pourrait le penser (mais pas parfaitement) et crée une certaine émotion lorsque la vie défile de la célébrité compromise de ses dernières années à l’exubérance intellectuelle et à la libération physique de la jeunesse de Hawking.

Ironiquement, l’ « historien » du temps, auteur de best seller, semble coincé dans le passé, connu tout au long de sa vie pour afficher des posters de Marilyn Monroe dans son bureau, fréquenter des « clubs de gentlemen » et prétendre que les femmes étaient « un mystère ». Son autobiographie de 2013, My Brief History, n’a rien révélé ; le critique de Nature l’a comparée à quelque chose « publié par le département des relations publiques d’une institution ». Lorsque le physicien théoricien Leonard Susskind, l’un des complices de Hawking, déclare qu’ « aucun d’entre nous n’a jamais pu vraiment le connaître », ce n’est pas seulement parce que la maladie de Hawking a entravé ses communications. Sous le mélange de plaisanterie et d’arrogance, il semble y avoir eu un manque presque délibéré de connaissance de soi. Il n’avait pas plus de temps pour s’apitoyer sur son sort que pour douter de lui-même ; un peu plus des deux aurait donné plus de profondeur à ses relations humaines.

Le livre de 1988 de Hawking, Une brève histoire du temps, a assuré sa célébrité. Le fait qu’il n’ait pas été lu, ou n’ait pas été terminé, par un grand nombre de ses acheteurs aurait été, pour tout autre vulgarisateur scientifique, un signe d’échec. Le livre ressemblait à une liturgie latine, remplie de termes que le lectorat ne comprenait qu’à moitié. Il jouait sur l’idée simpliste que la science est vraiment difficile et qu’elle est réservée à des surhommes comme lui. Comme le montre Seife, ce livre n’est devenu un tant soit peu lisible que grâce au travail assidu des assistants et des rédacteurs scientifiques recrutés par l’éditeur pour traduire la prose dense et laborieuse de Hawking. (Seife explique ses idées plus clairement que ne l’a jamais fait Hawking lui-même).

Ce que le livre de Hawking a offert, c’est une grandiloquence très commercialisable, résumée dans sa phrase la plus célèbre :

« Si nous trouvons la réponse à cette question, ce sera le triomphe ultime de la raison humaine, car nous connaîtrons alors l’esprit de Dieu. »

Elle a établi l’image de Hawking d’un esprit étonnant dans un corps défaillant. Désormais, il ne suffisait plus de considérer Hawking (à juste titre) comme l’un des cent meilleurs physiciens théoriques du monde ; il devait être – « malgré tout » – un second Newton ou Einstein. C’était un marché presque faustien : Hawking voulait être célébré pour son seul esprit, mais il désirait trop avidement la gloire pour refuser la forme plus compromettante qui lui était offerte. Le fait d’éluder la vérité sur la façon dont sa célébrité dépendait de son handicap s’inscrit dans le cadre du malaise persistant de la société à l’égard de cette question.

Lui conférer le statut de gourou n’était pas sain. Ce que Hawking avait à dire sur l’intelligence artificielle, la vie extraterrestre ou les voyages dans l’espace était souvent banal – mais le dire était tabou, comme je l’ai découvert en examinant son dernier recueil d’essais Brief Answers to the Big Questions [Brèves réponses aux grandes questions]. Même l’astronome Martin Rees, un ami de longue date de Hawking, a admis qu’un « inconvénient de son statut d’icône était que ses commentaires attiraient une attention exagérée même sur des sujets où il n’avait pas d’expertise particulière ».

Ainsi, lorsqu’il a déclaré en 2010 dans son livre The Grand Design (avec son co-auteur Leonard Mlodinow) que « la philosophie est morte », les philosophes se sont sentis obligés d’élaborer des réfutations détaillées de cet acte de provocation banal. (Mlodinow a déclaré avoir suggéré une formulation plus modeste, mais Hawking était plus intéressé à faire parler de lui).

L’image qui se dégage de Hawking Hawking : The Selling of a Scientific Celebrity [titre anglais du livre de Charles Seife ; en anglais hawking peut se traduire par colporter] est celle d’un homme à l’orientation intellectuelle très étroite, même avant que sa maladie ne le limite. Il était négligent à l’égard des autres disciplines (sa première femme Jane a témoigné que « son mépris pour les études médiévales » – sa discipline universitaire – « était implacable ») et dédaigneux à l’égard de la philosophie, de la théologie ou de toute autre façon de voir le monde autrement que par la science. Il ne semblait même pas s’intéresser à la physique en dehors de son propre domaine.

Hawking n’a pas vraiment produit de travaux scientifiques importants après Une brève histoire ; une décennie plus tard, il a été dépassé par une nouvelle génération de physiciens théoriques. Vers la fin de sa carrière, il a lancé des idées à moitié finies mais qui ont attiré l’attention. En 2004, il annonce qu’il a « résolu un problème majeur de la physique théorique », le paradoxe de l’information des trous noirs. Mais il n’a fait que se convaincre lui-même de ce que beaucoup d’autres pensaient déjà, c’est-à-dire qu’il avait eu tort de croire que l’information était effacée par les trous noirs.

Hawking a pris l’habitude de lancer publiquement des paris sur des débats scientifiques, sachant que cela créerait une accroche médiatique quelle que soit l’issue. Lorsqu’en 2012, il a parié contre la découverte de la particule de Higgs au LHC, ce n’était pas en raison d’un argument théorique fort, mais parce que cela l’impliquait dans une histoire dans laquelle il n’avait joué jusque là aucun rôle. Ainsi, le Daily Telegraph a titré : « Boson de Higgs : Le professeur Stephen Hawking perd un pari de 100 dollars ». Cela n’a pas amusé Peter Higgs, le physicien timide qui avait suggéré (avec d’autres) l’existence de la particule des décennies plus tôt. Selon lui, le « statut de célébrité » d’Hawking lui permettait de « s’en tirer avec des déclarations que d’autres n’auraient pas faites ». Hawking s’est également mêlé à l’affaire lorsque les ondes gravitationnelles ont été détectées fin 2015, déclarant que les détections « correspondent aux prédictions que moi-même et d’autres scientifiques avons faites sur les trous noirs ». Peut-être. Mais il s’agissait avant tout (comme l’a montré la citation Nobel l’année suivante) des « autres scientifiques ».

Hawking est devenu « autant une marque qu’une personne », écrit Seife. Des entrepreneurs milliardaires se sont servis de son nom, de Yuri Milner à Richard Branson et Jeffrey Epstein (dont le physicien a assisté à la conférence sur la gravité dans les îles Vierges en 2006). En échange, Hawking était emmené dans des vols en apesanteur et invité à des événements et des lancements prestigieux. Ce colportage de Hawking se poursuit aujourd’hui : pour 19 000 livres sterling seulement, vous pouvez acheter une montre en or incrustée – comme un reliquaire médiéval incrusté de bijoux et portant un éclat de la croix du Christ – de disques en bois « provenant du bureau sur lequel Hawking contemplait les mystères de l’univers ».

On a hésité à considérer le manque de générosité avec lequel Hawking a parfois traité les autres. « Il ne donne presque jamais le crédit à aucun de ses collaborateurs lorsqu’il est interviewé », dit Strominger, qui a accepté sa propre mise à l’écart parce que si vous étiez co-auteur d’un article de Hawking, vous receviez soudainement « dix mille fois plus d’attention » qu’auparavant. Marika Taylor, une ancienne étudiante, est moins indulgente, déclarant à propos de son article le plus célèbre avec Hawking qu’ « il aurait dû me laisser le publier en tant qu’auteur unique, car les principaux résultats étaient les miens ».

Hawking a été particulièrement désagréable avec Jacob Bekenstein, qui a réalisé, alors qu’il était étudiant en doctorat, qu’un trou noir pouvait avoir une température et une entropie. Comme cette idée semblait d’abord entrer en conflit avec les siennes, Hawking a critiqué le jeune chercheur de manière impitoyable et a encouragé d’autres personnes à faire de même, avant de se rendre compte que Bekenstein avait raison et d’aboutir à ce que l’on appelle aujourd’hui la relation Bekenstein-Hawking. Lorsque les travaux de l’un des étudiants de Hawking à Cambridge ont suggéré qu’il avait tort au sujet de l’information sur les trous noirs, il a essayé de faire virer le diplômé de son doctorat. Et il a très publiquement laissé entendre, sans justification, que le physicien Paul Steinhardt et son étudiant en doctorat Andreas Albrecht avaient volé une idée en cosmologie à l’ami de Hawking, Andrei Linde – une accusation qui aurait pu mettre fin à sa carrière.

À maintes reprises, Seife révèle que Hawking recherchait avant tout la confirmation de ses idées plutôt que de les considérer d’abord comme des hypothèses à tester. Souvent, il n’acceptait de reconnaître que ses intuitions étaient fausses que lorsqu’il avait personnellement obtenu les résultats confirmant la critique de quelqu’un d’autre (et qu’il pouvait ainsi s’en attribuer le mérite). Les scientifiques ont besoin d’une certaine dose d’obstination, de conviction et de compétition, mais en excès, ils peuventt nuire à leur science et compromettre leur personne.

Admettre tout cela ne minimise pas le fait qu’il était un grand physicien (il aurait même pu obtenir son Nobel s’il n’était pas mort en 2018), ni qu’il pouvait aussi être gentil, agréable et amusant. Il s’agit plutôt de le juger comme nous le ferions pour toute autre personnalité publique. Il s’agit de lui accorder son humanité. Ce que nous avons fait à la place, c’est une réponse bien trop familière au handicap. Nous avons créé une sorte de « taitement de compensation », tout comme les difficultés des autistes sont occultées par le stéréotype du savant. La vie de Hawking mérite d’être célébrée, mais si nous en faisons un mythe, elle ne devient qu’une histoire sur laquelle nous pouvons projeter nos angoisses et nos fantasmes. Il méritait mieux.

Philip Ball,
journaliste scientifique.

 

Charles Seife,
Stephen Hawking, par-delà la légende,
éd. Dunod, septembre 2021.

 

Article publié dans la revue britannique Prospect, avril 2021.

Traduction Jacques Hardeau, juin 2021.

 


 

Charles Seife

Le mythe Stephen Hawking

Avril 2021

 

C’était un physicien de premier plan, mais la presse et le public le considéraient comme un prophète – et il ne s’est pas empressé de les décourager…

 

Le silence qui s’installe dans le public au début d’une conférence de Stephen Hawking relève presque du recueillement religieux. En général, tous les sièges sont occupés, et si les pompiers ne sont pas une force avec laquelle il faut compter, il y a de nombreux groupes de personnes près des sorties et dans les allées, tendant le cou pour avoir une première vue du physicien. Et lorsqu’il est monté sur scène, le public était visiblement impressionné. « Parfois, il y avait 30 ou 40 secondes de pur silence », raconte Christophe Galfard, l’un des étudiants diplômés de Hawking, devenu lui-même un vulgarisateur scientifique. « Pour moi, c’est le silence qui l’a rendu si… c’est ce qui a déclenché mon désir de poursuivre cette voie ».

Mais malgré la passion de Hawking pour le partage de ses travaux en cosmologie et en astrophysique avec le public, peu de personnes dans le public étaient là pour apprendre sa science. Ils étaient là pour être en présence d’une personne qui avait fait l’ascension du Mont Sinaï et qui avait eu un aperçu des secrets du cosmos. Hawking était un grand scientifique, mais dans sa quête de reconnaissance, il a endossé le manteau du prophète. C’est un marché faustien qui a fait de Hawking le scientifique le plus éminent de notre époque. Mais à quel prix ?

Lorsqu’un prophète parle, il le fait avec toute la confiance et l’infaillibilité de la révélation divine. Pourtant, le métier de scientifique, l’essence même de sa profession, est l’incertitude. Presque par définition, un biologiste, un physicien ou un chimiste a la tête remplie d’informations inexactes ; même ceux qui ont le plus gros ego se rendent compte qu’une grande partie des connaissances qu’ils ont accumulées au fil des ans sont provisoires, incomplètes ou même carrément fausses. En fait, l’objectif du scientifique est de réduire un tant soit peu cette incertitude. Alors que les prophètes ont toujours raison, les bons scientifiques, formés pour s’efforcer d’avoir un peu moins tort, sont par nature provisoires et conditionnels. Et cela les rend faciles à ignorer, même lorsqu’ils sont les seules autorités qui comptent.

Pas Stephen Hawking. Une fois qu’il a endossé le manteau de prophète à la fin des années 1980, il est devenu incontournable. La vente de ses livres était assurée, qu’ils soient ou non bien écrits ou même compréhensibles. Ses conférences faisaient systématiquement salle comble, les spectateurs se pressant dans les allées pour essayer de mieux voir le célèbre physicien. La presse et le public étaient suspendus à ses moindres paroles, même lorsque celles-ci n’avaient rien à voir avec ses travaux sur les trous noirs ou la cosmologie, ou même lorsqu’elles ne trahissaient aucune connaissance approfondie.

Hawking a réussi à convaincre le public que son opinion comptait toujours. « Ses commentaires attiraient une attention exagérée, même sur des sujets où il n’avait pas d’expertise particulière », a écrit Martin Rees, un de ses proches amis et collègues, « par exemple la philosophie, ou les dangers que représentent les extraterrestres ou les machines intelligentes ». Sa confiance démesurée – et son entêtement – lui ont coûté le respect de nombre de ses collègues, surtout à la fin de sa carrière.

Cependant, l’aspect le plus difficile de la transformation de Hawking en célébrité est peut-être lié à son handicap. Alors qu’il commençait à se faire connaître sur le circuit de la physique, sa maladie (sclérose latérale amyotrophique, également connue sous le nom de maladie de Lou Gehrig) a commencé à lui faire mal. Hawking a toujours soupçonné que son ascension rapide dans les rangs des physiciens, ses premiers prix, sa nomination à la Royal Society à l’âge de 32 ans – et même sa nomination à la chaire Lucasian qu’Isaac Newton avait occupée plusieurs siècles avant lui – résultaient de son handicap plutôt que de ses prouesses en physique. Lors d’une interview, il a un jour déclaré :

« Je pense que j’ai été nommé comme un bouche-trou pour occuper la chaire en tant que personne dont le travail ne déshonorerait pas les normes attendues de la chaire Lucasian, mais je pense qu’ils pensaient que je ne vivrais pas très longtemps, et qu’ils pourraient alors choisir à nouveau, et qu’ils pourraient alors trouver un candidat plus approprié . Eh bien, je suis désolé de décevoir les électeurs ».

Autant ce doute a nui à Hawking tout au long de sa vie – il voulait vraiment être reconnu pour sa science plutôt que pour sa persévérance face au handicap – autant Hawking a réalisé que sa célébrité, sinon sa physique, était fondée sur la seconde autant que sur la première. Il était troublé par le fait que sa réputation démesurée était due à la caricature du génie handicapé – qu’il était considéré comme un voyant doué d’une perspicacité extraordinaire en compensation d’une incapacité corporelle. Mais en même temps, il l’a accepté et a même contribué à construire le mythe pour accroître sa renommée.

Le coût pour Hawking est que le mythe a occulté l’humanité de la personne qui se cache derrière. En vérité, Hawking n’était pas le plus grand scientifique de notre époque. C’était un physicien important dont l’importance est presque universellement mal comprise ; une personne qui a profondément souffert et qui a également causé de grandes souffrances ; une célébrité scientifique qui a brisé le moule de ses prédécesseurs et a fondamentalement changé le concept de célébrité scientifique. Pour vraiment comprendre Hawking – tout comme pour vraiment comprendre la science – il faut rejeter le mythe et examiner la réalité désordonnée qui se cache derrière. Il faut cesser de considérer Hawking comme un prophète, mais plutôt comme un être humain imparfait et brillant.

Charles Seife.
Professeur de journalisme à l’université de New York.

 

Article publié dans la revue Scientific American, avril 2021.

Traduction Jacques Hardeau, juin 2021.

 

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