Jacques Roger, L’histoire naturelle au XVIIIe siècle: de l’échelle des êtres à l’évolution, 1990

Darwin et les darwiniens d’aujourd’hui récusent la tendance à la complexification croissante des organismes au cours de l’évolution dont Lamarck a fait un des piliers de sa théorie de l’évolution du monde vivant. Dans un ouvrage récent (Jean-Jacques Kupiec (dir.), La vie, et alors ?, éd. Belin, 2013, pp. 327-328) cette tendance générale est même présentée comme « comparable à l’exécution d’un plan » qui créerait une « échelle des êtres ».

L’échelle des êtres est une conception religieuse de l’ordre de l’univers, très populaire durant la Renaissance, qui classe les éléments matériels, les êtres vivants et les entités spirituelles selon un ordre croissant, jusqu’à la plus haute perfection, Dieu. En somme, pour Jean-Jacques Kupiec, l’évolutionnisme lamarckien serait le précurseur de l’intelligent design !

Cette interprétation grossièrement erronée de la théorie de Lamarck ne peut être soutenue que par le mépris complet à l’égard des sources et des analyses historiques. En effet, Lamarck lui-même se défend de l’échelle des êtres dans la deuxième partie de l’introduction à L’histoire naturelle des animaux sans vertèbres, 1815. Mais il ne faut pas demander à un théoricien de savoir de quoi il parle, en réalité !

Et l’article de l’historien des sciences Jacques Roger qui suit rétablit les idées de Lamarck dans une plus juste perspective.

 

Il est parfois un peu difficile pour un historien des sciences de s’adresser à des scientifiques d’aujourd’hui. L’historien est un observateur extérieur, dont la présence n’est pas toujours bien tolérée, et surtout, lorsqu’il s’agit de science ancienne (et le XVIIIe siècle est déjà loin de nous) ; l’historien vit dans le monde de ses personnages, très différent du monde scientifique actuel. La difficulté est peut-être moins grande, il est vrai, avec des naturalistes, qui ont, plus que d’autres, gardé vivante la mémoire de leur discipline.

Ce qui sépare, en particulier, la science ancienne de la science moderne, c’est la place avouée qu’y tiennent les préoccupations philosophiques. Je ne suis pas sûr que ces préoccupations aient complètement disparu aujourd’hui, mais on n’en parle pas. Au XVIIIe siècle, on ne craint pas d’en parler, et cela n’empêche pas les naturalistes de ce temps d’être de vrais naturalistes. Il suffit de comparer les œuvres de la fin du XVIIe siècle, celles de John Ray ou de Tournefort, par exemple, et celles de la fin du XVIIIe siècle, celles de Pallas ou de Cuvier, pour mesurer la distance parcourue, et donc les progrès de la discipline. Progrès dans les connaissances, dans la masse des faits observés. Mais progrès aussi dans la découverte des concepts organisateurs, sans lesquels une discipline scientifique n’est qu’une collection de faits dispersés.

Cependant, le progrès ou la succession de concepts organisateurs ne se fait pas de façon linéaire. Il peut sembler, rétrospectivement, qu’un concept devait nécessairement mener à un autre. L’analyse plus détaillée des textes montre qu’il n’en est rien, et qu’une « reconstruction logique » de la marche de la science ne coïncide pas avec la réalité de l’histoire. Cela ne signifie pas que l’histoire est capricieuse. Elle comporte une part de contingence, mais on peut souvent retrouver sa logique, qui existe, mais se trouve être plus complexe que ne le pensent certains philosophes.

Un cas exemplaire de cette fausse reconstruction logique est celui que je vais évoquer ici : le passage direct, et qui semble logique en effet, de l’idée de « chaîne des êtres » à l’idée d’évolution. Si l’on examine la théorie de la chaîne des êtres chez le naturaliste Charles Bonnet, qui en fut le plus ardent défenseur dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, on y trouve en effet cette idée essentielle que tous les êtres naturels, de la pierre à l’homme, forment une échelle des êtres ininterrompue et dans laquelle on passe par des nuances insensibles d’un degré quelconque au degré immédiatement supérieur. Il y a toujours des êtres qui « font la nuance » entre la pierre et le végétal, entre le végétal et l’animal, et même entre l’animal et l’homme.

Il suffirait donc de mettre cette échelle en mouvement, pour ainsi dire, de considérer qu’elle se réalise progressivement à travers l’histoire de la vie, pour obtenir une théorie de l’évolution. Le lieu de passage serait évidemment Lamarck, le premier à proposer une théorie complète de l’évolution et un mécanisme pour l’expliquer. Ce qui suppose que Lamarck accepte la théorie de la chaîne des êtres, qu’elle est au point de départ de sa réflexion, et qu’il n’a eu qu’à la transformer comme je viens de le dire pour découvrir l’évolution. Ce qui conduit aussi à prêter à la théorie lamarckienne de l’évolution un certain nombre de caractères, qu’on lui a effectivement prêtés, comme de décrire une évolution linéaire et téléologique, c’est-à-dire orientée dès le départ vers une fin, qui ne peut être que l’homme.

La difficulté, c’est que la lecture attentive des textes de Lamarck contredit cette interprétation, trop souvent acceptée, et qu’il faut donc reconsidérer, dans son ensemble, cette question du passage de la chaîne des êtres à l’évolution.

 

La chaîne des êtres et son succès

On fait parfois remonter l’idée d’une chaîne des êtres jusqu’à Aristote. C’est pourtant au début du XVIIIe siècle qu’elle devient un élément important de la réflexion des philosophes et des naturalistes. Toutefois, elle est loin de faire l’unanimité. Beaucoup de naturalistes l’ignorent, et en particulier ceux qui se consacrent à l’observation des insectes, comme Réaumur par exemple. Beaucoup d’autres la refusent, car elle contredit leur pratique et leurs objectifs, et ce sont des classificateurs, comme Tournefort ou Linné. Les classificateurs ont besoin de catégories nettes, espèces, genres, etc., et ne sont pas tentés de croire aux êtres qui « font la nuance » entre une catégorie et une autre, même s’ils peuvent admettre une sorte de hiérarchie ascendante entre les règnes, voire les classes ou les ordres. Mais l’échelle des êtres suppose une mise en série verticale des formes, tandis que les classifications aboutissent à des « tableaux ». Et s’il y a des relations, voire des « affinités » entre les catégories qui forment les cases de ce tableau, ce sont des relations multiples, chaque catégorie pouvant avoir des affinités avec plusieurs autres. En fait, il y a antinomie entre les principes fondamentaux de la classification et la notion de « chaîne des êtres », qui sera le plus souvent utilisée contre les classificateurs.

Cependant, la notion de chaîne des êtres trouve des partisans, et il faut se demander pourquoi. A l’origine, c’est une notion philosophique, voire théologique, et qui apparaît dans des débats du Moyen Age. Puisque Dieu est tout-puissant, il doit avoir créé un monde aussi riche que possible. Il ne peut pas y avoir de « blancs » dans la Création. A la fin du XVIIe siècle, Leibniz reprend et enrichit le débat, en précisant que tous les êtres créés doivent être, non seulement possibles, mais compossibles, c’est-à-dire qu’ils doivent pouvoir coexister sans contradiction logique. Car même la toute-puissance de Dieu doit obéir à la logique. Donc, tout ce qui peut être ensemble, est. Formule que Buffon reprendra, mais avec une correction importante.

D’autre part, Leibniz insiste sur la notion de « nuance » entre deux êtres naturels. Notion que l’on retrouve dans le calcul infinitésimal, dont Leibniz est l’un des inventeurs, avec les « quantités évanouissantes », mais que Leibniz utilise aussi en psychologie, lorsqu’il soutient que, si la conscience est pleinement développée chez l’homme, on peut descendre par des « nuances insensibles » jusqu’à une « sensibilité sourde » qui est peut-être présente dans toute la matière. Idée qui sera reprise au milieu du XVIIIe siècle par Maupertuis ou Diderot.

Il y a donc une variété infinie dans la création : il n’y a pas deux feuilles rigoureusement identiques sur le même arbre. Leibniz impose une vision « gradualiste » de la Nature, qui va effectivement devenir une des tendances majeures de l’histoire naturelle, et surtout de la théorie de l’évolution, Darwin citera à maintes reprises l’adage leibnizien « la Nature ne fait pas de saut », et le « gradualisme » est toujours vivant dans la théorie moderne de l’évolution, même s’il est toujours affronté à une vision « discontinuiste » ou « saltationniste » toujours vivante et tout aussi ancienne.

Leibniz risque de paraître plus moderne encore lorsqu’on le voit envisager l’apparition d’espèces nouvelles, et donc une espèce d’histoire de la vie. Mais il ne faut pas oublier que sa philosophie est entièrement créationniste, et fondée sur la théorie de la préexistence des germes, adoptée alors par presque tous les naturalistes. Dieu a directement créé tous les individus, nés ou à naître, et les espèces n’ont pas de véritable réalité. Même s’il apparaît des formes nouvelles, elles ne font que devenir visibles. Elles existaient déjà et n’ont pas été produites par la Nature. Nous reviendrons sur ce point tout à l’heure.

Pour comprendre le succès de Leibniz, il n’est pas inutile d’évoquer un autre débat contemporain, mené dans un tout autre contexte philosophique par John Locke en Angleterre, dans son Essai sur l’entendement humain publié en 1685. Locke y reprend le vieux débat médiéval sur les « universaux », en posant la question de la réalité de l’espèce comme catégorie logique et taxinomique. L’homme, le cheval existent-ils vraiment dans la Nature, où nous ne rencontrons jamais que des hommes et des chevaux c’est-à-dire des individus. Le problème le plus difficile est celui des limites. Si nous définissons l’homme par la raison, que ferons-nous de l’idiot ? Si nous le définissons par sa morphologie, que ferons-nous de l’enfant mal formé ? Si nous parlons du cheval, que ferons-nous de l’âne ou du poney ? Pourquoi un chien bichon et un chien de berger sont-ils de la même espèce, alors que le cheval et l’âne forment deux espèces différentes ? La conclusion de Locke, c’est que l’espèce est un nom, sans réalité dans la Nature, ce qui favorise évidemment l’idée d’un continuum de formes, dans lequel le naturaliste découpe arbitrairement des espèces. Lorsque Buffon donnera sa définition de l’espèce, ce sera une réponse directe à la réflexion de Locke.

Mais pourquoi les naturalistes s’intéressent-ils tellement à ces débats philosophiques ? C’est qu’ils ont eux-mêmes des difficultés à identifier beaucoup d’êtres nouveaux qu’ils découvrent, et même à définir la vie, l’organisation, et à distinguer le minéral, le végétal et l’animal. Pour eux, ces problèmes n’ont rien d’abstrait ni de philosophique : ils se posent dans leur pratique de tous les jours.

Par exemple, il devrait être facile de distinguer le minéral du vivant. Or il n’en est rien. Les minéraux croissent, et donc « végètent ». Quelle différence y a-t-il entre la croissance d’un cristal et celle d’un être vivant ? Quand on sait l’importance du modèle du cristal dans la biologie du XIXe siècle, on doit admettre que la question se pose. Elle est longuement débattue en 1729 par un naturaliste suisse, Louis Bourguet, dans ses Lettres philosophiques sur la formation des sels et des cristaux et sur la génération et le mécanisme organique des plantes et des animaux. Le titre est déjà explicite. Pour une philosophie mécaniciste, qui considère le vivant comme une machine, il n’est pas trop facile d’établir la différence entre ce que Bourguet appelle le « mécanisme organique » et le mécanisme de la matière brute. Après tout, la différence entre le biologique et le physico-chimique pur n’a pas été facile à établir, à supposer qu’elle soit claire aujourd’hui. Notons que Bourguet est leibnizien, et qu’il a été très influent : Buffon et Charles Bonnet lui doivent beaucoup.

Ajoutons quelques problèmes plus terre à terre : les minéraux sont parfois « organisés », en ce sens qu’ils ont une structure particulière, fibreuse, feuilletée, veineuse. Tout cela n’annonce-t-il pas l’organisation du vivant ? Question d’autant plus difficile qu’on confond parfois des fossiles et des formations minérales ordinaires. Enfin, il est clair que le vivant fabrique du minéral : squelette, carapace, coquille, calculs. La matière vivante, comme toute matière, est faite des quatre éléments traditionnels, y compris la terre. On voit que, malgré les apparences, la distinction entre le minéral et le vivant est loin d’être claire.

La distinction entre le végétal et l’animal ne l’est pas davantage. D’abord, il y a les « zoophytes », ou « plantes-animaux », comme les éponges. On les met alors à la place que leur nom suppose, c’est-à-dire entre la plante et l’animal. Et puis, il y a des plantes qui possèdent sensibilité et mouvement, comme les animaux : par exemple la sensitive (Mimosa pudica). Enfin, il y a des êtres qu’on ne sait pas où mettre. Les coraux sont traditionnellement considérés comme des plantes. Lorsque Peyssonel montre que ce sont des animaux, Réaumur refuse de le croire. Et puis il y a l’hydre d’eau douce, le fameux « polype » découvert par Trembley en 1740, qui possède des propriétés éminemment végétales : il se reproduit par bourgeon et régénère un individu entier à partir d’un fragment. Trembley hésite, puis se décide pour un animal, Réaumur l’approuve. D’autres, dont Voltaire, penchent pour le végétal. L’ambiguïté ne sera dissipée que lorsqu’on découvrira que beaucoup d’autres animaux ont le même pouvoir de régénération.

Reste enfin la distinction entre l’animal et l’homme. Problème redoutable, si l’on pense au poids de la pensée traditionnelle, qu’elle soit chrétienne, platonicienne, aristotélicienne ou cartésienne, sur les esprits, et à l’autorité, au moins théorique, de l’Eglise sur la société. Or la discussion se développe avec une liberté étonnante. En ramenant l’activité de l’esprit humain à la combinaison des sensations, la philosophie de Locke tend à supprimer toute différence de nature entre l’intelligence humaine et l’intelligence animale. Le débat sur l’« âme des bêtes », d’abord suscité par la théorie cartésienne de l’animal-machine, se poursuit tout au long du XVIIIe siècle et favorise de multiples observations sur ce qu’on a longtemps appelé la « psychologie animale » et qu’on appelle aujourd’hui l’éthologie. Condillac et Le Roy soutiennent, contre Buffon, que les animaux pensent comme l’homme, quoique de façon moins parfaite, qu’ils ont un langage, qu’ils raisonnent, qu’ils savent compter. Toute coupure nette tend à disparaître.

D’autre part, on découvre les grands singes. Tyson, en Angleterre, publie la première description précise d’un chimpanzé, description d’ailleurs fortement humanisée. On connaît la formule du cardinal de Polignac, grand adversaire du matérialisme, disant à un de ces grands singes : « Parle, et je te baptise. » L’orang-outang est un « homme des bois » (Homo sylvestris) et Linné, malgré toute sa piété luthérienne, ne se contente pas de réunir l’homme et les grands singes dans la catégorie des « primates » : chez lui, Homo devient un genre, qui rassemble plusieurs espèces. Ici encore, les contours s’estompent, les divisions tranchées disparaissent, comme le voulait Locke.

Tout cela contribue à faire prendre au sérieux l’idée d’une échelle continue des êtres, qui est à la fois une échelle d’organisation de plus en plus complexe, de la pierre à l’homme, une échelle de « sensibilité » de plus en plus développée et exprimée, depuis la « sensibilité latente » de la pierre, selon Diderot, ou la « sensibilité sourde » de la molécule vivante, selon Maupertuis, jusqu’à la raison humaine. S’il y a accord sur ces données générales, cela n’exclut pas les divergences, en particulier sur la sensibilité de la matière brute ou le passage de l’animal à l’homme, divergences qui s’expliquent aisément par les diverses philosophies personnelles, mais ne recoupent pas nécessairement les divisions traditionnelles, comme on va le voir.

 

Deux défenseurs de la chaîne des êtres

Les deux meilleurs représentants de la théorie dans la seconde moitié du siècle sont en effet Charles Bonnet (1720-1793) et Jean-Baptiste Robinet (1735-1820). Or ce qui les réunit est aussi intéressant que ce qui les sépare.

Patricien genevois, calviniste libéral, mais fervent, Charles Bonnet s’est rendu célèbre en 1740 par sa démonstration de la parthénogenèse du puceron. Admirateur et élève de Réaumur, c’est un « observateur » et un expérimentateur de très grande qualité, qui a aussi fait des travaux très intéressants sur la physiologie végétale. Mais il a souffert très tôt de troubles oculaires graves, qui l’ont contraint à abandonner la recherche et l’ont conduit à se consacrer à la réflexion philosophique, tout en restant très proche de la recherche contemporaine, grâce surtout à ses relations très amicales avec Haller et Spallanzani. Or, en philosophie, Bonnet est un grand admirateur de Leibniz, dont il reprendra plusieurs thèses essentielles.

C’est surtout dans sa Contemplation de la Nature (1764) que Bonnet expose sa conception de la chaîne des êtres, enrichie des découvertes récentes et débarrassée des erreurs anciennes, en particulier sur les fossiles. La chaîne part donc des pierres brutes, passe des pierres feuilletées et fibreuses aux plantes, puis au polype, et de là aux insectes, mollusques, reptiles, poissons, oiseaux, quadrupèdes, singes et hommes. Mais cela n’est que la partie visible de la chaîne qui, au-delà de l’homme, s’élève jusqu’aux créatures célestes. Bonnet admet la sensibilité de la plante, mais pas celle de la pierre, et surtout, il insiste sur la circulation de la matière à travers tous les échelons de la chaîne : c’est la même matière qui passe de la pierre au végétal, est ensuite absorbée par l’animal, et retourne finalement à la pierre, témoignant ainsi de l’unité essentielle de la Nature dans ses différents règnes. Malgré sa foi chrétienne, Bonnet développe ici un thème également développé par Diderot à l’appui de son matérialisme, et les positions de Bonnet sur le passage de l’animal à l’homme ne sont pas moins audacieuses.

En 1768, dans sa Palingénésie philosophique, Bonnet introduit une idée nouvelle : toute l’échelle des êtres peut glisser vers le haut, chaque être venant occuper la place de celui qui lui est immédiatement supérieur. Ainsi l’homme devient ange, et le singe devient homme. Non seulement ce n’est pas une évolution, au sens où nous l’entendons, mais, dans la pensée même de Bonnet, ce processus n’a rien à voir avec une modification des formes vivantes et l’apparition possible d’espèces nouvelles. Car Bonnet, quoique partisan des germes préexistants, admet que des espèces nouvelles peuvent apparaître, soit par hybridation, soit sous l’influence du climat. Il ne donne pas de définition claire de l’espèce et, d’après les exemples qu’il propose, il s’agit de variétés plus que d’espèces véritables. Reste que les deux mécanismes invoqués pour cette variation des formes n’ont rien à voir avec l’échelle des êtres.

Jean-Baptiste Robinet n’est pas un naturaliste, mais plutôt un philosophe qui utilise les connaissances de son temps pour une réflexion personnelle essentiellement consacrée au problème du mal. De 1761 à 1766, il publie les quatre volumes d’un ouvrage intitulé De la Nature, où il développe longuement le thème de la chaîne des êtres, avec d’ailleurs moins de sérieux scientifique que Charles Bonnet. Lui aussi reprend l’adage leibnizien : « La Nature ne fait pas de saut. » Mais, beaucoup plus que Bonnet, il peut donner le sentiment de proposer une théorie de l’évolution. Il affirme en effet que les êtres vivants sont apparus progressivement, du plus simple au plus complexe, les uns après les autres, et que l’homme est donc apparu le dernier. Ce qui semble signifier une histoire de la vie, et une évolution.

Mais ce n’est qu’une apparence. Robinet est fidèle à Leibniz et à la théorie des germes préexistants. Pour lui, la Nature est « un acte unique », ce qui signifie que tous les germes de tous les êtres à naître étaient déjà présents au moment de la Création. Si certains germes se sont « développés » avant d’autres, c’est en accord avec un plan divin préétabli. Ainsi, les formes, ou les espèces, ne dérivent pas les unes des autres. Elles sont indépendantes les unes des autres, sans lien de parenté ou de filiation, et leur apparition successive n’est pas réglée par un mécanisme naturel, mais par la sagesse divine.

On serait tenté de ne pas attribuer beaucoup d’importance à l’œuvre de Robinet, surtout lorsqu’on le voit publier en 1768 un second ouvrage intitulé Considérations philosophiques de la gradation des formes de l’être, ou les Essais de la Nature qui apprend à faire l’homme. Ouvrage où, sous couleur de rassembler toutes les ébauches de formes humaines esquissées par la Nature, il cite un navet en forme de femme assise, le célèbre coquillage Concha veneris, le serpent à lunettes (première ébauche du visage humain), les tritons, les sirènes et les hommes à queue. Tout cela ne fait pas très sérieux. Cependant, les idées de Robinet sur l’apparition successive des formes vivantes vont avoir un succès considérable, et en particulier dans la philosophie de la Nature allemande. C’est bien parce qu’on a considéré, comme Robinet, l’apparition successive des formes comme le développement de germes préexistants, que le mot « évolution », qui signifie précisément le développement de ces germes, a pu prendre son sens moderne. Et c’est une théorie bien proche de celle de Robinet, ou au moins d’inspiration analogue, qu’Agassiz opposera obstinément à Darwin. Non seulement Robinet n’est pas évolutionniste, ni au sens darwinien ni au sens lamarckien, mais il est même à l’origine d’une interprétation anti-évolutionniste des découvertes paléontologiques.

Cela ne signifie pas que Lamarck ait ignoré Charles Bonnet, ni même sans doute Robinet, mais cela signifie que, pour passer de la chaîne des êtres à l’évolutionnisme lamarckien, il faut faire un détour, par l’œuvre de Buffon.

 

Buffon

Pour toutes ces questions, la pensée de Buffon est complexe, et surtout, elle a évolué au cours de la rédaction de l’Histoire naturelle, dont les trois premiers volumes ont paru en 1749. Nous ne pourrons donc la présenter ici que de façon schématique, en respectant toutefois la chronologie.

En 1749, Buffon attaque vivement les classificateurs parce qu’ils prétendent introduire des divisions nettes entre les êtres. La Nature marche par nuances, et l’on peut descendre insensiblement de l’homme aux êtres les plus simples. « Tout ce qui peut être, est », affirme Buffon, mais, contrairement à Leibniz, il ne découvre pas d’harmonie nécessaire dans la Nature, où l’on trouve des êtres « contradictoires ». Pour Buffon, tout ce qui peut survivre survit, et sa pensée évoque ici Lucrèce plutôt que Leibniz.

Cependant Buffon introduit deux coupures nettes dans la série des êtres. La première est entre le vivant et le non-vivant. En 1749, Buffon pose l’existence d’une matière vivante (les «molécules organiques »), dont il ne cherche pas à expliquer l’origine. C’est seulement en 1778, dans les Époques de la nature, qu’il suggérera que ces molécules organiques se sont formées, à l’apparition de la vie, par des combinaisons chimiques, que rendaient alors possibles les conditions physico-chimiques qui régnaient dans l’océan primitif et qui n’existent plus aujourd’hui. On peut considérer Buffon comme le premier à avoir suggéré l’idée que la vie est apparue dans une « soupe primitive ». La seconde coupure se situe entre l’animal et l’homme. Sans entrer dans une analyse détaillée, disons simplement que Buffon ne renoncera jamais à poser cette différence fondamentale entre la raison humaine et l’intelligence animale. Il est donc clair que Buffon n’accepte qu’une partie de la chaîne des êtres, et que sa philosophie est fort éloignée de celle de Leibniz.

Par ailleurs, Buffon présente, et d’abord à propos de l’espèce humaine, une théorie de la modification des formes sous l’influence du climat. Cette théorie suppose l’hérédité des caractères acquis, d’ailleurs expliquée par la théorie buffonienne de la reproduction, et que Lamarck reprendra. Au cours de la rédaction de l’Histoire naturelle, Buffon en arrivera à considérer ces modifications comme irréversibles et capables de créer des espèces nouvelles. Pourtant, il ne faut pas considérer Buffon comme un évolutionniste. Il a commencé par définir l’espèce par l’interfécondité, et c’est à l’intérieur de l’espèce ainsi définie qu’apparaissent les modifications provoquées par le climat. Biologiquement au moins, les « nouvelles espèces » doivent rester interfécondes avec les anciennes. Si elles ne le sont pas en fait, c’est à cause de barrières géographiques ou éthologiques, comme nous dirions aujourd’hui. Pour nous, ces nouvelles espèces seraient en fait des sous-espèces. Buffon ne sépare pas deux idées qui seront séparées plus tard : d’une part, la définition de l’espèce par l’interfécondité, d’autre part, l’idée que les modifications qui interviennent sont limitées par le « plan de composition » d’un phylum. L’histoire de la vie, selon Buffon, se ramène donc à l’histoire d’un certain nombre de « types », qui existent dès l’origine, et se diversifient plus ou moins au cours du temps, mais toujours indépendamment les uns des autres. Pour concevoir une théorie de l’évolution, Lamarck devra abandonner la théorie buffonienne de l’espèce. Selon lui, « la nature ne connaît ni classes, ni ordres, ni genres, ni espèces […]. Parmi les corps organisés et vivants, il n’y a réellement que des individus et des races diverses qui se nuancent dans tous les degrés de l’organisation ».

Par la suite, Buffon va abandonner l’idée d’une échelle verticale des êtres, et la remplacer par l’idée d’un réseau de « rapports » entre les espèces et même entre les grands types zoologiques. Les quadrupèdes, par exemple, ont à la fois des « rapports » avec les oiseaux (via les chauves-souris), avec les poissons (via les phoques, lamantins, cétacés), avec les reptiles (via le pangolin ou le fourmilier), et même avec les crustacés (via les tatous). Si ces « rapports » nous paraissent extravagants, c’est que Buffon met tous les caractères sur le même pied, comme le faisait Adanson, et refuse de les « peser », comme le fera Antoine-Laurent de Jussieu. En fait, il est clair que Buffon est beaucoup plus attentif à la diversité des formes vivantes qu’à une hiérarchie des formes d’organisation. Lamarck, comme nous allons le voir, va tenter de concilier les deux points de vue. Mais, pour en conclure avec Buffon, il est frappant de voir qu’il ne semble pas établir de lien entre les « rapports », vrais ou faux, qu’il croit découvrir entre les formes vivantes, et le processus de modification des formes qu’il a cru pouvoir proposer, et qui aurait dû, au moins pour nous aujourd’hui, le conduire normalement jusqu’à l’idée d’évolution.

 

Lamarck

C’est en 1778, dans le « Discours préliminaire » de sa Flore française, que Lamarck expose d’abord ses idées sur la chaîne des êtres. Comme Buffon en 1749, il critique les classificateurs qui veulent établir des distinctions tranchées dans la Nature. Aussi présente-t-il sa méthode comme purement artificielle et simplement commode. Mais si l’on voulait établir un « ordre naturel », il faudrait, comme le voulait Adanson, prendre en compte tous les caractères d’une plante et, à partir de là, ranger les plantes en commençant par « la plante qui paroît la plus vivante, la mieux organisée, en un mot la plus parfaite », placer « immédiatement après celle de toutes les plantes connues qui paroîtra avoir le plus de rapports avec elle », et suivre ainsi « la même gradation de nuances jusqu’à ce qu’on soit parvenu à la plante qui diffère le plus de la première ». En pratique cependant, il est plus facile de définir la plante « la moins complète dans ses organes », c’est-à-dire les cryptogames de Linné, et ensuite de remonter la série. Mais « il est vrai que l’ordre une fois formé, on doit le renverser, afin de remettre la chaîne dans sa situation naturelle, et présenter d’abord les plantes dans lesquelles l’organisation paroît être la plus active et la plus complète ».

Lamarck accepte donc l’idée d’une chaîne des êtres, graduée selon les niveaux d’organisation, et l’utilise contre les classificateurs, de la manière la plus classique. Mais cette chaîne ne comporte ici que des végétaux. Lamarck rejette explicitement toute « nuance » entre le brut et le vivant, et ne fait aucune allusion à un passage quelconque entre le végétal et l’animal. Sa pensée est évidemment dominée par une vision « gradualiste » de la Nature, mais il semble indifférent à la métaphysique qui sous-tend l’idée de la chaîne des êtres et qui exigerait, elle, un passage insensible d’un règne à l’autre.

A partir de 1800, Lamarck commence à développer la théorie de l’évolution qu’il expose en détail dans sa Philosophie zoologique de 1809. On trouve encore ici, mais cette fois pour le règne animal, un tableau général de la « dégradation de l’organisation » du plus complexe au plus simple. Le passage des vertébrés aux invertébrés, en particulier, se marque par un « anéantissement de la colonne vertébrale ». Cependant, l’« ordre naturel » a changé de sens : il va désormais du plus simple au plus complexe, c’est-à-dire qu’il suit la « marche de la nature » dans sa production successive des êtres. Mais la gradation (ou la dégradation) de l’organisation ne s’observe que par « grandes masses » : il est impossible de la suivre dans le détail. A chaque niveau d’organisation, l’action des « circonstances » a entraîné une diversification des formes telle qu’il n’est plus possible de découvrir un ordre linéaire. Et, entre les « grandes masses », la distance peut être considérable : le plan d’organisation des invertébrés, par exemple, est « très différent de celui des animaux à vertèbres ».

A l’intérieur même des invertébrés, Lamarck est progressivement conduit à multiplier les classes. Partant des deux classes de Linné (les insectes et les vers), il en est déjà arrivé à cinq classes en 1794 : mollusques, insectes, vers, échinodermes, polypes. A cette liste, et tandis que les échinodermes deviennent les radiaires, il va ajouter les crustacés en 1799, les arachnides en 1800, les annélides et les infusoires en 1807, les cirrhipèdes en 1809. Ce sont donc dix classes différentes, dont chacune constitue un type d’organisation représenté par de multiples espèces.

Mais surtout, la mise en série évolutive de ces classes s’éloigne de plus en plus d’une échelle linéaire des êtres. Dès 1809, Lamarck distingue deux « branches initiales », les vers et les infusoires, qu’on ne saurait faire dériver l’une de l’autre, et qui vont donner naissance à deux séries parallèles et indépendantes : les infusoires sont à l’origine des polypes et des radiaires, les vers à l’origine de tout le reste. De plus, à partir des vers, Lamarck distingue deux séries divergentes : d’une part les insectes, les arachnides et les crustacés, d’autre part les annélides, les cirrhipèdes et les mollusques. Impossible d’établir un ordre linéaire entre les classes de ces différentes séries évolutives.

Lamarck est persuadé que les mollusques ont « amené l’existence » des poissons, mais reconnaît qu’il y a entre eux un « hiatus considérable ». Et les choses ne sont pas plus simples chez les vertébrés que chez les invertébrés. On passe des poissons aux reptiles, via les batraciens. Mais à partir des reptiles, l’évolution s’est engagée dans deux directions : d’une part, elle est allée vers les oiseaux, via les « reptiles chéloniens » ; d’autre part, elle est allée vers les « mammifères amphibies », via les sauriens. Nouvelle division au niveau des mammifères amphibies : à partir des morses et des lamantins, on va vers les mammifères ongulés, pachydermes, ruminants, etc. ; à partir des phoques, vers les mammifères onguiculés ; enfin, à partir des mammifères amphibies restés marins, vers les cétacés.

En 1815, dans l’Introduction de l’Histoire naturelle des animaux sans vertèbres, Lamarck reprend, modifie et approfondit son analyse de la « marche de la nature ». Il propose une « distribution générale » des animaux, qui les classe en trois grandes catégories, selon le degré d’organisation de leur système nerveux : animaux « apathiques » (les quatre premières classes d’invertébrés, jusqu’aux vers inclus), animaux « sensibles » (les six classes supérieures d’invertébrés, à partir des insectes) et animaux « intelligents » (les vertébrés). Mais cette distribution n’a pas de valeur phylogénétique et, parallèlement, Lamarck présente un « ordre présumé de la formation des animaux offrant deux séries séparées, subrameuses », où se multiplient les embranchements et les hiatus. Par exemple, à partir des insectes, on va d’une part vers les arachnides, mais il y a un « hiatus » ; d’autre part, on va vers les crustacés, mais il y a un autre hiatus, et si l’on passe des crustacés aux cirrhipèdes, il n’y a « pas de transition véritable ». Et, comme en 1809, la transition entre invertébrés et vertébrés «n’est pas encore connue ». La conclusion est claire : « notre série simple n’offrira toujours que des portions interrompues et inégales de […] l’ordre de la production des êtres », « mais nous pouvons déjà penser que, dans sa production des différents animaux, la nature n’a pas exécuté une série unique et simple ».

Nous sommes maintenant très loin de la chaîne des êtres, même dans la version partielle que Lamarck avait acceptée en 1778. Non que cette idée n’ait joué aucun rôle dans sa réflexion. Elle s’accorde chez lui avec la vision « gradualiste » de la Nature que l’on retrouve dans toutes ses œuvres ; elle impose l’idée d’une complexité croissante de l’organisation et favorise l’attention portée aux organismes les plus simples ; elle sous-tend la critique des classifications abstraites. Elle joue chez lui, mais avec beaucoup plus de force, le même rôle que chez Buffon. Mais, pour passer de la chaîne des êtres à la théorie lamarckienne de l’évolution, il fallait réintroduire l’idée de la diversité des êtres à niveau à peu près égal d’organisation, admettre la coexistence de plusieurs « plans de composition », c’est-à-dire briser la chaîne, sans pourtant cesser de croire à un lien phylogénétique possible, sinon démontré. Buffon avait mis en évidence la diversité des types possibles et leur évolution propre. Lamarck a entendu la leçon, mais est revenu à la chaîne des êtres, juste assez pour admettre une évolution générale des formes, au moins à l’intérieur de chacun des deux règnes du vivant. Le lieu précis de la rupture entre les deux savants, c’est la notion d’espèce. C’est parce qu’il refuse la définition buffonienne de l’espèce, et l’hétérogénéité radicale qu’elle suppose entre les « types » fondamentaux, que Lamarck a pu devenir évolutionniste. L’idée de la chaîne des êtres a pu l’aider à franchir le pas.

Le mécanisme évolutif imaginé par Lamarck reflète cette double préoccupation ou, si l’on veut, cette double origine de sa théorie. D’une part, en effet, le jeu du mécanisme vital, qui tend normalement à « composer », c’est-à-dire à rendre toujours plus complexe, l’organisation des êtres, rend compte des progrès généraux de cette organisation et de la hiérarchie générale des êtres. D’autre part, le mécanisme des « circonstances », hérité de la théorie buffonienne du « climat », et renforcé, comme chez Buffon, de l’hérédité des caractères acquis, explique la diversité des formes à niveau équivalent d’organisation, en même temps que l’absence de lien directement observable d’un niveau à un autre.

Mais cette action des « circonstances », c’est-à-dire de toutes les conditions de vie auxquelles les organismes se sont trouvés exposés, parce qu’elle est responsable des bifurcations et des hiatus observés par le naturaliste évolutionniste, enlève à l’évolution lamarckienne tout caractère de finalité. L’évolution se fait au hasard des circonstances. L’une des lignées aboutit à l’homme, sans doute. Mais une autre s’arrête aux radiaires, une autre aux céphalopodes, une autre aux annélides, une autre encore aux arachnides. Dira-t-on que tous ces invertébrés étaient le but de l’évolution, sous prétexte qu’ils sont le terme d’une lignée évolutive ? Il serait sans doute plus juste de dire que l’évolution lamarckienne est tout aussi aléatoire et riche en impasses que l’évolution darwinienne, et que l’apparition de l’homme n’était pas plus prévisible dans la première que dans la seconde.

On n’a voulu voir en Lamarck que l’héritier de la tradition de la chaîne des êtres, et c’est ce qui a conduit à une interprétation fausse de sa pensée. Interprétation d’autant mieux acceptée de nos jours que la théorie moderne de l’évolution privilégie la diversité des formes et laisse volontiers dans l’ombre le fait que les organismes sont devenus de plus en plus complexes au cours de l’évolution. Sans entrer ici dans ce débat contemporain, il nous suffira de conclure en disant que, si la théorie de la chaîne des êtres a fourni à Lamarck un point de départ essentiel, elle ne saurait suffire à expliquer l’apparition de sa théorie de l’évolution. Lamarck n’a pu l’utiliser qu’en la coupant de ses bases métaphysiques comme de ses liens avec le créationnisme de la théorie des germes préexistants, ou en réduisant les prétentions à l’universalité et en la complétant par une prise en compte de la diversité du vivant. Bref, en la transformant profondément pour la faire servir à ses objectifs personnels. Ce qui est généralement l’attitude de tout esprit créateur à l’égard d’une théorie ancienne.

Jacques Roger (1920-1990), historien des sciences.

Article paru dans le Bulletin de la Société zoologique de France, vol. 115, n°3, 1990.

Article reproduit dans Pour une histoire des sciences à part entière, éd. Albin Michel, 1995.

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Image Twitter

Vous commentez à l’aide de votre compte Twitter. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s